(1760) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1760) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Vous êtes un grand et aimable enfant madame.
Comment n'avez vous pas senti que je pense comme vous? Mais songez que je suis d'un parti, et d'un parti persécuté, qui tout persécuté qu'il est, a pourtant obtenu à la fin le plus grand avantage qu'on puisse avoir sur ses ennemis, celuy de les rendre à la fois ridicules et odieux. Vous sentez donc ce qu'on doit aux gens de son party. Monsieur Le duc d'Orleans disait qu'il fallait avoir la foy des bohemes.

Je ne sçais si vous avez vu une lettre de moy au Roy de Pologne Stanislas. Elle court le monde. C'est pour le remercier d'un livre qu'il a fait de moitié avec le cher frère Menou, intitulé, l' incrédulité combattue par le simple … bon sens. Si vous ne l'avez point je vous l'enverrai, et je chercherai d'ailleurs madame tout ce qui poura vous amuser. Car c'est à l'amusement qu'il faut toujours revenir, et sans ce point là l'existence serait à charge. C'est ce qui fait que les cartes employent le loisir de la prétendue bonne compagnie d'un bout de l'Europe à l'autre, c'est ce qui fait vendre tant de romans. On ne peut guères rester sérieusement avec soy même. Si la nature ne nous avait fait un peu frivoles, nous serions très malheureux. C'est parce qu'on est frivole, que la plus part des gens ne se pendent pas.

Je vous adresserai dans quelque temps un exemplaire de l'empire de touttes les Russies. Il y a une préface à faire pouffer de rire qui vous consolera de l'ennuy du livre. Adieu madame. Je suis malade, portez vous bien, soyez aussi guaie que votre état le permet et ne boudez plus votre ancien ami qui vous est tendrement attaché pr toujours.

V.