(1761) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
/ 56
(1761) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Mr Le président Hainaut, Madame, m'instruit de vôtre beau zèle pour Pierre Corneille.
Je quitte Pierre pour vous remercier, et je vous supplie de présenter aussi mes remerciements à made la Duchesse de Luxembourg. Je romps un long silence, il faut le pardonner au plus fort laboureur qui soit à vingt lieües à la ronde; à un viéillard ridicule, qui déssèche des marais, défriche des bruières, bâtit une Eglise, et se trouve entre deux Pierres le grand, sçavoir Pierre Corneille, créateur de la Tragédie, et l'autre Pierre, créateur de la Russie. Ce qu'il y a de bon, c'est que madlle Corneille n'a nulle part à ce que je fais pour son grand père. Elle n'a pas encor lû une scène de Chimène; mais celà viendra dans quelques années, et alors, elle verra que j'ai eu raison. Maitre le Dain, et me Omer auront beau dire et beau faire, Pierre est un grand homme, et le sera toujours; et nous sommes des polissons. Qu'on me montre un homme qui soutienne la gloire de la nation,

Qu'on me le montre, et je promets d'aimer.

Il faut en revenir, Madame, au siècle de Loüis 14 en tout genre. Celà me perce le cœur au pied des Alpes; et de dépit, je fais faire un baldaquin, et je lis assidüement L'Ecriture Sainte, quoique j'aime encor mieux Cinna.

Je joüe avec la vie, Madame, elle n'est bonne qu'à celà, il faut que chaque enfant vieux ou jeune, fasse ses bouteilleshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1070341b_1key001cor/nts/001 de savon. La butte St Roc, et mes montagnes qui fendent les nües, les riens de Paris, et les riens de la retraitte, tout celà est si égal, que je ne conseillerais ni à une parisienne d'aller dans les Alpes, ni à une citoyenne de nos rochers d'aller à Paris. Je vous regrette pourtant, madame, et beaucoup; mlle Clairon un peu; et la plus part de mes chers concitoyens point du tout. Je n'ai guères plus de santé que vous ne m'en avez connu; je vis, et je ne sçais comment, et au jour la journée, tout comme les autres. Je m'imagine que vous prenez la vie en patience ainsi que moi; je vous y exhorte de tout mon cœur; car il est si sûr que nous serons très heureux quand nous ne sentirons plus rien, qu'il n'y a point de philosophe qui n'embrasse cette belle idée si consolante, et si démontrée. En attendant, madame, vivez le plus heureusement que vous pourez; jouïssez comme vous pourez, et moquez vous de tout, comme vous voudrez. Je vous écris rârement, parce que je n'aurais jamais que la même chose à vous mander, et quand je vous aurai bien répété que la vie est un enfant qu'il faut bercer jusqu'à ce qu'il s'endorme, j'aurai dit tout ce que je sçais. Un bourguemestre de Midelbourg que je ne connais point, m'écrivithttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1070341b_1key001cor/nts/002 il y a quelque temps, pour me demander en ami, s'il y a un Dieu? si en cas qu'il y en ait un, il se soucie de nous? si la matière est éternelle? si elle peut penser? si l'âme est immortelle? et me pria de lui faire réponse, sitôt la présente reçüe. Je reçois de pareilles Lettres tous les huit jours. Je mène une plaisante vie. Adieu, Madame, je vous aimerai, et je vous respecterai, jusqu'à ce que je rende mon corps aux quatre Elémens.