Le prince ne sçavoit qu’en croire, lors qu’un vieux paysan prit la parole et luy dit : « Mon prince, il y a plus de cinquante ans que j’ay ouï dire à mon pere qu’il y avoit dans ce chasteau une princesse, la plus belle du monde ; qu’elle y devoit dormir cent ans, et qu’elle serait réveillée par le fils d’un roy, à qui elle estoit reservée. » Le jeune prince, à ce discours, se sentit tout de feu ; il crut, sans balancer, qu’il mettroit fin à une si belle avanture, et, poussé par l’amour et par la gloire, il résolut de voir sur le champ ce qui en estoit. […] Ses discours furent mal rangez ; ils en plûrent davantage : peu d’éloquence, beaucoup d’amour. […] Quelques-uns asseurent que ce ne furent point les charmes de la fée qui opererent, mais que l’amour seul fit cette metamorphose. […] Ils disent encore que ses yeux, qui estoient louches, ne luy en parurent que plus brillans ; que leur déreglement passa dans son esprit pour la marque d’un violent excez d’amour, et qu’enfin son gros nez rouge eut pour elle quelque chose de martial et d’heroïque. […] AUTRE MORALITÉ Dans un objet où la nature Aura mis de beaux traits et la vive peinture D’un teint où jamais l’art ne sçauroit arriver, Tous ces dons pourront moins pour rendre un cœur sensible Qu’un seul agrément invisible Que l’amour y fera trouver.