Au bout de cent ans, le fils du roi qui regnoit alors, et qui estoit d’une autre famille que la princesse endormie, estant allé à la chasse de ce costé-là, demanda ce que c’estoit que des tours qu’il voyoit au-dessus d’un grand bois fort épais. […] Le roi, son pere, qui estoit bon-homme, le crut ; mais sa mere n’en fut pas bien persuadée, et, voyant qu’il alloit presque tous les jours à la chasse, et qu’il avoit toûjours une raison en main pour s’excuser quand il avoit couché deux ou trois nuits dehors, elle ne douta plus qu’il n’eut quelque amourette : car il vêcut avec la princesse plus de deux ans entiers, et en eut deux enfans, dont le premier, qui fut une fille, fut nommée l’Aurore, et le second, un fils, qu’on nomma le Jour, parce qu’il paroissoit encore plus beau que sa sœur. […] Ce n’estoit que promenades, que parties de chasse et de pesche, que danses et festins, que collations : on ne dormoit point, et on passoit toute la nuit à se faire des malices les uns aux autres ; enfin tout alla si bien que la cadette commença à trouver que le maistre du logis n’avoit plus la barbe si bleuë et que c’estoit un fort honneste homme. […] Le Chat continua ainsi, pendant deux ou trois mois, à porter de temps en temps au roy du gibier de la chasse de son maistre. […] Le fils du roi, qui revenoit de la chasse, la rencontra, et, la voyant si belle, luy demanda ce qu’elle faisoit là toute seule et ce qu’elle avoit à pleurer.