Je pourrais raconter d'autres anecdotes de cette nuit qu'il ne suffirait pas assez de 5 pages pour tout dire.
On a aussi fait la rencontre d'une femme sans doute schizophrène qui racontait avoir inventé les salades mélangées et plein d'autres inventions miraculeuses qui auraient dû la rendre riche et célèbre mais dont on lui avait volé l'idée.
Ainsi au standard certaines personnes appellent simplement pour donner des nouvelles de leur situation, raconter leurs différentes démarchent administratives, parfois parler de leurs contrariétés.
Ce sont des gens avec une histoire (qu'on me racontait avec plaisir dans le camion), un "background" loin des rues, des passions (musique, photographie...) mais surtout des personnes avec des besoins, souvent en manque de soins.
Je voudrais raconter notre dernier signalement de la nuit, on n'a pas eu le temps de revenir à Ivry-sur-Seine pour la pause de 2h00, parce qu'on devait aller voir un usager qui avait besoin de nous : Georges.
Nous marchions sur le trottoir et nous avons croisé un riverain qui nous a indiqué où est ce qu'il avait vu l'homme pour la dernière fois et nous a raconté pleins de choses à son sujet.
Il y en avait un qui ne voulait rien, un 2eme, grand et mince qui lui a dit "ahh le hachis bolino, je ne m'en lasserai jamais tellement c'est bon" et un 3eme avec une écharpe Hello kitty rose qui nous raconte l'histoire de cette écharpe.
Le travail des équipes est remarquable, car ils arrivent à détecter les histoires cachées de chacun au delà de ce que la personne décide de raconter, de déformer ou non.
C'est en effet avec honte que j'ai écouté l'un deux raconter comment, alors qu'il devait être opéré rapidement d'une tumeur cérébrale, il était parti du service où il était hospitalisé parce qu'il sentait le personnel hostile à son égard, le pointant du doigt à cause de son accoutrement.
J'aurais aimé discuter avec eux pour connaitre les raisons qui les ont amené dans la situation dans laquelle ils sont actuellement, malheureusement nous n'avions pas de temps et puis ce serait trop long de raconter tout une vie en 15 min de trajet.
Une fois l’appel fini, où mon écoutante a pu trouver une place au fils au centre RR, elle m’a expliqué la situation de cette mère en détresse avec son fils de 32 ans, elle m’a raconté le viol de cette femme devant son fils, un soir, qui n’a rien fait puisqu’il ne comprenait pas la situation du fait de son sévère retard mental.
Elle lui raconte que les policiers sont venus tôt ce matin avec des éboueurs pour jeter sa "maison", ils lui ont tout pris, son matelas, ses parapluies qui lui servaient de toit, ses assiettes, tout ce petit aménagement qu'elle a réussi à assembler au fil du temps.
Ensuite, serrer la main, parler, se laisser raconter leur histoire par des gens qu'on ne regarde habituellement pas dans la rue (par culpabilité de ne rien faire pour pouvoir les aider), m'a fait prendre conscience de toute leur humanité, chacun avec leur vécu, leurs petits tracas, leurs peurs, leur volonté de s'en sortir...
- La première partie de la nuit en maraude stricto sensu, au hasard de notre rencontre avec ces personnes qui vivent dans la rue et qui ont tant de choses à vous raconter sur leur vie, leur difficulté, la problématique de l'alcoolisation, de l'abandon, du vol surtout du peu de choses qu'ils possèdent en particulier leur papier d'identité, a été très enrichissante.
Que répondre à quelqu'un qui n'a déjà presque rien qui nous raconte qu'il s'est fait tabasser et voler toutes ses affaires, y compris son duvet et son portable, et qu'on n'a même pas voulu lui laisser sa carte sim?
J'ai été surprise de voir que la plupart des personnes que l'on abordait dans la rue refusaient de venir dormir en foyer, il disaient être dans la rue "chez eux" et ne se voyaient pas dormir ailleurs (un monsieur racontait même, désolé, qu'il n'avait pas supporté se trouver entre quatre murs et s'était enfui du foyer dans la nuit pour retourner à son coin de rue).
Voilà l'histoire qu'il nous a raconté, et que j'ai voulu partager à travers ces lignes.
Pour ne citer que quelques exemples de ce que m'a apporté cette expérience de confrontation à la réalité et d'interaction directe avec des personnes vivant dans la rue, je mentionnerais les points suivants : 1) l'impact émotionnel fort et marquant à long terme (en écoutant un jeune homme "tombé à la rue depuis très peu de jours" me raconter son histoire, sa situation, son désarroi à faire la manche pour la première fois, son épuisement à n'avoir trouvé le sommeil nulle part depuis 4 jours, etc...j'ai été profondément touchée, pour ne pas dire bouleversée, et j'ai le sentiment qu'un souvenir marquant comme celui-là, avec la charge émotionnelle qui y est associée, gardera longtemps -toujours ?
Mais, après qu'il ait rangé ses billets, il commence librement à nous raconter un agression sexuelle qu'il a subie le jour même, en termes très crus.
Et du côté passant, on se rend compte que beaucoup regardent du coin de l'oeil et détournent le regard quand ils se sentent observés, la société de la curiosité avide et du spectacle, et certaines personnes nous racontent qu'elles se font haranguer par les gens ivres "Hé, les clochards !".
Un centre vraiment clean, le plus accueillant apparemment et effectivement, ils nous racontent sur le chemin du retour et durant la pause, des histoires atroces à propos des autres centres, la boulangerie, la Péniche et on comprend alors que toutes les nuits ne sont pas aussi calmes.
C'est en pleurant qu'il nous raconte son quotidien, celui d'un sans papier, totalement isolé socialement, tantôt exploité sur un chantier au noir, tantôt exposé à la rue et à sa violence.
L’un des sans abris que nous avons pris dans l’EMA nous a raconté une partie de son histoire, c’était très émouvant car c’est là que l’on comprend que finalement à tout moment notre vie peut basculée, que l'on peut se trouver isolé et finir dans la rue.
Cette soirée au Samu social est faite pour briser certains préjugés : mon infirmière me racontait qu'un de mes camarades de promo lui avait déclaré (en substance) : "De toute façon, les SDF sont tous des alcooliques d'Europe de l'est."...
Il raconte que lui n'est pas méchant comme ces connards de dealers. 3 fois il a failli mourrir et 3 fois on lui a sauvé la vie.
Je ne peux raconter tout ce que j'ai pu voir et entendre dans cette petite rédaction mais c'était très intense.
Par la suite, le reste de la maraude fut également très chargée, mais j'ai trouvé ce moment le plus intéressant sur le plan social, et je manque de place pour tout raconter ... ^^
Ils racontent leur histoire.
Ils nous racontent la violence, les vols, les clans, les bagarres, les gardiens qui les mettent dehors à 7h30 le matin alors qu'ils sont théoriquement hébergés jusqu'à 9h.