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2. (1697) Histoires ou Contes du temps passé

La reine dit plusieurs fois à son fils, pour le faire expliquer, qu’il falloit se contenter dans la vie ; mais il n’osa jamais se fier à elle de son secret : il la craignoit, quoy qu’il l’aimast, car elle estoit de race ogresse, et le roi ne l’avoit épousée qu’à cause de ses grands biens. […] Madame, dit le maistre d’hôtel… — Je le veux, dit la reine (et elle le dit d’un ton d’ogresse qui a envie de manger de la chair fraische), et je la veux manger à la sausse Robert. » Ce pauvre homme, voyant bien qu’il ne falloit pas se joüer à une ogresse, prit son grand cousteau, et monta à la chambre de la petite Aurore : elle avoit pour lors quatre ans, et vint en sautant et en riant se jetter à son col, et luy demander du bon du bon. […] Il le porta à sa femme, qui le cacha avec la petite Aurore, et donna, à la place du petit Jour, un petit chevreau fort tendre, que l’ogresse trouva admirablement bon. […] Personne n’osoit l’en instruire, quand l’ogresse, enragée de voir ce qu’elle voyoit, se jeta elle-mesme la teste la premiere dans la cuve, et fut devorée en un instant par les vilaines bestes qu’elle y avoit fait mettre. […] Ces petites Ogresses avoient toutes le tein fort beau, parce qu’elles mangeoient de la chair fraîche comme leur pere ; mais elles avoient de petits yeux gris et tout ronds, le nez crochu et une fort grande bouche avec de longues dents fort aiguës et fort éloignées l’une de l’autre.

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