— Je vous donne un demy-quart d’heure, reprit la Barbe-Bleuë, mais pas un moment davantage. » Lorsqu’elle fut seule, elle appella sa sœur, et luy dit : « Ma sœur Anne (car elle s’appelloit ainsi), monte ; je te prie, sur le haut de la tour, pour voir si mes freres ne viennent point : ils m’ont promis qu’ils me viendroient voir aujourd’huy ; et, si tu les vois, fais-leur signe de se hâter. » La sœur Anne monta sur le haut de la tour ; et la pauvre affligée luy crioit de temps en temps : « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? […] non, ma sœur : c’est un troupeau de moutons… — Ne veux-tu pas descendre ? […] Tenez, Fanchon, voyez ce qui sort de la bouche de vôtre sœur quand elle parle ; ne seriez-vous pas bien aise d’avoir le mesme don ? […] C’est sa sœur qui en est cause : elle me le payera. » Et aussi tost elle courut pour la battre. […] L’aisnée, quoy que fort stupide, le remarqua bien ; et elle eut donné sans regret toute sa beauté pour avoir la moitié de l’esprit de sa sœur.