(1758) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1758) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

J'apprends madame que votre ami et votre philosophe Formonthttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1030306_1key001cor/nts/001 a quitté ce vilain monde.
Je ne le plains pas. Je vous plains d'être privée d'une consolation qui vous était nécessaire. Vous ne manquerez jamais d'amis, à moins que vous ne devenniez muette; mais les anciens amis sont les seuls qui tiennent au fonds de notre être. Les autres ne les remplaçent qu'à moitié. Je ne vous écris presque jamais madame parce que je suis mort et enterré entre les alpes et le mont Jura; mais du fonds de mon tombeau je m'intéresse à vous comme si je vous voyais tous les jours. Je m'aperçois bien qu'il n'y a que les morts d'heureux. J'entends parler quelquefois des révolutions de la cour et de tant de ministres qui passent en revüe rapidement comme dans une lanterne magique. Mille murmures viennent jusqu'à moy, et me confirment dans l'idée que Le repos est le vrai bien, et que la campagne est le vrai séjour de l'homme. Le Roy de Prusse me mande quelquefois que je suis baucoup plus heureux que luy, et il a vraiment grande raison. C'est même la seule manière dont j'ay voulu me vanger de son procédé avec ma nièce et avec moy. La douceur de ma retraitte sera augmentée madame en recevant une lettre que vous aurez dictée. Vous m'apprendrez si vous daignez toujours vous souvenir d'un des plus anciens serviteurs qui vous restent. Vous voyez sans doute souvent M. le président Henaut. L'estime véritable et tendre que j'ay toujours eue pour luy me fait souhaitter passionément qu'il ne m'oublie pas. Je ne vous reverraihttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1030306_1key001cor/nts/002 jamais madame. J'ay acheté des terres considérables autour de ma retraitte. J'ay agrandi mon sépulcre. Vivez aussi heureuse qu'il est possible. Ayez la bonté de m'en dire des nouvelles. Vous étes vous fait lire le père de famillehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF1030306_1key001cor/nts/003? cela n'est il pas bien comique? Par ma foy notre siècle est un pauvre siècle après celuy de Louis 14. Mille raisoneurs et pas un seul homme de génie, plus de grâces, plus de guaité. La disette d'hommes en tout genre fait pitié. La France subsistera mais sa gloire, son bonheur, son ancienne supériorité, qu'es ce que tout cela deviendra? Digérez madame, dormez, conversez, prenez patience, et recevez avec votre ancienne amitié les assurances tendres et respectueuses de l'attachement du suisse

V.