Je commence d'abord par vous éxcepter, Madame; mais si je m'adréssais à toutes les▶ autres dames de Paris, je leur dirais, c'est bien à vous, dans vôtre heureuse oisiveté, à prétendre que vous n'avez pas un moment de libre! Il vous apartient bien de parler ainsi à un pauvre homme, qui a cent ouvriers et cent bœufs à conduire, occupé du devoir de tourner en ridicule ◀les▶ Jésuites, et ◀les▶ Jansénistes; frapant à droite et à gauche sur St Ignace, et sur Calvin; faisant des Tragédies bonnes ou mauvaises; débrouillant ◀le▶ cahos des archives de Petersbourg; soutenant des procès; accablé d'une correspondance qui s'étend de Pondicheri jusqu'à Rome.
Voilà ce que j'appelle n'avoir pas un moment de libre.
Cependant, Madame, j'ai toujours ◀le▶ temps de vous écrire, et c'est ◀le▶ temps ◀le▶ plus agréablement emploié de ma vie, après celui de lire vos Lettres.
Vous méprisez trop Ezéchiel, Madame; ◀la▶ manière légère dont vous parlez de ce grand homme, tient trop de ◀la▶ frivolité de vôtre païs. Je vous passe de ne point déjeuner comme lui; il n'y a jamais eu que Paparelhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060459b_1key001cor/nts/001 à qui cet honneur ait été réservé. Mais sachez qu'Ezéchiel fut plus considéré de son temps, qu'Arnauld, et Quesnel du leur. Sçachez qu'il fut le premier qui osat donner un démenti à Moyse; qu'il s'avisa d'assurer que Dieu ne punissait pas ◀les▶ enfans des iniquités de leurs pères, et que celà fit un chisme dans ◀la▶ nation. Et n'est-ce rien s'il vous plait après avoir mangé de ◀la▶ merde, que de promettre aux Juifs de la part de Dieu, qu'ils mangeront de ◀la▶ chair d'homme tout leur saoulhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060459b_1key001cor/nts/002?
Vous ne vous souciez donc pas de connaître ◀les▶ mœurs des nations? Pour peu que vous eussiez de Curiosité, je vous prouverais qu'il n'y a point eu de peuple qui n'ait mangé communément des petits garçons et des petites filles; et vous m'avoüerez même que ce n'est pas un aussi grand mal d'en manger deux ou trois, que d'en égorger des milliers, comme nous faisons poliment en Allemagne.
Mr Thurgothttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060459b_1key001cor/txt/001 ne sçait ce qu'il dit, Madame, quand il prétend que je me porte bien; mais c'est en vérité ◀la▶ seule chose dans ◀la▶ quelle il se trompe; je n'ai jamais connu d'esprit plus juste et plus aimable. Je suis enchanté qu'il soit de vôtre cour, et je voudrais qu'on ne vous ◀l'▶enlevât, que pour ◀le▶ faire mon Intendant; car j'ai grand besoin d'un intendant qui m'aime. J'aime passionément à être ◀le▶ maître chez moi; ◀les▶ intendants veulent être ◀les▶ maîtres par tout; et ce combat d'opinions ne laisse pas d'être quelquefois embarassant.
Je ne suis point du tout de ◀l'▶avis de ce bon régent qui gâta tout en France http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060459b_1key001cor/nts/003; il prétendait, dites vous, qu'il n'y avait que des sots et des fripons; ◀le▶ nombre en est grand, et je crois qu'au palais royal, ◀la▶ chose était ainsi. Mais je vous nommerai, quand vous voudrez, vingt belles âmes, qui ne sont ni sottes, ni coquines, à commencer par vous, madame, et par mr ◀le▶ ◀président▶ ◀Hainaut▶. Je tiens de plus, nos philosophes très gens de bien; je crois ◀les▶ d'Alemberts, ◀les▶ Diderots, aussi vertueux qu'éclairés; cette idée fait un contrepoids dans mon esprit à toutes ◀les▶ horreurs de ce monde.
Vraiment, Madame, ce serait un beau jour pour moi, que ◀le▶ petit souper dont vous me parlez, avec mr ◀le▶ mal de Richelieu, et mr le Présidt Hainaut; mais en attendant ◀le▶ souper, je vous assure, sans vanité, que je vous ferais des contes que vous prendriez pour des mille et une nuit, et qui pourtant sont très véritables. Oui, Madame, j'aurais ◀le▶ plus grand plaisir du monde à vous parler, et surtout, à vous entendre. Celà serait plaisant de nous voir arriver à St Joseph, avec made Denis, et cette dlle Corneille qui sera, je vous jure, ◀le▶ contrepied du pédantisme. Mais je vous avertis que je ne pourais jamais passer à Paris, que ◀le▶ mois de Janvier et de février. Vous ne sçavez pas, madame, ce que c'est que ◀le▶ plaisir de gouverner des terres un peu étendües; vous ne connaissez pas ◀la▶ vie libre et patriarchale; c'est une espèce d'existence nouvelle. D'ailleurs, je suis si insolent dans ma manière de penser; j'ai quelquefois des expréssions si téméraires; je hais si fort ◀les▶ pédants; j'ai tant d'horreur pour ◀les▶ hipocrites; je me mets si fort en colère contre ◀les▶ fanatiques, que je ne pourais jamais tenir à Paris plus de deux mois.
Vous me parlez, Madame, de ma paix particulière; mais vraiment, je ◀la▶ tiens toute faitte; je crois même avoir du crédit, si vous me fâchez; mais je suis discrêt, et je mets une partie du souverain bien à ne demander rien à personne, à n'avoir besoin de personne, à ne courtiser personne. Il y a des viéillards doucereux, circonspects, pleins de ménagements, comme s'ils avaient leur fortune à faire; Fontenelle, par éxemple, n'aurait pas dit son avis à ◀l'▶âge de quatre vingt dix ans, sur ◀les▶ feuilles de Fréron. Ceux qui voudront de ces viéillards là, peuvent s'adresser à d'autres qu'à moi.
Eh bien, madame, ai-je répondu à tous ◀les▶ articles de vôtre Lettre? suis-je un homme qui ne lise pas ce qu'on lui écrit? suis-je un homme qui écrive à contre-cœur? et aurez vous d'autres reproches à me faire, que celui de vous ennuier par mon énorme bavarderiehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060459b_1key001cor/nts/004? Quand vous voudrez, je vous enverrai un chant de ◀la▶ pucelle, qu'on a retrouvé dans ◀la▶ bibliothèque d'un sçavant. Ce chant n'est pas fait, je ◀l'▶avoüe, pour être lû à ◀la▶ Cour par ◀l'▶abbé Grisel, mais il pourait édifier des personnes tolérantes.
A propos, madame, si vous vous imaginez que ◀la▶ pucelle est une pûre plaisanterie, vous avez raison de trouver que c'est trop de vingt chants; mais, s'il y a continuellement du merveilleux, de ◀la▶ poësie, de ◀l'▶intérêt, et surtout, de ◀la▶ naïveté, vingt chants ne suffisent pas; ◀L'▶Arioste qui en a quarante huit, est mon dieu! Tous ◀les▶ poëmes m'ennuient, hors le sien; je ne ◀l'▶aimais pas assez dans ma jeunesse; je ne sçavais pas assez ◀l'▶italien. ◀Le▶ pentateuque et ◀L'▶Arioste, font aujourd'hui ◀le▶ charme de ma vie. Mais, madame, si jamais je fais un tour à Paris, je vous préférerai au pentateuque. Adieu, madame, il faut joûer avec ◀la▶ vie jusqu'au dernier moment, et jusqu'au dernier moment je vous serai sérieusement attaché avec ◀le▶ respect ◀le plus tendre.