(1759) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1759) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je me plaignois à vous monsieur, de ce que je ne sçavois que lire.
Hé bien, le gouvernement y a pourvû, on vient de publier dix ou douze éditshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040385_1key001cor/nts/001 qui font bien trois quart d'heure de lecture. Je ne vous en ferai pas le détail; ils ne taxent pas encore l'air que nous respirons. Hors cela je ne sçache rien sur quoy ils ne portent. Cependant l'on doute qu'ils soient d'une grande ressourçe. Malgré le profit immense que l'on accorde à ceux qui avancerons les sommes, on craint d'être dans l'impossibilité de les trouver. La vissicitude des choses de ce monde donne un peu de méfiançe. Ainsy pour rassurer le public on lui démontre combien on est content des talents du C. G.http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040385_1key001cor/nts/002 On vient de lui donner donner soixante mille livres de rente viagères dont il y en a vingt sur la tête de sa femme.

Quel conseil me donnez vous? Lire l'ancien testament! C'est donc parce qu'on n'aura plus le moyen de faire le sien; non monsieur je ne ferai point cette lecture; je m'en tiendray au respect qu'elle mérite et auquel il n'i a plus rien à ajoutés. Je suis toujours surprise qu'on ose y penser. Sçavez vous que je vous trouve encore bien jeune, rien n'est usé pour vous; mais bon, laissez là les sots et leurs opinions, livrez vous à vos talents, traitez des sujets agréables ou intéressants; vos voyages, vos séjours, vos observations, vos réflexions sur les mœurs, les usages, les portraits des personnages que vous avez vû; voilà ce qui me feroit grand plaisir. Vos jugements sur les ouvrages seroit surtout ce qui me plairoit infiniment, parceque je sens et pense tout comme vous. Il y a quelques années que j'eux des vapeurs affreuse, et dont le souvenir me donne encore de la terreur; rien ne pouvoit me tirer du néant où mon âme étoit plongée que la lecture de vos ouvrages. J'ay beaucoup lû d'histoire mais elles sont épuisées; Je n'ay point lû les de Thouhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040385_1key001cor/nts/003, les Danielshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040385_1key001cor/nts/004, les Griffethttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040385_1key001cor/nts/005, je crois tout cela ennuyeux, je n'aime point à sentir que l'auteur que je lis songe à faire un livre. Je veux imaginer qu'il cause avec moi. Sans la facilité tout ouvrage m'ennuy à la mort. Nos écrivains d'aujourd'huy ont des corps de fer, non pas en fait de santé mais en fait de stile.

Monsieur, vous n'avez point lû les romans anglois, vous ne les mépriseriez pas si vous les connoissiez. Ils sont trop long je l'advoüe et vous faites un meilleur employ du tems. La morale y est en action et n'a jamais été traité d'une manière plus intéressante. On meurt d'envie d'être parfait après cette lecture et l'on croit que rien n'est si aisé.

Mais je m'apperçois que je suis bien impertinente de vous entretenir de tout ce que je pense, ce seroit le moyen de vous dégoûter bien viste d'une correspondançe que mon cœur désire et qui seroit un grand amusement pour moi auquel il faut vous prêter si vous avez de la bonté et de l'humanité. Le présidenthttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1040385_1key001cor/nts/006 se porte assés bien, mais il devient bien sourd, ce qui, joint avec l'âge qui avance, le rend souvent triste; il est cependant encore quelquefois assez gay, et alors il est cent fois de meilleur compagnie que ce qu'on appelle aujourd'huy la bonne compagnie; il n'y a plus de gaité monsieur, il n'i a plus de grâces; les sots sont plats et froids, ils ne sont point absurdes n'y extravagants comme ils étoient autrefois; les gens d'esprit sont pédans, corects, sentencieux; il n'i a plus de goût non plus, enfin il n'i a plus rien. Les têtes sont vuides et l'on veut que les bourses le deviennent aussy. Oh que vous êtes heureux d'être Voltaire, vous avez tout les bonheurs, les talents qui font l'occupation et la réputation, les richesses qui font l'indépendance.

Je conçois le goût que vous avez pour les soins domestiques; il y a du plaisir à voir croitre ses choux. Est ce que la basse cour ne vous occuppe pas? Je L'aimerois. Mais en vérité en voilà assez, il ne fault pas mettre votre patiençe à bout. Envoyez moi monsieur quelques brimborions, mais rien sur les prophètes; je tiens pour arrivé tout ce qu'ils ont prédit.

On vient de déclarer m. Le duc de Broglie général de L'armée.