(1761) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1761) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous m'affligez madame, je vous voudrais heureuse dans ce plus sot des mondes possibles, mais comment faire?
C'est déjà beaucoup de n'être pas du nombre des imbécilles et des fanatiques qui peuplent la terre. C'est beaucoup d'avoir des amis. Voilà deux consolations que vous devez sentir à tous les moments. Si avec cela vous digérez, votre état sera tolérable. Je crois, toutte réflexion faitte, qu'il ne faut jamais penser à la mort. Cette pensée n'est bonne qu'à empoisonner la vie. La grande affaire est de ne point souffrir, car pour la mort, on ne sent pas plus cet instant que celuy du sommeil. Les gens qui l'annoncent en cérémonie, sont les ennemis du genre humain. Il faut deffendre qu'ils n'approchent jamais de nous. La mort n'est rien du tout. L'idée seule en est triste; n'y songeons donc jamais, et vivons au jour la journée. Levons nous en disant que ferai-je aujourduy pour me procurer de la santé et de L'amusement? C'est à quoy tout se réduit à l'âge où nous sommes.

J'avoue qu'il y a des situations intolérables et c'est alors que les Anglais ont raisonhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1080125_1key001cor/nts/001; mais ces cas sont assez rares, on a presque toujours quelque consolation ou quelque espérance qui soutient. Enfin madame je vous exhorte à être toutte la plus heureuse que vous pourez.

Votre lettre m'a fait tant d'impression que je vous écris sur le champ, moy qui n'écris guères; j'ay une douzaine de fardeaux à porter, je me suis imposé tous ces travaux pour n'avoir pas un instant désœuvré et triste. Je crois que c'est un secret infaillible.

Je ferai mettre dans la liste de ceux qui retiennent un Corneille commenté, les personnes dont vous me faittes l'honneur de me parler. J'aime passionément à commenter Corneille, car il a fait l'honneur de la France dans le seul art peutêtre qui mette la France au dessus des autres nations. Deplus je suis si indigné de voir des hippocrites ou des énergumènes qui se déclarent contre nos spectacles, que je veux les accabler d'un grand nom.

Je n'ay point encor la reine de Golconde, mais j'ay vu des vers très jolis de Monsieur l'abbé de Bouflers. Il faut en faire un abbé de Chaulieu, avec cinquante mille livres de rentes en bénéfices. Cela vaut cinquante mille fois mieux que de s'enuier en province avec une croix d'or.

Je vous supplie madame de dire à monsieur le président Hénaut combien je suis sensible à tout ce qui l'intéresse. Votre société doit faire l'unique charme de sa vie.

Avez vous lu la conversation de l'abbé Grizel, et d'un intendant des menus? Si vous ne la connaissez pas, je vous cèderai l'exemplaire qu'on m'a envoyé.

Recevez les tendres respects du suisse.