Si vous n'êtes point un grand Enfant, Madame, vous n'êtes pas non plus une petite vieille; je suis fort vôtre ainéhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060194_1key001cor/nts/001, et je joüe la comédie deux fois par semaine, et le bon de l'affaire c'est que nous joüons des pièces nouvelles de ma façon, que Paris ne verra pas, àmoins qu'il ne soit bien sage et bien honnête.
Comme je fais le théâtre, les pièces, et les acteurs, qu'en outre je bâtis une Eglise et un château, et que je gouverne par moi même tous ces tripots là, et que pour m'achever de peindre il faut finir L'histoire de Pierre le grand, et que j'ai dix ou douze Lettres à écrire par jour, tout celà fait que vous devez me pardonnez, madame, si je ne vous ennuie pas aussi souvent que je le voudrais; j'ai pourtant un plaisir extrème à m'entretenir avec vous; vous sçavez que j'aime passionément vôtre esprit, vôtre imagination, vôtre façon de penser; vous aurez la moitié de Pierre incessamment; il y a un paquet tout prêt pour vous et pour Mr le Président Hainaut, mais on ne sçait comment faire pour dépècher ces paquets par la poste. Je vous avertis que la préface vous fera poufer de rire, et vous serez toute étonnée de voir que la plaisanterie n'est point déplacée. J'y joins un chant de la pucelle qui poura vous faire rire aussi. Je vous promets encor de vous chercher des fariboles philosophiques dans ma bibliothèque; mais il faut que vous sçachiez que je ne suis guères le maître d'entrer dans ma bibliothèque à présent, parce qu'elle est dans l'apartement qu'occupe mr le Duc de Villars avec tout son monde; il nous a joüé, à huis clos, Gengis Kan, dans l'orphelin de la Chine; il vaut mieux que tous vos comédiens de Paris.
Je suis fort aise madame, qu'on ait imprimé ma Lettrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060194_1key001cor/nts/002 au Roy de Pologne; trois ou quatre Lettres par an dans ce goût là, écrites aux puissances, ou soidisant telles, ne laisseraient pas de faire du bien; il faut rendre service aux hommes tant qu'on peut, quoi qu'ils n'en valent guères la peine. Mon petit parti, d'ailleurs, m'amuse beaucoup; j'avoüe que tous mes complices n'ont pas sacrifié aux grâces; mais s'ils étaient tous aimables, ils ne seraient pas si attachés à la bonne cause; les gens de bonne compagnie ne se font point prosélytes; ils sont tièdes; ils ne songent qu'à plaire; Dieu leur demandera un jour compte de leurs talents.
Vous avez bien raison, madame, d'aimer l'histoire de mon ami Humehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060194_1key001cor/nts/003. Il est, comme vous sçavez, le cousin de l'auteur de l'Ecossaise. Vous voiez comme il rend dans cette histoire le fanatisme odieux. Ne croiez pas que L'histoire de Pierre le grand puisse vous amuser autant que celle des Stuards. On ne peut guères Lire Pierre, qu'une carte géographique à la main; on se trouve d'ailleurs dans un monde inconnü; une parisienne ne peut s'intéresser à des combats sur les Palus-Méotideshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060194_1key001cor/nts/004, et se soucie fort peu de sçavoir des nouvelles de la grande Permie, et des Samoyèdes. Ce livre n'est point un amusement, c'est une étude. Mr le Président Hainaut ne veut pas que je donne Pierre chiquette à chiquettehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060194_1key001cor/nts/005; je ne le voudrais pas non plus, mais j'y suis forcé. On a un peu de peine avec ces Russes, et vous sçavez que je ne sacrifie la vérité à personne. Adieu, Madame, si vous aviez des yeux, je vous dirais, venez philosopher avec nous, parce que vos yeux seraient éguaiés pendant neuf mois par le plus agréable aspect qui soit sur la terre; mais ce qui fait le charme de la vie est perdu pour vous; et je vous assure que celà me fait toujours saigner le cœur. J'ai chez moi un homme d'un mérite râre, un homme de grande condition, ancien officier, retiré dans ses terres. Il les a quittées pour venir à 150 Lieües de chez lui, philosopher dans ma retraitte. Je ne l'avais jamais vû, je ne sçavais pas même qu'il éxistât, il a voulû venir, il est venu, il fait de grands progrès, et il m'enchante; mais par malheur il me vient des intendans; ces gens là ne sont pas tous philosophes. Mon Dieu, madame, que je hais ce que vous sçavezhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060194_1key001cor/nts/006!
Je vais être en relation avec un Brame des Indes par le moyen d'un officierhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1060194_1key001cor/nts/007 qui va commander sur la côte de Coromandel, et qui m'est venû voir en passant; j'ai déjà grande envie de trouver mon Brame plus raisonnable que tous vos butors de la Sorbonne. Adieu encor une fois, madame, je vous aime beaucoup plus que vous ne pensez.