Je me sents très-coupable, Madame, de▶ n'avoir point répondu à vôtre dernière Lettre.
Ma mauvaise santé n'est point une excuse auprès de moi; et quoi que je ne puisse guères écrire ◀de▶ ma main, je pouvais du moins dicter des choses fort tristes qui ne déplaisent pas aux personnes comme vous, qui connaissent toutes les misères ◀de▶ cette vie, et qui sont détrompées ◀de▶ toutes les illusions. Il me semble que je vous avais conseillé ◀de▶ vivre, uniquement pour faire enrager ceux qui vous païent des rentes viagères; pour moi c'est presque le seul plaisir qui me reste. Je me figure dès que je sents les aproches ◀d'▶une indigéstion que deux ou trois princes hériteront ◀de▶ moi; alors je prends courage par malice pure, et je conspire contre eux avec ◀de▶ la rhubarbe et ◀de▶ la sobriété. Cependant, Madame, malgré l'envie extrème ◀de▶ leur jouer le tour ◀de▶ vivre, j'ai été trèsmalade: joignez à cela ◀de▶ maudites annales ◀de▶ l'Empire qui sont l'éteignoir ◀de▶ l'imagination, et qui ont emporté tout mon temps, voilà la raison ◀de▶ ma paresse. J'ai travaillé à cet insipide ouvrage pour une Princesse de Saxe qui mérite qu'on fasse des choses plus agréables pour elle. C'est une Princesse infiniment aimable, chez qui on fait meilleure chère que chez made la Duchesse du Maine. On vit à sa cour dans une liberté beaucoup plus grande qu'à Seaux; mais malheureusement le climat est horrible, et je n'aime à présent que le soleil. Vous ne le voïez guères, Madame, dans l'état où sont vos yeux, mais il est bon du moins ◀d'▶en être réchauffé. L'hiver horrible que nous avons eu, donne ◀de▶ l'humeur, et les nouvelles qu'on aprend n'en donnent guères moins.
Je voudrais pouvoir vous envoïer quelque bagatelle pour vous amuser, mais les ouvrages aux quels je travaille, ne sont point du tout amusants. J'étais devenu anglais à Londres, je suis allemand en Allemagne. Ma peau ◀de▶ caméléon prendrait des couleurs plus vives auprès de vous: vôtre imagination rallumerait la langueur ◀de▶ mon ésprit. J'ai lû les mémoires ◀de▶ Mylord Bollingbrok; il me semble qu'il parlait mieux qu'il n'écrivait; je vous avouë que je trouve autant ◀d'▶obscurité dans son stile que dans sa conduite: il fait un portrait affreux du Comte d'Oxfordhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990096_1key001cor/nts/001 sans alléguer contre lui la moindre preuve, ni le moindre fait. C'est ce même Oxford que Pope appelle une âme sereine audessus ◀de▶ la bonne et ◀de▶ la mauvaise fortune, ◀de▶ la rage des partis, ◀de▶ la fureur du pouvoir, et ◀de▶ la crainte ◀de▶ la morthttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0990096_1key001cor/nts/002. Bollingbrok aurait bien dû emploïer son loisir à faire ◀de▶ bons mémoires sur la guerre ◀de▶ la succession, sur la Paix ◀d'▶Utrecht, sur le caractère ◀de▶ la Reine Anne, sur le Duc et la Duchesse de Marbouroug, sur Louis XIV, sur le Duc d'Orléans, sur les ministères ◀de▶ France et ◀d'▶Angleterre; il aurait mêlé adroitement son apologie à tous ces grands objets, et il l'eût immortalisée, au lieu qu'elle est anéantie dans le petit livret tronqué et confus qu'il nous a laissé. Je ne conçois pas comment un homme qui semblait avoir des vuës si grandes, a pû faire des choses si petites. Son traducteur a grand tort ◀de▶ dire que je veux proscrire l'étude des faits. Je reproche à Mr. de Bollingbrok ◀de▶ nous en avoir trop peu donnés, et ◀d'▶avoir encor étranglé le peu ◀d'▶événements dont il parle. Cependant je crois que ces mémoires vous auront fait quelque plaisir, et que vous vous étes souvent trouvée, en les lisant, en païs ◀de▶ connaissance. Adieu, Madame, souffrons nos misères humaines patiemment. Le courage est bon à quelque chose; il flatte l'amour propre, il diminue les maux, mais il ne rend pas la vuë. Je vous plains toujours beaucoup, je m'attendris sur vôtre sort. Mille compliments à Monsieur de Formont. Si vous voïez Monsieur le Président Hénault, je vous prie ◀de▶ ne me point oublier auprès de lui. Soïez bien persuadée ◀de mon tendre respect.