Le président qui est aux Ormes chés mr Dargenson, me mande qu'il vient de recevoir de vous une lettrehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050438b_1key001cor/nts/001 charmante, où vous lui parlez de moi et où vous vous plaignez de ce que Je ne vous Ecris▶ plus; Je suis bien aise que vous vous en soyez apperçû, c'était mon intention; Je vous boudois, mais cette petitte agacerie me fait changer de dessein, J'aime mieux vous dire tous les griefs que J'ay contre vous.
Vous ne répondez Jamais aux choses que Je vous ◀Ecris▶, aux questions que Je vous fais, vous avez l'air de la défiance ou du dédain. On est inondé ici de petittes brochures qu'on vous attribûent toutes sous prétexte qu'en Effet il y en a quelques unes de vous. Si vous me traitiez comme vous devez, c'est à dire comme votre véritable amie, ne devrois-je pas recevoir de vous même ce que vous envoyez certainement à d'autres? J'ay pris le party de nier qu'aucun de ces ouvrages fussent de vous; ce n'est pas qu'il n'y en ait quelques uns où Je n'ay crû vous reconnoitre, mais Je désaprouve si fort que vous soyez pour quelque chose dans la guerre des rats et des grenouilles (comme vous la nommez fort bien) que Je ne puis consentir à flatter la vanité d'un des deux partis, et même de tous les deux en vous croyant l'ami des uns et l'ennemi des autres. J'aurois pourtant été bien aise que vous m'Eussiez envoyé le pauvre diable. Je ne puis pas parvenir à l'avoir. Voilà mad. de Robec mortehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050438b_1key001cor/nts/002, mais elle a trop tardé, six mois plus tôt nous auroient épargné une immensité de mauvais ouvrages; cependant Je serois fâché que nous n'eussions pas la vision. D'ailleurs monsieur, soyez sûre qu'il n'y a rien de plus ennuyeux, de plus fastidieux que tous ces ◀Ecrits et tous leurs auteurs; des cyniques, des pédans, voilà les beaux Esprits d'aujourd'huy; votre nom ne devroit Jamais se trouver dans leurs querelles. Je trouve aussy que vous avez fait beaucoup trop d'honneur à mr de Pompignan. Si vous reveniez ici monsieur, Je serois bien étonnée si aucun de tous ces gens là vous paraissoit aimable, et digne de votre protection. Il y en a d'honnêtes gens J'en conviens, et même qui ont du goût et de l'esprit, mais nul usage du monde, nulle politesse, nulle gaité, nul agrément.
Je suis au désespoir de n'avoir pas pû prévoir les malheurs qui me sont arrivés, et n'avoir pas connû ce que c'étoit que l'état de la viellesse avec une fortune des plus médiocres. J'aurois quitté Paris, Je me serois Etabli en province; Là J'aurois Joui d'une plus grande aisance et Je ne me serois pas aperçû d'une grande diférence pour la société et la compagnie.
Je ne sçay plus que lire. http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050438b_1key001cor/txt/002Vous me devez encore le 3ème chant que vous m'avez promis;http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050438b_1key001cor/txt/002 vous pourriez m'envoyer bien des choses, mais vous ne m'en trouvez pas digne. Je Jugeray par votre réponse si vous souhaitez véritablement maintenir notre correspondance; il faut qu'elle soit fondée sur L'amitié et la confiance, sans cela ce n'est pas la peine. Je vous aimeray, Je vous admireray toujours, mais Je m'interdiray de vous le dire.
Permettez moi de finir par un conseil. Lisez la fable du Rat, de la grenouille et de l'aiglehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1050438b_1key001cor/nts/003.