(1763) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1763) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
L'aveugle Voltaire, à l'aveugle Madame la Marquise Du Déffant.

Les gens de nôtre espèce, Madame, devraient se parler au lieu de s'écrire, et nous devrions nous donner rendez-vous aux quinze vingt, d'autant plus qu'ils sont dans le voisinage de Mr le Président Hainaut.
On m'a mandé qu'il avait été dangereusement malade ces jours passés, mais qu'il se porte mieux. Je m'intéresse bien vivement à vôtre santé et à la sienne. Car enfin, il faut que ce qui reste à Paris de gens aimables vive longtemps, quand ce ne serait que pour l'honneur du païs.

Etes vous de l'avis de Mécène qui disait, que je sois gouteux, sourd et aveugle, pourvu que je vive, tout va bienhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1100365b_1key001cor/nts/001? Pour moi, je ne suis pas tout à fait de son opinion, et j'estime qu'il vaut mieux n'être pas, que d'être si horriblement mal; mais quand on n'a que deux yeux et une oreille de moins, on peut encor soutenir son éxistance tout doucement.

J'ai eu une grande dispute avec mr le président Hainaut, au sujet de François second, et je vous en fais juge. Je voudrais que quand il se portera bien, et qu'il n'aura rien à faire, il remaniât un peu cet ouvrage; qu'il pressât le dialogue, qu'il y jettât plus de terreur et de pitié, et même qu'il se donnât le plaisir de le faire en vers blancs, c'est à dire, en vers non rimés. Je suis persuadé que cette pièce vaudrait mieux que toutes les pièces historiques de Shakespear, et qu'on pourait traitter les principaux évênements de nôtre histoire dans ce goût. Mais il faudrait pour celà un peu de cette liberté anglaise qui nous manque. Les Français n'ont encor jamais osé dire la vérité toute entière. Nous sommes de jolis oiseaux à qui on a rogné les ailes. Nous voletons, mais nous ne volons pas.

Je vous supplie, Madame, de vouloir bien lui dire combien je lui suis attaché. Je le supplie de vous en dire autant quand j'ai l'honneur de lui écrire.

Adieu, Madame, je ne sçais si nous avons jamais bien joui de la vie, mais tâchons de la supporter. Je m'amuse à entendre sauter, courir, déraisonner madlle Corneille, son petit mari, sa petite sœur dans mon petit château, pendant que je dicte des commentaires sur Agesilas et Attila. Et vous, Madame, à quoi vous amusez vous? Je vous présente mon très tendre respect.

V.