C’était en fait la première fois que je passais du temps avec des gens qui vivent dans la rue (ou plus largement, des gens susceptibles de s’adresser au Samu Social). Je me souviens à quel point ces gens m’ont paru différents les uns des autres. Certains sont difficilement capables de tenir une conversation normale et parlent tous seuls. En fait, la plupart sont juste des gens « normaux » : un irlandais avec lequel j’ai eu le plaisir de pouvoir parler en anglais, et qui m’interrogeait sur mes études médicales. J'ai été marquée par le regard des passants lorsqu’on était accroupi au bord d’un trottoir avec un sans-abri, qu’on discutait avec lui en lui donnant de la soupe ou du café. Les gens qui passent nous regardaient avec surprise, avec incompréhension, parfois des sourires bienveillants et vaguement condescendants. J’ai eu l’impression, l’espace d’une soirée, de partager le « regard des autres » que doivent supporter ces gens toute la journée. Mon camion s’étant vu attribuer le quartier autour de la Pitié, je croise parfois les personnes rencontrées au cours de la maraude. Je ne les vois pas pareil.