(1759) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1759) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
Libre d'ambition, de soins et d'Esclavage,
Des sottises du monde éclairé spectatuer,
Il se garda bien d'être acteur,
Et fut heureux autant que sage.
Il fuïait le vain nom d'auteur,
Il dédaignait de vivre au Temple de mémoire,
Mais il vivra dans vôtre coeur.
C'est sans doute assez pour sa gloire.

Les fleurs que je jette, Madame, sur le tombeau de nôtre ami Formont, sont sèches et fanées comme moi. Le talent s'en va, l'âge détruit tout; que pouriez vous attendre d'un campagnard qui ne sçait plus que planter et semer dans la saison? J'ai conservé de la sensibilité, c'est tout ce qui me reste, et ce reste est pour vous, mais je n'écris guères que dans les occasions.

Que vous dirais je du fonds de mes retraittes? Vous ne me manderiez aucune nouvelle de la roüe de fortune sur la quelle tournent nos ministres du haut en bas, ni des sottises publiques, ni des particulières. Les lettres qui étaient autrefois la peinture du cœur, la consolation de l'absence, et le langage de la vérité, ne sont plus que de tristes et vains témoignages de la crainte qu'on a d'en trop dire, et de la contrainte de l'Esprit. On tremble de laisser échaper un mot qui peut être mal interprêté; on ne peut plus penser par la postehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1030338_1key001cor/nts/001; je n'écris point au Président Hénaut; mais je lui souhaitte comme à vous une vie longue et saine. Je dois la mienne au parti que j'ai pris. Si j'osais, je me croirais sage, tant je suis heureux. Je n'ai vécû que du jour où j'ai choisi ma retraitte. Tout autre genre de vie me serait insuportable. Paris vous est nécessaire; et il me serait mortel. Il faut que chacun reste dans son élément. Je suis très fâché que le mien soit incompatible avec le vôtre; et c'est assurément ma seule affliction. Vous avez voulû aussi éssaïer de la campagne, mais elle ne vous convenait pas. Il vous faut une société de gens aimables, comme il fallait à Rameau des connaisseurs en musique. Le goût de la propriété et du travail est d'ailleurs absolument nécessaire dans des terres. J'ai de très vastes possessions que je cultive. Je fais plus de cas de votre apartement que de mes bléds et de mes pâturages; mais ma destinée était de finir entre un semoir, des vaches et des Genevois. Ces genevois ont tous une raison cultivée, et ils sont si raisonnables qu'ils viennent chez moi, et qu'ils trouvent bon que je n'aille jamais chez eux. On ne peut, à moins d'être La Poplinière, vivre plus commodément; voilà ma vie, Madame, telle que vous l'avez dévinée, tranquile et occupée, opulente et philosophique, et surtout entièrement Libre; elle vous est absolumenthttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1030338_1key001cor/txt/002 consacrée dans le fond de mon coeur, avec le respect le plus tendre, et l'attachement le plus inviolable.

V.