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2. (1697) Histoires ou Contes du temps passé

Mais, comme chacun prenoit sa place à table, on vit entrer une vieille fée, qu’on n’avait point priée, parce qu’il y avait plus de cinquante ans qu’elle n’estoit sortie d’une tour, et qu’on la croyoit morte ou enchantée. […] Ces deffenses n’estoient pas necessaires, car il crut dans un quart d’heure, tout au tour du parc, une si grande quantité de grands arbres et de petits, de ronces et d’épines entrelassées les unes dans les autres, que beste ny homme n’y auroit pû passer ; en sorte qu’on ne voyoit plus que le haut des tours du chasteau, encore n’estoit-ce que de bien loin. On ne douta point que la fée n’eust encore fait là un tour de son métier, afin que la princesse, pendant qu’elle dormiroit, n’eust rien à craindre des curieux. Au bout de cent ans, le fils du roi qui regnoit alors, et qui estoit d’une autre famille que la princesse endormie, estant allé à la chasse de ce costé-là, demanda ce que c’estoit que des tours qu’il voyoit au-dessus d’un grand bois fort épais. […] — Je vous donne un demy-quart d’heure, reprit la Barbe-Bleuë, mais pas un moment davantage. » Lorsqu’elle fut seule, elle appella sa sœur, et luy dit : « Ma sœur Anne (car elle s’appelloit ainsi), monte ; je te prie, sur le haut de la tour, pour voir si mes freres ne viennent point : ils m’ont promis qu’ils me viendroient voir aujourd’huy ; et, si tu les vois, fais-leur signe de se hâter. » La sœur Anne monta sur le haut de la tour ; et la pauvre affligée luy crioit de temps en temps : « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?

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