(2020) Ticket_24
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(2020) Ticket_24

Je dois dire que je m'attendais et je ne m'attendais pas à ça. Il faut savoir sur moi que je n'ai (presque) pas de relations ni d'expérience avec les milieux précaires, et que en temps normal je ne pense pas particulièrement aux personnes sans-abri, même si, en temps que parisienne, je suis amenée à en croiser tous les jours. Commençons par le familier: je m'attendais à rencontrer des gens dans des situations misérables, dans des problèmes de violence, d'illégalité, d'addictions. Et c'est ce que j'ai vu. Une des premières personnes que nous avons ramassé pour l'amener au centre d'hébergement était un homme d'une cinquantaine-soixantaine d'années, très marqué du visage, on sentait qu'il était sous l'influence de l'alcool (qui, de son aveu, était une des choses qui lui permettaient de tenir). Il m'a longuement parlé, car nous étions tous les deux à l'arrière du camion, le temps du trajet, de sa vie: marquée de violence, de séjours en prison, de démêlés divers avec la police ou d'autres sans-abri; essentiellement tragique. Il était l'archétype du "clochard" ou "grand exclu". Je me doutais avant ma garde que j'allais voir ce genre de personnes et ce genre de comportement. Mais ce que je ne m'attendais pas c'est la fragilité qui émanait de ce personnage, fragilité qui s'est confirmée lorsque nous sommes arrivés au centre d'hébergement. La travailleuse sociale, l'infirmière, le sans-abri et moi-même sommes rentrés dans une pièce pour discuter avec lui, de faire le point sur sa situation. Et, pendant que la travailleuse sociale le questionnait, il commence à sortir son argent de son manteau. Il aligne les billets sur la table, et compte, comme pour nous montrer inconsciemment qu'il n'est pas sans ressources, qu'il n'est pas faible, et qu'il est encore capable de se débrouiller tout seul. Mais, après qu'il ait rangé ses billets, il commence librement à nous raconter un agression sexuelle qu'il a subie le jour même, en termes très crus. A ce moment là j'ai été profondément choquée et touchée qu'une personne de cet âge et qui vit à la rue depuis si longtemps peut encore être sujette à de telles violences. Et je dois dire que je n'étais pas la seule à avoir été touchée: les deux autres femmes avec mois semblaient également très gênées. Je ne veux pas tourner ce retour d'expérience en tract contre les abus sexuels. Je veux juste dire que même chez les "clochards" les plus endurcis, les violences sexuelles sont une réalité, point sur lequel j'ai été très surprise. Les agressions sexuelles, sujet tabou dans la société, le sont encore plus lorsqu'elles touchent les hommes, les personnes âgées, et les sans-abri. Voilà, peut être que si mon mot est relu, cette personne se dira: "quelle naïveté!", mais je ne fais que rapporter ce que j'ai ressenti, face à cette misère et cette très grande fragilité qui touche les sans-abri dans Paris.