(1760) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
/ 166
(1760) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je pourrois vous dire (que vanitéà part) Je ne suis pas parfaitement contente de vous.
D'oû vient ne m'avoir pas envoyé la vanité? Je l'ay trouvée charmante; Je ne doute pas qu'elle ne soit de vous et le Pompignan y est encor mieux traité que dans les deux autres pièces. Ce pauvre homme vous devra toute sa célébrité; sans vous on n'aurait fait que bâiller en parlant de lui et en lisant ses ouvrages; il a mérité le traitement qu'il Eprouve. Passe pour être fat, mais hipocrite et méchant c'est trop; Le voilà Ecrasé sous les montagnes de Ridicule que vous Entassez sur lui; sa naissance et sa dévotion ne lui feront pas tenter d'Escalader ni le ciel ni la cour. Dieu le bénisse, c'est un sot et froid personnage.

Je ne say pas lequel J'aime le mieux de votre Russe ou de votre pauvre diable, celui cy est plus plaisant, l'autre est plus noble, Je suis fort contente de l'un et de l'autre.

Venons au procès que vous me faites http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050487_1key001cor/txt/002de ne vous avoir pas accusé la réception du second chant de la pucellehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050487_1key001cor/txt/002. J'étois en colère contre vous, et au lieu de remerciemens vous n'auriez Eu que des reproches, parce que J'appris que http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050487_1key001cor/txt/002dans le même temshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050487_1key001cor/txt/002 vous envoyez à toutes sortes de gens, toute sortes de nouveautés; mon amitié en fut blessée Je vous trouvay coupable du crime d'Ananie et de Saphiehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050487_1key001cor/nts/001, vous mentiez au st Esprit, et ne pouvant pas vous punir de mort subite, Je pris la résolution de ne vous plus Ecrire; cela me coûtoit beaucoup, et vous pouvez en Juger puisqu'à la première agacerie Je suis revenue tout courant à vous.

Je vous aime beaucoup monsieur, parce que personne en vérité ne me plait autant que vous, et Je suis bien sûre que vous ne plaisez à personne autant qu'à moi.

On vous a donc bien dit du mal de moi. Je passe donc dans votre esprit pour l'admiratrice des Freron et des Palissot, et pour l'ennemie déclarée des Enciclopédistes, Je ne mérite n'y cet Excès d'honneur ni cette indignité. Vous me demandez ma confession et vous me promettez votre absolution. Apprenez donc que Je ne me suis point Jointe à mad. de Robec, qu'à peine Je la connoissois, et que Je n'ay jamais Eû le désir de la connoître davantage; J'ay fort blâmé sa vengeance et le choix de ses vengeurs; j'ay été bien aise du peu de succès de sa comédie et de la maladresse de son auteur; il n'a pas seû rendre ridicules les gens qu'il vouloit peindre, il a manqué son objet; en les attaquant sur l'honneur et la probité, il ne leur a pas Effleuré L'épiderme. J'ay été à une représentation de cette pièce, Je l'ay lüe une fois. J'ay dit très naturellement que Je n'en étois pas contente et qu'à la place des philosophes J'aurois beaucoup plus de mépris que d'indignation contre un tel ouvrage; si cela ne paroit pas sufisant, et s'il faut crier tolle contre leurs ennemis, J'avoue que Je n'ay point pris ce parti, et que Je me trouverois très ridicule d'élever ma voix pour ou contre aucun party, il n'y a que l'amitié qui puisse engager dans ces sortes de querelles. Il y a quelques années J'en conviens que l'amitié m'auroit peutêtre fait faire beaucoup d'imprudences, mais pour aujourd'huy Je verrois avec indiférence la guerre des dieux et des géants, à plus forte raison celle des rats et des grenouilles; Je lis ce qui s'écrit pour ou contre. Il y a quelques articles de Freron qui m'ont assez divertit; Le mot enciclopédiehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050487_1key001cor/nts/002 par Exemple, qui est Je crois dans sa quinzième feuille, m'a paru assez plaisant. J'aime mieux son stile que celui de l'abbé Desfontaines. Voilà l'aveu de tous mes crimes, J'attens votre Egaute http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050487_1key001cor/txt/003 absolvo. Je finis ce long article par vous dire que Je suis bien sûre que si J'étois avec vous Je serois toujours de votre avis sans que ce fût par la soumission et la déférence qui est dû à votre Esprit et à vos lumières.

Ah mon dieu monsieur, que Je serois aise de passer ma vie aux Délices! si c'est la philosophie qui donne le dégoût du monde, Je suis une grande philosophe, rien ne me retient ici, et Je n'ay pour y rester d'autres raisons que celle de la chèvre, où elle est attachée il faut qu'elle broûte. Cependant si Je n'étois pas aveugle J'irois certainement vous voir, il n'y a rien au monde qui me fît autant de plaisir que d'être avec vous. J'aurois grand besoin de mr Tronchin si la vie m'étoit plus chère, mais ce seroit une folie à moi de chercher à la prolonger. Eh mon dieu pourquoi? pour Eprouver de nouveaux malheurs. Je me contente de rendre les moments présents supportables, Je vis avec plusieurs personnes aimables qui ont de l'humanité, de la compassion, il en résulte L'apparence de l'amitié, Je m'en contente; J'écarte la tristesse autant qu'il m'est possible, Je me livre à toutes les dissipations qui se présentent; enfin à tout prendre Je suis moins malheureuse que Je ne devrois l'être; vous ne seriez pas mécontent de moi si Je vous rendois compte de ma façon de penser, et ce seroit un grand plaisir que J'aurois. Mais ne nous retrouverons nous Jamais ensemble monsieur? Cette absence eternelle ainsy que la perte de mon ami sont deux malheurs irréparables, et dont Je ne me consoleray Jamais. Ecrivez moi souvent et envoyez moi tout ce que vous ferez. Qu'est ce que c'est que la sœur du pot dont tout le monde parle et que personne n'a vuehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050487_1key001cor/nts/003?