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2. (1697) Histoires ou Contes du temps passé

Ayant remarqué que la clef du cabinet estoit tachée de sang, elle l’essuia deux ou trois fois ; mais le sang ne s’en alloit point : elle eut beau la laver, et mesme la frotter avec du sablon et avec du grais, il y demeura toûjours du sang, car la clef estoit fée, et il n’y avait pas moyen de la nettoyer tout à fait : quand on ôtoit le sang d’un costé, il revenoit de l’autre. […] L’aisnée, quoy que fort stupide, le remarqua bien ; et elle eut donné sans regret toute sa beauté pour avoir la moitié de l’esprit de sa sœur. […] Ayant remarqué, aprés luy avoir fait les complimens ordinaires, qu’elle estoit fort melancolique, il luy dit : « Je ne comprens point, Madame, comment une personne aussi belle que vous l’estes peut estre aussi triste que vous le paraissiez : car, quoyque je puisse me vanter d’avoir veu une infinité de belles personnes, je puis dire que je n’en ay jamais vû dont la beauté approche de la vostre. […] Le petit Poucet qui avoit remarqué que les filles de l’Ogre avoient des Couronnes d’or sur la teste, et qui craignoit quil ne prit à l’Ogre quelque remords de ne les avoir pas égorgés dés le soir même, se leva vers le milieu de la nuit, et prenant les bonnets de ses freres et le sien, il alla tout doucement les mettre sur la teste des sept filles de l’Ogre aprés leur avoir osté leurs Couronnes d’or qu’il mit sur la teste de ses freres et sur la sienne affin que l’Ogre les prit pour ses filles, et ses filles pour les garçons qu’il vouloit égorger.

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