(1759) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1759) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Votre dernière lettre monsieur est divine; si vous m'en écriviez souvent de semblables je serois la plus heureuse du monde et je ne me plaindrois pas de manquer de lecture.
Sçavez vous l'envie qu'elle m'a donnée ainsy que votre parabole du bramin? C'est de jetter au feu tous ces immenses volumes de philosophie, excepté Montagne qui est le père à tretoushttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040423_1key001cor/nts/001 mais à mon avis il a fait de sots et ennuyeux enfans.

http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040423_1key001cor/txt/001Je conviens que la lecture de L'ancien testament peut devenir très intéressante de la façon dont vous la conseillez, mais il y a si long tems que par mon seul instinct j'ay reconnûe que tout étoit ignorance et folie, que ce n'est pas la peine de faire aucune étude pour se le prouver.http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040423_1key001cor/txt/001 Je lis l'histoire parcequ'il faut sçavoir les faits jusqu'à un certain point, et puis parcequ'elle fait connoitre les hommes. C'est la seule sciençe qui excite ma curiosité parcequ'on ne sçauroit se passer de vivre avec eux. Votre parabole du bramin monsieur est charmante, c'est le résultat de toute la philosophie. Je ne sçay lequel je préférerois, d'être le bramin ou d'être la vielle indienne? Est ce que vous croyez que les capucins et les religieuses n'ayent pas de grands chagrins? Ils ne s'embarassent pas si vous voulez de ce que c'est que leur âme, mais leur âme les tourmente; toutes les conditions, toutes les espèces, me paroissent égallement malheureuses depuis l'ange jusqu'à l'huitre; le fâcheux c'est d'être né, et l'on peut pourtant dire de ce malheur là, que le remède est pire que le mal.

Je Liray ce que vous me marquez de la traduction de Lucreçe mais je ne vous feray point part de mes réflexions. Ce seroit abuser de votre patiençe, et me donner des airs à la pralinehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040423_1key001cor/nts/002. C'est une expression de mad. de Luxembourg. Je dois me borner à ne vous dire que ce qui peut vous exciter à me parler. Mais monsieur si vous aviez autant de bonté que je voudrois, vous auriez un cahier de papier sur votre bureau, où vous écririez dans vos moments de Loisir tout ce qui vous passeroit par la tête; ce seroit un receuil de pensées, d'idées, de réflexions que vous n'auriez pas encore mis en œuvre; c'est de toute vérité qu'il n'y a que votre esprit qui me satisfasse, parce qu'il n'i a que vous en qui une qualité ne soit pas au dépens d'une autre. Mais je ne veux pas vous loüés vif.

Certainement je ne liray point Rabelais; pour l'Arioste je l'aime beaucoup, je l'ay toujours préféré au Tasse, celui cy me parois une beauté plus languissante que touchante, plus gourmé que majestueuse, et puis je hais les diables à la mort. Je ne sçaurois vous dire le plaisir que j'ay eû de trouver dans Candide tout le mal que vous dites de Miltonhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040423_1key001cor/nts/003. J'ay crû avoir pensé tout cela car je l'ay toujours eû en horreur; enfin quand je lis vos jugemens sur quelque chose que ce puisse être j'augmente de bonne opinion de moi même parce que les miens y sont absolument conformes. Je ne vous parle plus des romans anglois, sûrement ils vous paroitroient trop long; il faut peut être n'avoir rien à faire pour se plaire à cette lecture, mais je trouve que ce sont des traités de morale en actions qui sont très intéressants et peuvent être fort utiles; c'est Pamela, Clarisse et Grandissonn; l'auteur est Richersonhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040423_1key001cor/nts/004, il me parois avoir bien de l'esprit. Sçavez vous monsieur ce qui me prouve le plus la supériorité du vôtre et ce qui fait que je vous trouve un grand philosophe? c'est que vous êtes devenû riche. Tout ceux qui disent qu'on peut être heureux et libre dans la pauvreté, sont des menteurs, des foux et des sots.

Ne protégez point je vous prie nos projets de finançe, non seulement il nous mènerons à L'hôpital, mais ils diminuent les revenû du roy. Depuis l'augmentation du tabac et des ports de lettres on s'en apperçois sensiblement; tout le monde se retranche. Il vient de paroitre de nouveaux arrest qui ordonnent de porter au trésor royal tout les fonds destinés à rembourser les billets de lotterie, des fermiers généraux &c. &c. &c., enfin on n'a rien oublié de tout ce qui peut absolument détruire le crédit, aussy ne trouveroit on pas aujourd'huy à emprunter un écû. Nous verrons ce que fera le parlement à sa rentré.

Le Canada est pris; Mr de Moncalmehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040423_1key001cor/nts/005 est tué, enfin la France est mad. Jobe. Avez vous des nouvelles de votre roy de Prusse? Je serois bien curieuse de voir les lettres que vous en recevez, je vous promet la plus grande fidélité. http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040423_1key001cor/txt/001Je compte sur les chants de la Pucelle que vous me promettez; prenez soin de mon amusement je vous suplie, je n'en peux recevoir de personne autant que de vous.

N'avez vous pas eû envie monsieur d'acheter une terre en Lorraine, cette terre n'étoit ce pas Craon? Le père de Menou n'étoit il pas votre négotiateur, et le père de Menou n'est il pas un sot? Si vous avez encore cette fantaisie chargez moi de cette affaire; je suis intime amie de mad. la Male de Mirepoix et de M: Le p. de Beauvau: je voudrois que vous eussiez un établissement dans cette provinçe. Que sçait on ce qui en arriveroit? Enfin j'en prendrois l'espérance, de ne pas mourir sans avoir l'honneur de vous revoir, soit vous en nous venant trouver, soit moi en vous allant chercher.http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040423_1key001cor/txt/001

Adieu monsieur, http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040423_1key001cor/txt/001il ne m'appartient pas de vous écrire des lettres immenses et de payer le plaisir que me font les vôtres par l'ennuy que vous causeroient les miennes. Le président vous fait mil tendres compliments. Il a bien du plaisir à lire ce que vous m'écrivez.http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040423_1key001cor/txt/001