AUTRE MORALITÉ Si le fils d’un meûnier avec tant de vitesse Gagne le cœur d’une princesse Et s’en fait regarder avec des yeux mourans, C’est que l’habit, la mine et la jeunesse, Pour inspirer de la tendresse, N’en sont pas des moyens toûjours indifferens. […] Enſuite, elle alla regarder dans ſa ſouriſſiere, où elle trouva ſix ſouris toutes en vie ; elle dit à Cendrillon de lever un peu la trappe de la ſouriſſiere, & à chaque ſouris qui ſortoit, elle luy donnoit un coup de ſa baguette, & la ſouris eſtoit auſſi-toſt changée en un beau cheval ; ce qui fit un bel attelage de ſix chevaux d’un beau gris de ſouris pommelé : Comme elle eſtoit en peine de quoy elle ferait un Cocher, je vais voir, dit Cendrillon, s’il n’y a point quelque rat dans la ratiere ; nous en ferons un Cocher : Tu as raiſon, dit ſa Maraine, va voir : Cendrillon lui apporta la ratiere, où il y avoit trois gros rats. […] Le Roi même tout vieux qu’il eſtoit, ne laiſſoit pas de la regarder, & de dire tout bas à la Reine, qu’il y avoit long-temps qu’il n’avoit vû une ſi belle & ſi aimable perſonne. […] Quand les deux ſœurs revinrent du Bal, Cendrillon leur demanda ſi elles s’eſtoient encore bien diverties, & ſi la belle Dame y avoit eſté ; elles luy dirent que oüy, mais qu’elle s’étoit enfuye lorſque minuit avoit ſonné, & ſi promptement qu’elle avoit laiſſé tomber une de ſes petites pantoufles de verre, la plus jolie du monde ; que le fils du Roy l’avoit ramaſſée, & qu’il n’avoit fait que la regarder pendant tout le reſte du Bal, & qu’aſſurément il eſtoit fort amoureux de la belle perſonne à qui appartenoit la petite pentoufle. […] Le Gentilhomme qui faiſoit l’aſſay de la pentoufle, ayant regardé attentivement Cendrillon, & la trouvant fort belle, dit que cela eſtoit juſte, & qu’il avoit ordre de l’eſſayer à toutes les filles : il fit aſſeoir Cendrillon, & approchant la pentoufle de ſon petit pied, il vit qu’elle y entroit ſanspeine, et qu’elle y eſtoit juſte comme de cire.