(1759) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire
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(1759) Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand to Voltaire

Je Croyois que vous m'aviés oubliée, monsieur, Je m'en affligeois sans m'en plaindre, mais la plus grande perte que Je pouvois Jamais faire et qui met le comble à mes malheures, m'a rappellée à votre souvenir; nul autre que vous n'a si parfaitement parlé de L'amitié; La connoissant si bien vous devez Juger de ma douleur.
L'amihttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1030330_1key001cor/nts/001 que Je regretterai toute ma vie me faisoit sentir la vérité de ces vers qui sont dans votre discours de la modération, O divine amitié! félicité parfaite! &c. Je les disois sans cesse avec délice, Je le diray présentement avec amertume et douleur! Mais, monsieur, pourquoy refusez vous à mon ami un mot d'Elogehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1030330_1key001cor/nts/002? Sûrement vous l'en avez trouvé digne, vous faisiez cas de son esprit, de son goût, de son Jugement, de son cœur et de son caractère; il n'étoit point de ces philosophes infolio qui enseignent à mépriser le public, à détester les grands, qui voudroient n'en reconnoitre dans aucun genre et qui se plaisent à bouleverser les têtes par des sophismes et par des paradoxes fatiguants et ennuyeux; il étoit bien Eloigné de ces Extravagances; c'étoit le plus sincère de vos admirateurs, et Je crois un des plus Eclairés. Mais, monsieur, pourquoy ne seroit il loué que par moi? Quatre lignes de vous soit en vers soit en prose honoreroienet sa mémoire et seroient pour moi une vraye consolation.

Si vous êtes mort comme vous le dites il ne doit plus rester de doutes sur l'immortalité de l'âme. Jamais sur terre on Eut tant d'âme que vous en avez dans le tombeau. Je vous crois fort heureux. Me trompai-je? Le paÿs où vous êtes semble avoir été fait pour vous, les gens qui L'habitent sont les vrais descendans d'Ismael, ne servant ni Baal ni le dieu d'Israelhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1030330_1key001cor/nts/003, on y Estime et admire vos talents sans vous haïr ni vous persécuter. Vous Jouissez encore d'un fort grand avantage, beaucoup d'oppulence qui vous rend indépendant de tout et vous donne la facilité de satisfaire vos goûts et vos fantaisies. Je trouve que personne n'a si habilement Joué que vous; tout les hazards ne vous ont pas été heureux, mais vous avez sçu corriger les mauvais, et vous avez tiré un bien bon party des favorables.

Enfin monsieur, si votre santé est bonne, si vous Jouissez des douceurs de l'amitié, le roy de Prusse a raison, vous êtes mille fois plus heureux que lui malgré la gloire qui l'environne et la honte de ses Ennemis.

Le président fait toute la consolation de ma vie, mais il en fait aussi tout le tourment par la crainte que J'ay de le perdre. Nous parlons de vous bien souvent. Vous êtes cruel de nous dire que vous ne nous reverrez Jamais! Jamais, c'est effectivement le discours d'un mort, mais dieu mercy vous êtes bien En vie et Je ne renonce point à l'espérance de vous revoir.

http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1030330_1key001cor/txt/003Je me rappelle peut-être un peu trop tard que vous avez été dégoûté d'entretenir un commerce de lettres avec moi; la longueur de celle-ci va m'exposer aux mêmes inconvénients.http://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1030330_1key001cor/txt/003

Adieu monsieur, personne n'a pour vous plus de goût, plus d'estime, plus d'amitié, il y quarante ans que Je pense de même.