(1754) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1754) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

J'ay été malade madame, j'ay été moine, j'ay passé un mois avec st Augustin, Tertullien, Origène, Alcuin et Rabanhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990182_1key001cor/nts/001.
Le commerce des pères de l'église et des savants du temps de Charlemagne ne vaut pas le vôtre. Mais que vous mander des montagnes des Vauges! et comment vous écrire quand je n'étois occupé que de priscilianites et de nestorienshttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990182_1key001cor/nts/002! Au milieu de ces beaux travaux dont j'ay gourmandé mon imagination, il a fallu encor obéir à des ordres que mr Dalembert votre ami m'a donnez de luy faire quelques articles pour son enciclopédie, et je les ay très mal faits. Les recherches historiques m'ont appesanti. Plus j'enfonce dans la connaissance du septième et du huitième siècle, moins je suis fait pour le nôtre et surtout pour vous. Mr Dalembert m'a demandé un article sur l'esprithttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990182_1key001cor/nts/003. C'est comme s'il l'avait demandé au père Mabillon ou au père Monfaucon. Il se repentira d'avoir demandé des gavotes à un homme qui a cassé son violon. Et vous aussi madame vous vous repentirez d'avoir voulu que je vous écrive. Je ne suis plus de ce monde et je me trouve assez bien de n'en plus être. Je ne m'en intéresse pas moins tendrement à vous. Mais dans l'état où nous sommes tout deux que pouvons nous faire l'un pour l'autre? Nous nous avouerons que tout ce que nous avons vu et tout ce que nous avons fait a passé comme un songe, que les plaisirs se sont enfuis de nous, qu'il ne faut pas trop compter sur les hommes. Nous consolerons nous ainsi en nous disant combien peu le monde est consolant? On ne peut y vivre qu'avec des illusions et dès qu'on a un peu vécu, touttes les illusions s'envolent. J'ay conçu qu'il n'y avait de bon pour la vieillesse qu'une occupation dont on fût toujours sûr, et qui nous menât jusqu'au bout en nous empéchant de nous ronger nous mêmes. J'ay passé un mois avec un bénédictin de quatrevingt quatre ans qui travaille encor à l'histoire. On peut s'y amuser quand l'imagination baisse. Il ne faut point d'esprit pour s'occuper des vieux événements. C'est le party que j'ay pris. J'ay attendu que j'eusse repris un peu de santé pour m'aller guérir à Plombières. Je prendray les eaux en n'y croyant pas, comme j'ay lu les pères. J'exécuteray vos ordres madame auprès de mr Dargentalhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990182_1key001cor/nts/004. Je vois les fortes raisons du prétendu éloignement dont vous parlez. Mais vous en avez oublié une, c'est que vous êtes éloignée de son quartierhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990182_1key001cor/nts/005. Voylà donc les grands motifs sur lesquels roule le commerce de la vie! Savez vous bien vous autres, ce qu'il y a de plus difficile à Paris, c'est d'attraper le bout de la journée. Puissent vos journées, madame, être tolérables. C'est encor un beau lot, car de journées toujours agréables, il n'y en a que dans les mille et une nuits et dans la Jerusalem céleste. Résignons nous à la destinée qui se moque de nous et qui nous emporte. Vivons tant que nous pourons et comme nous pourons. Nous ne serons jamais aussi heureux que les sots. Mais tâchons de l'être à notre manière. Tâchons — quel mot! Rien ne dépend de nous. Nous sommes des horloges, des machines. Adieu, madame, mon horloge voudrait sonner l'heure d'être auprès de vous.