(1751) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
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(1751) Voltaire to Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

Apparemment madame que mon camarade Damonhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0960201_1key001cor/nts/001 sert son roy aussi vite, qu'il rend tard les lettres des particuliers.
J'aurais bien voulu faire dans ce mois de juin où nous sommes ce voiage dont il parle, et en vérité madame vous en seriez un des principaux motifs. J'aurais pu même prendre L'occasion du voiage que fait le roy mon nouvau maitre dans le pays qu'habitait autrefois la princesse de Cleves. Mais ce voiage sera fort court, et je luy ay promis de rester chez luy jusqu'au mois de septembre. Il faut tenir sa parole aux rois, et surtout à celuy là. D'ailleurs il m'inspire tant d'ardeur pour le travail, que si je n'avais pas apris à m'occuper je l'aprendrais auprès de luy. Je n'ay jamais vu d'homme si laborieux. Je rougirais d'être oisif quand je vois un roy qui gouverne quatre cent lieues de pays tout le matin, et qui cultive les lettres toutte l'après dinée. Voylà le secret d'éviter l'ennuy dont vous me parlez, mais pour cela il faut avoir la rage de L'étude comme luy, et comme moy son serviteur chétif. Quand il vient de Paris quelque Livre nouvau tout plein d'esprit qu'on n'entend point, tout hérissé de vieilles maximes rebrochées et rebrodées avec du clinquant nouvau, savez vous bien madame ce que nous faisons? Nous ne le lisons point. Tous les bons livres du siècle passé son icy, et cela est fort honnête. On les relit pour se préserver de la contagion. Vous me parlez de deux éditions de mes sottises. Il est bien clair madame que la moins ample est la moins mauvaise. Je n'ay vu encor ny l'une ny l'autre. Je les condamne touttes, et je pense que comme il ne faut point écrire tout ce qu'ont fait les rois, mais seulement ce qu'ils ont fait de mémorable, il ne faut point imprimer tout ce qu'ont écrit de pauvres autheurs, mais seulement ce qui peut à toutte force être digne de la postérité. On me mande que L'édition de Paris est incomparablement moins mauvaise que celle de Rouen, qu'elle est baucoup plus correcte. J'aurais l'honneur de vous la présenter si j'étais à Paris. On veut que j'en fasse icy une à ma fantaisie, mais je ne sçais comment m'y prendre. Je voudrais jetter dans le feu la moitié de ce que j'ay fait, et corriger l'autre. Avec ces beaux sentiments de pénitence je ne prends aucun party, et je continue à mettre en ordre le siècle de Louis 14. J'ay aporté tous mes matériaux. Ils sont d'or et de pierreries, mais j'ay peur d'avoir la main lourde. Ce siècle était beau, il a enseigné à penser et à parler à celuy cy. Mais gare que les disciples ne soient au dessous de leurs maîtres en voulant faire mieux. Je tâche au moins de m'exprimer tout naturellement et j'espère que quand je reverrai Paris on ne m'entendra plus.

M. le président Henaut, pour qui je crois vous avoir dit des choses assez tendres, parce que je les pense, m'aurait il tout à fait oublié! Il ne faut pas que les saints dédaignent absolument leurs dévots. J'ay d'autant plus de droit à ses bontez qu'il est du siècle de Louis 14. Vous allez donc toujours à Sceaux madame? J'avais pris la liberté de donner une lettre à Dammon pour madame la duchesse du Maine. Il la rendra dans quelques années. Vous avez fait deux pertes à cettehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0960201_1key001cor/txt/002 cour un peu différentes l'une de l'autre, madame de Stallhttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0960201_1key001cor/nts/002, et madame de Malauzehttp://www.e-enlightenment.com/item/voltfrVF0960201_1key001cor/nts/003. Conservez vous, ne mangez point trop. Je vous ay prédit quand vous étiez si malade que vous vivriez très longtemps. Surtout ne vous dégoûtez point de la vie, car en vérité après y avoir bien rêvé on trouve qu'il n'y a rien de mieux. Je conserveray pendant toutte la mienne les sentiments que je vous ay vouez et j'aimeray toujours Paris à cause de vous et du petit nombre des élus.

Mille tendres respects.

V.