(2013) Ticket_1712
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(2013) Ticket_1712

J'ai eu l'occasion d'être dans le camion qui balayait le 17ème arrondissement, un beau quartier que j'avais jadis fréquenté lorsque j'allais chez des amis étant plus jeune. A la nostalgie d'y retourner, s'ajoutait l'excitation de croiser éventuellement des gens que je connaitrais, mais je n'ai croisé personne. Il faisait déjà nuit depuis un certain temps et le froid dissuadait le parisien de faire une quelconque balade. S'imposait à moi alors le paysage auquel on ne peut vraiment prêter attention : celui d'une prison géante ; j'étais emprisonné dehors, à traquer depuis une camionnette 115 d'autres prisonniers, ceux qui l'étaient vraiment. Toutes les portes et grilles d'immeubles étaient fermées et à partir d'une certaine heure, les passants, intrus de ce paysage, étaient tous rentrés chez eux, bien au chaud au coin du feu, et seuls quelques hurluberlus étaient restés dehors, des prisonniers, crevant de froid sous un abri-bus, ou dormant à la lumière des vitrines de boutiques dont le paravent les protégeait de la pluie parisienne, fine et incessante, cette pluie qui vous mouille jusqu'à l'os. D'autres, plus méticuleux, s'étaient improvisés une maison dans une cabine téléphonique, reliquat d'un ancien temps balayé par l'iphone, mobilier urbain uniquement utilisé de nos jours par ces addictes du numéro 115. Je n'ai croisé personne, pas vraiment ; juste des inconnus qui n'ont plus de fonctions dans la société sinon celui de la figuration mendiante, tel ce mobilier urbain que vous et moi n'utilisons plus ; une cabine téléphonique, une fontaine dont l'eau, gelée, ne coule plus depuis les mois d'été. Ma mission disais-je, c'était de traquer de petits groupes de prisonniers, moins de trois précisément, pour leur proposer le met ultime, le bolino, ou le sac de couchage militaire si chaud qu'on le refuse pour éviter de mourir castagné par un autre prisonnier qui aurait froid... J'ai compris une fois descendu du camion que la vraie mission était d'en embarquer certains pour les emmener dans les hôtels du 115, une chaine d'hôtels parisiens dont aucun ne se trouve dans Paris. Tous aux portes, au ban du lieu, en banlieue. Montrouge, Val de Marne, etc... Les nuits se ressemblent. On recommence à chaque nuit la même histoire avec parfois, une petite différence, une petite surprise : ne pas retrouver un prisonnier connu qu'on avait vu la veille en mauvaise état. Encore un autre salaud qui s'est échappé. Merci aux gens, le coeur sur la main, qui circulent la nuit pour apporter un iota de confort à ceux qui attendent en sursis la fin de la nuit, pendant que nous rêvons au chaud. Merci de nous avoir ouvert une fenêtre sur un monde que nous ne voulons pas voir.