Monsieur l'envoyé de Suedehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0970191_1key001cor/nts/001 me dit madame que vous vous souvenez toujours de moy avec une bonté qui ne s'est pas démentie.
Nous avons fait au petit couvert du Roy de la terre qui a le plus d'esprit, un souper où il ne manquait que vous. Il veut se charger des regrets que j'ay d'avoir perdu une société telle que la vôtre, et vous envoier ma lettre. Vous avez diminué mon envie de faire un tour à Paris lorsque vous l'avez abandonné. Mais j'espère toujours vous y retrouver quelque jour. La retraitte a ses charmes mais Paris a aussi les siens. Il vous paraît étonnant peutêtre que je me vante d'être dans la retraitte quand je suis à la cour d'un grand Roy. Mais madame, il ne faut pas s'imaginer que j'arrive le matin à une toilette avec une perruque poudrée blanc, que j'aille de là à la messe en cérémonie, que de là j'assiste à un dîner, que je fasse mettre dans les gazettes que j'ay les grandes entrées et qu'après dîné je compose des cantiques ou des romances. Ma vie n'a pas ce brillant. Je n'ay pas la moindre cour à faire, pas même au maître de la maison, et ce n'est pas à des cantiques que je travaille. Je suis logé commodément dans un beau palais, j'ay auprès de moy deux ou trois impies avec les quels je dine régulièrement, et plus sobrement qu'un dévot; quand je me porte bien je soupe avec le roy, et la conversation ne roule ny sur les tracasseries particulières ny sur les inutilitez générales, mais sur le bon goust, sur tous les arts, sur la vraye philosofie, sur le moyen d'être heureux, sur celuy de discerner le vray d'avec le faux, sur la liberté de penser, sur les véritez que Loke enseigne, et que la Sorbonne ignore, sur le secret de mettre la paix dans un royaume par des billets de confession. Enfin depuis plus de deux ans que je suis dans ce qu'on croit une cour, et qui n'est en effet qu'une retraitte de philosofes, il n'y a point eu de jour où je n'aye trouvé à m'instruire. Jamais on n'a mené une vie plus convenable à un malade, car n'ayant aucune visite à faire, aucun devoir à rendre, j'ay tout mon temps à moy, et on ne peut pas soufrir plus à son aise. Je jouis de la tranquilité et de la liberté que vous goutez où vous êtes.
Cela vaut bien les orages ridicules que j'ay essuiez à Paris. M. le président Henaut m'écrit quelquefois mais monsieur le comte Dargenson, comme de raison, m'a totalement oublié. S'il s'était un peu plus souvenu de moy lorsqu'il eut le ministère de Paris, peutêtre n'aurais-je pas l'espèce de bonheur qu'on m'a enfin procurée. Cependant on aime toujours sa patrie malgré qu'on en aithttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0970191_1key001cor/nts/002, on parle toujours de l'infidèle avec plaisir. Je vous rends un compte exact de mon âme, et vous pourez me donner un billet de confession quand vous voudrez. Mais il faudrait aussi vous confesser à moy, me dire comment vous vous portez, ce que vous faites pour votre santé et pour votre bonheur, quand vous comptez retourner à Paris, et comment vous prenez les choses de la vie. Je compte vous envoier incessamment une nouvelle édition du Siècle de Louis 14, où vous trouverez un tiers de plus, tout plein de véritez singulières. Je me suis donné un peu carrière sur l'article des écrivains, j'ay usé de toutte la liberté que prenait Bayle, j'ay tâché seulement de resserrer ce qu'il étendait trop. Vous verrez deux morceaux singuliers de la main de Louis 14. C'était avec ses défauts un grand roy et son siècle un très grand siècle. Mais n'avons nous pas aujourdhuy la Duchappehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0970191_1key001cor/nts/003?
Portez vous bien madame et souvenez vous du plus attaché et du plus sensible de vos serviteurs.