J’ai lu, par ordre de Monseigneur de Bayeux, une Mythologie élémentaire, à l’usage
des colléges et des pensions de jeunes personnes, par M. Edom, inspecteur de l’académie de Caen, et je n’ai recueilli de cette
attachante lecture que plaisir, instruction, et presque édification. On peut donc confier
avec sécurité à la jeunesse, pour qui il est fait, cet excellent abrégé, qui lui suffira
longtemps ; car l’auteur a eu l’heureuse idée d’ajouter aux anthologies grecque et latine
celles des autres peuples, qui offraient plus d’intérêt ou devaient rendre plus
intelligibles les livres qui parlent de ces nations antiques. Le mérite de M. Edom n’est pas seulement d’avoir traité d’une manière inoffensive
une matière si délicate, mais surtout d’avoir fait tourner ces études si profanes au
profit de l’instruction religieuse, en mettant à propos la vérité chrétienne, figure si
sublime, si grave, si digne de Dieu et de l’homme, en opposition avec les égarements
honteux de la raison humaine, avec les erreurs païennes. On sent que l’auteur a voulu
prévenir la jeunesse, à laquelle il consacre ses veilles et ses talents, contre ce
rationalisme du jour, qui voudrait ravir son origine divine au christianisme, et en
trouver le germe et les éléments dans les conceptions contradictoires de la raison
humaine, dans des rapprochements arbitraires avec les idées anciennes, dans ce progrès
humanitaire qui s’enrichit de tout ce qui l’a précédé ; illusion qui peut flatter
l’orgueil de notre siècle, mais que tous les faits démentent.
Bayeux, 7 décembre 1847.
FALIZE, Chanoine, Vicaire général.
Avertissement.
Après l’étude de l’histoire sainte, rien n’est plus propre à faire comprendre à la
jeunesse la beauté de la vraie religion, que la connaissance de cet amas de fictions
mensongères qui composent la Mythologie. La faiblesse de notre nature ne nous permet
souvent d’apprécier les choses que par leurs contraires, la lumière par les ténèbres, et
la vérité par l’erreur. Aussi, Dieu voulant faire sentir au genre humain le bienfait
éclatant de la rédemption, l’a-t-il laissé plongé pendant quatre mille ans, sauf un seul
peuple, dans la nuit de l’idolâtrie. Le spectacle de tant de corruption et d’aveuglement,
présenté à la jeunesse avec la réserve qu’exige la prudence chrétienne, ne peut donc que
lui inspirer plus d’amour et de respect pour la morale si pure de
l’Évangile, et plus de reconnaissance pour son divin auteur. Mais cet
avantage, quoique capital, n’est pas le seul que procure l’étude de la Mythologie. Sans
elle, il serait impossible de comprendre la littérature ancienne, et même la littérature
moderne, les productions des arts, une foule d’allégories ingénieuses, et d’expressions
figurées, qui du domaine de la fable sont passées dans le langage ordinaire.
Suivant le conseil du sage Rollin, dont nous venons
d’exposer les idées, et que nous nous ferons toujours un devoir de prendre pour guide,
nous n’avons présenté dans cet ouvrage élémentaire que les faits les plus importants, les
plus connus, et qui peuvent le plus contribuer à l’intelligence des auteurs. Nous avons
évité un étalage de science que rendraient facile les savants et ingénieux travaux du
chancelier Bacon, de Banier, de
Bergier, de Guérin du
Rocher, de Tressan, et de plusieurs autres
écrivains. S’il nous est arrivé de faire quelques réflexions de ce genre, nous les avons
rejetées dans de courtes notes.
Pour concilier l’avantage d’une histoire suivie avec la commodité d’un dictionnaire, nous
avons placé à la fin du volume une table alphabétique de tous les noms propres, et
l’indication des paragraphes où sont rapportés les faits qui les concernent.
Notions préliminaires.
1. Définition de la mythologie. Origine de l’idolâtrie.
La mythologie1, ou science de la
fable, est l’histoire des fausses divinités que les païens2 adoraient. Cette adoration s’appelle
idolâtrie3. Pour en expliquer l’origine, il faut
remonter jusqu’à la naissance du monde et consulter l’Ecriture sainte. On
y lit que, lorsqu’Adam et Eve eurent été chassés du paradis terrestre, après leur
désobéissance, les hommes allèrent se corrompant de plus en plus. Ils oublièrent le Dieu
qui les avait créés, et qui les punit par le déluge. Le genre humain, conservé dans la
personne de Noé et de sa famille, ne tarda pas à se corrompre de nouveau. Dieu lui
infligea un autre châtiment, la confusion des langues, à la tour de Babel. Ce fut le
signal de la dispersion des hommes et de leur partage en peuples et en nations. Dès
lors, éloignés de leur commune origine, ils perdirent la mémoire des traditions saintes.
L’idée de Dieu s’altéra dans les esprits, et la connaissance de la vraie religion
semblait destinée à périr, si Abraham n’eût été choisi pour être le chef du peuple juif,
qui devait la conserver. Chez les autres nations, pour expliquer l’origine du mal, on
associa à l’idée d’un dieu bon celle d’un génie malfaisant. Vint ensuite le culte de la
nature, dans laquelle les hommes crurent trouver l’image de Dieu. Alors on adora les
choses où il paraissait quelque activité ou quelque puissance, le soleil, les astres, le
feu et les autres éléments. Bientôt la reconnaissance ou la flatterie déifia les héros
et les rois ; enfin, on alla jusqu’à adorer les animaux et les plantes, de sorte que, du
temps de Moïse, tout était dieu chez les païens excepté Dieu même
, selon l’expression de Bossuet.
2. Berceau de l’idolâtrie.
C’est dans la famille de Cham qu’il faut chercher, après le déluge, les premiers
auteurs de l’idolâtrie. On sait que Chanaan fut maudit de Dieu parce que Cham avait
manqué, dans la personne de Noé, au respect que les enfants doivent à leur père :
portant dès lors la peine de son crime, cette race fut prompte à se corrompre et à
rendre à des objets créés le culte qui n’est dû qu’au Créateur. Les fils de Cham,
Chanaan et Mesraïm, s’étant établis, le premier en Phénicie et le second en Egypte, ce
fut dans ces deux royaumes que l’idolâtrie prit naissance ; de là elle se répandit en
Orient, aux lieux qu’habitaient les descendants de Sem, en Mésopotamie, en Chaldée et
dans les pays circonvoisins ; ensuite elle passa en Occident, parmi les enfants de
Japhet, c’est-à-dire dans l’Asie Mineure et dans la Grèce, d’où elle pénétra chez les
Romains.
3. Progrès de l’idolâtrie. Formation des fables.
Lorsque les hommes, asservis à l’empire des sens, eurent perdu l’idée d’un Dieu infini,
immatériel, ils adressèrent leurs hommages à l’être de la nature qui en offre la plus
vive image, au soleil. Mais l’esprit humain, une fois entré dans la voie de l’erreur, ne
s’arrêta plus. On adora le soleil sous les noms d’Osiris, de Phébus, d’Apollon, et la
lune sous ceux d’Isis et de Diane. Le ciel même fut divinisé sous le nom d’Uranus, l’air
sous celui de Jupiter, la terre sous les noms de Rhéa, de Tellus, de Cybèle et d’Ops.
Neptune fut le dieu de la mer et Pluton celui des enfers. Les montagnes, les bois, les
fontaines eurent leurs Nymphes, leurs Faunes, leurs naïades. On déifia les hommes qui se
distinguèrent par leur courage, leur force, leur science : tels furent Mars, Hercule,
Esculape. Enfin, on divinisa les passions, les vertus et les vices : la vengeance, la
justice, l’envie, etc.
La poésie s’empara de toutes ces fictions et les fit goûter en les embellissant :
Là, pour nous enchanter, tout est mis en usage ;
Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage,
Chaque vertu devient une divinité :
Minerve est la prudence, et Vénus la beauté ;
Ce n’est plus la vapeur qui produit le tonnerre,
C’est Jupiter armé pour effrayer la terre ;
Un orage terrible, aux yeux des matelots,
C’est Neptune en courroux qui gourmande les flots ;
Echo n’est plus un son qui dans l’air retentisse,
C’est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse
Boileau.
4. Division de la mythologie.
Nous avons divisé ce petit traité en quatre parties qui forment autant de livres.
Le premier comprend les dieux du premier ordre, ou les grands dieux, et les dieux
inférieurs, ou du second ordre ;
Le deuxième, les divinités allégoriques ;
Le troisième, les demi-dieux et les héros ;
Le quatrième livre contient un précis sommaire de la mythologie des Égyptiens, des
Indous, des Scandinaves et des Gaulois.
Questionnaire.
1. Qu’est-ce que la mythologie ? Quelle a été l’origine de l’idolâtrie ? Quelles en ont
été les causes principales’ ?
2. Quels ont été les premiers auteurs de l’idolâtrie ? Dans quel pays a-t-elle pris
naissance ?
3. Quels ont été les progrès de l’idolâtrie ? Comment se sont formées les fables ?
4. En combien de parties est divisé ce traité de mythologie ?
Livre premier. Dieux du premier ordre, ou grands dieux, et dieux inférieurs, ou
du second ordre.
Chapitre Ier. Le Destin. — Le Chaos4. — Naissance des premiers dieux,
Uranus, Tellus, les Titans.
5. Le Destin.
Les païens, obéissant au sentiment de l’unité, avaient reconnu un dieu supérieur à
tous les autres, c’était le Destin, ou Fatum. Il gouvernait tout par une nécessité
inévitable. On le supposait sourd, et on le représentait sous les traits d’un
vieillard aveugle, ayant sous ses pieds le globe de la terre, entre les mains l’urne
qui renfermait le sort des mortels, et devant lui un livre dans lequel était écrit
l’avenir. Tous les dieux étaient obligés de consulter ce livre pour connaître les
choses futures.
Cette idée que les païens s’étaient formée du Destin atteste la nécessité d’un Dieu
suprême et unique ; mais en le supposant sourd et inflexible, ils dépouillaient la
Divinité d’un de ses principaux attributs, de cette bonté qui se plaît à écouter les
vœux des mortels et à exaucer leurs prières.
Le Destin était né du Chaos et de la Nuit, deux anciennes divinités que l’on croyait
antérieures à toutes les autres.
6. Le Chaos.
Les peuples anciens, privés de la lumière de la révélation, ne pouvaient concevoir
l’univers créé par la toute-puissance d’un Dieu. Ils supposaient une matière première
existant de toute éternité, et dans laquelle les éléments de tous les êtres étaient
confondus. Ils appelaient Chaos ce premier état : ils en avaient emprunté l’idée au
récit de la création d’après Moïse5, mais ils l’avaient altérée en supposant la matière
éternelle. Au lieu de reconnaître la parole divine séparant et formant, dans l’œuvre
des six jours, cette matière créée d’abord confuse et informe, ils croyaient que les
premiers éléments et les atomes, après avoir erré longtemps épars dans le vide,
avaient fini par s’unir, s’arranger d’eux-mêmes et par produire le bel ordre que nous
voyons. Quel aveuglement ! Racine fils a fait ressortir le ridicule de cette
croyance :
Les atomes erraient dans un espace immense ;
Déclinant de leur route, ils se sont approchés.
Durs, inégaux, sans peine ils se sont accrochés.
Le hasard a rendu la nature parfaite.
L’œil au-dessous du front se creusa sa retraite,
Les bras au haut du corps se trouvèrent liés :
La terre heureusement se durcit sous nos pieds,
L’univers fut le fruit de ce prompt assemblage :
L’être libre et pensant en fut aussi l’ouvrage.
Poëme de la Religion.
Le Chaos périt par la création, et la Nuit par la lumière. Ainsi ces deux divinités,
qui seules n’avaient point eu de commencement, eurent une fin, et tous les autres
dieux, qui devaient être immortels, avaient été engendrés. On voit par là que les
païens n’avaient pu s’élever à l’idée d’un Dieu éternel.
7. Naissance des premiers dieux : Uranus, Tellus, les Titans.
Du Chaos naquirent le Ciel, sous le nom d’Uranus, et la Terre, sous les noms de
Tellus, de Rhéa et de Titea. Ces deux divinités, s’étant unies, donnèrent le jour à
plusieurs enfants. Les plus célèbres sont Titan, Saturne, Japet et l’Océan. Trois
autres, Cottus, Briarée et Gygès, furent des géants monstrueux, ayant cinquante têtes
menaçantes et cent bras vigoureux qui pendaient autour de leur corps. Tous ces fils du
Ciel et de la Terre portèrent le nom générique de Titans, de celui de Titea, leur
mère. Celle-ci donna encore naissance aux Cyclopes Brontès (tonnerre), Stéropès
(éclair) et Argès (rapide)6, qui furent
chargés dans la suite de forger les foudres de Jupiter. D’ailleurs semblables aux
dieux, ils n’avaient, comme l’indique leur nom7, qu’un œil de forme circulaire au milieu du
front.
Questionnaire.
5. Quel était le Dieu que les païens croyaient supérieur à tous les autres ? Comment
est-il représenté ? Qu’atteste cette idée que les anciens s’étaient formée du Destin ?
En le supposant sourd et inflexible, de quel attribut le dépouillaient-ils ? De qui
était né le Destin ?
6. Comment les peuples anciens expliquaient-ils la création de l’univers ?
Qu’entendaient-ils par le Chaos ? Citez la description qu’en a faite un poëte
religieux. Comment périt le Chaos ? Faites voir que les païens n’avaient pu s’élever à
l’idée de l’éternité.
7. Quelles sont les deux divinités qui naquirent du Chaos ? A quels dieux
donnèrent-elles le jour ? Faites connaître trois Géants fameux. D’où vient le nom de
Titans ? A qui était-il donné ? Qu’était-ce que les Cyclopes ? Expliquez leur nom.
Chapitre II. Saturne.
8. Uranus détrôné par Saturne.
Tous les enfants que la Terre mettait au jour étaient odieux à Uranus, leur père,
parce qu’il avait lu dans le livre du Destin qu’il serait détrôné par l’un d’eux.
Aussi, dès qu’ils étaient nés, il les plongeait dans de profonds abîmes. La Terre, qui
gémissait de cette barbarie, fit, avec des métaux tirés de son sein, une large faux,
et proposa à ses fils de seconder sa vengeance. Saturne, le plus jeune, accepta,
surprit son père et le mutila en le frappant du tranchant de sa faux. Du sang qui
coula de sa blessure naquirent les Furies, selon Hésiode8.
9. Saturne détrôné à son tour.
Saturne, vainqueur de son père, régna à sa place. Titan, son frère aîné, renonça à
ses droits au trône par égard pour les prières de sa mère, mais à la condition que
Saturne dévorerait, dès leur naissance, tous ses enfants mâles. Cependant Cybèle, sa
sœur, qu’il avait épousée, parvint à soustraire trois fils à sa voracité, en lui
faisant avaler à leur place une pierre emmaillotée. C’étaient Jupiter, qui devint roi
du ciel, Neptune, souverain des mers, et Pluton, monarque des enfers. Titan, s’en
étant aperçu, attaqua son frère avec le secours des Titans, ses fils, le vainquit et
l’enferma dans une étroite prison. Saturne fut délivré par Jupiter et rétabli sur le
trône ; mais comme il redoutait les desseins ambitieux de son libérateur, il lui
tendit des embûches. Alors Jupiter, excité secrètement par sa mère, conspira contre
Saturne, le chassa du ciel et régna à sa place.
10. Saturne exilé sur la terre.
Saturne, chassé du ciel, se réfugia en Italie, dans la contrée où régnait Janus, et
qui reçut le nom de Latium9, en mémoire de cet événement. Janus partagea généreusement son trône
avec le dieu fugitif. Celui-ci s’occupa de civiliser les hommes, encore sauvages. Il
leur donna des lois, leur apprit à cultiver la terre et les rendit si heureux, que ce
règne fut appelé l’âge d’or. Saturne, voulant récompenser l’hospitalité qu’il avait
reçue de Janus, lui donna la connaissance du passé et de l’avenir. C’est ce que les
Romains exprimaient en le représentant avec deux visages. On lui rendit après sa mort
les honneurs divins, et Numa Pompilius, deuxième roi de Rome, lui éleva un temple
célèbre dont les portes restaient ouvertes pendant la guerre. Ce qui prouve le
caractère belliqueux du peuple romain, c’est que le temple de Janus ne fut fermé que
trois fois pendant les sept cent cinquante-trois ans qui s’écoulèrent depuis sa
fondation jusqu’à la naissance de Jésus-Christ : la première fois, sous Numa ; la
seconde, après la deuxième guerre punique ; et la troisième fois, après la bataille
d’Actium.
11. Allégories cachées sous le nom et les attributs de Saturne.
Saturne, de retour au ciel, présida au cours régulier des heures, des jours et des
saisons. Il est le dieu du temps, et, à ce titre, les Grecs l’appelaient Kronos. Son
histoire, expliquée d’après ce nom, est une allégorie continuelle. Il est fils du Ciel
et de la Terre, parce que le temps, qui n’est que la durée mesurable de ce qui existe,
a commencé avec l’univers et finira avec lui. On dit qu’il dévorait ses enfants, parce
que le temps détruit tout ce qu’il a fait naître. L’accueil qu’il reçut de Janus et la
prudence dont il le gratifia signifient que ce roi profita des leçons du temps et de
l’expérience pour gouverner son peuple par des lois sages qui le rendirent
heureux.
On représente Saturne sous les traits d’un vieillard, parce que rien n’est plus vieux
que le temps. Il est armé d’une faux, parce qu’il moissonne tous les êtres. Il porte
des ailes, qui indiquent sa marche rapide. Il tient à la main un sablier, dont les
anciens se servaient comme d’horloge, pour mesurer les heures : quelquefois il tient
un serpent arrondi en cercle, emblème de l’éternité, qui n’a ni commencement ni fin.
Un de nos grands poëtes a tracé ainsi le portrait du Temps :
Ce vieillard qui, d’un vol agile,
Fuit sans jamais être arrêté,
Le Temps, cette image mobile
De l’immobile éternité,
A peine du sein des ténèbres
Fait éclore les faits célèbres,
Qu’il les replonge dans la nuit.
Auteur de tout ce qui doit être,
Il détruit tout ce qu’il fait naître,
A mesure qu’il le produit.
J.-B. Rousseau.
12. Fêtes de Saturne. Les quatre âges.
Pour perpétuer la mémoire du séjour de Saturne dans le Latium, les Romains établirent
en son honneur les fêtes appelées Saturnales. Elles se célébraient tous les ans, au
mois de décembre, et duraient trois jours. Les tribunaux et les écoles vaquaient
rendant ce temps. Toutes les affaires étaient suspendues. On se livrait à la joie, on
s’envoyait des présents. On s’invitait à des repas somptueux, dans lesquels la liberté
allait jusqu’à la licence. Tous les rangs étaient confondus et même intervertis. Les
maîtres servaient à table leurs esclaves et supportaient la malignité de leurs propos,
en mémoire de cette égalité qui régnait aux jours de l’âge d’or. Les folies de notre
carnaval peuvent donner une idée de ces fêtes, dont il est peut-être un souvenir.
Quant à l’âge d’or, qu’elles étaient destinées à rappeler, elles en défiguraient
l’image ; car les poëtes, dans les tableaux qu’ils en font, représentent les hommes
plus heureux encore par l’innocence et la vertu que par l’abondance des biens et les
plaisirs. Aussi s’accorde-t-on à y reconnaître une tradition affaiblie des délices du
paradis terrestre.
L’âge d’or, âge heureux du monde en son enfance,
Sans règle, et par instinct, observa l’innocence ;
Et sans que le pouvoir des consuls et des rois
Eût gravé sur l’airain la menace des lois,
Sans que le châtiment servît de frein au vice,
Par amour du devoir on suivait la justice.
De crainte et de respect un juge environné
N’effrayait point le crime à ses pieds prosterné.
L’homme simple en ses mœurs, simple dans sa droiture,
Pour juge avait son cœur, et pour loi la nature.
Et ce siècle innocent, sans guerre, sans procès,
Goûtait les doux loisirs d’une éternelle paix.
Ovide, trad. de Saint-Ange.
A l’âge d’or les poëtes font succéder l’âge d’argent, bien inférieur au premier, puis
l’âge d’airain, pire encore, et enfin l’âge de fer, le plus corrompu et le plus
malheureux de tous. Il n’a pas cessé jusqu’à nos jours.
Questionnaire.
8. Pourquoi les enfants de la Terre étaient-ils odieux à Uranus, leur père ? Comment
les trait-il ? Quel moyen employa la Terre pour se venger ? Quelles divinités
naquirent du sang qui tomba de la blessure d’Uranus ?
9. Qui régna à la place d’Uranus ? Quelle condition Titan exigea-t-il de Saturne en
lui cédant ses droits ? Quelle était la sœur et en même temps l’épouse de Saturne ?
Quelle ruse employa-l-elle pour soustraire trois de ses fils à sa voracité ? Comment
Titan punit-il cette fraude ? Par qui Saturne fut-il rétabli sur le trône ? Par qui et
pourquoi en fut-il chassé de nouveau ?
10. Dans quel pays se réfugia Saturne exilé du ciel ? Par qui et comment fut-il
reçu ? Quels furent ses bienfaits envers le pays, sa reconnaissance envers Janus ?
Quels honneurs furent rendus à Janus après sa mort ? Quelle remarque y a-t-il à faire
sur le temple qui portait son nom ?
11. A quoi présida Saturne revenu au Ciel ? Comment l’appelaient les Grecs comme dieu
du temps ? Expliquez les diverses allégories cachées sous ce nom ? Comment
représente-t-on Saturne ?
12. Comment s’appelaient les fêtes de Saturne ? Quand et comment étaient-elles
célébrées ? Quel usage parait être parmi nous un souvenir de ces fêtes ? Quelle
tradition affaiblie rappelaient-elles ? Citez une description poétique de l’âge d’or ?
Quels sont les trois autres âges qui ont succédé à celui-ci ?
Chapitre III. Cybèle.-Vesta.-Les Vestales.
13. Naissance de Cybèle.
Quoique Cybèle soit une divinité terrestre et du second ordre, il paraît convenable
de placer ici son histoire, parce qu’elle fut femme de Saturne et mère de Jupiter, le
plus grand des dieux.
Cybèle, fille d’Uranus et de Tellus, fut, comme celle-ci, déesse de la Terre. Tellus
ne représentait en quelque sorte que la Terre nue et aride, tandis que Cybèle fut
l’emblème de la fécondité et la mère des plus grands dieux. En effet, elle donna le
jour non-seulement à Jupiter, mais à Junon, à Neptune et à Pluton. Si l’on en croit
Diodore, Cybèle était une fille de Ménos,
roi de Phrygie. Ayant été exposée, à sa naissance, sur le mont Cybèle, dont elle prit
le nom, elle fut sauvée et nourrie par les bêtes des forêts. Revenue à la cour de son
père, elle conçut une passion violente pour un jeune berger, nommé Atys, qu’elle
changea en pin, et cet arbre lui fut dès lors consacré.
14. Culte de Cybèle.
Le culte de Cybèle fut apporté de Phrygie en Grèce et en Italie. Ses fêtes
s’appelaient Mégalésiennes. Elles se célébraient au bruit du tambour, accompagné de
cris et de hurlements affreux. Ses prêtres portaient le nom de Galli, du Gallus,
fleuve de Phrygie, dont l’eau les rendait furieux ; le nom de Corybantes, parce qu’ils
marchaient la tête couverte d’un casque ; de Curètes, à cause de l’île de Crète, où
ils avaient élevé Jupiter ; enfin de Dactyles, parce qu’ils étaient, comme les doigts,
au nombre de dix.
15. Images de Cybèle.
On représente. Cybèle sous les traits d’une femme robuste, enceinte et assise, pour
indiquer la fécondité de la terre et sa stabilité. Auprès d’elle est un tambour,
emblème des vents, que les anciens croyaient renfermés dans son sein. Elle porte sur
la tête une couronne de tours et des clefs à la main. Des lions sont attelés à son
char. Ses temples avaient une forme arrondie, pour rappeler celle de la terre.
16. Vesta, les Vestales.
On donne quelquefois à Cybèle le nom de Vesta ; mais on y ajoute le surnom de Prisca
(l’ancienne), pour ne pas la confondre avec Vesta, sa fille, déesse du feu et de la
chasteté. Ce fut Enée qui apporta son culte en Italie. Le roi Numa Pompilius lui bâtit
un temple, dont l’entrée était interdite aux hommes. On y conservait le Palladium de
Troie, ou statue de Minerve, protectrice de cette ville. C’était un secret, qui
n’était connu que des Vestales ou prêtresses de Vesta. Celles-ci, au nombre de six,
étaient chargées d’entretenir dans le temple un feu perpétuel. Lorsqu’il venait à
s’éteindre, les Romains se croyaient menacés de quelque grand malheur. On le rallumait
aux rayons du soleil, et la prêtresse coupable de cette négligence était sévèrement
punie. Les Vestales faisaient vœu de chasteté pour la durée de leur ministère, qui
était de trente ans. Par compensation, elles jouissaient de priviléges considérables
et des plus grands honneurs. Mais si elles violaient leur vœu, on leur infligeait un
affreux supplice : elles étaient enterrées toutes vives. On compte vingt Vestales qui
furent reconnues coupables et punies : beaucoup d’autres échappaient à la rigueur de
la loi par le crédit de leurs séducteurs ou de leurs familles10.
Questionnaire.
13. Qu’était-ce que Cybèle ? En quoi diffère-t-elle de Tellus, sa mère, qui
représentait aussi la terre ? Quelle fut, d’après Diodore, la naissance et l’histoire de Cybèle ?
14. Par qui son culte fut-il apporté en Italie ? Comment s’appelaient ses fêtes ?
Comment se célébraient-elles ? Quels étaient les différents noms de ses prêtres ?
15. Comment représente-t-on Cybèle ?
16. Quelle fut la fille de Cybèle, dont elle porte quelquefois le nom ? Qui est-ce
qui apporta en Italie le culte de Vesta ? Quel roi de Rome lui bâtit un temple ?
Qu’était-ce que les Vestales ? Quel vœu faisaient-elles ? Quel supplice leur
infligeait-on lorsqu’elles le violaient ? Combien en compte-t-on qui furent reconnues
coupables et punies ?
Chapitre IV. Jupiter.
17. Enfance de Jupiter.
Jupiter était, comme on l’a vu, fils de Saturne et de Cybèle. Il fut le plus grand
des dieux, le maître souverain du ciel et de la terre. Sa mère, pour le dérober à la
voracité de Saturne, le cacha dans une île de la Méditerranée, l’île de Crète, où elle
était particulièrement honorée ; et de peur que les vagissements de son fils ne
trahissent sa retraite, elle ordonna à ses prêtres, nommés Curètes, de couvrir la voix
de l’enfant par le bruit des tambours et par les cris dont ils accompagnaient leurs
danses. Jupiter fut nourri par deux Nymphes appelées Mélisses (mot grec qui signifie
mouches à miel), et allaité par une chèvre nommée Amalthée (nourrice). On raconte que
cette chèvre s’étant un jour cassé une corne, Jupiter la donna aux Nymphes qui avaient
pris soin de son enfance, en lui attribuant la vertu de produire tout ce qu’elles
désireraient. C’est la corne d’abondance, tant célébrée par les poëtes.
18. Guerre des Géants.
L’enfance de Jupiter fut merveilleuse comme le reste de sa vie. Une année lui suffit
pour acquérir toute la force de l’âge. Ce fut alors qu’il délivra son père, emprisonné
par les Titans. Mais bientôt, usurpant lui-même l’empire du monde, il en fit le
partage avec ses deux frères11, donna les mers à Neptune, les enfers à Pluton, et se
réserva la souveraineté du ciel. Il n’en jouit pas longtemps en paix. Les Géants,
voulant venger la défaite des Titans, comme eux fils de la Terre, entreprirent, à leur
tour, de détrôner Jupiter. Ils étaient d’une taille énorme, d’une force prodigieuse,
et armés de bras innombrables. Ils entassent montagne sur montagne, Ossa sur Pélion,
et essaient ainsi d’escalader le ciel. Jupiter effrayé appelle à son secours tous les
dieux et toutes les déesses. Styx, fille de l’Océan et de Téthys, arriva la première,
et, eu récompense de son zèle, Jupiter ordonna que tous les serments faits au nom de
Styx seraient inviolables12. Le combat fut long et
terrible. Jupiter, Junon, Neptune, Vulcain, Minerve, Mercure, Apollon, Diane, font des
prodiges de valeur. Mais il était écrit dans le livre du Destin que les Géants
seraient invincibles, si un simple mortel n’était appelé aussi à les combattre.
Hercule arrive, et bientôt les plus redoutables ennemis, Porphyrion, Alcyonée,
Eurytus, Encelade, ont succombé. La Terre alors, pour venger ses fils, fait sortir de
son sein le redoutable Typhée13, dont la tête atteignait le ciel. A cette vue,
les dieux épouvantés s’enfuirent en Égypte, et s’y cachèrent sous diverses formes
d’animaux. Cependant Jupiter, monté sur un char attelé de chevaux ailés, poursuivit le
monstre à coups de foudre, et l’atteignit en Sicile, où il l’ensevelit sous le mont
Etna. Le poëte Quinault a décrit, dans les vers suivants, la défaite de Typhée ;
Les superbes Géants, armés contre les dieux,
Ne nous donnent plus d’épouvante ;
Ils sont ensevelis sous la masse pesante
Des monts qu’ils entassaient pour attaquer les cieux.
Nous avons vu tomber leur chef audacieux
Sous une montagne brûlante :
Jupiter l’a contraint de vomir à nos yeux
Les restes enflammés de sa rage mourante :
Jupiter est victorieux,
Et tout cède à l’effort de sa main froudoyante.
Les anciens croyaient que les éruptions du volcan et les tremblements de terre
étaient causés par les mouvements et la colère de Typhée. Des modernes ont vu, avec
plus de raison, dans cette lutte des Géants contre Jupiter, un souvenir confus et
altéré de la révolte des mauvais anges contre Dieu, et de la folie des hommes
construisant la tour de Babel. On y a trouvé aussi une image de quelques grandes
scènes de la nature. Les montagnes ne semblent-elles pas menacer le ciel de leurs
cimes élevées, que la foudre frappe souvent ? Et, à voir un volcan en éruption, ne
dirait-on pas un géant dont la bouche vomit des tourbillons de flammes et de
fumée ?
19. Mariage de Jupiter.
Jupiter, vainqueur de ses ennemis, ne songea plus qu’à gouverner en paix l’univers.
Il épousa Junon, sa sœur, dont il eut Hébé et Vulcain. II. eut encore plusieurs autres
femmes, qui lui donnèrent un grand nombre d’enfants. De Mnémosyne il eut les neuf
Muses ; de Thémis, les trois Parques ; d’Eurynome, les trois Grâces ; de Cérès,
Proserpine, de Latone, Apollon et Diane ; d’Alcmène, Hercule ; de Maïa, Mercure ; de
Dioné, Vénus, et de Sémélé, Bacchus. Plusieurs de ces mariages sont d’ingénieuses
allégories. Ainsi, les Muses sont filles de Jupiter et de Mnémosyne, c’est-à-dire que
les travaux de l’esprit, les lettres, les sciences, et les arts, sont les fruits de
l’intelligence et de la mémoire. Jupiter, que Thémis rend père de trois Parques,
chargées de filer la destinée des mortels, c’est un souverain qui, selon la justice,
distribue à ses sujets les peines et les récompenses. La fable dit encore que Jupiter
épousa Métis, la prudence : cela signifie qu’il prit cette vertu pour compagne
inséparable.
20. Conspiration des dieux contre Jupiter.
L’union de Jupiter avec Junon fut souvent troublée par la jalousie de cette déesse.
Elle osa même, un jour, conspirer contre lui, et comme elle avait su mettre dans son
complot tous les habitants de l’Olympe, le succès paraissait assuré. Mais Téthys
délivre Briarée, retenu captif depuis la dernière guerre, et l’amène dans l’Olympe. Ce
géant aux cent bras se place fièrement auprès du trône de Jupiter, et saisit Junon au
moment où celle-ci donne le signal de la révolte. Il la suspend, par une chaîne d’or,
entre le ciel et la terre, et lui attache une pesante enclume à chaque pied. Bientôt,
sur les instances des dieux, Junon fut rendue à la liberté, et reprit sa place auprès
de son époux.
21. Cour et conseil de Jupiter.
Le trône de Jupiter s’élevait au milieu de l’Olympe ; il était soutenu par la
Prudence et la Justice. A droite, siégeait Junon ; puis venaient Neptune, Mercure,
Apollon, Mars et Vulcain ; à gauche, Vénus, Diane, Vesta, Minerve et Cérès. C’étaient
les grands dieux, formant la cour et le conseil de Jupiter, et représentant, avec lui,
les douze mois de l’année. Leurs loisirs s’écoulaient dans les jeux et les festins.
Leur nourriture et leur breuvage étaient l’ambroisie et le nectar, qui avaient la
puissance de rendre immortel. Hébé, déesse de la jeunesse, versait le nectar dans la
coupe des dieux ; un jour, s’étant laissé choir, elle fut privée de cet emploi.
Jupiter le donna à Ganymède, jeune Troyen d’une grande beauté, qu’il avait fait
enlever au ciel par l’aigle qui est représenté portant sa foudre. Il y avait encore un
dieu subalterne, chargé d’égayer la céleste cour par ses railleries : c’était Momus ;
mais ce bouffon, devenu insupportable, fut honteusement chassé du ciel. On le
représente tenant un masque d’une main, et de l’autre une marotte, espèce de sceptre
surmonté d’une tête bizarrement coiffée et garnie de grelots14.
22. Voyages de Jupiter sur la terre. Lycaon.
Jupiter, en s’attribuant l’empire du ciel, s’était réservé un droit de souveraineté
sur le monde entier ; il parcourait souvent la terre, sous diverses formes que l’on
appelle métamorphoses : il voulait éprouver ainsi les hommes, qui s’étaient
promptement corrompus : l’âge d’or n’avait pas été de longue durée. Un jour, il
descendit en Arcadie, contrée du Péloponèse, où régnait Lycaon. Ce prince, avare et
sanguinaire, faisait périr, disait-on, les étrangers qui venaient dans ses États.
Quoique Jupiter, en entrant dans son palais, lui eût fait connaître son rang suprême,
Lycaon, voulut néanmoins mettre à l’épreuve sa divinité : il lui servit à table les
membres d’un de ses hôtes qu’il avait égorgé. Ce crime horrible fut puni à l’instant :
la foudre réduisit le palais en cendres ; et Lycaon fut changé en loup, pour qu’il
conservât, sous cette forme, l’empreinte de sa férocité. (Lucos, en grec, signifie
loup.)
23. Philémon et Baucis.
De cette terre ingrate, Jupiter passe en Phrygie, accompagné de son fils Mercure. Les
deux voyageurs n’y trouvent pas un accueil plus hospitalier ;
Mille logis y sont, un seul ne s’ouvre aux dieux.
Enfin ils sont reçus dans une humble chaumière par deux vieillards, Philémon, et
Baucis sa femme, qui craignaient et honoraient les dieux. Les soins empressés du
couple pieux envers leurs hôtes reçurent la récompense qu’ils méritaient. Jupiter leur
apparaît dans tout l’éclat de sa majesté, leur ordonne de sortir de ces lieux impies
qu’il va châtier, et change leur chaumière en un temple dont il les fait ministres.
Enfin, exauçant leur vœu de mourir ensemble, il métamorphose Baucis en tilleul, et
Philémon en chêne. Il faut lire, dans La Fontaine,
qui l’a imitée d’ Ovide, cette charmante histoire, que le
grand fabuliste a embellie des grâces de son style.
24. Déluge de Deucalion.
Jupiter, après son séjour en Arcadie et en Phrygie, convaincu de la méchanceté des
hommes, résolut, de l’avis des dieux, de les détruire par le déluge. Il excepta de cet
arrêt Deucalion, prince pieux, et Pyrrha, sa femme, qui régnaient en Thessalie.
Aussitôt les vents sont déchaînés ; la foudre éclate dans les airs, avec des torrents
de pluie. Les hommes, épouvantés, s’enfuient sur les montagnes, et l’eau leur dispute
ce dernier asile. Deucalion et Pyrrha survivent seuls au milieu de ce désastre, portés
par une barque qui s’arrête enfin sur le mont Parnasse, en Phocide. Quand les eaux
furent retirées, les deux vieillards consultèrent l’oracle de Thémis. Il leur fut
répondu : « Couvrez-vous la tête d’un voile, et jetez derrière vous les os de
votre mère : vous repeuplerez ainsi la terre. »
Interprétant le sens obscur de l’oracle,
ils comprirent que cette mère était la terre, et ses ossements, les pierres qu’elle
renferme. Ils exécutèrent donc l’ordre divin. Les pierres lancées par Deucalion
produisaient des hommes, et celles que jetait Pyrrha, des femmes. Selon quelques
auteurs, Deucalion et Pyrrha n’auraient pas survécu seuls au désastre, et par les
pierres dont il est ici question il faudrait entendre les enfants de ceux qui se
sauvèrent de l’inondation. Le mot grec laos, peuple, signifie aussi pierre, sous sa
forme poétique.
25. Fable de Prométhée et d’Épiméthée.
La corruption des hommes provient, selon la mythologie, de la cause suivante :
Japet, un des Titans, eut, de son mariage avec Clymène, une des Océanides, deux fils,
Prométhée (nom qui signifie prévoyant) et Épiméthée (imprévoyant). Le premier ayant
formé un homme du limon de la terre, Minerve, frappée de la beauté de cette œuvre,
voulut contribuera sa perfection. Elle transporta Prométhée au ciel, où il vit que
tous les corps étaient animés d’un feu vivifiant, qui lui parut devoir produire le
même effet sur son ouvrage. Il approcha donc du soleil, et en déroba une étincelle,
qu’il cacha dans la tige d’une plante appelée férule, et dont la moelle se consume
lentement. Il apporta ainsi sur la terre le feu céleste, dont il anima sa statue
d’argile. Il donna à cette âme la timidité du lièvre, la finesse du renard, l’orgueil
du paon, la férocité du tigre et la force du lion. On entrevoit encore, dans cette
fable, la tradition défigurée de la création de l’homme, avec cette différence, que
l’homme, dans la Genèse, est fait à l’image de Dieu, et celui de la
fable à l’image de la bête.
26. Fable de Pandore.
Jupiter, irrité de l’attentat de Prométhée, ordonna à Vulcain de former avec de
l’argile le corps d’une jeune fille. Dès qu’elle fut sortie des mains de l’artiste,
tous les dieux la comblèrent de présents, ce qui la fit nommer Pandore (en grec : pan,
tout, dôron, présent). Vénus lui donna la beauté, Apollon le talent de la musique,
Mercure, celui de l’éloquence ; Minerve, la sagesse et l’habileté dans le travail des
doigts. Jupiter l’envoya à Prométhée, avec une boîte mystérieuse. Celui-ci, se défiant
des dons de Jupiter, ne voulut recevoir ni Pandore ni la boîte. Mais Épiméthée, son
frère, séduit par les grâces de la jeune fille, l’épousa, et ouvrit imprudemment la
boîte, d’où sortirent tous les maux qui n’ont cessé depuis de désoler la terre. Il ne
resta au fond de la boîte, que l’Espérance, dernière consolation des mortels. Il n’est
pas impossible d’entrevoir encore dans cette fable une tradition confuse de la perte
du genre humain par la faute d’une femme.
Cependant Jupiter, voulant punir Prométhée, ordonna à Vulcain de l’emmener sur le
mont Caucase, et de l’attacher à un rocher, où un vautour devait, pendant trente mille
ans, lui dévorer le foie, renaissant sans cesse pour de nouvelles douleurs. Mais après
trente ans, Hercule tua le vautour, et délivra l’infortuné, dont le supplice est
devenu l’emblème du remords :
Véritable vautour, que le fils de Japet
Représente enchaîné sur son triste sommet.
La Fontaine.
27. Culte et attributs de Jupiter.
Toutes les nations païennes adoraient Jupiter : les Grecs, sous le nom de Zeus, les
Egyptiens sous le nom d’Osiris, et le reste de l’Afrique sous le nom d’Ammon. Son
culte surpassait en solennité tous les autres. On offrait sur ses autels des
hécatombes, c’est-à-dire des sacrifices▶ de cent bœufs et d’autres victimes choisies ;
cependant jamais ils ne furent, comme ceux de Saturne et de Diane, souillés du sang
humain. Le chêne lui était consacré, parce qu’il est, par sa hauteur, sa force, et sa
durée, le roi des arbres et l’emblème de la puissance. Parmi ses oracles, les plus
célèbres étaient celui de la forêt de Dodone, en Epire, et celui d’Ammon, en Libye.
Jupiter était le dieu suprême ; tous les autres, à l’exception du Destin, lui étaient
soumis. Le seul mouvement de ses sourcils faisait trembler l’Olympe. On le représente
assis sur un trône d’or ou d’ivoire. D’une main il tient la foudre, et de l’autre un
sceptre ; à ses pieds est un aigle, les ailes déployées. Son visage, accompagné d’une
barbe touffue, respire la majesté ; il est nu jusqu’à la ceinture, et couvert, pour le
reste du corps, d’une robe flottante, comme pour montrer qu’il était visible aux
dieux, et invisible aux mortels. Il avait à Olympie, dans le Péloponèse, un temple
fameux, au milieu duquel s’élevait sa statue, faite d’or et d’ivoire, chef-d’œuvre du
sculpteur Phidias et l’une des sept merveilles du
monde15. Quintilien disait que « le
Jupiter de Phidias avait ajouté à la religion des peuples ».
Mais que devient cette peinture du souverain maître de l’Olympe païen, si on la
compare à celle du vrai Dieu, dans ces admirables vers de Racine :
L’Eternel est son nom, le monde est son ouvrage ;
Il entend les soupirs de l’humble qu’on outrage,
Juge tous les mortels avec d’égales lois,
Et du haut de son trône interroge les rois.
……………………………………………………
Que peuvent contre lui tous les rois de la terre ?
En vain ils s’uniraient pour lui faire la guerre,
Pour dissiper leur ligue il n’a qu’à se montrer :
Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer.
Au seul nom de sa voix, la mer fuit, le ciel tremble ;
Il voit comme un néant tout l’univers ensemble,
Et les faibles mortels, vains jouets du trépas,
Sont tous devant ses yeux comme s’ils n’étaient pas.
Tragédie d’Esther.
Questionnaire.
17. De qui Jupiter était-il fils ? Comment sa mère le déroba-t-elle à la voracité de
Saturne ? Où et par qui fut-il élevé ?
18. Quelle fut l’enfance de Jupiter ? Quelle fut la cause de la guerre des Géants ?
Quels dieux, quelles déesses s’y distinguèrent ? Comment Hercule fut-il appelé à y
prendre part ? Qu’était-ce que Typhée ? Quel fut son supplice ? Quelle explication
donne-t-on de toute cette fable de la guerre des Géants ?
19. Nommez les diverses épouses de Jupiter et les enfants qu’il en eut ? Comment
explique-t-on quelques-uns de ces mariages allégoriques ?
20. Quelle fut la cause de la conspiration des dieux contre Jupiter ? Quelle en fut
l’issue ? Comment Junon fut-elle punie ?
21. Quels étaient les dieux et les déesses qui formaient le conseil et la cour de
Jupiter ? Quelle était la nourriture des dieux ? Qu’était-ce qu’Hébé, Ganymède,
Momus ?
22. Pourquoi Jupiter parcourait-il souvent la terre ? Racontez l’histoire de
Lycaon.
25. Racontez la touchante histoire de Philémon et Baucis. Dans quel poëte français
faut-il la lire ?
24. Exposez la cause et les détails du déluge de Deucalion. A quelle observation
historique donne lieu ce déluge ?
25. Racontez la fable de Prométhée, d’Épiméthée.
26. Faites connaître la fable de Pandore.
27. Quel était le culte de Jupiter, et que sacrifiait-on sur ses autels ? Quels
étaient ses principaux oracles ? Comment représente-t-on Jupiter ?
Chapitre V. Junon.
28. Naissance, mariage, vengeance de Junon.
Junon était fille de Saturne et de Cybèle. Quoi qu’elle fût la sœur de Jupiter, elle
devint néanmoins son épouse16. Ses noces furent célébrées avec
une grande magnificence ; toutes les divinités du ciel et de la terre y furent
invitées, et s’y rendirent. Une seule nymphe, appelée Cheloné, y manqua, et reçut le
juste châtiment de sa négligence : elle fut changée en tortue, comme l’indique son
nom.
L’union des deux époux fut souvent troublée par le caractère jaloux et superbe de
Junon. Elle donna le jour à quatre enfants : Hébé, Lucine, Mars et Vulcain, dont les
trois premiers seuls eurent Jupiter pour père. Blessée de ce que ce dieu avait produit
Minerve de son cerveau, elle voulut l’imiter, et, par le conseil de Flore, elle
respira l’odeur d’une plante qui la rendit mère de Mars, quelques auteurs disent de
Vulcain. Ses ressentiments contre son époux allèrent jusqu’à soulever contre lui tous
les dieux (n° 20). Le châtiment qu’elle en recueillit la rendit furieuse. Elle renonça
alors au séjour de l’Olympe, et se retira dans l’île d’Eubée.
Jupiter, pour la rappeler au domicile conjugal, stimula sa jalousie ; il geignit de
vouloir épouser une jeune nymphe nommée Platée, fille du fleuve Asope. Cet artifice
réussit : Junon revint auprès de son époux, mais la paix ne fut pas de longue durée.
Jupiter préférait souvent à la reine des dieux d’autres divinités, dont elle se
vengeait cruellement. Un jour, il métamorphosa en génisse la nymphe Io, pour la
soustraire à ses soupçons. Junon la fit surveiller par un gardien à cent yeux, nommé
Argus ; Mercure l’ayant endormi et tué, Junon le métamorphosa en paon, et orna de ses
yeux la queue de cet oiseau, qui lui fut dès lors consacré, Quant à Io, Junon suscita
contre elle un taon qui la poursuivait partout. De désespoir, l’infortunée s’élança à
la mer, et passa en Egypte, où elle reprit sa première forme, et fut adorée, après sa
mort, sous le nom d’Isis. Junon n’était pas moins orgueilleuse que jalouse. Elle
poursuivit de sa haine implacable Pâris, fils de Priam, et toute la nation troyenne,
parce que ce berger avait adjugé à Vénus le prix de la beauté, qu’elle lui disputait,
ainsi que Minerve. Ce fut la cause de la guerre et de la ruine de Troie. Il y eut
plusieurs autres victimes des vengeances de Junon. On verra plus tard à quel prix
Latone devint mère d’Apollon et de Diane.
29. Culte et attributs de Junon.
Dans le sens allégorique, Junon, considérée comme l’air grossier qui enveloppe la
terre, est unie à l’air plus élevé et plus pur dont Jupiter est l’emblème. Les
agitations de l’atmosphère troublent souvent la paix des régions supérieures : de là,
les dissensions domestiques attribuées aux deux époux.
Junon, reine des dieux, était la protectrice des villes et des empires. Comme on
redoutait les effets de sa haine, on ne négligeait rien pour se la rendre propice. Son
culte était répandu partout ; mais elle était particulièrement honorée à Samos, à
Argos, à Rome et à Samos. Junon présidait aux mariages, sous le nom de Pronuba, et aux
naissances sous celui de Lucine, quoique ce nom soit aussi celui de sa fille. On la
représente assise sur un trône, la tête ceinte d’un diadème, tenant un sceptre d’une
main, et de l’autre un fuseau. Auprès d’elle est un paon. Deux de ces oiseaux traînent
son char, dans ses voyages. Quelquefois on l’environne d’un arc-en-ciel, parce que la
déesse Iris était sa confidente et sa messagère.
Questionnaire.
28. De qui Junon était-elle fille ? Qui épousa-t-elle ? Que se passa-t-il de
remarquable à ses noces ? Quels enfants eut-elle ? Qu’offre de particulier la
naissance de l’un d’entre eux ? Quel était le caractère de Junon ? Par quel artifice
Jupiter la ramena-t-il dans l’Olympe ? Pourquoi Io fut-elle métamorphosée en génisse ?
Quelle fut la vengeance que Junon exerça contre elle ? Nommez quelques autres victimes
de sa haine.
29. Comment est considérée Junon dans le sens allégorique ? Comme reine des dieux,
que protégeait-elle ? Quelles villes l’honoraient d’un culte particulier ? A quoi
présidait Junon ? Comment la représente-t-on ? Quel oiseau lui était consacré ?
Pourquoi l’environne-t-on quelquefois d’un arc-en-ciel ?
Chapitre VI Minerve.
30. Naissance et premier exploit de Minerve.
Minerve, appelée par les Grecs Athéna, était fille de Jupiter. Ce dieu ayant épousé
Métis, déesse de la réflexion (n° 49), craignit que les enfants qu’il aurait d’elle ne
fussent d’une nature supérieure à la sienne, et il la dévora quoique enceinte.
Bientôt, éprouvant un violent mal de tête, il eut recours à Vulcain, qui, par son
ordre, lui fendit le crâne d’un coup de hache. Une jeune vierge en sortit, armée de
pied en cap : c’était Minerve, déesse de la sagesse et symbole de la pensée. Elle
naquit à propos pour secourir son père dans la guerre des Géants. Elle s’y distingua
par son courage, et mérita le titre de déesse de la guerre. Le géant Pallas étant
tombé sous ses coups, elle prit son nom, en souvenir de sa victoire ; et de sa peau
elle couvrit son bouclier ou égide17. Elle y plaça, plus tard, la tête de Méduse, l’une des
Gorgones18,
dont les regards pétrifiaient ses ennemis.
31. Vengeances de Minerve.
Minerve se livra ensuite aux arts, dont on lui attribue l’invention19.
Elle excellait à filer, à tisser et à broder les étoffes. Arachné, fille d’Idmon, roi
de Colophon, ayant osé rivaliser avec elle, en représentant sur une tapisserie les
amours de Jupiter, la déesse frappa l’imprudente de sa navette, et la changea en
araignée (appelée en grec, arachné). Minerve dirigea la construction du vaisseau des
Argonautes. Ce fut elle qui inventa la flûte ; mais, un jour qu’elle jouait de cet
instrument, en présence de Junon et de Vénus, ces déesses, voyant les contorsions
qu’elle faisait, se mirent à rire. Minerve s’étant regardée dans le miroir d’une
fontaine, reconnut la justesse de leur critique, et jeta la flûte de dépit, en vouant
à une mort funeste celui qui la trouverait. Le satyre Marsyas fut la victime de cette
imprécation. (Voyez le n° 35.)
32. Dispute de Minerve et de Neptune.
Minerve disputa avec Junon et Vénus le prix de la beauté, qui fut accordé à cette
dernière par le berger Pâris, fils de Priam. Elle eut avec Neptune une contestation
dont les suites furent moins graves : il s’agissait de donner un nom à la ville que
Cécrops venait de fonder dans l’Attique. Le conseil des dieux, choisi pour arbitre,
décida que cet honneur appartiendrait à celui des deux concurrents qui ferait aux
mortels le don le plus utile. Neptune, de son trident, frappa le rivage de la mer, et
on vit s’élancer un cheval, symbole de la guerre. Minerve, du fer de sa lance, ouvrit
le sein de la terre, et en fit sortir un olivier, symbole de la paix. Les dieux lui
adjugèrent le prix ; et la ville de Cécrops fut appelée Athènes, du nom de sa
bienfaitrice.
33. Culte et images de Minerve.
Athènes reconnaissante éleva à Minerve un temple magnifique, le Parthénon20, dont les ruines subsistent
encore. Sa statue, chef-d’œuvre de Phidias, était d’or
et d’ivoire. Des fêtes magnifiques furent instituées en son honneur, sous le nom de
grandes et de petites Panathénées. Les premières se célébraient tous les cinq ans ;
les autres, moins solennelles, revenaient chaque année. C’est dans ces fêtes que les
poëtes appelés rapsodes chantaient les vers d’ Homère. A
Rome, pendant les mêmes jours, les disciples allaient porter à leurs maîtres des
présents appelés minervales.
On représente Minerve avec un air grave, simple et majestueux. Sa tête est couverte
d’un casque ; d’une main elle tient une lance, de l’autre son égide ou bouclier. On
place auprès d’elle la chouette et le serpent, qui lui étaient consacrés. C’est ce qui
fit dire à l’orateur Démosthène, exilé d’Athènes, que Minerve se plaisait dans
la compagnie de trois méchantes bêtes, la chouette, le serpent et le peuple .
Questionnaire.
30. Quelle fut la naissance merveilleuse de Minerve ? Quels services rendit-elle à
Jupiter dans la guerre des Géants ? D’où lui vient le nom Pallas ? Qu’était-ce que son
égide ? Qu’était-ce que Méduse ?
31. Comment Minerve se vengea-t-elle d’Arachné ? Comment causa-t-elle la mort de
Marsyas ?
32. Quel différend Minerve eut-elle avec Neptune ?
33. Quels honneurs Athènes reconnaissante rendit-elle à la déesse ? Qu’est-ce que les
Panathénées ? Comment célébrait-on ces fêtes à Rome ? Comment représente-t-on
Minerve ? Quel est le mot piquant de Démosthène ?
Chapitre VII. Apollon.
34. Naissance d’Apollon.
Latone, fille de Céus, un des Titans, et de Phébé, était aimée de Jupiter. Junon,
ayant appris qu’elle allait devenir mère, ne cessa de la poursuivre de sa haine
jalouse. Elle suscita contre elle le serpent Python, et pria la Terre de ne donner à
sa rivale aucun asile. Alors Neptune, touché de pitié, rendit stable l’île de Délos,
jusqu’alors flottante. Latone s’y réfugia sous la forme d’un oiseau, et mit au jour
Apollon et Diane. Le premier soin du jeune dieu fut de venger sa mère : il tua à coups
de flèches le serpent Python, et couvrit de sa peau le trépied sur lequel la prêtresse
appelée Pythonisse rendait ses oracles. Lui-même reçut dès lors le surnom de Pythien,
et des jeux appelés Pythiques furent institués en son honneur. Ils se célébraient à
Delphes tous les quatre ans. On leur attribue encore une autre origine. Le serpent
Python serait né du limon de la terre après le déluge de Deucalion, et Apollon
l’aurait tué, non pour venger Latone, mais pour délivrer la terre. Dans le sens
allégorique, il est certain que le soleil, dont Apollon était le dieu, en desséchant,
par l’action de ses rayons, les eaux stagnantes, détruit leurs exhalaisons et purifie
l’atmosphère.
35. Exil d’Apollon sur la terre.
La victoire d’Apollon fut suivie de cruelles disgrâces. Un fils, qu’il avait eu de la
nymphe Coronis, Esculape, auquel il avait enseigné la médecine, avait rendu à la vie
Glaucus, fils de Minos, et Hippolyte, fils de Thésée. Pluton, dieu des enfers, se
plaignit de ce qu’on lui enlevait ainsi ses sujets. Alors Jupiter foudroya Esculape.
Apollon, dans sa douleur, tua les Cyclopes qui avaient fabriqué la foudre, et fut
chassé du ciel en punition de cet attentat. Réduit à garderies troupeaux d’Admète, roi
de Thessalie, il se consolait de son exil au milieu des bergers, qu’il charmait par
les doux sons de sa flûte. Elle devint son unique trésor, lorsque Mercure, pour comble
de disgrâce, lui eut dérobé son arc et son troupeau. Le dieu Pan osa rivaliser de
talent avec lui, et le défier à un combat sur la flûte. Midas, roi de Phrygie, fut
pris pour juge ; comme il était ami de Pan, il lui adjugea le prix. Apollon punit
l’ignorance ou l’injustice de ce prince en lui infligeant des oreilles d’âne. Midas
dérobait cette difformité sous un diadème magnifique ; cependant il fut obligé d’en
faire la confidence à son barbier. Celui-ci, pour se soulager d’un pareil fardeau sans
violer sa promesse, fait à l’écart un trou dans la terre, y dépose à voix basse son
fatal secret, et le renferme soigneusement. Mais de cette terre fraîchement remuée
sortirent des roseaux qui répétaient au souffle du vent ces paroles du barbier :
« Midas, le roi Midas, a des oreilles d’âne. » Le satyre Marsyas, fier de son talent sur la flûte, osa défier aussi
Apollon ; il en fut cruellement puni. Le dieu, l’ayant vaincu, le lia à un arbre et
l’écorcha tout vif21. Les divinités champêtres le pleurèrent amèrement, et de
leurs larmes naquit le fleuve Marsyas, qui coule en Phrygie. Du service d’Admète,
Apollon passa à celui du roi Laomédon, qui élevait alors les murailles de Troie. Il y
travailla de ses mains avec Neptune, chassé comme lui du ciel. Le prince troyen les
ayant frustrés du salaire promis, Apollon ravagea la ville par une peste cruelle, et
Neptune envoya un monstre qui dévorait les habitants. Le fils de Latone ne fut pas
plus heureux dans ses affections. Un jour qu’il jouait au palet avec le jeune
Hyacinthe, qu’il aimait tendrement, Zéphire jaloux détourna le palet lancé par la main
du dieu, et le dirigea contre la tête de son ami, qui expira sur l’heure. Apollon
désolé changea Hyacinthe en cette fleur qui porte son nom. Cyparisse, autre jeune
homme que son talent pour la poésie rendait cher au dieu des vers, ayant tué par
mégarde un cerf qu’il nourrissait, en conçut tant de regret qu’il se donna la mort.
Apollon le changea en cyprès, et voulut que cet arbre fût le signe du deuil et
l’ornement des tombeaux. Il changea encore en laurier la nymphe Daphné, qui, pour
échapper à sa poursuite, se réfugia dans les bras du fleuve Pénée, son père. Enfin
Clytie, fille de l’Océan et de Téthys, mourut de douleur d’avoir été abandonnée par
lui, et il la transforma en héliotrope, fleur qui se tourne vers le soleil, comme
l’indique son nom (hélios, soleil ; trepô, tourner).
36. Apollon rappelé au ciel ; aventure de Phaéton.
L’exil et les malheurs d’Apollon fléchirent enfin Jupiter, qui le rappela au ciel, et
le chargea de conduire le char du soleil, sous le nom de Phœbus. Ce char était traîné
par quatre chevaux impétueux, Eoüs, Pyroüs, Ethon et Phlégon. Un jour, un de ses fils,
Phaéton, qu’il avait eu de Clymène, irrité de ce qu’Epaphus contestait sa céleste
origine, vint lui exposer le sujet de sa douleur. Apollon jura imprudemment par le
Styx de ne rien lui refuser. Le jeune téméraire demanda alors la faveur de conduire,
un seul jour, le char du soleil. Apollon, lié par un serment irrévocable, consentit,
mais à regret. Bientôt la main faible et inexpérimentée de Phaéton laissa dévier le
char de sa route, et embrasa la terre. Jupiter le précipita d’un coup de foudre dans
le fleuve Eridan (autrement appelé le Pô). Quelques interprètes ont vu dans cette
fable un souvenir de l’embrasement des villes de Sodome, Gomorrhe, etc. ; d’autres,
l’explication poétique d’une sécheresse qui aurait désolé la terre.
37. Apollon, dieu de la poésie ; les Muses.
Apollon est le dieu de la poésie : à ce titre il préside l’assemblée des Muses, ses
compagnes ordinaires. Ces filles de Jupiter et de Mnémosyne, c’est-à-dire de
l’intelligence et de la mémoire, sont au nombre de neuf :
Calliope préside à l’épopée, ou poëme héroïque ;
Clio, à l’histoire ;
Erato, à l’élégie et à la poésie légère ;
Euterpe, à la musique ;
Melpomène, à la tragédie ;
Polymnie, à l’ode et au dithyrambe,
Thalie, à la comédie ;
Terpsichore, à la danse ;
Uranie, à l’astronomie.
Les divers emplois des Muses sont exprimés dans les vers suivants :
Dans son rapide essor, Uranie à nos yeux
Dévoile la nature et le secret des cieux,
Des empires divers Clio chante la gloire,
Des rois, des conquérants assure la mémoire.
Calliope, accordant sa lyre avec sa voix,
Eternise en ses vers d’héroïqnes exploits.
D’un spectacle agréable employant l’artifice,
Thalie en badinant sait démasquer le vice.
Melpomène, avec pompe étalant ses douleurs,
Nous charme en nous forçant de répandre des pleurs,
Erato des amours célèbre les conquêtes,
Se couronne de myrte, et préside à leurs fêtes,
Euterpe a, de la flûte animant les doux sons,
Aux plaisirs innocents consacré ses chansons.
Polymnie a du geste enseigné le langage,
Et l’art de s’exprimer des yeux et du visage.
Terpsichore, excitée aux bruits des instruments,
Joint à des pas légers de justes mouvements.
De l’esprit d’Apollon une vive étincelle
Des filles de mémoire anime les concerts ;
Et, chef de leur troupe immortelle,
Il rassemble en lui seul tous les talents divers.
Pour aider la mémoire, on a réuni, par abréviation, les noms des Muses dans ce vers
pentamètre :
Terpsi, Thal, Euter, Cli, Cal, Erat, Ura, Po, Mel.
Les Muses sont représentées avec les attributs des arts auxquels elles président.
Elles se plaisent aux lieux élevés. Les monts Parnasse en Phocide, Hélicon en Béotie,
et Pinde entre la Thessalie et l’Epire, sont, après l’Olympe, leur demeure ordinaire.
Elles ont pour coursier Pégase, cheval ailé, né du sang de Méduse. Pégase fit un jour
jaillir d’un coup de pied la fontaine Hippocrène, dont les eaux, ainsi que celles du
fleuve Permesse, inspiraient, dit-on, l’enthousiasme poétique. On appelle quelquefois
les muses Piérides ; voici l’origine de ce nom : Les neuf filles de Piérus, roi de
Macédoine, fières de leur nombre et de leurs talents, osèrent porter aux muses un défi
que celles-ci acceptèrent. Mais après le combat, elles changèrent en pies, emblème de
la loquacité vaniteuse, leurs imprudentes rivales, et prirent elles-mêmes le nom de
Piérides, en souvenir de leur victoire. Si les Muses aiment la modestie, elles exigent
surtout des cœurs honnêtes et de chastes hommages. Pyrénée, roi de Phocide, les reçut
un jour dans son palais ; à peine y furent-elles entrées, qu’il voulut les outrager.
Alors ayant pris des ailes, avec le secours d’Apollon, elles s’enfuirent à travers les
airs. Pyrénée monta sur le haut d’une tour, et crut pouvoir imiter leur vol ; brisé
dans sa chute, il paya de sa vie son criminel attentat.
38. Culte et attributs d’Apollon.
Le culte d’Apollon était répandu partout ; mais la ville de Delphes, située en
Phocide, à mi-côte du mont Parnasse, possédait un temple magnifique où le dieu rendait
ses oracles par la bouche d’une prêtresse nommée la Pythie ou la Pythonisse. Elle ne
parla d’abord qu’une fois par an ; dans la suite ses oracles furent moins rares. La
présence du dieu qui l’inspirait était annoncée par le retentissement de la foudre et
l’ébranlement du temple. Alors elle s’asseyait sur un trépied, à l’entrée d’une
caverne d’où sortaient des exhalaisons suffocantes. Elle tombait dans une sorte de
fureur divine : ses cheveux se hérissaient, sa bouche écumait, et laissait échapper au
milieu de cris effrayants, des sons inarticulés, que les prêtres arrangeaient avant de
les transmettre à ceux qui étaient admis à les recueillir. Jamais les Grecs
n’entreprenaient d’affaires importantes sans avoir consulté l’oracle de Delphes, et
déposé dans le temple de riches présents. Les anciens confondaient quelquefois Apollon
avec le Soleil, dont il n’est que le dieu. Le Soleil était fils d’Hypérion. On le
représente la tête environnée de rayons, et tenant un globe à la main, tandis
qu’Apollon, qui est alors appelé Phœbus, dirige un char radieux, trainé par quatre
chevaux (n° 36). Apollon, dieu des beaux-arts, est représenté sous la forme d’un jeune
homme d’une beauté éclatante, une lyre à la main, et la tête ceinte d’une couronne de
laurier. La statue connue sous le nom d’Apollon du Belvédère
22 est un des chefs-d’œuvre qui nous restent
de la sculpture antique. Le dieu tient son arc tendu, et vient de lancer ses flèches
mortelles au serpent Python. Sa taille surpasse celle de l’homme ; son attitude
annonce le sentiment divin qui l’anime ; ses traits respirent le calme et la majesté.
Autant la description qu’ Homère a faite d’Apollon
surpasse celle des autres poëtes, autant cette statue l’emporte sur toutes les autres
figures du même dieu.
Questionnaire.
34. De qui Latone était-elle fille ? Pourquoi Junon la haïssait-elle ? Quels furent
les effets de cette haine ? Où naquit Apollon ? Quel fut son premier soin ? Quel
surnom prit-il ? Quels jeux furent institués en son honneur ? Quelle double
explication donne-t-on de leur origine ? La victoire d’Apollon n’est-elle pas
interprétée aussi dans un sens allégorique ?
35. Quels furent les malheurs d’Apollon ? La cause de son exil sur la terre ? Les
disgrâces qu’il y éprouva ? Racontez l’aventure de Midas, celle du satyre Marsyas, la
punition du parjure Laomédon, la mort et la métamorphose d’Hyacinthe, de Cyparisse, de
Daphné et de Clytie.
36. Quelle fut l’aventure de Phaéton ? Quel souvenir rappelle cette fable ?
37. De qui les neuf Muses sont-elles filles ? Quels sont leurs noms et leurs
attributs ? Quel était leur séjour ordinaire ? Qu’est-ce que Pégase ? D’où les Muses
prirent-elles le nom de Piérides ? Comment échappèrent-elles à Pyrénée ?
38. Faites connaître la manière dont se rendaient les oracles dans le temple de
Delphes ? Quelle différence y a-t-il entre Phœbus et Apollon ? Comment représente-t-on
l’un et autre ? Qu’est-ce que l’Apollon du Belvédère ?
Chapitre VIII. Diane.
39. Naissance de Diane ; ses emplois divers.
Diane était, comme Apollon, fille de Jupiter et de Latone. La triste destinée de sa
mère lui inspira une profonde aversion pour le mariage. Son père lui donna un nombreux
cortége de jeunes Nymphes, vierges comme elle, et la chargea de présider à la chasse
dans les forêts, d’éclairer le monde pendant la nuit, et de surveiller les âmes des
morts. Elle eut, pour ses trois emplois, trois séjours et trois noms distincts. On
l’appela Diane ou Artémise sur la terre, Phébé ou la Lune au ciel, et Hécate dans les
enfers. Sous ce dernier nom, on la confond quelquefois avec Proserpine, femme de
Pluton.
40. Aventure du chasseur Actéon ; du bel Endymion.
Diane était regardée comme la déesse de la chasteté ; elle punissait avec rigueur la
moindre faute de cette nature commise envers elle. Actéon, petit-fils de Cadmus, roi
de Thèbes, ayant vu, par hasard, la déesse au moment où elle se baignait, fut aussitôt
changé en cerf, et déchiré par ses propres chiens. Cependant le cœur de Diane se
laissa attendrir par le berger Endymion. On dit qu’éprise de sa grande beauté, elle
arrêtait, toutes les nuits, son char, pour le contempler endormi, dans la grotte du
mont Latmos, en Carie. Cette fiction peut s’expliquer par le goût d’Endymion pour
l’astronomie et par son habitude d’observer, pendant la nuit, le cours de la lune et
des autres astres.
41. Culte et attributs de Diane.
Le culte de Diane s’accordait avec ses mœurs sauvages. On immolait sur ses autels des
bœufs, des béliers, des cerfs ; quelquefois on lui sacrifia des victimes humaines.
Elle avait dans la Chersonèse Taurique (aujourd’hui la Crimée), un temple où étaient
égorgés en son honneur tous les étrangers qui faisaient naufrage sur les côtes. De
Délos, lieu de sa naissance, où elle était particulièrement honorée, son culte s’était
répandu partout. Entre tous les temples qui lui étaient consacrés, celui d’Ephèse
était regardé comme le chef-d’œuvre de l’architecture antique et comme une des
merveilles du monde23. La construction en avait duré deux cent vingt ans. Il fut brûlé, la
nuit même où naquit Alexandre-le-Grand, par un Ephésien obscur, nommé Erostrate, qui
voulait immortaliser son nom. On le releva de ses ruines peu de temps après, avec une
magnificence qui surpassait encore la première.
On représente Diane comme déesse de la chasse, vêtue d’une tunique légère, chaussée
d’un cothurne, un carquois sur l’épaule et un arc à la main ; un chien est à ses
côtés. Quelquefois elle est accompagnée de ses Nymphes, armées comme elle ; mais elle
les dépasse de toute la tête et son front est orné d’un croissant. Quelquefois elle
est montée sur un char traîné par des cerfs blancs. On représentait encore Diane avec
trois têtes d’animaux : c’étaient tantôt le cheval, la laie et le chien ; tantôt le
taureau, le chien et le lion. Elle était alors la déesse triforme, à raison de ses
triples fonctions, et on l’adorait sous le nom de Trivia, dans les carrefours (en
latin trivium), qui étaient communément ornés de ses statues.
42. Histoire de quelques constellations.
On appelle constellation un certain nombre d’étoiles qui, vues ensemble, présentent
un dessin, une figure plus ou moins déterminée. L’idolâtrie ne s’était pas contentée
de peupler le ciel de ses faux dieux ; elle en voyait l’image, elle en lisait
l’histoire dans ces astres innombrables destinés à proclamer la puissance d’un Dieu
créateur. Comme les noms de quelques constellations se rattachent à l’histoire de
Diane, il n’est pas hors de propos de les expliquer ici.
43. Callisto.
Callisto, l’une des Nymphes qui accompagnaient la déesse de la chasse, inspira une
vive passion à Jupiter ; Diane la bannit de sa présence, et Junon la punit
cruellement : elle la transforma en ourse. Arcas, fils de Calisto, étant un jour à la
chasse, rencontra sa mère sous sa nouvelle forme, et, ne la reconnaissant pas, il
allait la percer d’une flèche ; mais Jupiter, pour prévenir un parricide, le changea
lui-même en ours et transporta la mère et le fils au ciel, où ils forment la grande et
la petite Ourse, constellations composées chacune de sept étoiles. Diane, ayant tué
par jalousie le géant Orion, qu’elle aimait et qui ne lui était pas fidèle, le plaça
pareillement au ciel, où il forme une constellation brillante.
44. Le Zodiaque.
Mais ce qu’il importe de connaître, c’est le cercle formé par douze constellations,
devant lesquelles le soleil passe successivement, dans sa marche apparente autour de
la terre. Ce cercle s’appelle Zodiaque, d’un mot grec (zôon), qui signifie animal,
parce qu’il se compose, en grande partie, de figures d’animaux.
Voici les noms des douze signes du Zodiaque, rangés dans leur ordre successif :
On verra, dans l’histoire des Argonautes, qu’Hellé et Phryxus, pour se soustraire à
la haine de leur belle-mère Ino, s’enfuirent sur un bélier à toison d’or, que leur
envoya Jupiter. Ce bélier forme la première constellation. Elle correspond au mois
de Mars.
2° Le Taureau (avril).
Selon la fable, Jupiter prit la forme de cet animal pour transporter en Crète la
belle Europe, fille d’Agénor, roi de Phénicie. Cette princesse donna son nom à l’une
des trois parties du monde connues des anciens.
3° Les Gémeaux (mai)
Les Gémeaux représentent Castor et Pollux, fils de Léda, si fameux par leurs
exploits et leur étroite amitié.
4° Le Cancer ou l’Ecrevisse (juin).
C’est celle qui fut envoyée par Junon contre Hercule, lorsqu’il combattait l’hydre
de Lerne ; elle le mordit au talon. Hercule écrasa ce nouvel ennemi, qui fut placé
au ciel.
5° Le Lion (juillet).
C’est le lion de la forêt de Némée, tué aussi par Hercule.
6° La Vierge (août).
Cette vierge est, selon les uns, Thémis, déesse de la justice et seconde femme de
Jupiter ; selon d’autres, c’est Astrée ou la Paix, fille de Thémis. D’autres, enfin,
disent que c’est Erigone, qui, trompée par Bacchus, se pendit de désespoir en
apprenant la mort de son père, tué par des bergers enivrés.
7° La Balance (septembre).
Cette balance est celle de Thémis, ou encore celle que laissa sur la terre la
déesse de la justice, retournant au ciel, lorsque le siècle de fer commença.
8° Le Scorpion (octobre).
C’est celui qui fut suscité par Diane contre le géant Orion, coupable d’avoir
excité la jalousie de cette déesse.
9° Le Sagittaire (novembre).
C’est le centaure Chiron, précepteur d’Achille. Les centaures étaient des monstres
ayant la tête, les bras et le buste d’un homme, terminé par le corps et les jambes
d’un cheval. C’étaient, en réalité, d’habiles cavaliers qui, de loin, paraissaient
ne former avec leurs chevaux qu’un seul et même corps.
10° Le Capricorne (décembre).
C’est, selon les uns, la chèvre Amalthée, qui nourrit Jupiter ; selon d’autres,
c’est le dieu Pan, qui se transforma en chèvre à l’aspect de Tiphée, dans la guerre
des Géants. (Voir le n° 18.)
11° Le Verseau (janvier).
On croit que c’est Ganymède, l’échanson de Jupiter.
12° Enfin, les Poissons (février).
Ce sont les Poissons qui portèrent au delà de l’Euphrate Vénus et son fils, pendant
la guerre des Géants contre Jupiter. D’autres prétendent que ce sont les dauphins
qui menèrent Amphitrite à Neptune.
Questionnaire.
59. De qui Diane était-elle fille ? Quels emplois lui donna son père ? Quels sont ses
différents noms ?
40. Comment punit-elle le chasseur Actéon ? et pourquoi ? Quel sentiment
éprouvait-elle pour le bel Endymion ? Comment explique-t-on cette fable ?
41. De quelle nature était le culte de Diane ? Quelles victimes lui étaient offertes
en ◀sacrifice▶ ? Que lui immolait-on dans la Chersonèse Taurique ? Quel était le plus
magnifique de ses temples ? Par qui fut-il détruit ? Comment représente-t-on
Diane ?
42. Qu’appelle-t-on constellation ? Que voyaient les anciens dans les
constellations ?
43. Faites connaître l’origine de la constellation appelée Calisto ? Quelle est celle
d’Orion ?
44. Qu’appelle-t-on Zodiaque ? Enumérez les douze signes du Zodiaque ? Que représente
la constellation du Bélier ? A quel mois de l’année correspond-elle ? Expliquez ainsi
chacune des onze autres constellations ?
Chapitre IX. Mercure.
45. Naissance et attributs de Mercure.
Mercure, fils de Jupiter et de Maïa, une des filles d’Atlas, naquit sur le mont
Cyllène, en Arcadie. Son enfance fut confiée aux soins des Saisons. Aucune divinité du
paganisme n’eut plus d’emplois divers. Les autres dieux l’avaient pris pour leur
interprète, et il se chargeait de leurs messages ; il conduisait aux enfers les âmes
des morts, présidait aux jeux et aux assemblées publiques, inspirait les orateurs,
protégeait les voyageurs, les marchands et même les voleurs.
46. Larcins et exil de Mercure.
Le penchant de Mercure au larcin se révéla de bonne heure. Le lendemain de sa
naissance, il vola les bœufs d’Admète, que gardait Apollon, et tandis que le berger se
plaint et menace, il lui enlève son carquois et ses flèches. Dans l’Olympe, il dérobe
à Neptune son trident, à Vénus sa ceinture, à Mars son épée, à Jupiter son sceptre, et
à Vulcain ses outils. Jupiter, charmé de l’adresse et de la grâce du jeune dieu, lui
confia le soin de verser le nectar à la place d’Hébé, qui venait d’être disgraciée.
Ganymède n’avait pas encore été enlevé au ciel. Mais le jeune dieu poussa trop loin
ses licences : il essaya de porter la main sur la foudre de Jupiter, qui l’envoya
partager l’exil d’Apollon. Ce fut alors que Mercure, afin de charmer ses ennuis,
inventa la lyre. Il la donna à son compagnon d’infortune, et reçut en échange la
baguette dont il fit un caducée25.
47. Retour de Mercure dans l’Olympe.
Mercure ne tarda pas à être rappelé dans l’Olympe, où il rendit aux dieux, par son
adresse et son courage, d’importants services dans la guerre contre les Géants. Il
aida Pluton à enlever Proserpine, et attacha sur la roue autour de laquelle il tourne
éternellement le perfide Ixion26, qui, admis aux honneurs de l’Olympe, avait osé
outrager la reine des dieux.
48. Culte et images de Mercure.
Le culte de Mercure était répandu en Egypte, en Grèce et en Italie. Il n’avait rien
de remarquable, si ce n’est qu’on offrait à ce dieu les langues des animaux immolés,
comme emblème de l’éloquence. On représente Mercure sous les traits d’un jeune homme,
beau de visage et d’une taille élancée. Comme messager des dieux, il a des ailes aux
pieds, aux épaules, à son caducée, et à son pétase, espèce de coiffure ronde dont il a
toujours la tête couverte. Comme dieu du commerce, il porte une bourse à la main.
Enfin, comme dieu de l’éloquence, on lui voit souvent une chaîne d’or qui part de sa
bouche et s’attache aux oreilles de ses auditeurs. A Athènes, il y avait dans les rues
des pierres carrées surmontées d’une tête de Mercure : on les appelait Hermès, nom de
ce dieu dans la langue grecque.
Questionnaire.
45. De qui Mercure était-il fils ? Quels étaient ses divers emplois ?
46. Quel penchant montra-t-il dès sa naissance ? Quels furent ses divers larcins ?
Pourquoi fut-il chassé du ciel ? Quel présent fit-il à Apollon ? Qu’en reçut-il en
échange ? Qu’est-ce que le caducée ?
47. De retour dans l’Olympe, quels services Mercure rendit-il aux dieux ?
48. Dans quel pays le culte de Mercure était-il répandu ? Quelle singularité
offrait-il ? Comment Mercure est-il représenté ? Quel nom donnait-on à ses statues à
Athènes ?
Chapitre X. Mars.
49. Naissance et aventures de Mars.
Selon les Grecs, qui l’appelaient Arès, Mars était fils de Jupiter et de Junon. Selon
les Romains, il était fils de Junon seule, qui le mit au jour après avoir respiré
l’odeur d’une fleur qui croissait dans les champs d’Olène, ville d’Achaïe (voir le
n° 8). Mars était le dieu de la guerre ; dans Sophocle
il est aussi le dieu de la peste. Bellone, sa sœur conduisait son char ; la Terreur et
l’Effroi, ses deux fils, l’accompagnaient. Il fut élevé par Priape, un des Titans, qui
lui apprit l’art des combats. Ses premiers essais ne furent pas heureux. Dans la
guerre des dieux contre les Titans, Mars fut fait prisonnier, et dut sa délivrance à
Mercure, après un an de captivité. Son fils Ascalaphe ayant été tué au siége de Troie,
Mars courut le venger, et fut blessé par Diomède, dont Minerve conduisait la lance.
Lorsqu’il retira de sa plaie le fer meurtrier, il poussa un cri terrible, fort comme
celui d’une armée entière chargeant ennemi. Plus tard, Mars voulant venger sa fille
Alcippe, enlevée par Allyrothius, fils de Neptune, donna la mort à ce jeune
audacieux : cité pour ce meurtre par le souverain des mers au conseil des dieux, il se
défendit si bien, qu’il fut renvoyé absous. Pour ce jugement, l’assemblée céleste
siégea, dit-on, à Athènes, sur une éminence qui fut dès lors appelée Aréopage, ou
colline de Mars ; elle fut, à ce qu’on croyait, l’origine du célèbre tribunal de ce
nom.
50. Culte et images de Mars.
Mars était peu honoré chez les Grecs, beaucoup chez les Thraces ; les Romains lui
rendaient un culte particulier. Ils le regardaient comme le père de Romulus et Rémus,
et, à ce titre, comme le protecteur de leur empire et de la ville de Rome, qu’ils lui
avaient consacrée. Les consuls, avant de partir pour la guerre, offraient des
◀sacrifices▶ solennels dans le temple de Mars, et touchaient la lance, en criant :
Veille, Mars ! plaçant ainsi le salut de l’État sous la vigilance et la protection de
ce dieu.
Les Saliens, prêtres de Mars, formaient à Rome un collége sacerdotal très-célèbre.
Numa l’avait institué pour veiller à la garde d’un bouclier sacré nommé ancile, que
l’on croyait tombé du ciel. Comme les destinées de l’empire étaient attachées à la
conservation de ce bouclier, pour en prendre l’enlèvement plus difficile on en avait
fait faire onze autres si parfaitement semblables qu’il était impossible de les
distinguer. Ces douze boucliers étaient déposés dans le temple de Mars Gradivus, sur
le mont Palatin, et gardés par un nombre égal de prêtres Saliens. Une fois par an ces
prêtres les portaient en pompe dans Rome, en dansant (de là le nom de Saliens, du mot
latin salire, danser), et en chantant des hymnes er l’honneur de Mars. Cette fête
commençait le 15 mars, et durait quatorze jours. On immolait à ce dieu des taureaux,
des béliers et des chevaux, quelquefois des victimes humaines, particulièrement chez
les Gaulois, qui l’adoraient sous le nom d’Hésus.
On représente Mars sous la forme d’un guerrier armé d’un casque, d’une lance et d’un
bouclier. Souvent il est monté sur un char attelé de deux coursiers, appelés par les
poëtes l’Épouvante et la Fuite. Deux oiseaux belliqueux, le coq et le vautour, lui
étaient consacrés.
Questionnaire.
49. De qui Mars était-il fils, selon les Grecs et selon les Romains ? Par qui fut-il
élevé ? Quels furent ses premiers essais dans l’art de la guerre ? Quelles furent ses
autres infortunes ? Quelle fut l’origine du tribunal appelé Aréopage ?
50. Quel était le culte de Mars chez les Grecs et chez les Romains ? Quels hommages
les consuls rendaient-ils à ce dieu avant d’aller à la guerre ? Qu’était-ce que les
Saliens ? Quel roi de Rome les avait institués, et dans quel but ? Quelle est la
signification et quelle est l’origine de leur nom ? Qu’était-ce que les anciles ?
Quelles victimes immolait-on à Mars ? Comment s’appelait ce dieu chez les Gaulois ?
Comment représente-t-on le dieu Mars ? Quels oiseaux lui étaient consacrés ?
Chapitre XI. Vénus.
51. Naissance de Vénus ; elle épouse Vulcain.
Vénus, déesse de la beauté chez les Romains, était appelée par les Grecs Aphrodite,
c’est-à-dire, née de l’écume. En effet, elle était fille de la Mer et du Ciel. On
raconte ainsi sa naissance : Lorsque Saturne eut blessé le Ciel ou Uranus (voir le
n° 8), des gouttes de sang, des lambeaux de chair tombèrent de sa blessure dans la
mer. Ballotés par les flots, ils formèrent un flocon d’écume d’où sortit une jeune
déesse d’une ravissante beauté : c’était Vénus27. Aussitôt les Tritons et les
autres divinités de la mer l’environnent, la placent sur une conque marine, et la
déposent dans l’île de Chypre. Là les Grâces, les Ris et les Jeux, enfants de Vénus,
selon quelques-uns, forment son cortége ; les Heures se chargent de l’instruire, et la
conduisent dans l’Olympe. Les dieux, ravis d’admiration, la proclament la déesse de la
beauté. Chacun d’eux voulut l’avoir pour épouse : Jupiter la donna à Vulcain, pour le
récompenser d’avoir forgé les foudres dont il avait frappé les Géants. Cette union de
la plus belle des déesses avec le plus difforme des immortels fut souvent troublée.
Vénus aima le dieu Mars, Bacchus, Anchise, prince troyen, dont elle eut Enée. Elle
aima aussi le berger Adonis, qui était d’une rare beauté. Un jour qu’il poursuivait un
sanglier dans les forêts du Liban, l’animal furieux s’élança sur lui, et le mit en
pièces. Vénus, accourue trop tard à son secours, le changea en anémone.
52. Jugement de Pâris.
Lorsque la déesse Thétis, fille de Nérée et de Doris, épousa Pélée, roi de Phthie,
tous les dieux furent invités aux noces, excepté la Discorde. Pour se venger de cet
affront, celle-ci jeta sur la table du festin une pomme d’or portant ces mots : A la
plus belle. Toutes les déesses voulurent se l’adjuger ; mais Jupiter mit fin à ce
débat en choisissant pour arbitre un jeune berger phrygien, fameux par sa beauté,
Pâris, fils de Priam, dont il gardait les troupeaux sur le mont Ida. Il eut à
prononcer entre trois rivales, Junon, Minerve et Vénus. Elles comparurent devant lui,
et Vénus obtint le prix. Ce fut là l’origine de la guerre de Troie. (Voir le
n° 28.)
53. Les Grâces ; Cupidon.
Quelques auteurs disent que les trois Grâces, Aglaé, Thalie et Euphrosine, compagnes
de Vénus, étaient filles de Jupiter et d’Eurynome28. Elles sont
ordinairement représentées dansant en cercle et ornées de guirlandes de fleurs. L’une
tient à la main une rose, l’autre une branche de myrte, la troisième un dé, symbole
des jeux et des ris de la jeunesse.
Cupidon, fils de Vénus et de Mars, est le dieu de l’amour. Jupiter, prévoyant les
troubles qu’il exciterait dans l’Olympe, et les maux qu’il causerait sur la terre,
voulut le faire périr dès sa naissance. Mais sa mère le cacha dans les bois, où il
suça le lait des bêtes féroces. Aussitôt qu’il fut en âge de manier l’arc, il s’en fit
un de frêne, aiguisa des flèches de cyprès, et les essaya sur les animaux, avant d’en
percer le cœur des hommes. Les poëtes racontent qu’il se blessa lui-même, et qu’il
aima extrêmement Psyché29. On peut reconnaître sous le voile
de cette allégorie le caractère et les effets de la funeste passion de l’amour.
54. Culte et images de Vénus.
Le culte de Vénus était fort répandu chez les Grecs. Les Spartiates l’adoraient sous
le nom de Vénus-Uranie, ou Céleste, et la représentaient tout armée. Les Romains
croyaient descendre de cette déesse par Enée, fils d’Anchise. Elle était
particulièrement honorée dans l’île de Chypre, d’où lui est venu le nom de Cypris.
Elle avait aussi des temples célèbres à Paphos, à Amathonte, à Cythère et à Gnide.
Dans cette dernière ville était sa statue, ouvrage de Praxitèle30, et l’un des chefs-d’œuvre de la sculpture antique. On
n’immolait point de victimes à Vénus, on se contentait de brûler de l’encens et
d’autres parfums sur ses autels. On représente la déesse de la beauté de bien des
manières. Quelquefois c’est une jeune fille sortant du sein des eaux. Souvent on la
voit assise avec Cupidon sur un char traîné par des colombes, ou des cygnes, ou des
moineaux. Sa tête est couronnée de myrtes et de roses. Aucune divinité n’a été plus
souvent représentée par les peintres et les sculpteurs, aucune n’a été plus chantée
par les poëtes.
Questionnaire.
51. Quelle fut la naissance de Vénus, d’après la tradition d’ Hésiode ? Comment explique-t-on cette tradition ? A qui Vénus fut-elle
donnée pour épouse ? Qui aima-t-elle ? Quel fut le sort d’Adonis ?
52. Raccontez le jugement de Pâris. Quelles en furent les suites ?
53. Nommez les trois Grâces. De qui étaient-elles filles ? Comment les
représente-t-on ? Qu’est-ce que Cupidon ? Comment Jupiter le traita-t-il ? Où et
comment fut-il élevé ? Quel usage fit-il de son arc et de ses flèches ? Quel est le
sens allégorique de son histoire ?
54. Pourquoi les Romains rendaient-ils un culte particulier à Vénus ? Dans quels
lieux étaient situés ses temples les plus célèbres ? Qu’avez-vous à dire de sa statue
par Praxitèle ? Qu’offrait-on à Vénus ? Comment
représente-t-on cette déesse ?
Chapitre XII. Cérès.
55. Naissance de Cérès ; enlèvement de sa fille Proserpine.
Cérès, fille de Saturne et de Cybèle, était la déesse de l’agriculture. Elle
parcourut la terre, comme on va le voir, enseignant aux hommes l’art d’ensemencer les
champs et de faire du pain. Cérès eut de Jupiter une fille appelée Proserpine. Un jour
que celle-ci jouait avec les Nymphes dans les plaines d’Enna, en Sicile, le terrible
dieu des enfers, Pluton, dont aucune déesse ne voulait partager le triste séjour,
sortant tout à coup du sein de la terre, enleva la fille de Cérès et la transporta
dans son ténébreux empire. Cérès apprend bientôt son malheur, mais personne ne peut
lui révéler le nom ni la retraite du ravisseur de sa fille.
56. Voyages de Cérès cherchant sa fille ; Plutus, fils de Cérès.
Dans son désespoir, ayant allumé deux flambeaux aux feux du mont Etna, Cérès se mit à
parcourir la terre, et la nuit et le jour, demandant partout des nouvelles de sa fille
chérie. Arrivée dans l’Attique, elle s’arrêta chez Elensius, roi du pays, qui la reçut
avec bonté. Pour reconnaître ce service, la déesse enseigna l’agriculture à
Triptolème, fils de ce prince. Hippothoon, roi d’Eleusis, et Mégaurie, sa femme, lui
offrirent aussi une généreuse hospitalité. De là Cérès passa en Lycie, où elle reçut
un accueil moins favorable. Des paysans troublèrent l’eau d’une fontaine où elle
voulait se désaltérer ; la déesse irritée les changea en grenouilles (on sait que les
terrains marécageux où séjournent ces sortes d’animaux ne sont pas propres à
l’agriculture). Après bien des courses infructueuses, Cérès revint en Sicile, où elle
trouva le voile de Proserpine près de la fontaine de Cyané. Là elle apprit de la
nymphe Aréthuse que sa fille était devenue l’épouse de Pluton. Aussitôt elle monte
dans l’Olympe, et implore l’intervention de Jupiter. Le maître des dieux essaie en
vain de lui faire accepter Pluton pour gendre ; alors il déclare que Proserpine sera
rendue à sa mère, à la condition qu’elle n’aura pris aucune nourriture dans les
enfers. Malheureusement Ascalaphe, son gardien, l’avait vue manger quelques grains de
grenade. Cérès, dans sa douleur, changea en hibou le révélateur indiscret. Enfin
Jupiter décida par accommodement, que Proserpine resterait l’épouse de Pluton, mais
qu’elle passerait six mois de l’année sur la terre. On peut reconnaître dans cette
ingénieuse histoire la destinée du grain de blé, qui reste enseveli six mois dans le
sein de la terre et reparaît ensuite pour être moissonné. L’allégorie de Plutus, dieu
des richesses, est plus transparente encore. On le disait fils de Cérès, parce que
l’agriculture est pour l’homme un trésor inépuisable. On connaît la charmante fable de
La Fontaine intitulée Le Laboureur et ses
enfants, qui rend sensible cette vérité. Plutus est ordinairement représenté
sous les traits d’un vieillard aveugle. Il avait déclaré, dans sa jeunesse, qu’il ne
favoriserait que la vertu et la science. Jupiter le priva de la vue, afin qu’il
répartît indistinctement ses biens ; mais cet acte de prudence a profité surtout aux
méchants, qui sont les plus ardents à obséder le dieu et à lui arracher ses faveurs.
Cependant les vraies richesses sont restées le fruit du travail ; elles consistent
surtout dans les productions de la terre, qui seules peuvent satisfaire les besoins de
l’homme : la fable d’Erisichthon le prouve. C’était un Thessalien qui, par mépris pour
le culte de Cérès, abattit une forêt qui lui était consacrée. La déesse, irritée de
cette impiété, l’en punit par une faim dévorante. Lorsqu’il eut épuisé ses trésors
pour satisfaire sa voracité, sa fille, Métra ; le soutint encore longtemps. Elle avait
obtenu de Neptune le pouvoir de se transformer en toute sorte d’animaux ; elle se
faisait vendre par son père, et prenait une nouvelle forme dès qu’elle était vendue,
pour échapper à son possesseur : mais cet artifice ayant été découvert, le malheureux
finit par dévorer ses propres membres.
57. Culte et images de Cérès.
Le culte de Cérès était fort répandu. Cependant la Sicile et l’Attique étaient le
séjour privilégié de cette déesse. C’est là qu’elle recevait le plus d’honneurs. Parmi
ses fêtes, les unes s’appelaient thesmophories, du mot thesmophore, législatrice,
parce qu’elle avait donné des lois aux hommes en les civilisant par l’agriculture ;
ses autres fêtes s’appelaient ambarvalies, parce qu’elles consistaient à faire le tour
des champs pour obtenir la fertilité des terres et l’abondance des fruits31. Enfin il y avait des fêtes appelées éleusines, de la ville
d’Eleusis, où elles furent instituées : c’étaient les plus célèbres. Les initiés ne
pouvaient révéler, sans crime, le secret qui leur était imposé. On représente Cérès
sous la figure d’une femme robuste, pour indiquer la fertilité de la terre. Elle tient
dans ses mains une gerbe et une faucille, sa tête est ceinte d’une couronne d’épis.
Quelquefois aussi elle porte un flambeau, en mémoire des voyages qu’elle fit à la
recherche de sa fille.
Questionnaire.
55. Qu’est-ce que Cérès ? Quelle fut sa fille ? Racontez l’enlèvement de
Proserpine.
56. Quels pays parcourut Cérès cherchant sa fille ? Par qui et comment fut-elle
accueillie ? Comment apprit-elle le nom du ravisseur de Proserpine ? Qu’obtint-elle de
Jupiter ? Quelle allégorie trouve-t-on dans le double séjour de Proserpine sur la
terre et dans les enfers ? Quelle autre allégorie dans l’histoire de Plutus ? Quelle
est l’histoire d’Erisichthon, quelle est la morale qu’elle renferme ?
57. Quelles étaient les principales fêtes de Cérès ? Comment représente-t-on cette
déesse ?
Chapitre XIII. Bacchus.
58. Naissance de Bacchus.
Bacchus, dieu du vin, était fils de Jupiter et de Sémélé, fille de Cadmus, roi de
Thèbes. Cette princesse fut victime de sa vanité. Junon, toujours jalouse de ses
rivales, prit la figure de Béroé, nourrice de Sémélé, et lui conseilla de demander à
Jupiter qu’il se montrât à elle dans tout l’éclat de sa gloire. Il y consentit quoique
à regret, et parut au milieu des foudres et des éclairs ; mais le palais s’embrasa, et
Sémélé périt au milieu des flammes. Cependant l’enfant qu’elle portait dans son sein
fut sauvé ; Jupiter l’enferma dans sa cuisse, où il le garda jusqu’à ce que les neuf
mois nécessaires à son entière formation fussent accomplis. On explique cette fable en
disant que Sémélé avait péri dans l’embrasement de son palais, et que l’on était
parvenu à sauver son enfant. D’autres interprètes ajoutent que Jupiter avait fait
transporter Bacchus dans la ville de Nysa, située près d’une montagne appelée Méros.
Comme ce mot grec signifie cuisse, les poëtes, qui ne s’attachent qu’au merveilleux,
feignirent que Bacchus avait été mis dans la cuisse de Jupiter.
59. Éducation de Bacchus ; Silène.
Bacchus fut d’abord remis entre les mains d’Ino, sa tante, qui l’éleva avec le
secours des Heures et des Nymphes. Quand il fut en âge d’être instruit, on le confia
aux Muses et à Silène, fils de Mercure et de la Terre, ou, selon d’autres, de Pan et
d’une nymphe. Silène s’était rendu agréable aux dieux par son humeur joyeuse et son
caractère railleur ; il avait été souvent admis à leur assemblée. C’était un vieillard
gros, gras, court et chauve. On le voyait toujours ivre, tantôt se tenant à peine sur
un âne, tantôt marchant appuyé sur un bâton ou sur un thyrse32. Il est représenté portant sur la tête une couronne de lierre, et à
la main une coupe qui s’emplit et se vide sans cesse. Il fut le compagnon fidèle de
Bacchus, et le suivit dans tous ses voyages.
60. Exploits et conquêtes de Bacchus.
La mort de Sémélé n’avait pas satisfait la haine de Junon ; elle poursuivit l’enfance
de Bacchus ; elle déchaîna contre lui, pendant son sommeil, un serpent à deux têtes ;
mais le jeune dieu l’étouffa entre ses mains. Alors elle le frappa d’une folie qui le
fit voyager longtemps ; il n’en fut délivré qu’en Phrygie par Cybèle, qui l’initia aux
mystères de son culte. Pendant ce voyage, il s’était endormi dans l’île de Naxos. Des
pirates tyrrhéniens, inspirés par Junon, surprennent le dieu et l’enchaînent ; à son
réveil il brise ses liens et change en dauphins ses hardis ravisseurs. Bacchus se
signala par sa valeur dans la guerre des dieux contre les Géants. Transformé en lion,
il contribua puissamment à la victoire. Revenu de l’Olympe sur la terre, il marcha à
la conquête des Indes, mais en héros pacifique, accompagné de son fidèle Silène et
d’une multitude d’hommes et de femmes armés de thyrses, et qui faisaient retentir les
airs du son des tambours et des cymbales. Sa conquête ne coûta pas de sang ; les
peuples se soumettaient pleins de joie à un dieu qui leur enseignait l’art de cultiver
la terre, de faire le vin et d’extraire le miel. C’est l’histoire de la civilisation
pénétrant dans ces contrées.
On raconte qu’étant de retour en Phrygie, Silène s’endormit un jour, étant ivre,
auprès d’une fontaine où Midas, qui gouvernait le pays, avait fait verser du vin, pour
l’attirer. Des paysans le trouvèrent, et l’ayant paré de guirlandes, le conduisirent à
leur roi. Ce prince le retint pendant dix jours, qui se passèrent en festins et en
réjouissances. Lorsqu’il le rendit à Bacchus, le dieu par reconnaissance lui accorda
le don de convertir en or tous ce qu’il toucherait. Midas, qui avait demandé lui-même
ce funeste présent, reconnut sa faute, lorsqu’il voulut prendre de la nourriture. Il
pria Bacchus de le lui retirer. Il fut exaucé à condition qu’il se baignerait dans le
Pactole. C’est, dit-on, depuis cette époque que ce fleuve roule un sable d’or. Midas,
qui nous était déjà connu par un châtiment grotesque que lui infligea Apollon (n° 35),
est le type de la vanité ignorante.
61. Vengeances de Bacchus ; Penthée ; Lycurgue ; les filles de Minée.
Les traits suivants de la vie de Bacchus attestent que le vin, dont il était le dieu,
inspire la vengeance et la rend cruelle. Penthée, roi de Thèbes et successeur de
Cadmus, son aïeul, voulut réprimer la licence qui s’était introduite dans la
célébration des mystères de Bacchus. Mais le dieu, entrant en courroux, déchaîna
contre lui les Bacchantes et sa propre famille. Le malheureux. Penthée tomba sous les
coups de ses tantes, de ses sœurs, de sa mère elle-même, qui le mirent en pièces.
Lycurgue, roi de Thrace, ayant voulu aussi faire cesser, dans son royaume, les orgies
qui s’y tenaient en l’honneur de Bacchus, ce malheureux prince en fut puni ; il devint
aveugle. D’autres disent que Bacchus lui inspira une telle fureur, que, croyant couper
les vignes, il coupa les jambes à son fils Dryas, et se mutila lui-même après. On
explique cette fable en disant que Lycurgue défendit le vin à ses sujets, et fit
arracher les vignes de ses États, afin qu’ils ne fussent pas tentés d’enfreindre une
loi qu’il croyait salutaire.
On connaît enfin l’histoire des filles de Minée, si bien racontée par La Fontaine,
après Ovide. On sait que, pour n’avoir pas voulu
interrompre leur travail ordinaire pendant les fêtes consacrées à Bacchus, les trois
sœurs furent changées en chauves-souris et leur ouvrage en lierre. Le poëte tire de
cette fable une vérité qui devient toute chrétienne, si on modifie ainsi légèrement
ses vers
Chômons ; c’est faire assez qu’aller de temple en temple
Rendre au maître immortel les vœux qui lui sont dus :
Les jours donnés à Dieu ne sont jamais perdus.
62. Culte et images de Bacchus.
Les fêtes de Bacchus s’appelaient à Athènes Dionysiaques, de son nom grec Dionysios,
formé de celui de Jupiter et de la ville de Nysa. A Rome elles portaient le nom de
Bacchanales. Ces fêtes perdirent bientôt leur caractère religieux et devinrent une
source de licence et de désordres. On les désigna alors par le nom d’orgies, mot grec,
qui veut dire fureur. En effet, dans ces fêtes, des femmes, sous le nom de Bacchantes,
couraient, revêtues de peaux d’animaux, la face barbouillée de lie, l’œil en feu, les
cheveux épars, et vomissant des injures accompagnées de cris affreux. On connaît le
bel épisode du quatrième livre des Géorgiques de Virgile, dans lequel le poëte Orphée est mis en pièces par les Bacchantes,
malgré son talent sur la lyre, malgré sa douleur si touchante, après que son épouse
Eurydice lui eut été deux fois ravie.
On représente Bacchus sous les traits d’un jeune homme, à la chevelure blonde et
flottante, couronné de pampres et de lierre, couvert d’une peau de lion ou de
léopard ; son char est traîné par des lions. Comme dieu des buveurs, Bacchus est
représenté assis sur un tonneau, une coupe à la main. On lui avait consacré la pie,
comme symbole de l’indiscrétion des buveurs.
Questionnaire.
58. De qui Bacchus était-il fils ? Racontez les circonstances merveilleuses de sa
naissance.
59. Par qui Bacchus fut-il élevé ? Faites connaître Silène, précepteur de
Bacchus.
60. Quelle preuve de force et de courage donna Bacchus encore enfant ? Quelle fut la
cause de son voyage en Phrygie ? Quelles en furent les circonstances ? Quelle fut la
conduite de Bacchus dans la guerre des Géants ? Comment fit-il la conquête des Indes ?
Racontez l’aventure de Silène puni par Midas.
61. Quel acte de vengeance exerça Bacchus contre Penthée, Lycurgue et les filles de
Minée ?
62. Comment s’appelaient les fêtes de Bacchus à Athènes et à Rome ? Pourquoi les
appela-t-on du nom d’orgies, et que signifie ce mot ? Comment représente-t-on
Bacchus ? Pourquoi la pie lui était-elle consacrée ?
Chapitre XIV. Vulcain.
63. Naissance, disgrâce, travaux de Vulcain.
Vulcain, dieu du feu, était fils de Jupiter et de Junon. Quelques-uns prétendent que
ce fut lui, et non le dieu Mars, que Junon conçut toute seule, afin d’imiter Jupiter,
qui avait enfanté Minerve de son cerveau. Quoi qu’il en soit, Vulcain naquit si
difforme, que Jupiter d’un coup de pied le précipita du ciel sur la terre. Dans cette
chute il se cassa la cuisse et resta boiteux. Il fixa son séjour dans l’île de Lemnos,
où il était tombé après avoir roulé neuf jours dans l’immensité des airs. Il établit
des forges dans cette île et prit pour ouvriers les Cyclopes, fils d’Uranus et de
Titea (n° 7). Il avait encore des ateliers dans les îles voisines de l’Italie appelées
Eoliennes et Vulcaniennes, et dans les cavernes du mont Etna. Les volcans répandus
dans ces contrées, et qui tirent leur nom de celui du dieu du feu33, justifient cette tradition. Vulcain rendit de grands
services à Jupiter et aux autres dieux dans la guerre contre les Géants, en forgeant
les foudres dont furent frappés ces redoutables ennemis. Aussi, malgré sa laideur,
obtint-il pour récompense Vénus, la plus belle des déesses (n° 51). Comme artiste,
Vulcain s’est distingué par plusieurs ouvrages, que les poëtes ont célébrés dans leurs
chants : ce sont le palais du Soleil, les armes d’Achille, celles d’Enée, le bouclier
d’Hercule, le collier d’Hermione, si fatal aux femmes qui le portèrent, et le sceptre
d’Agamemnon.
64. Culte et images de Vulcain.
On célébrait à Athènes, en l’honneur de Vulcain, des fêtes appelées lampadodromies :
c’étaient des courses dans lesquelles les concurrents se passaient de main en main une
torche qui ne devait s’éteindre qu’au bout de la carrière ; emblème sensible de la
vie, que les hommes se transmettent de génération en génération, dans la succession
des âges.
Dans les anciens monuments Vulcain est représenté à demi nu, la barbe et la chevelure
négligées. De la main gauche il tient des tenailles, et de la droite un marteau. Le
lion lui était consacré, parce que les rugissements de cet animal ressemblent au bruit
sourd des volcans. Quelques auteurs voient dans Vulcain, Tubalcaïn, de la
Genèse, le premier des hommes qui, avant le déluge, exerça l’art de
travailler les métaux.
Questionnaire.
65. De qui Vulcain était-il fils ? Comment fut-il traité par Jupiter au moment de sa
naissance ? Où fixa-t-il sa résidence ? Quels étaient ses travaux, les ouvriers qui le
secondaient, et ses divers ateliers ? D’où vient le nom de volcan ? Quels services
rendit Vulcain dans la guerre des dieux contre les Géants ? Par quels ouvrages
s’est-il distingué comme artiste ?
64. Comment s’appelaient à Athènes les fêtes de Vulcain, et comment se
célébraient-elles ? De quoi étaient-elles l’emblème ? Comment est représenté Vulcain
dans les anciens monuments ? Quel est le personnage de la Genèse que
voient en lui certains auteurs ?
Chapitre XV. Divinités inférieures de la terre. Palès. – Flore. — Pomone.
— Priape. — Pan. Terme. — Sylvain. — Nymphes. Lares. – Pénates.
65. Palès. — Flore.
Les grandes divinités terrestres étaient Cybèle ou la terre, Cérès ou l’agriculture,
Proserpine ou le blé, Bacchus ou la vigne, Vulcain ou le feu ; mais après celles-ci
venaient plusieurs divinités inférieures qui présidaient aux diverses parties de ce
vaste domaine de l’homme, aux prés, aux fleurs, aux fruits, aux saisons, aux bois, aux
fontaines, aux montagnes, etc.
« Un principe de religion gravé généralement dans l’esprit de tous les peuples, dit
Rollin, a donné lieu à la multiplicité des divinités
païennes : c’est la persuasion où l’on a toujours été que la Providence préside à
tous les événements humains grands ou petits, et qu’aucun, sans exception, n’échappe
à son attention et à ses soins. Mais les hommes, effrayés du détail immense où il
fallait que la Divinité descendît, ont cru devoir la soulager, en donnant à chaque
dieu en particulier une fonction propre et personnelle. »
Palès était la déesse des pâturages et des bergers. Ses fêtes, appelés Palilies, se
célébraient à Rome, le 21 avril, le même jour que l’anniversaire de la fondation de la
ville par Romulus.
Flore, déesse des fleurs, est la gracieuse allégorie du printemps. On la représente
ornée de guirlandes et couronnée de fleurs. Elle eut Zéphire pour époux. Cela signifie
que les fleurs aiment un air doux et vivifiant. Les fêtes de Flore produisirent les
jeux floraux, institués à Rome deux siècles avant J.-C. Ceux qui furent renouvelés,
dans le midi de la France, par Clémence Isaure34, n’avaient de
commun avec les autres que le nom.
66. Pomone. — Priape.
Pomone présidait aux fruits et aux vergers. Elle épousa Vertumne, dieu des saisons.
Comme il avait le pouvoir de changer de forme à son gré, il prit successivement celle
d’un laboureur, d’un moissonneur, d’un vigneron et d’une vieille femme pour se faire
accepter par Pomone, qui était restée jusqu’alors insensible. On reconnaît sous cette
allégorie les quatre saisons de l’année. On représente Pomone couronnée de fruits et
Vertumne couronné de fleurs, ayant l’une et l’autre à la main une corne
d’abondance.
Priape, dieu des jardins, était fils de Vénus et de Bacchus, selon l’opinion la plus
commune. On le représente ayant une tête humaine, des oreilles de chien ou d’âne, et
une couronne de feuilles de vigne ou de laurier. Il tient à la main une baguette pour
écarter les oiseaux et une massue pour combattre les voleurs.
67. Pan.
Pan, chez les Egyptiens, était le grand Tout (comme l’exprime son nom), la nature,
l’univers entier. Chez les Grecs, Pan était simplement le dieu des campagnes. On le
croyait fils de Mercure et de Pénélope, qui en devint mère avant son mariage avec
Ulysse. Pan naquit avec des cornes à la tête, un nez difforme, des cuisses, des jambes
et des pieds de bouc. Il était le chef des Satyres, autres divinités champêtres,
semblables à Pan, et, comme lui, la terreur35 des Nymphes, moins à cause de leur
laideur que de leurs mœurs dissolues. Pan était particulièrement honoré en Arcadie :
il y rendait ses oracles sur le mont Lycée. Il inventa la flûte à sept tuyaux et la
nomma Syrinx, du nom d’une nymphe qui fut métamorphosée en roseau, au moment où elle
se dérobait à sa poursuite.
68. Terme — Sylvain.
Terme était un dieu d’origine romaine. Le roi Numa l’inventa pour protéger les
propriétés et faire respecter les limites des champs. On le représente avec une tête
d’homme, mais sans pieds et sans mains, comme emblème de l’immobilité.
Sylvain était le dieu des forêts. Il passait pour le fils de Faunus, avec lequel on
le confond souvent. Faunus était le fils de Picus, roi du Latium, et lui succéda. Il
fit fleurir l’agriculture, et fut adoré comme un dieu après sa mort. Son nom fut donné
aux Faunes, divinités champêtres, à peu près semblables aux Satyres, quant à la forme,
mais moins grossiers et plus décents. Il avait à Rome un temple sur le mont
Viminal.
69. Nymphes.
On donnait ce nom aux jeunes filles issues du sang des dieux et des hommes. Elles
conservaient leur jeunesse, mais elles pouvaient mourir, après une certaine révolution
d’années. L’univers était peuplé de ces divinités. Les Nymphes qui habitaient la terre
prenaient différents noms suivant leur séjour. Les montagnes avaient leurs Oréades ;
les fontaines leurs Naïades ; les forêts leurs Dryades et leurs Hamadryades. La
destinée de ces dernières Nymphes était attachée à l’arbre qu’elles protégeaient ;
elles naissaient et mouraient avec lui.
70. Dieux domestiques ; Lares et Pénates.
Les anciens n’avaient pas seulement créé des dieux pour chaque partie de la terre,
ils en avaient placé jusque dans leurs maisons, sous le nom de Lares et de Pénates. On
confond souvent ces deux espèces de dieux ; cependant on appelle plus particulièrement
Lares les dieux du foyer, de la maison, et quelquefois Pénates les dieux protecteurs
des villes et des empires. Ils doivent, dit-on, leur origine à l’usage fort ancien
d’inhumer les morts dans les maisons. On croyait que les âmes continuaient, sous le
nom de Mânes, d’y séjourner avec les corps, et que c’étaient autant de génies
propices : de là le culte qu’on leur rendait. Il consistait dans de petites figures
d’argent, d’ivoire, de bois ou de toute autre matière, qui se plaçaient derrière la
porte ou auprès du foyer chez les simples particuliers, dans les vestibules chez les
gens riches, et dans un oratoire spécial chez les grands personnages. On entretenait
une lampe devant ces dieux, et le chien leur était consacré, comme symbole de la
vigilance.
Questionnaire.
65. Quelles étaient les divinités supérieures de la terre ? A quoi présidaient les
divinités inférieures ? A quelle cause peut-on attribuer leur multiplicité, d’après
Rollin ? Qu’était-ce que Palès ? Quand se célébraient
ses fêtes, quel était leur nom ? Faites connaître Flore et les jeux floraux ?
66. Dites ce qu’était Pomone, ce qu’était Vertumne, quelle est l’allégorie que
présente leur mariage ? Qu’était-ce que Priape ?
67. Faites connaître Pan et ce qu’on appelle terreur panique.
68. Qu’était-ce que le dieu Terme, que Sylvain ?
69. Enumérez les diverses espèces de Nymphes.
70. Qu’étaient les Lares, les Pénates, les Mânes ? Quelle est leur origine ? Quel
culte leur rendait-on ?
Chapitre XVI. Divinités de la mer.
71. Océan. — Téthys. — Les Océanides. — Nérée les Néréides.
Les plus anciennes divinités de la mer étaient Océan et Téthys, enfants d’Uranus et
de Titéa. Océan épousa Téthys36 sa sœur. De cette union naquirent les Océanides, ou
Nymphes de la mer, au nombre de plus de trois mille. Les nautoniers leur rendaient un
culte particulier. Dans les temps calmes, on immolait en leur honneur des agneaux ou
des porcs, et un taureau noir dans la tempête.
Océan régnait non-seulement sur la mer, mais aussi sur les fleuves, dont il était le
père. Les anciens lui rendaient un culte solennel et lui confiaient le soin de leur
vie lorsqu’ils entreprenaient des voyages maritimes. On le représente sous la forme
d’un vieillard assis sur les ondes de la mer, le front armé de deux pinces
d’écrevisse, ayant à la main une pique et à ses côtés un monstre marin.
72. Nérée. — Les Néréides.
De l’union d’Océan et de Téthys naquirent non-seulement les Océanides, mais encore
Nérée et Doris. Ces deux divinités s’unirent à leur tour et donnèrent naissance à
cinquante filles, appelées Néréides, et révérées aussi comme Nymphes de la mer. Nérée
est représenté sous les traits d’un vieillard ayant une longue barbe azurée. Il avait
son séjour dans la mer Egée, qui baigne les côtes de la Grèce, et pour cortége ses
filles, dansant en chœur autour de lui. Nérée avait le privilége de connaître
l’avenir. Il prédit à Pâris les suites funestes de l’enlèvement d’Hélène37. Ce fut par ses
conseils qu’Hercule s’empara des pommes d’or du jardin des Hespérides. On représente
les Néréides sous les traits de jeunes filles assises sur des dauphins, tenant à la
main le trident du dieu des mers et quelquefois des guirlandes de fleurs. Il est
naturel de croire que toutes ces Nymphes, Néréides et Océanides, ne sont autre chose
que les vagues personnifiées par la féconde imagination des anciens.
Questionnaire.
71. Quelles étaient les plus anciennes divinités de la mer ? Avec quelle autre déesse
ne faut-il pas confondre Téthys, sœur et épouse de l’Océan ? Quelle différence doit-on
remarquer dans leur nom ? De quelle union naquirent les Océanides ? Qu’étaient ces
divinités ? Quel culte leur rendait-on ? Qu’était-ce qu’Océan ? Quel était le culte
qu’on lui rendait ? Comment le représentait-on ? Quelle fut la naissance de Nérée et
de Doris ?
72. A quelles divinités donnèrent-ils le jour ? Comment représente-t-on Nérée et les
Néréides ? De quoi ces divinités sont-elles l’emblème personnifié ?
Chapitre XVII. Neptune.
73. Naissance et exploits de Neptune.
Neptune, fils de Saturne et de Cybèle, était le dieu souverain des mers ; il en
obtint l’empire dans le partage que Jupiter fit du domaine paternel. On sait que
Saturne dévorait à leur naissance tous ses enfants mâles ; mais son épouse, qui avait
réussi à le tromper en lui présentant une pierre à la place de Jupiter, lui fit
croire, cette fois, qu’elle avait mis au jour un poulain, et il le dévora, tandis
qu’elle cachait Neptune, son fils réel, dans une bergerie d’Arcadie. Ce dieu, devenu
grand, aida Jupiter dans la guerre contre les Titans. Mécontent ensuite de ce que son
frère s’était arrogé l’empire du ciel et de la terre, il conspira avec les autres
dieux pour le détrôner (n° 20). Ce complot ayant échoué, Neptune fut chassé du ciel.
Relégué sur la terre, il travailla avec Apollon, exilé comme lui, à relever les murs
de Troie (n° 36). Privés l’un et l’autre de leur salaire par Laomédon, ils se
liguèrent pour punir ce roi parjure. Apollon envoya la peste, et Neptune un monstre
marin qui dévorait les habitants. Les Troyens, consternés, interrogèrent l’oracle, qui
leur ordonna de livrer au monstre Hésione, la fille même de Laomédon. L’infortunée
princesse, enchaînée à un rocher, attendait la mort, lorsque le vaisseau des
Argonautes vint à passer. Hercule promit de la délivrer si Laomédon consentait à lui
donner ses chevaux invincibles. Le prince sans foi promit tout et viola de nouveau sa
promesse. Hercule, indigné, immola à sa vengeance Laomédon et sa famille, excepté
Priam, qui avait conseillé à son père de tenir sa parole. Hercule mit ce jeune prince
sur le trône et donna Hésione en mariage à Télamon, roi de Salamine et l’un des
Argonautes.
74. Différends de Neptune. – Amphitrite.
On a vu (n° 31) que Neptune disputa en vain à Minerve l’honneur de donner son nom à
la capitale de la Cécropie, qui fut appelée Athènes. Il eut le même différend au sujet
de la ville de Trézène ; mais Jupiter le termina en donnant à Neptune le titre de roi
de Trézène et à Minerve celui de protectrice de la ville. Enfin le dieu des mers eut
encore à soutenir un débat avec Apollon au sujet de Corinthe. Le cyclope Briarée,
choisi pour arbitre, adjugea l’isthme à Neptune, et à son rival le promontoire de
Corinthe.
Parmi les nombreuses épouses qu’eut Neptune, on distingue Amphitrite, fille de Nérée
et de Doris. Elle avait fait vœu de virginité. Le dauphin qui la détermina à
contracter cette union fut mis au rang des astres. Amphitrite eut de Neptune Triton,
une des principales divinités de la mer. On attribue à Neptune beaucoup d’enfants,
beaucoup d’aventures et de métamorphoses. Cela provient de ce que les premiers Grecs
donnaient le nom de Neptune à tous les princes étrangers qui venaient chez eux par
mer, ou qui avaient étendu leur domination sur la mer. Dès lors on a accumulé sur un
seul ce qui appartient à plusieurs.
75. Attributs et culte de Neptune.
Comme souverain des mers, Neptune était, après Jupiter, le plus puissant des dieux.
On le représente debout sur un char en forme de conque, traîné par des chevaux marins.
Il tient à la main un trident : les Tritons et les Néréides l’accompagnent et forment
son cortége.
Le culte de Neptune passa de la Libye, où il prit naissance, dans la Grèce et dans
l’Italie. Les Grecs renouvelèrent en son honneur les Jeux Isthmiques, qui se
célébraient à l’isthme de Corinthe. Chez les Romains ces fêtes s’appelaient
Consuales38. On en attribuait la première
institution au roi Evandre et le renouvellement à Romulus. Ce prince prétendait que le
dieu Consus lui avait inspiré le dessein de l’enlèvement des Sabines, qui eut lieu, en
effet, pendant cette solennité.
Questionnaire.
73. Quelle fut la naissance de Neptune ? Comment-fut-il dérobé à la voracité de
Saturne ? Comment se comporta-t-il à l’égard de Jupiter ? Comment fut-il traité par le
maître de l’Olympe ? Quel châtiment Neptune infligea-t-il à Laomédon ? Comment finit
ce prince parjure ? Quelle fut la destinée de sa fille Hésione ?
74. Quels différends eut Neptune avec Minerve et avec Apollon ? Quelle est l’épouse
la plus célébré de Neptune ? A qui donna-t-elle le jour ? Pourquoi attribue-t-on à
Neptune beaucoup d’enfants, d’aventures et de métamorphoses ?
75. Comment représente-t-on Neptune ? Dans quel pays se répandit son culte ? Quels
jeux furent institués par les Grecs en son honneur ? Comment s’appelaient ses fêtes à
Rome ? A qui en attribuait-on la première institution et le renouvellement ?
Chapitre XVIII. Empire de Neptune. Divinités secondaires de la mer.
76. Protée. — Fable de Ménélas, d’Aristée.
L’immense étendue des eaux ne manqua pas d’être peuplée, comme le ciel et la terre,
d’une foule d’êtres, aux formes bizarres, nés de l’imagination des poëtes païens, qui
en firent des divinités secondaires ; voici les principales.
Protée était fils de l’Océan et de Téthys ; d’autres disent de Neptune. Ce dieu lui
confia la garde de ses troupeaux, composés de phoques ou veaux marins, et lui donna,
comme à Nérée, le privilége de connaître l’avenir. Mais Protée ne cédait qu’à la
violence pour faire ses prédictions, et il prenait toutes les formes pour échapper aux
instances de ceux qui venaient le consulter.
Tel que le vieux pasteur des troupeaux de Neptune,
Protée, à qui le Ciel, père de la Fortune,
Ne cache aucuns secrets,
Sous diverse figure, arbre, flamme, fontaine,
S’efforce d’échapper à la vue incertaine
Des mortels indiscrets.
( J.-B. Rousseau.)
Deux fois cependant Protée se laissa surprendre ; voici dans quelles circonstances :
Ménélas, roi de Sparte, voulant savoir en quel lieu le berger Pâris avait caché
Hélène, son épouse, qu’il lui avait enlevée, apprit de l’oracle que Protée seul
pourrait le lui découvrir. Il vient avec trois de ses compagnons armés pour s’emparer
du rebelle devin, et afin de le surprendre, ils se couvrent de peaux de phoques. Ils
le trouvent endormi au milieu de son troupeau, se précipitent sur lui, et le lient
fortement. Protée essaye de fuir sous la forme d’un feu dévorant, d’un torrent
rapide ; il rugit en lion, et se roule en serpent ; las enfin d’opposer une vaine
résistance, il cède, et révèle à Ménélas ce que ce prince désirait savoir.
Orphée allait épouser la nymphe Eurydice ; le berger Aristée, fils d’Apollon et de
Cyrène, devient jaloux de leur bonheur, et tente d’enlever Eurydice. Celle-ci
s’enfuit ; mais dans sa course précipitée elle foule un serpent caché dans l’herbe, et
succombe à une blessure mortelle. Les Nymphes, pour venger sa mort, font périr les
abeilles d’Aristée, qui, dans sa douleur, consulte sa mère. Cyrène conseille à son
fils d’aller interroger Protée, qui lui indiquera le moyen de réparer sa perte.
Aristée surprend le dieu, comme avait fait Ménélas, et en obtient un secret
merveilleux qui lui rendit ses abeilles. Cette histoire forme un délicieux épisode
dans le quatrième livre des Géorgiques de Virgile.
77. Triton. — Glaucus
Triton, fils de Neptune et d’Amphitrite, était le trompette du dieu des mers, dont il
précédait le char en sonnant d’une conque marine. Son corps se terminait en queue de
poisson. Il commandait une troupe de Tritons semblables à lui et chargés de porter les
ordres de Neptune, dont ils formaient le cortége.
Glaucus, fils de Neptune et d’une Océanide, habitait la Béotie, et faisait de la
pêche son occupation favorite. Ayant remarqué que les poissons qu’il amenait sur le
rivage reprenaient une nouvelle vigueur quand ils avaient touché une certaine herbe,
il voulut y goûter, et, se sentant aussitôt entraîné par une puissance inconnue, il se
précipita dans la mer. Océan et Téthys le recueillirent, et le changèrent en dieu
marin. On explique cette fable par les progrès de la pêche, qui d’abord se fit au
rivage et plus tard en pleine mer. On croit aussi que Glaucus fut un habile nageur,
qui en plongeant restait longtemps sous les eaux. On le représente, comme tous les
dieux marins, avec une longue barbe, des cheveux flottants sur les épaules et d’épais
sourcils. Il reçut d’Apollon le don de prédire l’avenir, et fut l’interprète de
Nérée.
78. Mélicerte.
Mélicerte était fils d’Athamas, roi de Thèbes, en Béotie. Fuyant avec sa mère, Ino,
les fureurs de son père, il se précipita dans les flots et fut métamorphosé en dieu
marin par Neptune. Suivant une autre tradition, un dauphin recueillit son corps, et le
porta sur le rivage de Corinthe. Sisyphe, fondateur et roi de cette ville, fit inhumer
Mélicerte, puis, changeant son nom en celui de Palémon, il en fit une divinité marine,
et institua en son honneur les jeux Isthmiques. Les Romains appelèrent le même dieu
Portumnus, comme protégeant les vaisseaux qui entraient dans le port.
Phorcis ou Phorcus, autre dieu marin, était aussi fils de Neptune. Il eut de sa femme
Céto les terribles Gorgones, le dragon qui gardait les pommes d’or du jardin des
Hespérides, Thoosa, mère de Polyphème, et la nymphe Scylla. Celle-ci, victime de la
jalousie de la magicienne Circé, se baigna dans une fontaine empoisonnée, et se vit
aussitôt changée en un monstre affreux, ayant douze griffes, six têtes et six gueules
sans cesse aboyantes. Effrayée d’elle-même, elle se jeta dans la mer, près du détroit
de Messine. Le nom de Scylla, associé à celui de Charybde, est devenu fameux par les
naufrages que causaient ces deux monstres ou plutôt ces deux écueils. Charybde, selon
la fable, était une femme de Sicile qui, ayant volé des bœufs à Hercule, fut foudroyée
par Jupiter, et changée en un gouffre qui porte son nom.
79. Les Sirènes.
Les Sirènes, Nymphes célèbres par la douceur enchanteresse de leur voix, étaient
filles du fleuve Achéloüs et de la muse Calliope. On en compte ordinairement trois ;
elles habitaient la Sicile. Compagnes de Proserpine, et désolées de son enlèvement,
elles prièrent les dieux de leur accorder des ailes pour voler à la poursuite du
ravisseur. N’ayant pu l’atteindre, elles vinrent se réfugier sur les bords de la mer,
entre l’île de Caprée et l’Italie. Un oracle leur avait prédit qu’elles vivraient
toujours, si elles pouvaient arrêter par la douceur de leur voix les voyageurs qui
naviguaient près des côtes ; mais que si elles en laissaient passer un seul, elles
mourraient à l’instant. Aussi, dès qu’une voile paraissait à l’horizon, une ravissante
harmonie se faisait entendre ; bientôt les navigateurs, captivés par ces chants
délicieux, s’arrêtaient en extase, et mouraient faute de nourriture. La côte voisine
était couverte d’ossements blanchis. Cependant lorsque les Argonautes, dans la fuite
qui suivit leur expédition, vinrent longer ces rivages, les Sirènes firent de vains
efforts pour les arrêter. Orphée, un des Argonautes, prenant sa lyre, les enchanta
elles-mêmes, au point qu’elles restèrent muettes pendant quelque temps et jetèrent
dans la mer les instruments dont elles accompagnaient leurs voix. Ulysse, roi
d’Ithaque, à son retour de la guerre de Troie, sut aussi échapper à leur séduction.
Averti par la magicienne Circé, il boucha avec de la cire les oreilles de ses
compagnons, et se fit attacher lui-même au mât de son vaisseau. Les Sirènes vaincues
se précipitèrent dans les flots, où elles furent changées en rochers. On les
représente sous les traits de belles femmes, dont le corps se termine en forme de
poissons ou d’oiseaux.
80. Les Harpies. — Eole et les Vents.
Les Harpies, que l’on dit filles de Neptune et de la Mer, étaient des monstres
marins, ayant un visage de femme, un corps du vautour et des ongles crochus. Elles
causaient la famine partout où elles passaient, enlevant les mets sur les tables et
répandant une odeur infecte. On avait beau les chasser, elles revenaient sans cesse.
La plus célèbre d’entre elles était Céléno, à laquelle Virgile semble attribuer le don de prédire l’avenir. On voit avec raison
dans les Harpies l’emblème des pirates qui infestent les mers et ravagent les
côtes.
On range Eole parmi les divinités de la mer, parce que c’est sur les eaux qu’il
exerce le plus sa puissance. Il était fils de Jupiter, qui lui donna la garde des
vents, renfermés dans de profondes cavernes. Il régnait sur les îles de la mer de
Sicile, appelées d’abord Vulcanies et ensuite Eolies, du nom de leur roi. Lorsque
Ulysse eut été jeté par la tempête dans les États d’Eole, le dieu l’accueillit avec
bienveillance et lui donna des outres où les vents étaient renfermés ; mais les
compagnons du roi d’Ithaque, cédant à une funeste curiosité, ouvrirent imprudemment
ces outres. Aussitôt les vents déchainés bouleversèrent les mers et jetèrent Ulysse
bien loin de sa patrie, sur les côtes d’Afrique.
On donne à Eole douze enfants, qui représentent les vents principaux. Les plus connus
sont : Borée, Auster, Eurus et Zéphire. Borée est le vent du nord, qui traîne à sa
suite la neige et les frimas ; Auster, ou le vent du midi, est l’avant-coureur des
pluies et des orages ; Eurus, ou veut d’Orient, est caractérisé par la rapidité de sa
course ; enfin le Zéphire, ou vent d’Occident, souffle avec tant de douceur, qu’il
vivifie les plantes et fait naître les fruits. On le peint sous les traits d’un jeune
homme à l’œil serein, couronné de fleurs et portant des ailes de papillon.
81. Aurore.
Aurore, fille de Titan et de la Terre, était, selon quelques auteurs, mère des Vents,
parce que, en effet, ils naissent ordinairement lorsque cette déesse sort du sein des
flots, pour annoncer la venue du soleil. Aurore aima passionnément deux chasseurs
renommés par leur beauté, Tithon et Céphale. Le premier était frère de Priam, roi de
Troie. La déesse obtint de Jupiter l’immortalité pour l’objet de sa tendresse, mais
elle oublia de demander qu’il ne vieillît point. Tithon parvint à un tel état de
décrépitude, que Jupiter, par pitié, le transforma en cigale. Memnon, fils de Tithon
et de l’Aurore, fut un puissant prince qui régna sur l’Ethiopie et sur plusieurs
vastes contrées de l’Orient. Il vint au siége de Troie avec dix mille guerriers et y
fut tué par Achille, Il eut à Thèbes, en Egypte, une statue fameuse : elle rendait, au
lever de l’Aurore, des sons plaintifs et harmonieux. Quant à Céphale, il avait reçu de
l’Aurore un dard dont les coups étaient inévitables. Ce don fut fatal à sa femme
Procris. S’étant cachée dans un bois pour épier son mari, dont elle était jalouse,
celui-ci l’atteignit, sans la voir, du trait inévitable, et lui perça le cœur. Céphale
et Procris furent changés en étoile et placés à la voûte des cieux. La passion de
l’Aurore pour deux chasseurs s’explique par les habitudes matinales de ceux qui se
livrent à cet exercice, et la mort de Procris est un exemple des périls qu’offre la
chasse et des malheurs qu’elle cause trop souvent.
Les poëtes représentent l’Aurore vêtue d’une robe de safran, montée sur un char
vermeil traîné par des chevaux blancs. Elle ouvre de ses doigts de roses les portes de
l’Orient, répand la rosée sur la terre et fait croître les fleurs.
Questionnaire.
76. De qui Protée était-il fils ? Faites-le connaître par quelques détails et par les
vers de J .-B. Rousseau. Comment se laissa-t-il
surprendre, d’abord par Ménélas, ensuite par Aristée ?
77. De qui Triton était-il fils ? Quel était son emploi ? Quelle était sa forme ?
Quels étaient ses compagnons ? Quelle était la naissance de Glaucus ? Comment eut lieu
sa métamorphose ? Comment explique-t-on cette fable ? Comment représente-t-on
Glaucus ?
78. Faites connaître Mélicerte, son histoire, sa métamorphose, les honneurs qu’il
reçut chez les Grecs et les Romains. Qu’était Phorcys ? Quels furent ses enfants ?
Qu’était-ce que les Gorgones ? Qu’était-ce que Scylla ?
79. Racontez l’histoire des Sirènes. Comment furent-elles vaincues par Orphée, par
Ulysse ? Quelle fut leur destinée ? Comment les représente-t-on ?
80. Qu’était-ce que les Harpies ? De quoi étaient-elles l’emblème ? Qu’était-ce
qu’Eole ? Quels étaient les principaux Vents ? Comment représente-t-on Zéphire ?
81. De qui Aurore était-elle fille ? Racontez l’histoire de Tithon. Faites connaître
Memnon, fils de Tithon et de l’Aurore. Quelle fut la destinée de Céphale et de
Procris, sa femme ? Qu’indique cette fable ? Comment représente-t-on l’Aurore ?
Chapitre XIX. Les Enfers. — Pluton.
82. Description des Enfers.
Tous les peuples païens ont cru que l’âme est immortelle et qu’elle reçoit dans une
autre vie, suivant les lois d’une justice incorruptible, ou les châtiments réservés au
crime, ou les récompenses dues à la vertu ; mais comme ces peuples n’avaient, sur
l’univers en général et sur le globe terrestre en particulier, que des notions
imparfaites et confuses, ils s’imaginaient que la destinée de l’âme humaine
s’accomplit dans des lieux souterrains qu’ils appelaient les Enfers. Là se trouvaient
le Tartare, lieu de supplice destiné aux méchants, et les Champs-Élysées, séjour de
délices réservé aux hommes vertueux.
Si l’on en croit le poëte Hésiode, dont la description
est obscure comme l’idée que les anciens avaient des Enfers, le Tartare est aussi
avant dans le sein de la terre que celle-ci est éloignée du ciel. Une enclume d’airain
tombant du ciel roulerait neuf jours et neuf nuits avant de toucher à la terre, et
autant de temps avant d’arriver au fond du Tartare. L’abîme est environné d’un rempart
d’airain, et des ténèbres impénétrables en dérobent l’entrée. Au-dessus sont les
fondements éternels de la terre et de la mer, les limites du monde, lieux hideux et
infects, abhorrés même des immortels. Là s’élève le triste palais du redoutable
Pluton.
Autant de poëtes, autant de descriptions différentes des Enfers. Voici quelques
traits de celle que Virgile en a faite dans son Enéide : « A
l’entrée du sombre séjour résident les Douleurs, les Remords dévorants, les pâles
Maladies, la triste Vieillesse, la Peur, la Faim aux affreux conseils, la hideuse
Indigence, la Mort et le Sommeil, frère de la Mort. Là paraissent les Furies et
leurs lits de fer, la Guerre homicide, la Discorde furieuse, levant sa tête hérissée
de serpents, et cent autres monstres affreux qui remplissent le vestibule des
Enfers. De là une route ténébreuse conduit à l’Achéron, fleuve des angoisses,
alimenté par les pleurs des méchants. Sur la rive se pressent les âmes des morts,
attendant que le nocher infernal, le vieillard Charon, les reçoive dans sa barque. A
l’autre bord se présente la porte du palais de Pluton, gardée par Cerbère, qui, nuit
et jour, pousse de sa triple gueule d’effroyables aboiements. »
Quatre autres fleuves
traversent le séjour des Enfers : le Cocyte, fleuve des gémissements, formé aussi par
les larmes des criminels ; le Phlégéthon, roulant des torrents de flammes et de
bitume ; le Styx, fleuve redoutable, par lequel les dieux craignaient de faire un
serment, qui devait être inviolable ; le Lethé, ou fleuve d’oubli, dont les eaux
enlevaient aux âmes des morts le souvenir des maux qu’elles avaient endurés sur la
terre, et même de ce qu’elles y avaient été ; alors, passant dans d’autres corps,
elles revenaient à la vie et s’unissaient à des hommes ou à des animaux. C’est ce
qu’on appelait la métempsycose, ou transmigration des âmes.
83. Pluton ; son culte ; ses attributs.
Pluton, troisième fils de Saturne et de Cybèle, avait été dévoré par son père ; mais
celui-ci fut forcé de le rendre, après un breuvage que lui donna Jupiter. Aussi,
Pluton prêta-t-il un appui dévoué à son frère dans la guerre des Géants. Il combattait
armé d’un casque qui avait la vertu de rendre invisible celui qui le portait. Ce fut
après cette victoire que Pluton reçut en partage l’empire des Enfers ; mais ce séjour
était si triste, qu’aucune déesse ne voulait s’unir à lui pour l’habiter. Il crut
devoir recourir à la force, et il enleva Proserpine, fille de Cérès (n° 53).
Pluton était généralement haï et redouté, parce qu’on le croyait inflexible. Il
n’avait en Grèce ni temples ni autels, et on ne composa point d’hymnes en son honneur.
En Italie, on lui sacrifia d’abord des hommes, puis, quand les mœurs se furent
adoucies, des taureaux noirs et d’autres animaux de cette couleur. On les immolait par
couples, parce que le nombre pair, regardé comme funeste, était consacré au dieu des
Enfers. Aussi le second mois de l’année, et dans ce mois le second jour, était-il
choisi pour la célébration de ses fêtes. Le cyprès, le narcisse, la capillaire, toutes
les plantes funèbres étaient consacrées à Pluton. Ses prêtres en portaient des
couronnes.
On représente ordinairement Pluton assis sur un trône d’ébène, qu’environnent les
Furies et les Parques, et d’où découlent les fleuves des Enfers. Proserpine est à sa
gauche, et Cerbère à ses pieds. Il tient de la main droite tantôt un sceptre à deux
pointes, tantôt une verge destinée à chasser les ombres, tantôt une épée. On le place
aussi quelquefois sur un char d’or traîné par quatre chevaux noirs39.
Questionnaire.
82. Quelle était l’opinion des anciens sur la destinée de l’âme humaine, et sur le
lieu où cette destinée s’accomplit ? Quelle est l’idée que le poëte Hésiode donne du Tartare ? Quelle est la description qu’en
fait Virgile ? Quels étaient les principaux fleuves des
Enfers ? Qu’étaient les Champs-Elysées ?
83. Faites connaître Pluton, monarque des Enfers. Pourquoi était-il généralement haï
et redouté ? Quel fut son culte en Grèce et en Italie ? Comment le
représente-t-on ?
Chapitre XX. Ministres de Pluton. Les Juges des Enfers. — Les Parques.
— Les Mânes. Charon40. — Némésis.
84. Juges des Enfers.
Parmi les ministres de Pluton étaient au premier rang les trois juges des Enfers,
Minos, Eaque et Rhadamanthe. Le lieu dans lequel s’élevait leur tribunal s’appelait le
champ de la vérité. Le Mensonge et la Calomnie n’y pouvaient pénétrer. Là
comparaissaient les âmes des morts, conduites par Mercure. Minos présidait la cour
infernale et tenait à la main un sceptre, emblème de son autorité souveraine.
Ces juges avaient été sur la terre des rois renommés par leur sagesse et leur
justice. Minos, fils de Jupiter et d’Europe, régna sur l’île de Crète, lui donna de
bonnes lois, et rendit son peuple heureux. Eaque, fils aussi de Jupiter, gouverna
l’île d’Œnopie, qu’il appela Egine, du nom de sa mère. On raconte qu’une famine,
suivie d’une peste cruelle, ayant dévasté ses Etats, il pria son père de repeupler son
royaume. Jupiter exauça la prière de son fils, et changea en hommes toutes les fourmis
d’un vieux chêne : de là le nom des Myrmidons qui leur fut donné41. Eaque mérita, par la justice et la
douceur de son gouvernement, d’être appelé après sa mort, parmi les juges des Enfers.
Il avait sous sa juridiction les morts de l’Europe. Rhadamanthe était chargé de ceux
de l’Asie. Ce prince était frère de Minos ; forcé de quitter la Crète, après un
meurtre involontaire, il se retira en Lycie et y fonda une colonie, qu’il administra
avec tant de sagesse, que lorsque ses sujets voulaient exprimer un jugement juste, ils
disaient : C’est un jugement de Rhadamanthe.
85. Les Furies. — Les Parques.
Les Furies, filles de l’Achéron et de la Nuit, étaient au nombre de trois, Tisiphone,
Mégère et Alecton. Elles exécutaient les vengeances des dieux et les arrêts de Minos.
On les représente avec un visage menaçant, la bouche béante, la tête hérissée de
serpents, tenant d’une main une torche enflammée et de l’autre un fouet de couleuvres.
Les Grecs, pour ne pas irriter ces terribles déesses, les appelaient Euménides,
c’est-à-dire bienveillantes. Elles sont l’emblème des remords qui déchirent le cœur
des grands coupables.
Les Parques, au nombre de trois, Clotho, Lachésis et Atropos, étaient filles de
l’Erèbe et de la Nuit, d’autres disent de Jupiter et de Thémis. Elles présidaient à la
naissance et à la vie des hommes. Clotho, la plus jeune, tenait une quenouille chargée
de laine et de soie, qui se mêlaient, suivant la destinée de chacun ; la plus heureuse
se composait d’or et de soie. Lachésis faisait tourner le fuseau et conduisait le
fil ; Atropos le coupait de ses impitoyables ciseaux. On représente les Parques sous
les traits de femmes âgées, d’un visage sévère, la tête entourée de flocons de laine
blanche, entremêlés de fleurs de narcisse.
86. Les Mânes. — Charon.
Les Mânes étaient des divinités infernales qui présidaient aux tombeaux. Aussi, chez
les anciens, trouvait-on sur ces monuments les lettres initiales D. M., c’est-à-dire
aux dieux Mânes, comme pour mettre sous leur protection la sépulture des morts. On
leur immolait des brebis noires, et le cyprès leur était consacré. On entendait
quelquefois par Mânes les âmes des morts (n° 68). On offrait aux Mânes de ses amis du
lait, du vin et des parfums.
Charon, fils de l’Érèbe et de la Nuit, était le nocher des enfers, chargé de
transporter dans sa barque, au delà de l’Achéron, les âmes des morts que lui amenait
Mercure. Le prix exigé pour ce passage était une obole, et les âmes qui ne pouvaient
le payer étaient condamnées à errer cent ans sur les bords du fleuve, avec celles dont
les corps avaient été privés des honneurs de la sépulture. Aussi avait-on soin de
mettre dans la bouche des morts une pièce de monnaie, qu’on appelait le denier de
Charon. Nul mortel n’entrait vivant dans la barque fatale, sans présenter le rameau
d’or que délivrait la Sibylle. Charon fut emprisonné pendant un an pour avoir dispensé
Hercule de cette condition. On représente le nocher des enfers sous la forme d’un
vieillard robuste, qui se tient debout dans une barque, une rame à la main. Sa barbe
est blanche et touffue, son front triste et ridé ; ses yeux noirs et perçants sont
ombragés d’épais sourcils.
Cette fable est empruntée aux Egyptiens, qui transportaient les morts au delà d’un
lac, dans un lieu où les hommes vertueux recevaient une sépulture honorable, tandis
que les méchants en étaient privés.
87. Némésis.
Némésis, déesse de la vengeance, était fille de Jupiter et de la Nécessité, d’autres
disent de l’Erèbe et de la Nuit. Chargée de punir le crime, elle poursuivait sans
relâche les coupables, et, pour les atteindre, traversait d’une course rapide le ciel,
la terre et les mers. C’est ce qu’expriment les ailes, la roue et le gouvernail avec
lesquels on la représente. D’une main elle tient un flambeau qui éclaire les
consciences, et de l’autre un fouet hérissé de serpents, dont elle frappe les
criminels. Elle a aussi un plus doux emploi, celui de récompenser les gens de
bien.
Questionnaire.
84. Quels étaient les juges des enfers ? Dans quels lieux était placé leur tribunal ?
Racontez l’histoire de chacun d’eux, pendant qu’ils étaient sur la terre.
85. Comment nomme-t-on les trois Furies ? Comment sont-elles représentées ? Quelles
étaient les trois Parques, leur naissance, leur emploi ?
86. Qui appelait-on Mânes chez les anciens ? De qui Charon était-il fils ? Quel était
son emploi ? Qu’appelle-t-on denier de Charon ? Comment est représenté le nocher des
enfers ? Comment explique-t-on la fable de Charon et des juges infernaux ?
87. Qu’était-ce que Némésis ? Quelle était sa double fonction ? Quels étaient ses
attributs ? Comment la représente-t-on ?
Chapitre XXI. Supplices des grands coupables dans le Tartare.
88. Sisyphe.
Le Tartare est peuplé de ces hommes affreux qui, après avoir désolé la terre par leur
perversité, subissent des châtiments proportionnés à leurs crimes. Là se voient
Sisyphe, Salmonée, Phlégyas, Ixion, Titye, Tantale, les Danaïdes, les Titans et une
foule d’autres coupables.
Sisyphe, fils d’Eole, est condamné à rouler vers le sommet d’une montagne une pierre
énorme, qui retombe sans cesse. Voici la raison de ce supplice. Sisyphe fut le
fondateur et le premier roi de Corinthe, qu’il enrichit par ses meurtres et ses
brigandages. Il faisait écraser sous des monceaux de pierres tous les étrangers qui
abordaient dans ses Etats. Thésée, roi d’Athènes, délivra la Grèce de ce monstre, en
le perçant d’une flèche. Sisyphe expirant recommanda à Mérope, sa femme, de laisser
son corps sans sépulture. C’était pour mettre sa tendresse à l’épreuve ; car ayant
appris dans les Enfers qu’elle s’était conformée à sa volonté, il voulut l’en punir,
et demanda à Pluton de retourner sur la terre, promettant de revenir sans délai ; mais
il viola sa promesse, et fut ramené de vive force par Mercure dans le Tartare, où il
subit le tourment dû à ses crimes.
89. Salmonée.
Auprès de Sisyphe est Salmonée, son frère, tyran de l’Elide. Enorgueilli de la
conquête de ce pays, il voulut se faire passer pour un dieu. Dans ce but, il fit
construire sur l’Alphée un pont d’airain, qu’il traversait sur un char dont le bruit
ressemblait au roulement du tonnerre, et pour imiter les traits de la foudre, il
lançait sur ses malheureux sujets des torches enflammées ; mais Jupiter, irrité de
tant d’impiété et d’audace, lança du haut du ciel ses foudres véritables, et précipita
Salmonée dans le Tartare.
90. Phlégyas. — Ixion.
Phlégyas, fils de Mars, était roi des Lapithes, peuple de la Thessalie, habile à
manier les chevaux. Sa fille Coronis, ayant été enlevée par Apollon, devint mère
d’Esculape. Phlégyas, égaré par la douleur, s’arma d’une torche, courut au temple de
Delphes, et y mit le feu, pour venger l’outrage fait à sa fille. Mais Apollon irrité
le tua à coups de flèches, et le précipita dans les Enfers, où il est étendu
au-dessous d’un rocher, dont la chute menaçante le remplit d’un éternel effroi.
Ixion, fils de Phlégyas, succéda à son père. Ayant épousé Clia, fille d’un prince
voisin nommé Dionée, non-seulement il refusa à son beau-père les présents qu’il lui
avait promis, mais il l’attira chez lui et le fit tomber dans une fournaise ardente.
Bientôt dévoré de remords, détesté des hommes, il implora Jupiter, qui, touché de son
repentir, l’admit à la table des dieux. Mais il osa outrager Junon, qui s’en plaignit
à son époux. Alors Jupiter précipita le coupable dans le Tartare. Là, attaché sur une
roue hérissée de serpents, qui tourne sans cesse, il subit un éternel supplice.
91. Titye. — Tantale. — Les Danaïdes.
Titye se rendit coupable d’un crime pareil. Ce géant, fils de la Terre, dont le corps
couvrait neuf arpents, voulut attenter à l’honneur de Latone. Apollon et Diane le
tuèrent à coups de flèches pour venger leur mère, et il fut précipité dans le Tartare.
Là un insatiable vautour, fixé sur sa poitrine, lui dévore le foie et les entrailles,
qui renaissent sans cesse pour éterniser son supplice. On a déjà vu (n° 27) ce genre
de châtiment infligé à Prométhée.
Tantale, fils de Jupiter, était un puissant roi de Phrygie. Il reçut un jour les
dieux à sa table, et, pour éprouver leur divinité, il leur servit les membres de son
fils Pélops ; mais ils ne touchèrent pas à cet horrible mets. Cérès seule, préoccupée
de l’enlèvement de sa fille, se laissa tromper, et mangea une épaule de l’enfant.
Jupiter le ressuscita, et remplaça par une épaule d’ivoire celle qui lui manquait.
Tantale fut précipité dans le Tartare. On le voit plongé dans l’eau jusqu’à la
ceinture, au-dessous d’un arbre chargé de fruits, dont les branches s’abaissent
jusqu’à sa bouche. Dévoré par la faim, par la soif, il veut boire, les eaux fuient de
ses lèvres desséchées ; il veut manger, les branches de l’arbre se retirent lorsque sa
main croit les saisir. Les poëtes ont fait du supplice de Tantale l’emblème de
l’avarice, qui manque de tout au milieu de ses trésors42
Danaüs, roi d’Argos, eut cinquante filles, appelées de son nom Danaïdes. Egyptus, roi
d’Egypte, avait aussi cinquante fils, pour lesquels il vint demander en mariage les
filles de Danaüs. Le roi d’Argos consentit à regret à cette union : il avait appris
d’un oracle qu’il serait tué par un de ses gendres. Alors il exigea de ses filles
qu’elles égorgeassent leurs époux la nuit même de leurs noces. Toutes obéirent ; une
seule y manqua, ce fut Hypermnestre, qui sauva Lyncée. Ses sœurs reçurent la juste
punition de leur crime : elles allèrent l’expier dans les Enfers, où elles versent
éternellement, dans un tonneau sans fond, une eau qui ne s’épuise jamais. On voit
encore une foule innombrable d’autres criminels, parmi lesquels les Titans, ces fils
orgueilleux du Ciel et de la Terre, sont enchaînés aux portes mêmes du Tartare. Mais
c’est assez s’arrêter dans ce lieu de douleurs ; il est temps de jeter un coup d’œil
dans les Champs Elysées, séjour des âmes vertueuses43.
92. Champs Élysées.
La description en est bien insuffisante, même dans le prince des poëtes latins, dans
Virgile. Le bonheur ne s’y compose que des plaisirs
du corps et des joies de la terre. Ce sont encore des courses de chars, des luttes
dans l’arène, des festins, des danses, des concerts : tout cela est bien misérable.
C’est que la vraie religion peut seule nous faire concevoir et nous procurer une
félicité conforme à la nature de notre âme et aux besoins de notre cœur. Aussi
Fénelon, décrivant ce même Elysée avec des idées empruntées au dogme chrétien, a-t-il
laissé bien loin toute l’antiquité païenne et réussi à nous tracer une admirable
peinture des délices toutes spirituelles de l’autre vie. Il faut lire en entier, dans
le Télémaque, ce morceau, dont nous ne présentons ici que quelques
passages : « Ni les Jalousies, ni les Défiances, ni la Crainte, ni les vains
Désirs, n’approchent jamais de cet heureux séjour de la paix. Le jour n’y fuit
point, et la nuit, avec ses sombres voiles, y est inconnue. Une lumière pure et
douce se répand autour du corps de ces hommes justes et les environne de ses rayons
comme d’un vêtement. Cette lumière n’est point semblable à la lumière sombre qui
éclaire les yeux des misérables mortels, et qui n’est que ténèbres ; c’est plutôt
une gloire céleste qu’une lumière. Elle pénètre plus subtilement les corps les plus
épais que les rayons du soleil ne pénètrent le plus pur cristal. Elle n’éblouit
jamais ; au contraire, elle fortifie les yeux et porte dans le fond de l’âme je ne
sais quelle sérénité. C’est d’elle seule que les hommes bienheureux sont nourris…
Une jeunesse éternelle, une félicité sans fin, une gloire toute divine est peinte
sur leurs visages. Leur joie est douce, noble, pleine de majesté ; c’est un goût
sublime de la vérité et de la vertu qui les transporte. Ils sont sans interruption,
à chaque moment, dans le même saisissement de cœur où est une mère qui voit son cher
fils qu’elle avait cru mort ; et cette joie, qui échappe bientôt à la mère, ne
s’enfuit jamais du cœur de ces hommes »
44.
Questionnaire.
88. Quels sont les principaux criminels que l’on voit dans le Tartare ? Quel est le
supplice de Sisyphe ? Quelle en fut la cause ? Racontez son histoire.
89. Qu’était Salmonée ? Pour quel crime fut-il précipité dans le Tartare ?
90. Racontez l’histoire de Phlégyas et celle d’Ixion, son fils. Indiquez leur
supplice dans les Enfers et le crime qui en fut la cause.
91. Faites connaître Titye, Tantale, les Danaïdes ; la raison de leur séjour dans le
Tartare, et le châtiment auquel on les croyait condamnés.
92. Donnez une idée des Champs Elysées, d’après la description que Fénelon en a faite dans le Télémaque.
Livre II. Divinités allégoriques.
Chapitre XXII. La Vérité.-La Vertu.-L’Honneur.-La Pitié. Les Prières.-La
Justice.-L’Espérance. La Fortune. — La Paresse. — La Discorde, etc.
93. La Vérité.
Les païens ne s’étaient pas contentés de remplir le ciel et la terre de leurs faux
dieux : ils avaient personnifié de pures abstractions : les sentiments de l’âme, les
vertus, les vices, les maux ; ils leur avaient élevé des temples et des autels.
Bientôt une foule d’idoles
Usurpa l’encens des mortels,
Dieux sans force, ornements frivoles
De leurs ridicules autels.
Amoureux de son esclavage,
Le monde offrit un fol hommage
Aux êtres les plus odieux ;
L’insecte eut ses demeures saintes ;
Et par ses désirs et ses craintes
L’homme aveugle compta ses dieux.
Comme il serait trop long d’énumérer ici toutes ces divinités allégoriques45, voici les principales :
La Vérité est fille de Saturne ou du Temps, et mère de la Vertu. On la représente
sous les traits d’une vierge vêtue de blanc, et d’une contenance modeste. Le
philosophe Démocrite disait que la Vérité se cache ordinairement au fond d’un
puits, pour exprimer combien il est difficile de la découvrir
. Quelquefois elle porte à la main un
miroir accompagné de fleurs et de pierreries, pour indiquer qu’il est permis d’orner
la vérité. On peut dire à ce sujet la jolie fable de Florian, intitulée la Fable et la Vérité.
94. La Vertu. — ‘L’Honneur.
La Vertu, fille de la Vérité, occupe avec elle le premier rang parmi les divinités de
cet ordre. Les Romains lui élevèrent un temple. On représente la Vertu sous la figure
d’une femme simple et modeste, vêtue de blanc, et dont le maintien inspire le respect.
Quelquefois elle est assise sur une pierre carrée. (La forme carrée était chez les
anciens l’emblème de la perfection.) Elle tient à la main une couronne de laurier. Un
poëte a dit :
Adorable Vertu, que tes divins attraits
Dans un coeur qui te perd laissent de longs regrets !
( Racine fils.)
L’Honneur est figuré par un homme tenant une pique de la main droite et de l’autre
une corne d’abondance. La pique est quelquefois remplacée par une branche d’olivier,
symbole de la paix. Les Romains avaient élevé un temple à l’Honneur ; ils l’avaient
construit auprès du temple de la Vertu, et de telle manière qu’il fallait passer par
l’un pour arriver à l’autre ; idée ingénieuse qui faisait comprendre que le véritable
honneur ne s’acquiert que par la pratique de la vertu.
95. La Pitié. — Les Prières.
La Pitié, prise dans le sens que les païens donnaient à ce mot, c’est-à-dire le
respect envers les dieux, est figurée par une vierge ayant des ailes ; dans une main
une cassolette fumante qu’elle élève vers le ciel, dans l’autre une corne d’abondance,
qu’elle présente à des enfants. La Pitié présidait elle-même à son propre culte. On
lui offrait des sacrifies, particulièrement chez les Athéniens. A Rome, une fille
généreuse ayant prolongé les jours de son père, condamné à mourir de faim, en le
nourrissant de son lait, les Romains convertirent cette prison, ainsi sanctifiée par
la vertu, en un temple, qu’ils consacrèrent à cet amour tendre et dévoué des enfants
pour leurs parents, qui prend le nom de Pitié filiale.
Les Prières, selon Homère, sont
filles de Jupiter. Boiteuses, timides, elles marchent les mains jointes, les yeux
baissés, à la suite d’Até, ou l’Injure. Celle-ci, altière, présomptueuse, parcourt la
terre d’un pied léger en blessant les hommes et les dieux ; les humbles Prières la
suivent pour réparer les maux qu’elle a faits. Celui qui les respecte et les écoute en
reçoit de grands secours ; elles l’écoutent à leur tour dans ses besoins, et portent
ses vœux au pied du trône de Jupiter.
Un poëte a imité ainsi la peinture qu’ Homère fait des Prières :
Les Prières, mon fils, devant vous éplorées,
Du souverain des dieux sont les filles sacrées.
Humbles, le front baissé, les yeux baignés de pleurs,
Leur voix triste et plaintive exhale leurs douleurs.
On les voit, d’une marche incertaine et tremblante,
Suivre de loin l’Injure impie et menaçante,
L’Injure au front superbe, au regard sans pitié,
Qui parcourt à grands pas l’univers effrayé.
Elles demandent grâce… Et lorsqu’on les refuse,
C’est au trône des dieux que leur voix vous accuse ;
On les entend crier, en lui tendant les bras :
« Punissez le cruel qui ne pardonne pas ;
« Livrez ce cœur farouche aux affronts de l’Injure ;
« Rendez-lui tous les maux qu’il aime qu’on endure ;
« Que le barbare apprenne à gémir comme vous. »
Jupiter les exauce, et son juste courroux
S’appesantit bientôt sur l’homme impitoyable.
( Voltaire.)
96. La Justice. — L’Amitié. — La Force.
La Justice, appelée aussi Thémis par les Grecs, est représentée sous les traits d’une
vierge, tenant d’une main un glaive et de l’autre une balance, dont les plateaux
n’inclinent d’aucun côté. Quelquefois on lui met un bandeau sur les yeux, pour
signifier l’impartialité rigoureuse qui convient au caractère du juge.
L’Amitié était également honorée chez les Grecs et les Romains. Ils la représentaient
vêtue d’une tunique sur la frange de laquelle on lisait ces mots : la mort et la vie ;
sur son front étaient ceux-ci : hiver et été ; enfin de la main droite elle montrait
son côté ouvert jusqu’au cœur, où on lisait : de près et de loin. A ses pieds était un
chien, symbole de la fidélité.
La Force, fille de Thémis et de la Tempérance, est représentée sous les traits d’une
Amazone, qui d’une main embrasse une colonne et de l’autre tient un rameau de chêne. A
ses côtés est un lion, son attribut ordinaire. Cette divinité était fort honorée chez
les anciens. Ils attachaient tant de prix à la force physique, qu’ils exprimaient par
le même mot la force et la vertu.
97. L’Espérance.
L’Espérance, cette dernière consolation des hommes dans les maux qui les affligent,
fut bientôt divinisée par eux. Les Grecs et les Romains lui élevèrent des temples.
Sœur du Sommeil, qui suspend nos peines, et de la Mort, qui les termine, elle est
représentée avec une corne d’abondance, des fleurs, des fruits, une ruche à miel,
emblème des biens qu’elle promet ; les nautoniers la figurent appuyée sur une ancre.
Voici le portrait qu’a tracé de cette divinité l’auteur de la
Henriade :
Du Dieu qui nous créa la clémence infinie,
Pour adoucir les maux de cette courte vie,
A placé parmi nous deux êtres bienfaisants,
De la terre à jamais aimables habitants,
Soutiens dans les travaux, trésors dans l’indigence :
L’un est le doux Sommeil, et l’autre est l’Espérance46.
98. Le Sommeil. — Le Silence. — La Victoire. — La Paix.
Le Sommeil, frère de l’Espérance, est fils de l’Erèbe et de la Nuit, et père des
Songes. Les poëtes placent son palais dans un antre profond, dont l’entrée est semée
de pavots et de fleurs assoupissantes ; il est inaccessible aux rayons du soleil, et
baigné par les eaux du fleuve d’Oubli Le Sommeil est représenté étendu sur un lit de
feuillage ; les Songes voltigent autour de lui, et Orphée, son ministre, une baguette
à la main, veille à ce qu’aucun bruit ne trouble le silence de cette paisible
demeure.
Le Silence était révéré comme un dieu, sous les noms de Sigalion et d’Harpocrate, et
représenté avec un doigt sur les lèvres.
La Victoire, fille du Styx et du géant Pallas, est représentée avec des ailes, tenant
une palme d’une main et de l’autre une couronne de laurier.
La Paix était honorée comme une divinité chez les anciens, qui lui élevèrent des
temples. C’était là que les savants et les artistes se réunissaient et venaient
déposer leurs ouvrages, comme un hommage à la paix, qui favorise leurs travaux. On
représente cette déesse avec un air doux, portant d’une main une corne d’abondance, de
l’autre une branche d’olivier. Quelquefois elle tient un caducée, un flambeau
renversé, des épis de blé et une petite statue de Plutus, dieu des richesses, pour
signifier que l’agriculture, source de biens pour un Etat, n’est florissante que par
la paix.
99. La Liberté. — L’Abbondance. — La Fortune.
La Liberté était singulièrement honorée chez les Grecs et surtout chez les Romains,
qui lui bâtirent plusieurs temples. Elle est représentée sous la figure d’une femme
romaine tenant d’une main un sceptre brisé, de l’autre une pique surmontée d’un
bonnet. Ce bonnet fait allusion à l’usage qu’avaient les Romains d’en couvrir la tête
de leurs esclaves qu’ils voulaient affranchir.
L’Abondance, selon la fable, suivit dans le Latium Saturne, détrôné par Jupiter. On
la représente sous la figure d’une belle femme, couronnée de fleurs et tenant à la
main une corne remplie de fruits, appelée corne d’abondance, dont on a vu l’origine
(n° 17).
La Fortune présidait au bien et au mal, dispensait à son gré les richesses et la
pauvreté, les plaisirs et les peines. On la représente sous la figure d’une femme
aveugle, ayant des ailes aux pieds. L’un est posé sur une roue, emblème de sa mobile
inconstance ; l’autre pied est en l’air.
100. La Renommée.
La Renommée, messagère de Jupiter, avait un temple à Athènes et à Rome. Les poëtes la
désignent comme une déesse énorme, ayant cent bouches et cent oreilles, avec de
longues ailes garnies d’yeux en dessous. On la représente quelquefois plus simplement
sous la figure d’une femme ailée qui tient une trompette à la main. Voici le portrait
qu’en a fait Virgile au quatrième livre de l’Enéide :
Faible dans sa naissance et timide à sa-source,
Ce monstre s’enhardit et s’accroît dans sa course.
La terre l’enfanta pour se venger des cieux
Elle aime à publier les faiblesses des dieux :
Digne sœur des Géants qu’écrasa leur tonnerre,
Son front est dans l’Olympe et ses pieds sur la terre ;
Rien ne peut égaler son bruit tumultueux,
Rien ne peut devancer son vol impétueux :
Pour voir, pour écouter, pour semer les merveilles,
Ce monstre ouvre à la fois d’innombrables oreilles,
Par d’innombrables yeux surveille l’univers,
Et par autant de voix font retentir les airs.
La nuit, d’un vol bruyant, il poursuit sa carrière ;
Le Vice est personnifié dans un jeune homme à demi vêtu, courant dans un chemin
jonché de fleurs, sous lesquelles s’agitent des serpents. Il tient d’une main un
masque riant, de l’autre un hameçon et un filet. Une Sirène est auprès de lui. Ces
attributs sont expressifs et faciles à saisir.
La Paresse, fille du Sommeil et de la Nuit, fut métamorphosée en tortue pour avoir
écouté les flatteries de Vulcain. On la représente sous la figure d’une femme
échevelée, mal vêtue, couchée nonchalamment, appuyée sur l’un de ses bras, tenant de
l’autre main un sablier renversé, symbole du temps perdu.
La Pauvreté, fille du Luxe et de l’Oisiveté ou de la Paresse, est ordinairement
représentée sous les traits d’une femme pâle, mal vêtue, demandant l’aumône ou glanant
dans un champ moissonné.
102. La Discorde. — Bellone.
La Discorde était fille de la Nuit et sœur de Némésis, des Parques et de la Mort.
Jupiter la chassa du ciel à cause des dissensions qu’elle excitait sans cesse parmi
les dieux. Ce fut elle qui, aux noces de Thétis et de Pélée, jeta sur la table du
festin la pomme fatale qui fut la cause du jugement de Pâris et de la guerre de Troie.
On la représente les yeux hagards, la tête entourée de serpents et un poignard à la
ceinture. Voici le portrait qu’on en trouve dans la Henriade :
Ce monstre impétueux, sanguinaire, inflexible,
De ses propres sujets est l’ennemi terrible ;
Aux malheurs des mortels il borne ses desseins ;
Le sang de son parti rougit souvent ses mains ;
Il habite en tyran dans les cœurs qu’il déchire,
Et lui-même il punit les forfaits qu’il inspire.
Bellone, déesse de la guerre chez les Romains, était appelée Enyô (qui tue) par les
Grecs. Elle était sœur ou femme de Mars et préparait le char de ce dieu partant pour
les combats. Elle s’y montrait elle-même les cheveux épars, tenant une torche d’une
main et de l’autre un fouet dont elle animait les combattants.
103. L’Envie.
L’Envie est représentée sous des traits hideux, avec des yeux caves et louches, un
teint livide, une horrible maigreur, les mains pleines de serpents, dont un lui ronge
le sein. Voici son portrait, tracé dans la Henriade avec celui de
quelques autres divinités allégoriques que le poëte place aux Enfers :
Là gît la sombre Envie, à l’œil timide et louche,
Versant sur des lauriers les poisons de sa bouche ;
Le jour blesse ses yeux dans l’ombre étincelants :
Triste amante des morts, elle hait les vivants…
Auprès d’elle est l’Orgueil, qui se plaît et s’admire ;
La Faiblesse au teint pâle, aux regards abattus,
Tyran qui cède au crime et détruit les vertus ;
L’Ambition, sanglante, inquiète, égarée.
De trônes, de tombeaux, d’esclaves entourée ;
La tendre Hypocrisie, aux yeux pleins de douceur :
Le ciel est dans ses yeux, l’enfer est dans son cœur ;
Le Faux Zèle, étalant ses barbares maximes,
Et l’Intérêt, enfin, père de tous les crimes.
Questionnaire.
93-104. Quels sont les êtres que les anciens avaient personnifiés ? Quelles sont les
principales divinités allégoriques ? Les énumérer et faire connaître l’origine et les
attributs de chacune d’elles.
Livre III. Héros, ou demi-dieux.
Chapitre XXIII. Persée.
104. Des temps héroïques.
Ici nous entrons dans une nouvelle carrière où disparaissent les ténèbres qui
enveloppaient l’origine des dieux. Nous sommes encore dans le domaine de la fable,
mais nous touchons aux limites de l’histoire. Il n’est pas inutile, peut-être, de
rappeler à ce propos que les temps qui se sont écoulés depuis Noé jusqu’à Jésus-Christ
se partagent communément en trois grandes périodes : 1° en temps inconnus, 2° en temps
héroïques ou incertains, 3° en temps historiques. La première période s’étend depuis
le déluge universel, arrivé l’an du monde 1656, ou avant Jésus-Christ 3308, jusqu’au
déluge d’Ogygès48, que
les savants placent à l’an 1774 avant l’ère chrétienne, environ 250 ans avant le
déluge de Deucalion. C’est la période mythologique que nous avons parcourue jusqu’ici,
et dans laquelle il eût été impossible d’assigner une date aux fictions que nous avons
rapportées. La deuxième période, dite des temps héroïques, s’étend depuis le déluge
d’Ogygès jusqu’à l’ère des olympiades, fixée à l’an 776 avant J.-C. Elle embrasse
mille ans. C’est dans cet intervalle que se sont accomplis les événements que nous
allons raconter, et que s’est écoulée la vie des héros que nous allons faire
connaître. A partir de cette époque commence la troisième période ou les temps
historiques.
105. Anciens héros.
Les héros49 étaient, selon
les idées des païens, des hommes nés soit d’un mortel et d’une déesse, soit d’un dieu
et d’une mortelle ; par cette raison, on les appelait aussi demi-dieux. Doués, la
plupart, d’une force extraordinaire et d’un grand courage, ils parcouraient la terre
et principalement la Grèce, en la délivrant des monstres de tout genre, hommes et
animaux, qui la désolaient dans ces siècles de barbarie. Leurs exploits les firent
regarder comme des mortels d’un ordre supérieur, et, pour des bienfaits dont ils
ternissaient souvent l’éclat par des actions infâmes, ils obtinrent un culte et des
autels. C’est que, à ces époques reculées, les hommes plongés dans la vie des sens
n’admiraient que la force du corps. Ils ne pouvaient comprendre que la véritable
gloire consistât à triompher, non de la nature matérielle, non de ses semblables, mais
de soi-même, c’est-à-dire de ses passions.
La plus belle victoire est de vaincre son cœur.
a dit La Fontaine; J.-B.Rousseau a développé ainsi la même pensée :
Le nombre des héros de l’antiquité est immense ; nous ne ferons connaître que
quelques-uns des plus célèbres : Persée, Bellérophon, Hercule, Thésée. Nous
observerons, autant que possible, l’ordre des temps. Nous allons, en conséquence,
commencer par l’histoire de Persée, qui régna à Mycènes, de l’an 1313 à l’an 1281
avant J.-C.
106. Naissance de Persée. — Ses premiers exploits.
Persée était fils de Jupiter et de Danaé. Acrisius, roi d’Argos, père de cette
princesse, averti par un oracle qu’il périrait de la main de son petit-fils, enferma
sa fille dans une tour d’airain. Mais Jupiter s’introduisit auprès d’elle en se
transformant en pluie d’or, c’est-à-dire en corrompant les gardes avec de l’or, et
Danaé donna le jour à Persée. Acrisius furieux fit mettre la mère et l’enfant dans une
frêle barque et les abandonna à la merci des flots. Protégée par Jupiter, la nacelle
aborda à l’île de Sériphe, une des Cyclades, dans la mer Egée. Polydecte, roi de cette
île, accueillit avec bonté Danaé et son fils, qu’il éleva à sa cour. Mais dans la
suite voulant écarter le jeune prince, dont la présence gênait ses desseins à l’égard
de sa mère, il ordonna à Persée d’aller lui chercher la tête de Méduse, la seule des
trois Gorgones qui fût mortelle (n° 29). Polydecte espérait que le fils de Danaé
périrait dans cette périlleuse entreprise. Mais les dieux vinrent à son secours.
Minerve lui prêta son égide, Pluton son casque, Mercure ses ailes et son glaive forgé
par Vulcain. Muni de ces armes divines, le jeune héros prend son essor travers les
airs et arrive d’abord chez les Grées51, sœurs des
Gorgones, et qui n’avaient, comme elles, qu’un œil et qu’une dent, qu’elles se
prêtaient tour à tour. A la faveur du casque de Pluton, qui avait la vertu de dérober
aux regards celui qui le portait, Persée enleva cet œil et cette dent, et ne les
rendit aux Grées que lorsqu’elles lui eurent découvert la retraite des Gorgones. Alors
il prit sa course vers ce pays, situé au delà de l’Océan occidental. Il trouve les
trois sœurs endormies. Comme il aurait été infailliblement pétrifié en les regardant,
il s’avance à reculons, les yeux fixés sur son bouclier où il les voit comme dans un
miroir, s’approche de Méduse et lui tranche la tête d’un seul coup. Du sang de ce
monstre naquit Pégase, cheval ailé, qui s’éleva dans les airs et s’abattit sur
l’Hélicon, où il devint le coursier des Muses.
107. Délivrance d’Andromède.
Après cette victoire, Persée, porté par les ailes de Mercure, passa en Mauritanie, où
régnait Atlas. Ce prince refuse l’hospitalité au fils de Jupiter, qui l’en punit sur
l’heure. Persée lui présente la tête de Méduse, le pétrifie et le transforme en cette
énorme chaîne de montagnes qui porte encore le nom d’Atlas. De là le héros arrive en
Ethiopie, et trouve Andromède, fille de Céphée, exposée sur un rocher, pour être la
proie d’un monstre marin, parce que Cassiopée, sa mère, avait osé dire que sa fille
était plus belle que les Néréides. Persée, touché du malheur de la jeune princesse,
promet de la délivrer, à condition qu’il l’obtiendra pour épouse. Bientôt du haut des
airs il fond sur le monstre au moment où celui-ci allait dévorer sa victime, et il le
tue. Cependant Phinée, oncle de la princesse, veut s’opposer à son hymen. Il entre
dans le palais avec une troupe d’hommes armés, pour enlever Andromède ; mais Persée
s’arme de la tête de Méduse, pétrifie Phinée et toute sa suite. De retour enfin dans
l’île de Sériphe, avec le trophée qui avait été exigé de son courage, il trouve Danaé,
sa mère, en butte aux violences de Polydecte et défendue par Dictys, frère du tyran.
II pétrifie Polydecte, en lui montrant la tête de Méduse, et met sur le trône, à sa
place, le généreux Dictys. Il rend ensuite aux dieux les armes qui l’avaient protégé
pendant son voyage, et il attache par reconnaissance la tête de Méduse sur l’égide de
Minerve.
De Sériphe, Persée s’embarqua pour revenir à Argos, sa patrie, avec Danaé, sa mère,
et Andromède son épouse. Il apprend à son arrivée que Theutamias, roi de Larisse, en
Thessalie, se prépare à célébrer des jeux funèbres en l’honneur de son père. Il s’y
rend pour disputer le prix ; mais un disque, qu’il lança avec force, alla frapper un
vieillard qui se trouvait parmi les spectateurs. Ce vieillard était Acrisius, son
grand-père. Le roi d’Argos, informé du retour de son petit-fils, était venu se
réfugier à la cour du roi de Larisse, pour échapper à la prédiction de l’oracle.
L’infortuné prince ne fit qu’en hâter l’accomplissement. Persée, profondément affligé
de ce meurtre involontaire, quoiqu’il le mît en possession du trône d’Argos, ne voulut
pas l’occuper ; il céda cette ville à Mégapenthe et reçut en échange le territoire de
Tyrinthe, où il bâtit la ville de Mycènes, dont il fit sa capitale. On lui rendit,
après sa mort, les honneurs divins. Il eut un temple à Athènes, et on lui éleva une
statue à Mycènes, à Argos et dans l’île de Sériphe. Parmi les constellations, on
compte celles de Persée, d’Andromède et de Cassiopée.
Questionnaire.
104. Comment se partagent, pour l’histoire profane, les temps qui se sont écoulés
depuis Noé jusqu’à Jésus-Christ ? Qu’est-ce que le déluge d’Ogygès ?
105. Qu’étaient les héros, d’après les idées païennes ? Qu’est-ce qui les constitue
véritablement ?
106. De qui Persée était-il fils ? Quelles furent les circonstances de sa naissance ?
Quels moyens employa Acrisius, son grand-père, pour le faire périr ? Comment Persée
triompha-t-il des Grées, des Gorgones ? Faites connaître Atlas et le châtiment qui lui
fut infligé.
107. Racontez la délivrance d’Andromède et la vengeance que Persée tira de Phinée,
oncle de cette princesse. Quelle fut la conduite de Persée envers sa mère et envers
Polydecte, lorsqu’il fut de retour dans l’île de Sériphe ? Comment Persée devint-il le
meurtrier involontaire d’Acrisius ? Quels honneurs furent rendus à Persée après sa
mort ?
Chapitre XXIV. Bellérophon et la Chimère.
108. Naissance de Bellérophon, ses exploits, sa mort.
Bellérophon était fils de Glaucus, roi d’Ephyre, ancien nom de Corinthe. Ayant eu le
malheur de tuer à la chasse, par mégarde, son frère Bellérus, il changea son premier
nom d’Hipponoüs en celui de Bellérophon (meurtrier de Bellérus). Dès lors il se retira
à la cour de Prœtus, roi d’Argos, qui l’accueillit avec bonté. Mais Sténobée, femme de
ce prince, ayant conçu pour son jeune hôte une passion que celui-ci refusa
généreusement d’écouter, elle s’en vengea, en l’accusant auprès de son mari. Le roi
d’Argos, ne voulant pas violer par un meurtre les lois de l’hospitalité, envoya
Bellérophon vers Iobate, roi de Lycie et père de Sténobée, avec des lettres qui
informaient ce prince de l’attentat supposé, et qui en demandaient le châtiment52. Iobate, voulant venger son gendre, sans
cependant se souiller du sang d’un hôte, envoya Bellérophon combattre la Chimère, qui
désolait la Lycie. C’était un monstre affreux, ayant la tête d’un lion, le corps d’un
bouc et la queue d’un dragon ; de sa gueule béante sortaient sans cesse des
tourbillons de flamme et de fumée. Avec le secours de Minerve, qui lui prêta le cheval
Pégase, Bellérophon tua la Chimère. Alors Iobate l’exposa à de nouveaux périls : il
l’envoya contre les Solymes et les Amazones ; mais il revint triomphant, et défit les
soldats que le roi avait apostés pour l’assassiner. Des succès aussi soutenus
convainquirent Iobate de l’innocence de Bellérophon et de la protection que les dieux
lui accordaient ; il lui donna sa fille en mariage avec la moitié de ses Etats, et le
nomma son successeur au trône de Lycie. On dit que Bellérophon essaya de monter au
ciel sur le cheval Pégase, mais que Jupiter envoya un taon qui piqua le coursier et
renversa le cavalier. Depuis ce moment Bellérophon vécut triste et isolé sur la terre
jusqu’à sa mort53, qui arriva une génération
avant la guerre de Troie, ou environ 1200 avant J.-C. Il fut mis par les poëtes au
nombre des constellations.
On explique la fable de Bellérophon en disant qu’il purgea les montagnes de Lycie des
animaux féroces qui les infestaient, et que dès lors il passa pour avoir triomphé de
la Chimère, nom devenu général pour désigner non-seulement les monstres chez les
anciens, mais encore, chez les modernes, les fantômes, c’est-à-dire les idées vaines
que crée l’imagination.
Questionnaire.
108. De qui était fils Bellérophon ? Que signifie son nom, et d’où lui fut-il donné ?
Que lui arriva-t-il à la cour du roi d’Argos ? Expliquez l’origine de ce qu’on appelle
lettres de Bellérophon. Qu’était-ce que la Chimère ? Comment Bellérophon en
triompha-t-il ? Quels autres succès obtint-il, et quels en furent les résultats ?
Quelle fut l’entreprise insensée de Bellérophon ? Quelle fut la fin de sa vie ?
Comment explique-t-on la fable de Bellérophon ?
Chapitre XXV. Hercule.
109. Naissance et éducation d’Hercule.
Hercule, dieu de la force, et le plus illustre des héros de la Fable, était fils de
Jupiter et d’Alcmène, femme d’Amphitryon, roi de Thèbes. Le maître des dieux, pour
tromper Alcmène, prit les traits de son mari, alors occupé à la guerre. La jalousie de
Junon suscita contre Hercule, encore au berceau, deux serpents monstrueux, que
l’enfant étouffa sans peine : ce fut son premier exploit. Cependant, à la prière de
Pallas, Junon calma sa haine à l’égard d’Hercule, et consentit même à lui donner de
son lait, pour le rendre immortel ; quelques gouttes, en tombant dans le ciel, y
formèrent, selon les poëtes, cette longue zone blanche, amas d’innombrables, connue
sous le nom de voie lactée. L’éducation d’Hercule fut confiée aux maîtres les plus
habiles. Euryte, roi d’Œchalie, lui apprit à tirer de l’arc, Castor à combattre à
cheval, Autolycus à conduire un char, Chiron lui donna des leçons de morale, de
médecine et d’astronomie ; enfin Linus lui enseigna à jouer de la lyre ; mais un jour
qu’il reprit sévèrement Hercule, celui-ci le frappa de son instrument à la tête, et le
tua.
110. Les douze travaux d’Hercule.
Pendant qu’Alcmène portait Hercule dans son sein, Nicippe, femme de Sthénélus, roi
d’Argos, était aussi enceinte. Junon, toujours jalouse, fit déclarer par Jupiter que
celui des deux enfants qui naîtrait le premier aurait tout pouvoir sur l’autre, puis
elle hâta la délivrance de Nicippe, qui mit au jour Eurysthée. Celui-ci s’associant
aux ressentiments de Junon, usa du droit que lui donnait la priorité de sa naissance,
pour imposer à son jeune rival ces rudes épreuves connues sous le nom des douze
travaux d’Hercule, et désignées ainsi : 1° le lion de Némée ; 2° l’hydre de Lerne ; 3°
le sanglier d’Erymanthe ; 4° la biche aux pieds d’airain ; 5° les oiseaux de
Stymphale ; 6° le taureau de Crète ; 7° les chevaux de Diomède ; 8° la défaite des
Amazones ; 9° les étables d’Augias ; 10° la mort de Géryon ; 11° les pommes d’or des
Hespérides ; 12° Cerbère54.
1° Un lion furieux ravageait la forêt de Némée, dans l’Argolide ; Hercule l’attaque à
coups de flèches, le fait fuir dans une caverne où il le saisit, l’étreint dans ses
bras puissants et l’étouffe. Il le dépouille ensuite de sa peau, qu’il porta dès lors
comme monument de sa victoire.
2° Une hydre affreuse désolait les environs du lac de Lerne, près d’Argos. Ce
monstre, né de Typhon et d’Echidna, avait sept têtes, qui renaissaient plus nombreuses
à mesure qu’on les coupait ; Hercule les abattit toutes d’un seul coup. Les flèches
qu’il trempa dans le sang de l’hydre ne firent plus dès ce moment que des blessures
mortelles.
3° Un sanglier énorme causait d’affreux ravages dans les environs du mont Erymanthe,
en Arcadie ; Hercule le prit vivant et l’apporta à Eurysthée, qui, à cette vue, se
cacha d’effroi dans une cuve d’airain.
4° Hercule offrit de même à Eurysthée une biche aux cornes d’or et aux pieds
d’airain, qui avait déjoué l’adresse et les efforts des chasseurs du mont Ménale, en
Arcadie.
5° Dans le même pays, le lac Stymphale était le repaire d’oiseaux de proie que Mars
lui-même avait dressés aux combats. Ils avaient la tête, les ailes et le bec de fer.
Ils dévoraient les hommes et les animaux, et ils étaient si nombreux, que, dans leur
vol, ils obscurcissaient la clarté du soleil. Hercule les extermina à coups de
flèches.
6° Neptune avait envoyé dans les Etats de Minos, en Crète, un horrible taureau qui
soufflait des flammes par les narines. Hercule dompta ce monstre et l’apporta aux
pieds d’Eurysthée.
7° Diomède, roi de Thrace, nourrissait ses chevaux de chair humaine. Hercule le
vainquit, et le donna à dévorer à ces mêmes chevaux.
8° Les Amazones étaient des femmes guerrières qui habitaient les bords du Thermodon,
dans l’Asie Mineure. Hercule les vainquit, fit captive leur reine Hippolyte, et la
donna pour épousa à Thésée, qui l’avait accompagné dans cette expédition.
9° Augias, roi d’Élide et fils du Soleil, nourrissait trois mille bœufs dans ses
étables, qui n’avaient point été nettoyées depuis trente ans. Cette fange répandait
une infection mortelle. Hercule fit passer au milieu des étables le cours de l’Alphée,
qui emporta toutes les immondices.
10° Gérion, roi des îles Baléares, près de l’Espagne, était un géant à trois corps,
qui nourrissait ses bœufs de la chair de ses sujets, et les faisait garder par un
chien à deux têtes. Hercule tua le tyran, ainsi que son gardien redoutable, et emmena
le troupeau.
11° Eurysthée, que tant de pénibles travaux n’avaient point apaisé, ordonna à Hercule
de lui apporter les pommes d’or du jardin des Hespérides55. Elles étaient sous la
garde d’un dragon à cent têtes, dont le sommeil ne fermait jamais les yeux, Selon les
uns, Hercule tua le monstre, et s’empara de son précieux trésor ; selon d’autres, il
eut recours au géant Atlas, et tandis que celui-ci lui rendit ce service, Hercule prit
à sa place le monde sur ses robustes épaules.
12° Thésée était retenu dans les enfers, où il était descendu avec Pyrithoüs, pour
enlever Proserpine. Hercule enchaîna Cerbère et délivra son ami.
111. Derniers exploits d’Hercule.
Après avoir accompli glorieusement les douze travaux que lui avait imposés Eurysthée,
Hercule continua de parcourir la terre pour la purger des monstres de tout genre,
hommes et animaux qui la désolaient. Il prit part à l’expédition des Argonautes
(n° 115) ; mais il l’abandonna en Mysie, pour aller à la recherche du jeune Hylas, que
les Nymphes avaient enlevé, tandis qu’il puisait de l’eau à une fontaine pour les
besoins de l’équipage. En passant à Troie, il délivra Hésione, fille de Laomédon,
condamnée à être la proie d’un monstre marin (n° 71). En Libye, Hercule vainquit le
géant Antée, fils de Neptune et de la Terre, roi d’Irasa. Ce monstre avait fait vœu
d’élever un temple en l’honneur de son père avec des crânes humains. Hercule le
terrassa trois fois, mais le géant reprenait de nouvelles forces en touchant la terre.
Enfin le héros le souleva en l’air et l’étouffa dans ses bras vigoureux. Hercule
s’étant endormi après cette victoire, les Pygmées, peuple de nains qui habitaient la
Libye, essayèrent de le faire prisonnier, et employèrent les mêmes moyens que pour
former un siége. Il se réveilla, et riant du projet de cette fourmilière, il les
enferma tous dans la peau du lion de Némée. En Egypte, il tua Busiris, tyran cruel qui
égorgeait tous les étrangers arrivant dans ses Etats. Etant parvenu aux confins de
l’Afrique et de l’Europe, Hercule rompit l’isthme qui unissait ces deux parties du
monde, et afin d’ouvrir un passage aux eaux de la Méditerranée et de l’Océan, il
sépara les deux montagnes de Calpé et d’Abyla, appelées depuis colonnes d’Hercule, et
aujourd’hui détroit de Gibraltar. Il affranchit ensuite l’Italie du brigandage de
Cacus, géant monstrueux, fils de Vulcain ; délivra Prométhée du vautour immortel qui
lui dévorait le foie, et se distingua par une foule d’autres exploits qu’il serait
superflu de rapporter ici.
112 Mort d’Hercule ; il est admis au nombre des dieux.
Hercule, comme Jupiter, eut pluieurs femmes. Le plus célèbre est Déjanire, fille
d’Œnée, roi d’Etolie. Pour l’obtenir, il eut à la disputer au fleuve Achéloüs. Après
avoir vaincu le rival, il emportait son épouse, lorsqu’arrêté par une rivière, il la
confia au centaure Nessus, qui lui offrit de la conduire sur l’autre rive. Mais le
perfide entreprend de l’enlever. Hercule indigné de cette trahison atteint le centaure
d’une de ses flèches et le blesse mortellement. Nessus, pour se venger, donne en
mourant à Déjanire sa tunique, teinte de son sang, comme un moyen propre à lui rendre
le cœur de son époux, s’il devenait infidèle. L’occasion ne tarda pas. Hercule s’éprit
d’Iole, fille d’Eurytus, qui lui avait appris à tirer de l’arc. Eurytus avait promis
la main de sa fille à celui qui le vaincrait dans cet art. Mais n’ayant pas tenu sa
promesse à l’égard d’Hercule, le héros le précipita du haut d’une tour. Un oracle
prédit alors qu’en punition de cette vengeance, Hercule serait esclave pendant trois
ans. Mercure fut chargé de le vendre. Omphale, reine de Lydie, l’acheta, mais bientôt
elle l’aima, et lui rendit la liberté. Hercule resta néanmoins auprès d’elle, soumis à
tous ses caprices, vêtu comme une femme et filant à la quenouille. Il s’arracha enfin
à ce honteux esclavage pour revenir auprès d’Iole. Ce fut alors que Déjanire, voulant
regagner le cœur de son époux, lui envoya la tunique de Nessus. Mais Hercule n’en fut
pas plus tôt revêtu qu’il se sentit dévoré par un feu intérieur, que produisait le
sang empoisonné du centaure tué par une de ses flèches, et dans lequel cette tunique
avait été trempée. L’infortuné, en proie aux plus horribles souffrances, saisit dans
un accès de fureur Lichas, son héraut, et le lança dans la mer où il fut changé en
rocher. Il arrachait les arbres de 1’Œta, écrasait les troupeaux, et de sa voix
terrible épouvantait le rivage :
Plus barbare pour moi qu’Eurysthée et Junon,
O fille d’Œneus, quelle est ta trahison !
Et quels sont les tourments dont tu me rends la proie,
Par ce fatal présent que ta fureur m’envoie !
Tu m’as enveloppé de ce voile mortel,
Ce voile que pénètre un poison si cruel,
Voile affreux qu’ont tissu Mégère et Tisiphone !
Tout mon sang enflammé dans mes veines bouillonne.
Je succombe, je meurs brûlé d’un feu caché,
Qu’allume en moi ce voile à mon corps attaché.
Ainsi ce que n’ont pu, dans l’horreur de la guerre,
Centaures ni Géants, fiers enfants de la terre,
Ce que tout l’univers n’osa jamais tenter,
Une femme le tente, et l’ose exécuter.
……………………………………………………
Grand Dieu, témoin des maux dont l’excès me tourmente,
Qu’est devenu ce corps que j’ai reçu de toi ?
Mes membres t’offrent-ils quelques restes de moi ?
Non, cette main si faible et presque inanimée
N’est plus la main fatale au lion de Némée.
Est-ce donc là ce bras de Cerbère vainqueur ?
Ce bras, dont le centaure éprouva la vigueur ?
Ce bras qui fit tomber le monstre d’Erymanthe,
L’hydre contre mes coups sans cesse renaissante,
Et l’affreux surveillant de ce fruit renommé ?
Ce bras qu’aucun mortel n’a jamais désarmé ?
( L. Racine, imitation de Sophocle.)
Enfin, pour abréger son supplice, Hercule dresse lui-même un bûcher sur le mont Œta,
s’y place et prie Philoctète d’y mettre le feu. Il donne auparavant à cet ami fidèle
les flèches redoutables, teintes du sang de l’hydre de Lerne, sans lesquelles la ville
de Troie ne pouvait être prise, d’après l’arrêt du destin.
Jupiter reçut son fils dans le ciel et lui donna pour épouse Hébé, déesse de la
jeunesse. Hercule avait eu sur la terre, de ses diverses femmes, un grand nombre
d’enfants. Ils devinrent célèbres, eux et leurs descendants, sous le nom d’Héraclides,
et fondèrent plusieurs royaumes. Mais la vie et les forces d’un homme ne paraissant
pas suffisantes pour tous les travaux attribués à Hercule, on a supposé qu’il avait
existé plusieurs héros de ce nom. On pense généralement que les douze travaux sont les
douze signes du Zodiaque parcourus par le soleil. Enfin on aperçoit entre le Hercule
de la mythologie et le Samson des livres saints assez de traits de
ressemblance pour permettre de croire que la fable de l’un est l’histoire préfigurée
et amplifiée de l’autre.
On représente Hercule sous la forme d’un homme robuste, s’appuyant sur une massue et
portant sur ses épaules la dépouille d’un lion. Le plus usité de ses noms est celui
d’Alcide, qu’il reçut soit d’Alcée, son aïeul, soit du mot grec alké, qui veut dire
force.
Questionnaire.
109. Quelle fut la naissance d’Hercule ? Quel fut son premier exploit ? A qui fut
confiée son éducation ?
110. Comment Hercule fut-il soumis à Eurysthée, roi d’Argos ? Quels sont les douze
travaux d’Hercule ?
111. Quels furent ses derniers exploits ? Que fit-il en Libye et en Espagne, en
Afrique et en Italie ?
112. Racontez l’histoire de sa mort. Que devint Hercule après sa mort ? Comment
est-il représenté ?
Chapitre XXVI. Thésée.
113. Naissance et premiers exploits de Thésée.
Thésée était fils d’Egée, neuvième roi d’Athènes, et d’Ethra, fille du sage Pitthée,
roi de Trézène, à la cour duquel il fut élevé. On le dit quelquefois fils de Neptune,
parce que Pitthée voulant cacher l’union secrète de sa fille avec Egée, publia,
lorsqu’elle était enceinte, que l’enfant qu’elle portait avait pour père Neptune la
grande divinité des Trézéniens. Thésée annonça de bonne heure le courage qui devait
illustrer sa vie. Un jour Hercule vint voir Pitthée, et déposa dans le vestibule du
palais la peau du lion de Némée qu’il portait sur ses épaules. Thésée encore enfant,
s’arma d’une hache et frappa ce qu’il croyait être un lion véritable. En grandissant,
il se sentit entraîné à marcher sur les traces d’Hercule, et à imiter ses exploits.
Ethra, sa mère, lui découvrit le secret de sa naissance : elle le conduisit vers un
rocher énorme et lui ordonna de le soulever. Il y trouva une épée qui devait le faire
reconnaître de son père. Il la saisit et se dirigea vers Athènes, où il devait régner
un jour. La route était infestée par des monstres qui fournirent au jeune héros
l’occasion de signaler sa valeur. C’étaient Sinnis, brigand fameux, qui attachait les
étrangers à des branches d’arbre courbées avec effort, et qui en se redressant
déchiraient ses victimes ; Sciron, posté sur une montagne d’où il précipitait les
passants dans la mer ; enfin Procuste, qui étendait les voyageurs sur un lit de fer,
leur coupant ou leur allongeant les jambes avec effort jusqu’à ce que leur corps fût
exactement de la longueur de ce lit. Thésée attaqua ces brigands, et les fit périr par
les supplices mêmes qu’ils avaient inventés. Après ces exploits il arrive à Athènes.
Il trouve la ville violemment agitée par des dissensions. La magicienne Médée y
gouvernait sous le nom d’Egée, dont elle avait captivé le cœur. Ayant deviné ce
qu’était Thésée, elle voulut le faire périr par le poison dans un repas que le roi
devait lui offrir. Mais Egée reconnut son fils à son épée, et le fit reconnaître au
peuple. Alors Médée s’envola dans son char ailé avec son fils Médus, qu’elle avait eu
d’Egée. Thésée, après avoir rétabli la paix, va combattre un taureau furieux qui
ravageait la plaine de Marathon ; il le dompte, le promène dans Athènes, et l’immole
aux dieux. Mais bientôt un dévouement plus glorieux lui mérite l’admiration et la
reconnaissance de sa patrie.
114. Thésée vainqueur du Minotaure.
Les Athéniens, jaloux, dit-on, de la gloire qu’Androgée, fils de Minos, s’était
acquise dans leurs fêtes, l’avaient fait assassiner. L’infortuné roi de Crète, afin de
venger la mort de son fils, avait exigé par la force des armes que les Athéniens lui
envoyassent, chaque année, six jeunes gens et six jeunes filles, que devait dévorer le
Minotaure, monstre affreux, moitié homme et moitié taureau. Thésée, voulant affranchir
sa patrie d’un aussi cruel tribut, qu’elle payait pour la troisième fois, se met au
nombre des victimes, et part pour la Crète. Ariane, fille de Minos, éprise de la
beauté et du courage du jeune héros, lui donne un fil qui doit le guider dans les
détours du labyrinthe. Avec ce secours il triomphe, tue le Minotaure et délivre ses
victimes. Après cette victoire, Thésée quitte la Crète, emmenant avec lui les deux
filles du roi, Ariane et Phèdre. Mais, par une odieuse ingratitude, il abandonne la
première dans l’île de Naxos, et conduit l’autre à Athènes, pour leur malheur commun.
Tout entier à sa passion, il oublie la promesse qu’il avait faite à Egée, de remplacer
par des voiles blanches, s’il revenait vainqueur, les voiles noires de son vaisseau.
Le malheureux père, à l’aspect des voiles funèbres, se précipite dans la mer, qui prit
dès lors le nom d’Egée. Thésée, après lui avoir rendu les devoirs de la piété filiale,
institua des jeux et des fêtes, pour perpétuer le souvenir de sa victoire. Le vœu
qu’il avait fait, en partant, d’envoyer offrir des ◀sacrifices▶ à Apollon, fut
religieusement accompli. Tous les ans des députés56, couronnés de branches d’olivier, se rendaient à Délos, sur le
vaisseau même qu’avait monté Thésée. On le conserva pour cet usage avec tant de soin,
qu’il durait encore après mille ans, ce qui fit dire que ce vaisseau était
immortel.
115. Thésée, roi d’Athènes. — Ses derniers exploits ; ses malheurs ; sa
mort.
Thésée, devenu roi d’Athènes par la mort de son père, s’appliqua à donner au
gouvernement une forme plus stable et plus régulière. Il comprit dans l’enceinte de la
ville les douze bourgs que Cécrops avait fondés, et il en composa une sorte de
république, à laquelle il donna de sages lois. Puis, renonçant au pouvoir souverain,
il partit pour de nouvelles aventures. S’étant lié d’amitié avec Pirithoüs, roi des
Lapithes, ils allèrent sur les bords du Thermodon combattre les Amazones, qu’ils
vainquirent. Thésée eut de leur reine un fils, le malheureux Hippolyte. Ensuite, les
deux héros prirent part à la guerre contre les centaures, à la conquête de la toison
d’or et à la chasse du sanglier de Calydon. On dit qu’à l’âge de plus de cinquante ans
Thésée tenta de ravir la belle Hélène, qui n’en avait alors que dix, mais les deux
frères de cette princesse, Castor et Pollux, la reprirent et emmenèrent à leur tour
Ethra, mère de Thésée, qu’ils firent esclave d’Hélène. Enfin Thésée forma avec
Pirithoüs le criminel projet d’enlever Proserpine, femme de Pluton :
On dit même, et ce trait est partout répandu,
Qu’avec Pirithoüs aux enfers descendu,
Il a vu le Cocyte et les rivages sombres,
Et s’est montré vivant aux infernales ombres.
( J. Racine.)
Mais ils échouèrent dans leur entreprise. Pirithoüs fut dévoré par Cerbère, et Thésée
fut retenu prisonnier, jusqu’à ce qu’Hercule vînt le délivrer. Quand il reparut à
Athènes, le bruit de sa mort s’y était répandu. Phèdre avait sollicité Hippolyte à
l’épouser ; et comme ce vertueux prince avait repoussé avec indignation ses offres
coupables, Phèdre l’accusa auprès de Thésée du crime même qu’il n’avait pas voulu
commettre. Thésée, dans sa colère, pria Neptune de le venger. Le dieu l’exauça, et
tandis qu’Hippolyte partant pour l’exil conduisait son char le long du rivage, un
monstre marin s’élance de la mer, effraie les chevaux, qui se précipitent au milieu
des rochers et mettent en lambeaux le malheureux Hippolyte57. Phèdre avoua son crime et se pendit de désespoir. Thésée pleura
son fils innocent, et, forcé par des sujets rebelles d’abandonner de nouveau sa
patrie, il se réfugia auprès du roi Lycomède, dans l’île de Sycros. Il y périt, en
tombant à la mer ou par accident ou par la trahison de son hôte. Virgile représente Thésée dans les enfers éternellement assis sur une
pierre dont il ne peut se détacher. Plus tard on rendit à sa mémoire les hommages
qu’elle méritait. Ses restes, rapportés à Athènes, furent déposés dans un temple élevé
en son honneur, et les Athéniens ne cessèrent de le révérer comme un de leurs
meilleurs rois.
Questionnaire.
115. De qui Thésée était-il fils ? Pourquoi le dit-on quelquefois fils de Neptune ?
Quel fut le premier indice qu’il donna de son courage ? Quels furent ses premiers
exploits ? Quels étaient Sinnis, Sciron et Procuste ? Dans quelles circonstances
Thésée fut-il reconnu par son père ?
114. Comment Thésée délivra-t-il les Athéniens du funeste tribut qu’ils payaient aux
Crétois ? Comment triompha-t-il-du Minotaure ? Quelle fut sa conduite à l’égard des
deux filles de Minos ? Comment fut-il cause de la mort de son père Egée ? Comment fut
conservé à Athènes le souvenir de sa victoire ?
115. Que fit Thésée devenu roi d’Athènes ? Quels furent ses voyages et ses
aventures ? Quel projet criminel forma-t-il en dernier lieu avec Pirithoüs ? Quelles
en furent les suites funestes ? Quelle fut la fin de Thésée ? Quels honneurs rendit-on
à sa mémoire ?
Chapitre XXVII. Expédition des Argonautes.- Conquête de la toison d’or58.
Environ 1260 ans av. J.-C.
116. Causes de l’expédition.
Athamas, roi de Thèbes, avait eu de Néphélé un fils et une fille, Phryxus et Hellé.
Mais ayant ensuite épousé Ino, fille de Cadmus, celle-ci persuada par jalousie à son
mari que, d’après l’oracle, une famine qui désolait alors la ville de Thèbes cesserait
s’il consentait à sacrifier ses deux enfants. Phryxus et Hellé, pour échapper à la
mort qui les menaçait, s’élèvent dans les airs, s’il en faut croire les poëtes, sur un
bélier à toison d’or59, que
leur donna Jupiter. Mais Hellé, saisie d’effroi, tomba dans la mer qui a pris de là le
nom d’Hellespont ou de mer d’Hellé. Phryxus, arrivé heureusement en Colchide, immola à
Jupiter le bélier auquel il devait son salut, et il en conserva la riche toison.
Eétès, roi du pays et parent de Phryxus, le reçut avec joie et lui donna sa fille en
mariage. Mais bientôt il le fit périr pour s’emparer de son précieux trésor. Vers le
même temps, Eson, roi d’Iolchos en Thessalie, était détrôné par Pélias, son frère.
Mais celui-ci voyant la jeunesse et la force de Jason, son neveu, et craignant qu’il
ne vengeât son père et ne le rétablit sur son trône, lui conseilla d’aller conquérir
la toison d’or. L’entreprise était périlleuse, elle tenta le courage de Jason. Il
équipe un vaisseau qui reçut le nom d’Argo60, et il fait
un appel aux plus célèbres guerriers de la Grèce. Ils se réunirent au nombre de
cinquante-deux, parmi lesquels se trouvaient Hercule, Thésée, Castor et Pollux,
Télamon, Nestor, jeune alors, Pélée, père d’Achille, et Laerte, père d’Ulysse. Typhis,
qui avait construit le vaisseau, d’après les conseils de Minerve, en fut le pilote ;
Esculape fut le médecin de l’équipage ; Lyncée, avec sa vue perçante, devait découvrir
et indiquer les écueils, et Orphée, avec sa lyre, charmer les ennuis du voyage. Le
commandement fut d’abord déféré à Hercule ; mais quand il eut pris terre en Mysie,
pour aller à la recherche du jeune Hylas, Jason devint le chef de l’expédition.
117. Navigation des Argonautes.
Les Argonautes partirent du port d’Iolchos61, ville de Thessalie. Leur navigation fut d’abord
heureuse ; mais bientôt une tempête les forces de relâcher dans l’île de Lemnos. Les
femmes de cette île, abandonnées par leurs maris, qui leur avaient préféré des femmes
esclaves, venaient de les égorger. Les Argonautes, bien accueillis par elles,
restèrent deux ans dans ce pays. Jason épousa même Hypsipyle, fille du roi ; mais il
l’abandonna afin de poursuivre son entreprise. De Lemnos l’expédition se dirigea vers
l’île de Samothrace, pour y accomplir un vœu fait par Orphée. On entra ensuite dans
l’Hellespont, et on prit terre un peu au delà de la Troade. Ce fut alors qu’Hercule
abandonna l’expédition pour aller à la recherche du jeune Hylas, qui était tombé dans
une fontaine, en y puisant de l’eau pour les besoins de l’équipage. On arriva ensuite
à Cyzique dans la Propontide (mer de Marmara), puis en Bébrycie (depuis Bithynie), où
Pollux tua Amycus, roi du pays, qui l’avait défié au combat du ceste. La tempête
poussa de là les Argonautes à Salmydesse, sur les côtes de Thrace, où ils délivrèrent
le roi Phinée de la funeste présence des Harpies. En reconnaissance de ce service, ce
prince dirigea leur course au milieu des Cyanées, situées à l’entrée du Pont-Euxin. On
nomme encore ces îles Symplégades, parce que les rochers dont elles sont hérissées
semblent, de loin, s’entre-choquer au milieu de l’agitation des flots. Les Argonautes
visitèrent ensuite le pays des Maryandyniens, où régnait Lycus ; ils y perdirent
Tiphys, leur pilote, qui fut remplacé par Ancée. De là ils passèrent dans l’île
d’Arécie, où ils trouvèrent les enfants de Phryxus, qu’Eétès, leur aïeul, envoyait en
Grèce, recueillir la succession de leur père. Les Argonautes les emmenèrent avec eux,
et arrivèrent enfin dans la ville d’Æa, capitale de la Colchide.
118. Conquête de la toison d’or.
Jason déclara à Eétès le sujet de son voyage. Le roi promit de rendre la toison d’or,
mais à des conditions si bizarres et si dures, qu’il semblait impossible que les
Argonautes ne succombassent pas successivement dans l’entreprise. Jason devait dompter
deux taureaux furieux, qui vomissaient des flammes ; les atteler à une charrue de
diamant ; labourer un vaste champ ; y semer les dents d’un dragon d’où naîtraient
autant d’hommes armés, qu’il fallait exterminer jusqu’au dernier ; tuer ensuite le
dragon, qui veillait nuit et jour à la garde de la toison d’or ; enfin exécuter tous
ces travaux en un seul jour. Jason accepta toutes les conditions, comptant sur son
courage et sur le secours de Médée, fille du roi, et magicienne puissante. Il était
aimé d’elle et il lui avait promis de l’épouser. A l’aide d’un breuvage que prépara
cette princesse, il empoisonna le dragon et enleva la toison d’or confiée à sa garde.
Possesseur de ce trésor, Jason s’enfuit avec sa nouvelle épouse et avec ses
compagnons. Poursuivis par Absyrte, fils du roi, les deux fugitifs ont recours à un
moyen barbare, à un crime affreux ; ils massacrent le jeune prince et dispersent ses
membres sur la route, afin d’arrêter dans sa marche un père infortuné. Arrivés ainsi à
leur vaisseau, ils précipitent leur retour, qui fut long et plein de périls. La
justice des dieux faisait expier aux coupables le meurtre d’Absyrte. Après avoir erré
longtemps, ils abordent dans l’île de Circé. Là Jason apprend de cette magicienne
fameuse qu’il subit le châtiment du crime auquel il a pris part, et, comme sœur
d’Eétès, elle refuse de l’en purifier. Bientôt ils sont entraînés par la tempête au
delà des colonnes d’Hercule. Ramenés dans la Méditerranée, ils traversent les écueils
de Charybde et de Scylla, par la protection de Thétis, qui aimait Pélée, l’un des
Argonautes. Orphée, en les rendant attentifs aux accords harmonieux de sa lyre, les
soustrait à un nouveau danger, aux enchantements des Sirènes (n° 77). Arrivés à l’île
des Phéaciens, ils y trouvent la flotte d’Eétès, qui n’avait cessé de les poursuivre.
Les envoyés du roi demandent qu’on leur rende Médée ; mais Jason refuse de livrer
cette princesse, devenue son épouse. De nouvelles tempêtes jetèrent les Argonautes sur
les sirtes d’Afrique. Enfin, après bien des traverses, ils arrivèrent au cap Malée,
dans le Péloponèse, où Jason fut purifié du meurtre d’Absyrte. De là ils vont
débarquer sur les côtes de la Thessalie, d’où ils étaient partis. Ainsi se termine
cette expédition fameuse.
119. Vengeance de Médée. — Malheurs de Jason ; sa mort.
Jason, de retour à Iolchos, réclama de Pélias le trône paternel, que celui-ci avait
promis de rendre au prix de la conquête qu’il venait de faire, Mais comme
l’usurpateur, affaibli par l’âge, différait toujours, Médée qui déjà avait rajeuni
Eson, détermina les filles de Pélias à donner la mort à leur père, leur promettant de
le faire renaître plein de vigueur. Le vieillard périt ainsi des mains de ses filles.
Après ce crime, Jason, ayant horreur de Médée, la quitta. Celle-ci s’abandonne alors à
toute sa fureur ; elle éclate en reproches et en menaces contre Jason :
Me peut-il bien quitter après tant de bienfaits ?
M’ose-t-il bien quitter après tant de forfaits ?
Sachant ce que je puis, ayant vu ce que j’ose,
Croit-il que m’offenser ce soit si peu de chose ?
Quoi ! mon père trahi, les éléments forcés,
D’un frère encore enfant les membres dispersés.
Lui font-ils présumer mon audace épuisée ?
Lui font-ils présumer qu’à mon tour méprisée,
Ma rage contre lui n’ait pas où s’assouvir,
Et que tout mon pouvoir se borne à te servir ?
Tu t’abuses, Jason ! je suis encor moi-même :
Tout ce qu’en ta faveur fit mon amour extrême,
Je le ferai par haine, et je veux pour le moins
Qu’un forfait nous sépare, ainsi qu’il nous a joints.
( P. Corneille, Médée.)
Médée, en effet, punit son époux en égorgeant sous ses yeux les enfants qu’elle avait
eus de lui. Après cette vengeance, elle s’envola sur un char traîné par des dragons
ailés. Jason mena dès lors une vie triste et errante. Médée lui avait prédit qu’il
périrait sous les débris du vaisseau des Argonautes. Un jour qu’il se reposait sur le
rivage à l’abri de ce vaisseau, mis à sec sur le sable, une poutre s’en détacha et lui
brisa la tête. Jason reçut après sa mort les honneurs réservés aux héros.
En dépouillant ce récit de tout le merveilleux dont les poëtes se sont plu à
l’embellir, on peut conjecturer que le voyage des Argonautes fut tout à la fois une
expédition militaire, entreprise par les plus illustres guerriers de la Grèce pour
recouvrer des trésors emportés par Phryxus, et une expédition commerciale ayant pour
but de fonder des colonies et de former des établissements dans des contrées
nouvelles. Une flotte partit ; mais le vaisseau principal, nommé Argo, revint seul et
resta célèbre. Sans cesse réparé, successivement renouvelé dans chacune de ses
parties, il se conserva pendant plusieurs siècles et passa ainsi pour immortel. Les
poëtes l’ont placé parmi les constellations.
Questionnaire.
116. Quelles furent les causes de l’expédition des Argonautes ? De qui étaient nés
Phryxus et Hellé ? Comment furent-ils obligés de fuir ? Comment périrent-ils l’un et
l’autre ? De qui Jason était-il fils ? Pourquoi entreprit-il d’aller conquérir la
toison d’or ? Combien de compagnons s’adjoignit-il, et quels sont les plus célèbres ?
A qui fut déféré le commandement de l’expédition ?
117. Racontez la navigation des Argonautes depuis le port d’Iolchos, en Thessalie,
jusqu’à la ville d’Æa, en Colchide.
118. Quelles conditions furent imposées à Jason par Eétès pour que celui-ci rendît la
toison d’or ? Comment Médée aida-t-elle Jason à éluder l’accomplissement de ces
conditions ? Quels moyens barbares employèrent-ils pour arrêter la poursuite du roi ?
Dans quels lieux furent-ils jetés par les tempêtes, et que leur arriva-t-il ?
119. Que fit Jason de retour à Iolchos ? Par quel nouveau crime Médée essaya-t-elle
de lui faire recouvrer le trône paternel ? Quel parti prit Jason à l’égard de Médée ?
Comment celle-ci se vengea-t-elle ? Quelle fut la fin de Jason, prédite par
Médée ?
Sous quel double rapport peut-on, par conjecture, considérer l’expédition des
Argonautes ?
Chapitre XXVIII. Guerre de Thèbes. Environ 1250 ans avant J.-C.
120. Cadmus, fondateur de Thèbes. Naissance de Laïus et d’Œdipe.
Quelques détails sur l’origine de Thèbes vont nous expliquer lei malheurs de ses
premiers rois. Agénor, roi de Phénicie, avait un fils nommé Cadmus et une fille
appelée Europe. Cette jeune princesse, folâtrant un jour avec ses compagnes au bord de
la mer, vit un taureau blanc, aux cornes dorées, couché entre les joncs. Elle s’assit
sur le dos du bel animal, qui à l’instant s’élança dans les flots. C’était Jupiter,
qui, sous cette forme, emmena Europe dans cette partie du monde à laquelle elle a
donné son nom. Cadmus, envoyé par son père à la recherche de sa sœur, consulta, après
bien des courses inutiles, l’oracle de Delphes, dont la réponse fut qu’il fallait
bâtir une ville à l’endroit où il rencontrerait une génisse, et donner au pays le nom
de Béotie (bous, génisse). La nouvelle ville s’appela Thèbes. Mais elle fut en butte à
la haine de Junon, qui poursuivait sur la famille d’Europe l’enlèvement de cette
princesse par Jupiter, son infidèle époux. Cadmus62, accablé de malheurs et chassé du trône, se retira avec Hermione, sa femme, en
Illyrie, où ils furent, dit-on, changés en serpents. Polydore, leur fils, périt
misérablement ; Labdacus, fils de Polydore, enlevé par une mort prématurée, ne laissa
qu’un petit-fils au berceau ; c’était Laïus. Après avoir perdu et recouvré deux fois
sa couronne, Laïus épousa Jocaste, fille de Ménécée. Les plus affreux malheurs étaient
réservés à cet hymen. « L’enfant qui en sortira, disait un oracle, sera le
meurtrier de son père et l’époux de sa mère. » Aussitôt qu’il fut né, le roi
ordonna de le faire périr. Mais Jocaste obtint de l’officier chargé d’exécuter cet
ordre qu’il exposerait seulement l’enfant. Il fut suspendu par les pieds à un arbre,
sur le mont Cithéron. Ses cris furent entendus par un berger du roi de Corinthe, qui,
touché de sa beauté, le porta à la cour. Polybe et Péribée, qui occupaient alors le
trône, l’élevèrent comme leur fils et lui donnèrent, à cause de l’enflure de ses
pieds, le nom d’Œdipe.
121. Malheurs d’Œdipe.
Œdipe, devenu grand, consulte lui-même l’oracle sur sa destinée. Il apprend qu’il
sera un jour parricide et incestueux. Alors, pour prévenir ce double malheur, il
s’éloigne de Corinthe, qu’il croyait être sa patrie, et se dirige vers la Phocide.
Dans un chemin étroit, il rencontre un vieillard qui lui dispute le passage, il
l’attaque et le tue ; c’était Laïus, son père. Un poëte tragique met dans la bouche
d’Œdipe lui-même le récit de cet événement :
Dans un chemin étroit j’ai trouvé deux guerriers
Sur un char éclatant que traînaient deux coursiers :
Il fallut disputer dans cet étroit passage
Des vains honneurs du pas le frivole avantage.
J’étais jeune et superbe, et nourri dans un rang
Où l’on puise toujours l’orgueil avec le sang.
Inconnu dans le sein d’une terre étrangère,
Je me croyais encore au trône de mon père ;
Et tous ceux qu’à mes yeux le sort venait offrir
Me semblaient mes sujets et faits pour m’obéir.
Je marche donc vers eux, et ma main furieuse
Arrête des coursiers la fougue impétueuse ;
Loin du char à l’instant ces guerriers élancés
Avec fureur sur moi fondent à coups pressés.
La victoire entre nous ne fut point incertaine,
Dieux puissants ! je ne sais si c’est faveur ou haine,
Mais sans doute pour moi contre eux vous combattiez :
Et l’un et l’autre enfin tombèrent à mes pieds.
L’un d’eux, il m’en souvient, déjà glacé par l’âge,
Couché sur la poussière observait mon visage :
Il me tendit les bras, il voulut me parler ;
De ses yeux expirants je vis des pleurs couler :
Moi-même en le perçant je sentis dans mon âme,
Tout vainqueur que j’étais. Vous frémissez, madame.
( Voltaire, Œdipe.)
Abandonnant la Phocide, Œdipe porte ses pas errants vers Thèbes. Il trouve la ville
désolée par le Sphinx, qu’Apollon avait suscité, disait-on, pour punir le meurtre de
Laïus. Rampant sans cesse sur la voie publique, ce monstre affreux proposait aux
passants l’énigme suivante, et les dévorait parce qu’ils ne la devinaient pas :
« Quel est l’animal qui marche sur quatre pieds le matin, à midi sur deux, et
le soir sur trois63 ? » L’oracle avait annoncé que le monstre cesserait de vivre aussitôt que le
sens de l’énigme serait découvert. Jocaste, veuve de Laïus, avait proposé son trône et
sa main à celui qui obtiendrait cette victoire. Œdipe se présente, devine l’énigme,
triomphe du Sphinx, devient l’époux de Jocaste et roi de Thèbes. L’oracle était
accompli. Mais écoutons le poëte nous raconter ces événements :
Né parmi les rochers, au pied du Cithéron,
Ce monstre à face humaine, aigle, femme, lion,
De la nature entière exécrable assemblage,
Unissait contre nous l’artifice à la rage.
Il n’était qu’un moyen d’en préserver ces lieux :
D’un sens embarrassé dans des mots captieux.
Le monstre, chaque jour, dans Thèbe épouvantée
Proposait une énigme avec art concertée ;
Et si quelque mortel voulait nous secourir,
Il devait voir le monstre et l’entendre, ou périr.
A cette loi terrible il nous fallut souscrire.
D’une commune voix Thèbe offrit son empire
A l’heureux interprète inspiré par les dieux
Qui nous dévoilerait ce sens mystérieux ;
Nos sages, nos vieillards, séduits par l’espérance,
Osèrent, sur la foi d’une vaine science,
Du monstre impénétrable affronter le courroux :
Nul d’eux ne l’entendit ; ils expirèrent tous.
Mais Œdipe, héritier du sceptre de Corinthe,
Jeune, et dans l’Age heureux qui méconnaît la crainte,
Guidé par la Fortune en ces lieux pleins d’effroi,
Vint, vit le monstre affreux, l’entendit et fut roi.
( Voltaire, Œdipe.)
L’union incestueuse d’un fils avec sa mère attira de nouveau les vengeances célestes.
Thèbes fut ravagée par une peste cruelle. L’oracle consulté dévoila le crime
involontaire d’Œdipe et de Jocaste. Cette reine infortunée se pendit de désespoir.
Œdipe, dans sa douleur, se creva les yeux ; et chassé du trône par deux fils ingrats,
il traîna dans l’exil une vie errante et misérable. Il avait eu de Jocaste quatre
enfants : Etéocle, Polynice, Antigone et Ismène. Antigone s’attacha à la Fortune de
son père malheureux et ne cessa de guider ses pas. Aussi son nom est-il resté comme
l’expression la plus vive de la piété filiale chez les anciens :
Oui, tu seras un jour chez la race nouvelle
De l’amour filial le plus parfait modèle.
Tant qu’il existera des pères malheureux,
Ton nom consolateur sera sacré pour eux.
( Ducis, Œdipe chez Admète.)
Elle-même s’écrie en arrosant de pleurs les mains d’Œdipe.
Mon sort ! Je le préfère
A l’hymen le plus doux, au trône de mon frère.
Hélas ! c’est à mon bras que le vôtre eut recours.
Si mon sexe trop faible a borné mon secours,
Par ma tendresse au moins j’ai calmé vos alarmes ;
J’ai soutenu vos pas, j’ai recueilli vos larmes.
Hélas ! pour vous nourrir j’ai souvent mendié
Les refus insultants d’une avare pitié.
Il semblait que le ciel, adoucissant l’outrage,
Aux malheurs de mon père égalât mon courage.
Seule, au fond des déserts, j’ai marché sans effroi,
Croyant avoir toujours vos vertus prés de moi.
Vos ennuis sont les miens, ma douleur est la vôtre.
Nous seuls nous nous restons, consolés l’un par l’autre.
L’univers nous oublie : ah ! recevons du moins,
Moi, vos tristes soupirs, et vous mes tendres soins.
Que Thèbes à vos deux fils offre un trône en partage ;
Vous suivre et vous aimer, voilà mon héritage.
(Le même.)
Enfin Œdipe arrive avec sa fille au bourg de Colone, situé près d’Athènes. L’oracle
avait prédit qu’il mourrait dans ce lieu, et que son tombeau serait un gage de
victoire pour les Athéniens contre leurs ennemis. Lorsqu’il fut sorti d’un bois
consacré aux Euménides, la terre s’entrouvrit pour le recevoir, et il disparut dans
son sein. On ne put reconnaître la place où il avait été englouti. La pieuse Antigone
retourna à Thèbes, où d’autres malheurs attendaient sa famille.
122. Première guerre de Thèbes. — Étéocle et Polynice. — Les sept chefs.
Au moment où deux fils ingrats le chassaient de son royaume, Œdipe les avait chargés
d’imprécations et leur avait prédit, qu’ils se partageraient son héritage, le fer à la
main, et se donneraient mutuellement la mort. Devenus maîtres du trône, Etéocle et
Polynice convinrent de l’occuper tour à tour pendant une année, afin de prévenir
l’accomplissement de la prédiction paternelle. Etéocle, l’aîné, y monta le premier ;
mais, au terme fixé, il refusa de le céder à son frère. Polynice implore le secours
d’Adraste, roi d’Argos, qui lui avait donné sa fille en mariage et qui lui fournit une
puissante armée, pour aller combattre Etéocle. Six autres chefs, intrépides comme le
roi d’Argos, partagent avec lui le commandement. C’étaient Polynice, son gendre,
Tydée, fils d’Œnée, roi d’Etolie, Capanée, prince argien, le devin Amphiaraüs,
Hippomédon et Parthénopée. L’armée se met en marche et entre dans la forêt de Némée,
où elle institue, en passant, les jeux Néméens, longtemps célèbres dans la Grèce.
Après avoir traversé l’isthme de Corinthe, elle pénètre dans la Béotie et arrive sous
les murs de Thèbes. Là les sept chefs s’engagent par un serment solennel à venger
Polynice, ou à périr sous les ruines de Thèbes.
Sur un bouclier noir, sept chefs impitoyables
Epouvantent le ciel de serments effroyables.
Près d’un taureau mourant qu’ils viennent d’égorger,
Tous, la main dans le sang, jurent de se venger :
Ils en jurent la Peur, le dieu Mars et Bellone.
( Eschyle, trad. de Boileau)
Ce serment resta sans effet. Après plusieurs assauts dans lesquels succombèrent de
part et d’autre beaucoup de guerriers, les deux frères ennemis, Etéocle et Polynice,
en viennent à un combat singulier. Ils se précipitent avec fureur l’un sur l’autre ;
et après une lutte terrible, Etéocle tombe frappé d’un coup mortel ; mais tandis que
Polynice se baisse pour le désarmer, il se sent percer lui-même, et tous deux expirent
en même temps par la main l’un de l’autre. Mais voyons dans Racine cette scène affreuse :
Ils commencent enfin ce combat plein d’horreur.
D’un geste menaçant, d’un œil brûlant de rage,
Dans le sein l’un de l’autre ils cherchent un passage ;
Et la seule fureur précipitant leurs bras,
Tous deux semblent courir au-devant du trépas.
Le roi, frappé d’un coup qui lui perce le flanc,
Cède enfin la victoire, et tombe dans son sang.
Polynice, tout fier du succès de son crime,
Regarde avec plaisir expirer sa victime :
Dans le sang de son frère il semble se baigner :
« Et tu meurs, lui dit-il, et moi je vais régner !
« Regarde dans mes mains l’empire et la victoire ;
« Va rougir aux enfers de l’excès de ma gloire ;
« Et pour mourir encore avec plus de regret,
« Traître, songe en mourant que tu meurs mon sujet. »
En achevant ces mots, d’une démarche fière
Il s’approche du roi couché sur la poussière,
Et pour le désarmer il avance le bras :
Le roi, qui semble mort, observe tous ses pas ;
Il le voit, il l’attend, et son âme irritée
Pour quelque grand dessein semble s’être arrêtée.
Dans le moment fatal que ce frère inhumain
Lui veut ôter le fer qu’il tenait à la main,
Il lui perce le cœur ; et son âme ravie
En achevant ce coup abandonne la vie.
Polynice frappé pousse un cri dans les airs,
Et son âme en courroux s’enfuit dans les enfers.
( J. Racine, les Frères
ennemis.)
Quelques auteurs racontent que les corps des deux frères furent mis sur le même
bûcher par les soins d’Antigone ; et afin d’exprimer par une image effrayante les
sentiments qui les avaient animés pendant leur vie, ils disent que la flamme qui les
dévora resta constamment divisée, pour ne pas confondre leurs cendres.
123. Seconde guerre de Thèbes. – Les Épigones.
Créon, frère de Jocaste, succéda à la couronne. Suivant une tradition différente de
la première, il fit rendre les derniers honneurs à Etéocle, qui avait courageusement
défendu sa patrie, mais il voulut qu’on laissât sans sépulture Polynice, qui avait
amené contre Thèbes une armée étrangère. Cet ordre rigoureux causa la ruine de la
famille royale. Antigone, pour avoir tenté d’inhumer son malheureux frère, fut
enterrée toute vive. Ismène ne survécut pas à la perte de sa sœur. Hémon, fils du roi,
qui devait épouser Antigone, se tua de désespoir sur son tombeau. La reine, épouse de
Créon, mourut de douleur. Créon lui-même ne fut pas réservé pour un meilleur sort. Les
sept chefs avaient laissé des fils dignes d’eux, c’étaient : Egialée, fils d’Adraste ;
Diomède, fils de Tydée ; Promaque, fils de Parthénopée ; Sténélus, fils de Capanée ;
Thersandre, fils de Polynice ; Polydore, fils d’Hippomédon. Dix ans après la première
expédition, ces jeunes princes, connus sous le nom d’Epigones ou de descendants, sont
appelés à venger leurs pères par Adraste, qui seul avait survécu. Ils viennent
assiéger Thèbes, la prennent et massacrent l’odieux Créon. Ils placent sur le trône
Thersandre, fils de Polynice, qui fut tué, quelques années après, en allant au siége
de Troie. Deux princes de cette même famille régnèrent encore à Thèbes. Mais le second
ayant été saisi tout à coup d’une noire frénésie, les Thébains comprirent que les
Furies ne cesseraient de poursuivre le sang d’Œdipe, et ils appelèrent au trône une
autre famille. Trois générations après, ils choisirent le gouvernement
républicain.
Questionnaire.
120. Quelle fut l’origine de Thèbes et la cause des malheurs de ses premiers rois ?
De qui Cadmus était-il fils ? Quelle était sa sœur ? Comment et par qui fut-elle
enlevée ? Que répondit l’oracle à Cadmus, après des recherches infructueuses ?
Pourquoi la nouvelle ville de Thèbes fut-elle en butte à la haine de Junon ? Quelle
fut la destinée de Cadmus ? Quelle invention lui attribue-t-on ? Quels furent les
descendants de Cadmus ? Le plus célèbre ? Pourquoi et comment Œdipe fut-il exposé
après sa naissance ?
121. Pourquoi Œdipe s’éloigna-t-il de Corinthe ? Quelle rencontre fit-il en Phocide ?
Où va-t-il ensuite ? Faites connaître le Sphinx et l’énigme qu’il proposait. Récitez
la description poétique de ce monstre. Quel nouveau fléau vint affliger Thèbes ?
Racontez les malheurs d’Œdipe ; sa fuite avec sa fille Antigone ; sa mort au bourg de
Colone, près d’Athènes.
122. Comment s’accomplit la prédiction d’Œdipe à l’égard de ses fils Etéocle et
Polynice ? Quelle fut la cause de leur Discorde ? Que fit Polynice pour se venger ?
Faites connaître les sept chefs et leur serment. Décrivez le combat d’Etéocle et de
Polynice ? Comment périrent-ils ?
123. Qui hérita du trône de Thèbes ? Quel ordre rigoureux donna Créon ? Quelles en
furent les conséquences ? Lui-même, quel sort éprouva-t-il ? Qu’était-ce que les
Epigones ? Quel fut le résultat de la nouvelle guerre qu’ils vinrent faire aux
Thébains ? Quels furent les derniers rejetons de la famille d’Œdipe ? Quel parti fut
pris à l’égard de la royauté dans cette ville ? Quel gouvernement y fut enfin
établi ?
Chapitre XXIX. Guerre de Troie. 1200 ans av. J.-C.
124. Causes de la guerre de Troie.
Depuis longtemps une haine profonde existait entre les Grecs et les Troyens. Sous le
règne de Laomédon, père de Priam, Hercule avait saccagé la ville de Troie et enlevé
Hésione, fille du roi. Priam lui-même avait été emmené en Grèce avec sa sœur, et
n’avait dû sa liberté qu’à une forte rançon64. Priam, quand ses fils furent assez avancés en âge, envoya Pâris,
l’un d’eux, réclamer Hésione. Mais arrivé à Sparte pendant l’absence de Ménélas, Pâris
s’éprit de la beauté d’Hélène, femme de ce prince, s’en fit aimer et l’emmena à Troie.
Les Grecs prirent les armes pour venger l’outrage fait à Ménélas. Telle fut la cause
d’une guerre qui dura dix ans.
Hélène était fille de Jupiter et de Léda, femme de Tyndare, roi de Sparte. Sa rare
beauté l’avait fait rechercher en mariage par tous les princes de la Grèce. Tyndare,
les voyant un jour réunis, leur fit jurer de défendre celui d’entre eux auquel Hélène
aurait donné la préférence. Son choix tomba sur Ménélas, fils d’Atrée, roi de Mycènes.
Les deux époux vivaient heureux, lorsque le fils de Priam vint rompre leur union en
enlevant Hélène. Aussitôt Ménélas rappela aux princes grecs leur serment. La plupart
s’y montrèrent fidèles. Les plus célèbres furent Agamemnon, son frère, roi d’Argos et
de Mycènes, les deux Ajax, Diomède, Nestor, Philoctète, Idoménée, Mérion, Teucer,
Palamède et le devin Calchas. A l’égard de quelques autres, non moins célèbres, il
fallut opposer la ruse à la ruse pour leur faire quitter leurs foyers. Ainsi Ulysse,
roi d’Ithaque, afin de ne pas abandonner sa jeune épouse, Pénélope, qu’il aimait
tendrement, faisait l’insensé. Il promenait une charrue sur le bord de la mer et
semait du sel dans les sillons qu’il avait tracés. Mais Palamède, envoyé vers lui,
ayant placé Télémaque encore enfant devant le soc de la charrue, Ulysse la détourna
adroitement, et prouva ainsi que sa folie était feinte ; il fut obligé de partir.
Ulysse remplit le même message auprès d’Achille, que Thétis, sa mère, avait envoyé,
sous des habits de femme, à la cour de Lycomède, roi de Scyros, parce que l’oracle
avait prédit qu’il périrait au siége de Troie. Ulysse, déguisé en marchand, présenta
aux filles de Lycomède des bijoux, parmi lesquels se trouvaient des armes. Achille
trahit son sexe par le choix qu’il en fit. Mais il partit volontiers avec Patrocle,
son ami, pour une expédition à laquelle l’appelait son courage. L’armée, forte
d’environ cent mille guerriers, s’assemble au port d’Aulis, en Béotie. Agamemnon,
frère de Ménélas, est nommé généralissime, mais il faut qu’il paie cet honneur au prix
du sang de sa fille, Iphigénie, qu’il est forcé d’immoler pour obtenir des vents
favorables65.
L’oracle consulté avait répondu :
Enfin, après de grands préparatifs et une longue attente, la flotte, composée de plus
de douze cents vaisseaux, met à la voile et arrive devant Troie.
125. Siége de Troie. — Colère d’Achille. — Prise de la ville.
La ville de Troie, protégée par des remparts et des tours, était encore défendue par
une armée nombreuse que commandait Hector, fils de Priam. Tous les princes de l’Asie
Mineure, les plus illustres guerriers et même des rois étaient venus se ranger sous
ses ordres : d’abord Pâris, le ravisseur d’Hélène et l’auteur de la guerre ; puis
Déiphobe, et Troïle, tous trois fils de Priam ; Anténor et Anchise, princes troyens ;
ensuite Rhésus, roi de Thrace ; Penthésilée, reine des Amazones ; Memnon, fils de
Tithon et de l’Aurore, roi d’Ethiopie ; Sarpédon, fils de Jupiter, roi d’une partie de
la Lycie, et beaucoup d’autres. Les deux armées se livraient sur le rivage des combats
terribles. Mais le siége fut traîné en longueur par la colère d’Achille. Voici ce qui
la fit naître : Dans le partage du butin, qui était, comme on le sait, tiré au sort,
Chryséis, fille d’un prêtre d’Apollon, était échue à Agamemnon. Comme ce prince,
refusant toute rançon, voulait garder sa captive, une peste cruelle désolait l’armée,
et le dieu avait déclaré, par la bouche de Calchas, que le fléau ne cesserait que
lorsque Chryséis serait rendue à son père.
Agamemnon consentit à rendre sa captive, mais à la condition d’avoir à sa place
Briséis, esclave d’Achille, qu’il lui fit enlever, après un violent débat. Irrité de
cet affront, le fils de Thétis se retire dans sa tente et ne veut plus combattre.
Cependant, touché du malheur des Grecs, écrasés par les Troyens, il consent à revêtir
de son armure Patrocle, son ami. Celui-ci va combattre Hector et succombe. Achille,
dans sa douleur, jure de le venger. Thétis, sa mère, vient le consoler et lui apporte
de nouvelles armes, chef d’œuvre de Vulcain. Achille marche contre Hector, le tue et
traîne trois fois autour des murs de Troie son corps attaché à son char victorieux.
Priam vient dans la tente d’Achille demander, en suppliant, le corps de son malheureux
fils. Le héros, aussi généreux que brave, accorde cette grâce aux larmes du vieillard.
Bientôt, épris des charmes de Polyxène, fille de Priam, il obtient sa main ; mais
tandis qu’il la conduit à l’autel, Pâris le frappe d’une flèche au talon66, et lui donne la mort. Pyrrhus succède à son père, sous le nom de
Néoptolème (nouveau guerrier). Il se rend avec Ulysse auprès de Philoctète, que les
Grecs avaient perfidement abandonné dans l’île de Lemnos, et ils le décident, non sans
peine, à les accompagner sous les murs de Troie. La ville ne pouvait être prise,
suivant un oracle, qu’avec les flèches d’Hercule, que possédait Philoctète (n° 111).
Dès ce moment, le siége est poussé avec une ardeur nouvelle. Les Troyens résistent
avec courage. Mais un stratagème, inspiré par Minerve elle-même, devait les livrer à
leurs ennemis. Les Grecs construisent un immense cheval de bois et y renferment
l’élite de leurs guerriers. C’est un vœu, disent-ils, pour un heureux retour dans leur
patrie. Ils feignent en effet de partir. Les Troyens ouvrent leurs portes et viennent
contempler le prétendu don offert à Minerve. En vain Laocoon, prêtre de Neptune, les
conjure de se défier des Grecs. Dans leur aveuglement les Troyens n’écoutent que les
discours artificieux de Sinon, d’un transfuge, d’un traître. Par ses conseils, ils
introduisent la fatale machine dans leurs murs, dont ils abattent un pan, pour lui
livrer passage. La nuit venue, Sinon, à un signal donné, ouvre les flancs du cheval :
les guerriers descendent, égorgent les sentinelles et introduisent le reste des Grecs
dans la ville. Surprise sans défense, Troie est livrée aux flammes. Priam est égorgé
par Pyrrhus, qui mêle le sang du vieux roi à celui d’un de ses fils. Nous conseillons
de lire dans le deuxième livre de l’E
néide cette
admirable peinture de la prise et de la destruction de Troie. Mais nous croyons être
agréable à nos jeunes lecteurs, en mettant sous leurs yeux le tableau de la mort de
Priam :
Tout à coup de Pyrrhus fuyant la main cruelle
A travers mille dards, un dernier fils du roi
S’échappe, et du palais dépeuplé par l’effroi
Traverse tout sanglant la longue galerie.
Pyrrhus le suit. Déjà tout bouillant de furie,
Il le presse, il le touche, il l’atteint de son dard :
Enfin au saint autel, asile du vieillard,
Son fils court éperdu, tend les bras à son père,
Hélas ! et dans son sang tombe aux pieds de sa mère.
A ce spectacle affreux, quoique sûr de la mort,
Priam ne contient plus son douloureux transport :
« Que les dieux, s’il en est qui vengent l’innocence,
« T’accordent, malheureux ! ta juste récompense ;
« Toi qui d’un sang chéri souilles mes cheveux blancs,
« Qui sous les yeux d’un père égorges ses enfants !
« Toi, fils d’Achille ! Non, il ne fut point ton père.
« D’un ennemi vaincu respectant la misère,
« Le meurtrier d’Hector, dans son noble courroux,
« Ne vit pas sans pitié Priam à ses genoux,
« Et pour rendre au tombeau des dépouilles si chères,
« II me renvoya libre au palais de mes pères.
« Tiens, cruel ! » A ces mots, au vainqueur inhumain
Il jette un faible trait qui, du solide airain
Effleurant la surface avec un vain murmure,
Languissamment expire et pend à son armure.
« — Eh bien, cours aux enfers conter ce que tu vois,
« A mes nobles aïeux va dire mes exploits ;
« Dis au fils de Thétis que son sang dégénère ;
« Mais avant, meurs ! » Il dit ; et, d’un bras sanguinaire,
Du monarque traîné par ses cheveux blanchis,
Et nageant dans le sang du dernier de ses fils,
Il pousse vers l’autel la vieillesse tremblante :
De l’autre saisissant l’épée étincelante,
Lève le fer mortel, l’enfonce, et de son flanc
Arrache avec la vie un vain reste de sang.
Ainsi finit Priam ; ainsi la Destinée
Marqua par ses malheurs sa mort infortunée.
( Virgile, Enéide, trad. de
Delille.)
126. Suites de la guerre de Troie.
Dans la suite de son poëme, Virgile nous montre Enée,
fils d’Anchise et de Vénus, partant, par l’ordre des destins, avec vingt vaisseaux et
une troupe de Troyens fidèles. Emportant ses Pénates vaincus, il va, au prix de bien
des dangers et de bien des traverses, fonder en Italie un nouvel empire, et bâtir la
ville de Lavinium, qui fut le berceau du peuple romain. Quant aux chefs des Grecs, ils
furent moins heureux. Le retour fut marqué par les plus sinistres revers. Mnesthée,
roi d’Athènes, finit ses jours dans l’île de Mélos. Ajax, roi des Locriens, périt avec
sa flotte. Idoménée67, échappé
avec peine à la fureur des flots, est banni de ses Etats par ses propres sujets, et
obligé d’aller chercher une nouvelle patrie. Philoctète, Diomède et Teucer vont aussi
se refugier dans des pays éloignés. Ulysse fut condamné à errer dix ans sur les mers,
avant de regagner sa chère Ithaque, et il eut à subir cette longue suite d’aventures
et de périls qui ont fourni à Homère la matière de son
Odyssée. Enfin Agamemnon, le chef de l’entreprise, de retour à Argos,
trouve son trône et son lit souillés par Egisthe, et reçoit la mort de la main de
Clytemnestre, son épouse. Cassandre, fille de Priam, devenue l’esclave d’Agamemnon,
lui avait prédit cette fin tragique ; mais on sait que les prédictions de Cassandre
étaient proférées en vain.
Telles sont, en abrégé, les circonstances principales de cette guerre, qui est restée
l’événement le plus célèbre de l’antiquité. Chose digne de remarque ! depuis l’origine
du monde, une foule de cités ont péri par la guerre, des empires ont disparu, en ne
laissant que de faibles traces dans la mémoire des hommes ; et voilà que tous les
détails du siége et de la destruction de Troie, de cette chétive capitale d’un royaume
qui comptait à peine quelques milliers d’habitants, n’ont cessé d’être connus, depuis
trois mille ans, dans toutes les parties du monde civilisé. Telle est la puissance de
la poésie ! tel est l’éclat que le génie d’ Homère a
répandu sur les lieux et sur les faits qu’il a célébrés dans ses poëmes immortels de
l’Iliade et de l’Odyssée.
Vieil Homère, salut ! De tes divins écrits
Tous les talents divers empruntent leur puissance.
C’est toi que l’on peignait ainsi qu’un fleuve immense
Bien loin des autres dieux qui devant lui s’abaissent,
Ainsi tous tes rivaux devant toi disparaissent :
Ou tel que tu peignais ce souverain des cieux,
De sa puissante main enlevant tous les dieux,
Les maîtres du pinceau, les rois de l’harmonie,
Tu les suspendis tous à ton puissant génie.
Partout cher à la Grèce, et partout citoyen,
Sept langages divers enrichissent le tien.
Que n’as-tu point tracé dans ta vaste peinture ?
Les champs et les cités, les arts et la nature,
Ton ouvrage peint tout : tel brille dans tes vers
Le bouclier céleste où se meut l’univers.
Que tu m’offres du cœur des peintures savantes !
Les mains du sang d’Hector encore toutes fumantes,
Achille au nom de père adoucit sa fierté ;
Par la voix des vieillards tu louas la beauté.
Qui peint mieux les héros que ta muse guerrière ?
Alexandre pleura de n’avoir point d’ Homère.
Ton berceau fut caché ! Qu’importe aux nations ?
Le Nil nous tait sa source, et nous verse ses dons.
Le monde est ta patrie : enseigne tous les âges,
Plais à tous les esprits, vis dans tous les langages.
Tes vers, que la nature a marqués de son sceau,
Comme elle, en vieillissant, ont un charme nouveau.
L’antiquité crédule a perdu ses miracles ;
Tous ces dieux que tu fis, leur culte, leurs oracles,
Tout est anéanti : tes autels sont debout.
Tu n’eus point de tombeau, mais ton temple est partout
Accepte donc mon hymne, ô dieu de l’harmonie !
( Delille, poëme de
l’Imagination.)
Nous ne pouvions mieux terminer ce qui concerne la mythologie des Grecs et des
Romains que par le récit du grand événement qui forme la limite entre les temps
fabuleux et les temps à demi héroïques.
Questionnaire.
124. Quelles furent les causes de guerre de Troie ? Quelle fut l’origine de la haine
qui exista entre les Grecs et les Troyens ? Comment Priam était-il venu en Grèce ?
Pourquoi Pâris enleva-t-il Hélène ? De qui était-elle fille ? Quelle promesse Tyndare,
son père, avait-il exigé des prétendants à la main d’Hélène ? Quels furent ceux
auxquels Ménélas rappela cette promesse, et qui l’accomplirent ? Quels moyens furent
employés à l’égard d’Ulysse et d’Achille ? Quelle condition fut indiquée par l’oracle
pour le départ de la flotte des Grecs ?
125. Par qui était commandée l’armée troyenne ? Qu’étaient les autres guerriers les
plus illustres ? Quelle fut 1a cause de la querelle qui s’éleva entre Achille et
Agamemnon ? Quelles furent les suites de la colère d’Achille ? Commet périt-il ? Quel
acte de générosité avait-il fait à l’égard de Priam ? Qui succéda à Achille ? Quel
message accompli Pyrrhus accompagné d’Ulysse ? Quel stratagème livra la ville de Troie
aux Grecs ? Qui l’avait inspiré ? Comment périt Priam ? Faites ce récit touchant
d’après Virgile.
120. Quelles furent les suites de la guerre de Troie pour les Troyens ? Quel royaume
fonda Enée ? Que devinrent 1a plupart des chefs des Grecs, Mnesthée, Ajax, Idoménée,
Philoctète, Diomède, Teucer, Ulysse ? Quelle fut la destinée d’Agamemnon ? Comment
périt-il ? A quoi est dû l’éclat répandu sur cette guerre fameuse, et la célébrité
qu’elle conservée à travers les âges ? Quel portrait nous a tracé d’ Homère le poëte Delille ?
Livre Quatrième. Mythologie des Égyptiens, des Perses, des Indous, des
Scandinaves et des Gaulois.
Chapitre XXX. Mythologie des Égyptiens.
127. Osiris et Isis.
On sait que l’Égypte fut le berceau de l’idolâtrie (n° 2). Les premières et les
principales divinités qu’elle adora furent Osiris et Isis. Voici un aperçu de leur
histoire. Osiris, fils de Kronos ou Saturne et de Rhéa, eut pour femme Isis, sa sœur.
Descendus du ciel sur la terre, les deux époux régnèrent en Egypte, fondèrent la ville
de Thèbes ou Diospolis, adoucirent les mœurs sauvages de leurs sujets, en leur
enseignant l’agriculture, et les rendirent heureux par de bonnes lois. Mais Osiris
voulant répandre partout les bienfaits de la civilisation, abandonna l’Egypte, dont il
laissa le gouvernement à Isis, et se mit à parcourir la terre, à la tête d’une armée
nombreuse, soumettant les peuples, non par la force des armes, mais par l’attrait de
la poésie et de la musique. Il pénètre en Ethiopie, où une foule de Satyres viennent
grossir son armée et l’égayer de leurs danses. De là il passe en Arabie puis dans les
Indes, et revient par l’Europe, répandant partout les lettres, les lois et le culte de
ses divinités. Mais pendant son absence, Typhon son frère, qui aspirait au trône,
avait conspiré contre lui et s’était rendu redoutable. Osiris, d’un caractère
pacifique, essaya de ramener son frère à de meilleurs sentiments ; mais ses efforts
furent inutiles, et il périt victime de la perfidie de Typhon. Voici comment :
Celui-ci invite Osiris à un grand festin, comme pour fêter son retour. Il y réunit une
troupe de conjurés, et après le repas, il fait apporter un coffre d’un travail
merveilleux, promettant de le donner à celui des convives dont le corps en remplira
exactement la capacité. Osiris s’y étant placé à son tour, les conjurés referment le
coffre, le scellent avec du plomb et vont le jeter dans le Nil, qui le porte à la mer
par la bouche Tanitique, devenue dès lors un objet d’exécration pour les
Egyptiens.
Isis était dans la ville de Chemnis, située sur le Nil, non loin de Thèbes,
lorsqu’elle apprit la mort tragique de son époux. Aussitôt elle part avec son fils
Anubis, étrange divinité, ayant avec un corps d’homme une tête de chien et toute la
sagacité de cet animal. Il découvre que le corps d’Osiris a été transporté par les
flots jusque sur la côte de Phénicie, et qu’il est caché près de Byblos, sous les
feuilles d’un tamarin. Isis se rend dans cette ville, obtient la permission d’enlever
le corps de son époux, le rapporte en Egypte, et le dépose dans un lieu écarté. Mais
Typhon le découvre, le déchire en quatorze lambeaux qu’il disperse dans les sept
bouches du Nil. Isis va à la recherche des membres de son époux sur un esquif de
papyrus. Elle les retrouve tous, à l’exception d’un seul, et dans chacun des lieux où
ils avaient été découverts, elle fait élever des tombeaux et des temples. Isis
partagea, après sa mort, les honneurs rendus à Osiris. Cependant Orus, leur fils,
voulant venger la mort de son père, lève une armée, poursuit Typhon, et après l’avoir
vaincu dans deux batailles, le tue de sa main. Le jeune prince monte alors sur le
trône paternel, mais bientôt il succombe sous la puissance de ses ennemis.
128. Allégories cachées sous les noms d’Osiris et d’Isis.
Suivant quelques auteurs, ces dieux de l’Egypte ne sont que des allégories, que l’on
explique de diverses manières. Ainsi Osiris serait le soleil, le principe qui vivifie
le monde matériel ; il serait le ciel et même le Nil, ce fleuve bienfaiteur de
l’Egypte. Les voyages d’Osiris en Orient seraient la marche du soleil, qui répand
partout la fécondité. On représentait ce dieu de bien des manières : quelquefois par
un sceptre surmonté d’un œil, emblème du pouvoir et de la science. Dans ce système,
Isis serait la lune, l’air, la terre et surtout l’Egypte, fertilisée par le Nil. On la
représente, comme Osiris, avec des attributs très-divers, mais le plus souvent sous
les traits d’une femme ayant des cornes de vache, symbole des phases de la lune. Les
Grecs la confondaient avec la nymphe Io, qui fut métamorphosée en génisse (n° 28) ;
ils l’appelaient encore du nom de Cérès, parce qu’ils lui attribuaient l’invention de
l’agriculture.
129. Autres divinités de l’Égypte.
Les Egyptiens adoraient non-seulement des hommes déifiés, mais encore certaines
plantes et presque tous les animaux que nourrissait leur pays. Ces animaux étaient,
pendant leur vie, l’objet d’un soin et d’un culte particuliers, et, après leur mort,
on les embaumait et on les déposait dans des lieux réservés pour leur sépulture.
Quelques-uns étaient ensevelis à l’endroit même où ils mouraient, comme les chiens,
les ichneumons, les ours, les loups et les renards. D’autres avaient des lieux
spécialement consacrés à leur sépulture. Ainsi les chats étaient ensevelis à Bubaste,
les éperviers à Buto et les ibis à Hermopolis.
130. Le bœuf Apis.
Mais le bœuf était de la part des Egyptiens l’objet des plus grands honneurs et du
culte le plus solennel. Ils croyaient qu’après la mort d’Osiris l’âme de ce prince
était entrée dans l’un de ces animaux, qui lui avaient servi à enseigner aux hommes
l’agriculture, et qu’après vingt ans elle passait successivement dans un autre. Le
bœuf que l’on supposait renfermer ainsi l’âme du dieu s’appelait Apis. La fête
solennelle que l’on célébrait chaque année en son honneur durait sept jours, pendant
lesquels les prêtres le promenaient avec pompe. Chacun s’empressait de le recevoir
dans sa maison, et l’on croyait que son haleine communiquait aux enfants si le pouvoir
de prédire l’avenir. Lorsqu’il avait vécu le temps prescrit par les livres
sacrés, on le noyait dans le Nil avec de grandes cérémonies, puis on
l’embaumait et on lui faisait des funérailles magnifiques. L’Egypte, alors, était
plongée dans le deuil et la douleur jusqu’à ce qu’on eût découvert un autre Apis ; car
ce dieu devait réunir des conditions particulières : être noir de tout le corps,
porter sur le front une tache blanche et carrée, sur le dos la figure d’un aigle,
celle d’un escarbot sur la langue, et sur le côté droit une marque blanche en forme de
croissant. Les prêtres ne manquaient pas de préparer sur de jeunes bœufs les
caractères que ceux-ci ne pouvaient réunir naturellement. Lorsque le dieu était enfin
trouvé, la joie succédait à la douleur, comme si Osiris fût ressuscité. On faisait
monter Apis sur un vaisseau magnifiquement décoré, et on le conduisait par le Nil, à
Memphis, où il avait deux temples superbes dans lesquels il rendait ses oracles.
131. Sérapis.
Sérapis était aussi un dieu puissant de l’Egypte. On pense que c’était le même
qu’Osiris ou Apis, honoré dans le tombeau. Par cette raison, il fut appelé d’abord
Sorapis (soros, tombeau, et Apis). Il était regardé comme le dieu de la santé et on
lui attribuait des guérisons miraculeuses. II est ordinairement représenté la tête
couverte d’une corbeille ou d’un boisseau, comme signe de l’abondance dont ce dieu,
pris pour le soleil, est la source. Les Egyptiens lui avaient élevé plusieurs temples.
Le plus ancien était à Memphis : il en avait un autre à Alexandrie ; mais le plus
renommé était à Canope. Il avait aussi un temple à Athènes et dans plusieurs villes de
la Grèce. L’empereur Alexandre-Sévère introduisit son culte à Rome l’an 146 de
Jésus-Christ. Mais ces fêtes étaient accompagnées de tant de licence et de désordres,
que le sénat fut obligé de les abolir.
Tels sont les dieux qu’inventa le peuple réputé le plus sage et le plus savant de
l’antiquité.
A des dieux mugissants l’Égypte rend hommage :
Et dans ce bœuf impur qu’elle daigne honorer,
C’est un dieu cependant qu’elle croit adorer,
L’esprit humain s’égare : et follement crédules,
Les peuples se sont fait des maîtres ridicules.
( L. Racine, poëme de la
Religion.)
Questionnaire.
127. Quelles étaient les principales divinités de l’Égypte ? Quelle fut l’origine
d’Osiris ? Qui épousa-t-il ? Où régnèrent Osiris et Isis ? Dans quel but Osiris
abandonna-t-il son royaume ? Quel pays parcourut-il, et comment ? Quelle conspiration
fut ourdie contre lui ? Comment périt-il ? Que fit Isis pour honorer la mémoire de son
époux ? A quelle double épreuve fut soumise sa tendresse ? Quelle en fut sa
récompense ? Par qui fut tué le meurtrier d’Osiris ?
128. Quelles sont les allégories cachées sous les noms d’Osiris et d’Isis ? Comment
représente-t-on ces deux divinités ?
129. Quels étaient les autres dieux de l’Égypte ? A quelle espèce d’animaux
rendait-on un culte particulier ?
130. Qu’était-ce que le bœuf Apis ? Quel dieu représentait-t-il ? Que se passait-il à
sa mort ? Quelles conditions devait se réunir le bœuf adoré sous ce nom ? Quelle
explication donne-t-on à ce sujet ? Où et comment se faisait l’inauguration du nouveau
dieu ?
131. Qu’était-ce que Sérapis ? Que signifie ce nom ? A quoi présidait ce dieu ?
Comment était-il représenté ? Où étaient ses principaux temples ? Pourquoi les fêtes
de Sérapis furent-t-elles abolies à Rome ? Par qui y avaient-elles été introduites ?
Quelles réflexions suggère cet aperçu des dieux de l’ancienne Égypte ?
Chapitre XXXI. Mythologie des Perses.
132. Mages. Zoroastre. Le Zend-Avesta.
Les Perses étaient le peuple de l’antiquité qui se livrait aux superstitions les
moins grossières. Aussi les auteurs anglais les appellent-t-ils puritains du
paganisme. Ils avaient admis le sabéisme ou culte des astres. Ils adoraient le Soleil,
la Lune, les Etoiles, et, en général, le Feu. Ils n’avaient point de temples ; ils
offraient leurs ◀sacrifices▶ en plein air, et le plus souvent sur les hauteurs. Les
Mages, qui formaient une tribu particulière, étaient les ministres de la religion et
les dépositaires de toutes les connaissances. Leur réputation comme sages et comme
savants était si grande, que les hommes les plus illustres de l’Egypte et de la Grèce
venaient s’entretenir avec eux et se faire initier à leurs mystères. Zoroastre fut
l’auteur ou réformateur de la religion des Mages. On ne sait précisément ni le temps
ni le lieu où naquit ce célèbre législateur des Perses. Quelques écrivains en
distinguent deux ; ils regardent le premier comme un astronome qui vint à Babylone
2459 ans avant J.-C. Ils placent le berceau du second en Médie, et son existence dans
l’intervalle du onzième au douzième siècle avant Jésus-Christ. La doctrine de
Zoroastre est contenue dans le livre sacré des Perses appelé
Zend-Avesta
69, nom qui signifie parole vivante.
133. Zervane-Akérène – Ormuzd ou Oromaze — Ahriman
Selon la doctrine de Zoroastre, il existe un dieu unique, immuable, infini.
Zervane-Akérène (le temps sans limites) est son nom. De ce dieu sont sortis Ormuzd
(Oromase selon les Grecs), auteur de tous les biens, et Ahriman, auteur de tous les
maux. Ces deux divinités son dans une lutte perpétuelle. Ormuzd, principe de la
lumière, enfante le bien dans l’ordre moral et dans l’ordre physique. Ahriman,
principe des ténèbres, engendre le mal partout. Ce que l’un organise, l’autre
s’efforce de le détruire. Ainsi dans ce système la lumière et les ténèbres, le jour et
la nuit, l’été et l’hiver, la vertu et les vices, se succèdent et se succéderont sous
l’influence du bon et du mauvais principe, jusqu’à ce qu’enfin ce dernier soit vaincu
par son adversaire70. Ormuzd immédiatement placé
au-dessous de Zervane-Akérène, a créé six Amschaspands, esprits bienfaisants et
immortels, et vingt-quatre Izeds, génies inférieurs, chargés de répandre ses faveurs
sur le monde. Ormuzd habite la plus élevée des trois sphères célestes. Son trône est
fort au-dessus du soleil. C’est là qu’il règne sur l’Iran (la Perse), ce fut lui qui
dicta à Zoroastre les nosks ou livres au nombre de vingt-et-un, qui
composent le Zend-Avesta.
Ahriman, adversaire perpétuel d’Ormuzd, voulant balancer la puissance des
Amschaspands, créa autant de mauvais génies, destinés à commander aux Devs, esprits
malfaisants opposés aux Izeds. Tout ce qui trouble l’harmonie de la nature, les
tempêtes, les foudres, les volcans, les tremblements de terre, les maladies, les
vices, sont l’œuvre d’Ahriman. Son séjour est dans les enfers ; c’est de là qu’il vint
sur la terre pour corrompre, sous la forme d’un serpent, Meschia et Meschiane, et leur
faire perdre l’immortalité avec l’innocence71. C’était le premier couple humain issu de la tige du Reivas, arbre
mystérieux qu’avait produit le sang de Kaiomorts, premier homme formé par Ormuzd et
tué par Ahriman. Cet arbre se couvrit, au lieu de branches, de couples humains dont
les descendants peuplèrent la terre. Mais la lutte entre Ormuzd et Ahriman ne doit
durer que douze mille ans, partagés en quatre périodes égales. Pendant la première,
Ormuzd a régné sans partage et créé l’étincelante armée des cieux. Attaqué au cours de
la deuxième, il proposa la paix, et n’ayant pu l’obtenir, il précipita son ennemi dans
les enfers. La lutte s’est renouvelée et est devenue plus vive dans la troisième
période, qui comprend l’âge où nous vivons. Mais le triomphe d’Ormuzd est assuré dans
la suite des temps. Ahriman, selon les uns, sera anéanti ; selon les autres, il
reviendra à la vertu, qui était sa nature primitive, et il offrira avec ses Devs,
ainsi qu’Ormuzd avec ses Amschaspands, un ◀sacrifice▶ éternel à Zervane-Akérène. Alors
le feu dévorera cet univers visible, qui ne sera plus que le séjour de la lumière et
de la félicité.
134. Mithra.
Mithra est le plus puissant des Izeds et la personnification d’Ormuzd, comme principe
générateur et comme image de la fécondité qui perpétue et rajeunit le monde. Sous ce
rapport, il est aussi l’emblème du soleil, ainsi que l’indique cette inscription que
l’on trouve sur plusieurs monuments. Au dieu du soleil,
l’invincible Mithra. Les Romains, après les Grecs, adoptèrent cette
divinité, et c’est par eux que nous en avons des images. Il est représenté le plus
souvent sous la forme d’un jeune homme, avec un bonnet phrygien, une tunique et un
manteau sur l’épaule gauche. Il est armé d’un glaive qu’il plonge dans le cou d’un
taureau. C’est l’emblème de la force du soleil, lorsqu’il entre, au mois d’avril, dans
le signe du taureau. Le culte de Mithra, qui s’était introduit à Rome vers l’an 76
avant Jésus-Christ, y obtint une grande faveur, surtout sous l’empereur Commode. Il ne
fut aboli que vers le quatrième siècle. Dans les fêtes appelées mithriaques, qui se
célébraient en l’honneur de ce dieu, on immolait, dit-on, des victimes humaines. Tout
y inspirait la terreur, et les épreuves auxquelles étaient soumis ceux qui voulaient
se faire initier étaient si rigoureuses, que souvent ils y succombaient. On voit que
la religion inventée par Zoroastre et les sages de la Perse ne satisfait pas plus
notre raison que les autres erreurs du paganisme.
Questionnaire.
152. Quel était le caractère de la religion des Perses comparée à celle des autres
peuples de l’antiquité ? Quel était leur culte ? Qu’étaient les Mages ? Qu’était-ce
que Zoroastre ? Que sait-on du lieu et de l’époque de sa naissance ? Qu’est-ce que le
Zend-Avesta ? De combien de livres se compose-t-il ? Quels noms
portent ces livres ? Qui est-ce qui les dicta à Zoroastre ?
135. Donnez une idée de la doctrine de Zoroastre. Qu’était-ce que Zervane-Akérène,
Ormuzd ou Oromaze, Ahriman ? Qu’appelle-t-on Amschaspands, Izeds, Devs ? Comment
explique-t-on, d’après cette doctrine, la naissance du premier couple humain ?
Qu’était-ce que le Reivas ? Combien de temps doit durer la lutte d’Ormuzd et
d’Ahriman ? Comment se partage cette durée de siècles ? Comment doit-elle se
terminer ?
134. Qu’est-ce que Mithra ? Quelle personnification, quel emblème présente-t-il ?
Comment est-il représenté ? A quelle époque son culte fut-il introduit à Rome ?
Comment s’appelaient les fêtes de ce dieu ? Quel était leur caractère ? Dans quel
siècle furent-elles abolies ? Que doit-on penser de la religion de Zoroastre et des
mages de la Perse ?
Chapitre XXXII. Mythologie des Indous.
135. Para-Brahma ou Brahm — La Trimourti.
De l’aveu des savants, l’histoire religieuse des Indous est couverte d’épaisses
ténèbres. Cependant, au milieu des fables bizarres qu’elle présente, on reconnaît des
traits défigurés de la vérité primitive. Ces peuples paraissent avoir conservé la
notion d’un dieu unique, éternel, invisible, qui manifeste sa puissance par la
création, la conservation et la destruction des êtres. Ce dieu s’appelle Para-Brahma
ou simplement Brahm. Le premier être qu’il créa fut la déesse Bhavani. De trois œufs
qui se formèrent sur les mains de celle-ci, sortirent trois dieux, qui composent la
Trimourti ou trinité indienne72. Ce sont Brahma,
organisateur du monde, Vichnou, conservateur de la création, et Siva, le dieu
destructeur. Nous allons essayer de faire connaître en peu de mots chacune de ces
trois divinités.
136. Naissance et pouvoir de Brahma.
Lorsque Brahma sortit de l’œuf qui le renfermait ; la coque brisée se divisa en deux
parties : la première forma le ciel, et la seconde la terre, entre lesquels, il plaça
l’éther. Il créa ensuite les astres, les plantes, les arbres et les animaux. Quand la
terre fut ainsi préparée pour recevoir l’espèce humaine, Brahma tira successivement de
sa tête, de son bras droit, de sa cuisse et de son pied quatre fils qui furent
appelés, le premier Brahman (c’est à lui qu’il donna les Védas ou
livres sacrés des Indous) ; le second se nomma Chattrya, le troisième Waïshia et le
quatrième Soudra. Telle fut l’origine des quatre principales castes dans lesquelles
est partagée la nation indienne. Leur ordre de prééminence est clairement déterminé
par la partie du corps d’où est sorti le chef de chacune de ces castes. Ainsi la
première, celle des Brahmanes, se compose des prêtres, des savants et des
fonctionnaires publics. Elle est véritablement la tête de la société. La deuxième,
celle des Chattryas, d’où sont issus les Radjahs (les princes) et les Hairs (les
nobles), comprend les guerriers, c’est-à-dire ceux qui sont le bras droit on la force
de l’Etat. La troisième caste, celle des Waïshias ou agriculteurs et commerçants,
appelés encore Banians, est caractérisée par la partie inférieure du corps, à laquelle
son chef doit la naissance. Il en est de même de la quatrième caste, dite des Soudras,
où sont rangés les artisans. Au-dessous de ces castes il en est une cinquième et
dernière, formée du rebut de toutes les autres, c’est celle des Parias, infortunés
dont les Indous fuient le contact comme celui d’un animal immonde. Ils habitent des
lieux solitaires, et sont forcés de se livrer aux emplois les plus abjects, aux
travaux les plus dégoûtants. Voici le portrait qu’en a tracé un poëte de nos
jours :
Les doux fruits que leur main de l’arbre a détachés
Ou que d’un souffle impur leur haleine a touchés.
D’un seul de leurs regards a-t-il reçu l’atteinte,
Il se plonge neuf fois dans les flots d’une eau sainte.
Il dispose à son gré de leur sang odieux ;
Trop au-dessous des lois, leurs jours sont à ses yeux
Comme ceux du reptile ou des monstres immondes
Que le limon du Gange enfante sous ses ondes.
( Casimir Delavigne, le
Paria.)
BÂrahma, après avoir organisé le monde, devint si orgueilleux, que le dieu suprême,
Brahm, le précipita dans l’abîme. Avant d’être admis à reprendre sa place au séjour
divin, Brahma parut, dit-on, sur la terre sous plusieurs formes successives. D’abord,
sous les traits d’un paria et sous le nom de Valmiki, il commenta les livres sacrés ou
les Védas, qu’il avait écrits avant sa chute, et il composa le grand
poëme de Ramaïana (récit des aventures de Rama). Il se montra dans un
siècle postérieur sous le nom d’un poëte célèbre, Viaça-Mouni, qui a composé plusieurs
des grandes épopées de l’Inde. Enfin, pendant le siècle noir, le siècle de fer des
Indous, il vint faire paraître, sous le nom de Kalidaça, les poëmes dramatiques que
l’Inde admire encore. Cette doctrine n’est autre que celle de la métempsycose
appliquée ici pour donner de l’importance et de l’autorité aux divers écrits dont il
vient d’être question.
137. Vichnou ; ses métamorphoses ou incarnation.
Vichnou, deuxième personne de la Trimourti, étant le conservateur du monde, ses
métamorphoses ou incarnations, que les Indiens appellent Avatar, sont plus nombreuses
que celles de Brahma, parce que chaque fois que la terre était menacée de quelque
grand malheur, il venait à son secours pour le prévenir ou le réparer. Nous allons
présenter sommairement ce récit, d’après les Védas, pour en faire sentir la folie.
Vichnou s’est déjà incarné neuf fois, il doit s’incarner une dixième, et alors il
mettra fin à l’existence du monde. Dans les quatre premières incarnations, Vichnou se
montra successivement poisson, tortue, sanglier, lion. Voici dans quelles
circonstances :
1° Les livres sacrés des Védas avaient été enlevés par un géant nommé
Haïagriva. Vichnou erra longtemps sans pouvoir l’atteindre ; enfin il découvrit qu’il
s’était retiré avec son larcin au fond de la mer ; il prend aussitôt la forme d’un
poisson, atteint le géant au fond des eaux, le tue et rapporte sur la terre les
livres sacrés.
2° Une lutte terrible s’était engagée entre les dieux et les mauvais génies. Le monde
fut ébranlé, et le mont Mérou, sur lequel les dieux peuvent seuls habiter, tomba dans
la mer. L’univers allait rentrer dans le Chaos, lorsque Vichnou prit la forme d’une
immense tortue, supporta sur son écaille le poids des mondes et prévint ainsi leur
destruction.
3° Peu après, un énorme géant, nommé Poladas, ayant aplati la terre, la roula comme
une feuille de papier, et l’emporta sur ses épaules au fond des enfers. Vichnou prit
la forme d’un sanglier, poursuivit le géant, le défit, et rapporta sur ses défenses la
terre à sa place accoutumée.
4° Un autre géant, nommé Hiranga, corrompait les hommes par son impiété orgueilleuse.
Vichnou prit la forme d’un lion, se précipita sur le monstre, et le mit en pièces.
Dans les cinq incarnations suivantes, Vichnou revêtit la forme humaine.
5° Le géant Mahabali ou Bali faisait gémir le monde sous le poids de la plus cruelle
tyrannie ; il était donc l’objet de la colère des dieux. Vichnou se chargea de le
punir. Il prit la forme d’un brahmine extrêmement petit, d’un nain nommé Vamana, et se
présenta devant le tyran ; il lui demanda trois pas de terrain pour se bâtir une
demeure. Bali lui accorda l’objet de sa prière. Alors Vamana devint tout à coup d’une
taille si prodigieuse, qu’un de ses pas mesurait toute l’étendue de la terre. Il posa
l’autre sur la tête du géant, qu’il précipita dant l’abîme.
Vichnou vint ensuite habiter la terre, à deux époques différentes, pour défendre les
hommes, les éclairer et les rendre heureux.
6° La première fois, il emprunta le nom de Paraçou-Rama et la forme d’un brahme
guerrier armé de la hache, pour combattre les radjahs (rois de l’Inde), qui
opprimaient leurs peuples.
7° Une autre fois, il prit le nom et la figure du beau prince Rama, dont les
aventures sont le sujet du Ramaïana. Il obtint en mariage une femme
d’une grande beauté, la princesse Sita ; mais elle lui fut enlevée par le géant
Ravana. Rama le poursuivit avec une armée de singes et d’ours, commandée par le
terrible Hanoman, et grâce à ce secours, il parvint à reconquérir sa chère Sita, avec
laquelle il remonta dans les célestes demeures.
80 La plus célèbre des incarnations de Vichnou est la suivante74 : Kansa, géant fameux par ses crimes,
avait détrôné son frère qui régnait à Acathoura. Un oracle lui prédit qu’un jour un de
ses neveux lui ôterait la couronne et la vie. En vain il fait égorger sept fils que sa
sœur met au monde, un huitième naît sous le nom de Crichna, c’était Vichnou lui-même,
qui avait pris cette forme pour punir les crimes de Kansa. En vain celui-ci ordonne le
massacre de tous les nouveau-nés du pays ; l’enfant divin échappe à sa fureur. Il
avait été transporté au delà de la rivière d’Iamouua, dans la ville des pasteurs.
Devenu grand, il se présente devant le tyran, qui lui ordonne de tendre un arc
gigantesque, dont la vertu est de donner la mort à quiconque le touchait. Crichna le
brise en se jouant, et d’un coup d’œil frappe de mort tous ceux qui osent l’arrêter.
Kansa, saisi d’épouvante, tombe sur son trône et expire à l’instant.
9° La dernière apparition de Vichnou sur la terre eut lieu sous le nom de
Bouddha75, le saint, le sage par
excellence. Il institua alors les cérémonies religieuses qu’observent les
brahmines.
Les Indous croient que, lorsque Vichnou s’incarnera pour la dixième et dernière fois,
il prendra la forme du cheval exterminateur Kalki, lequel, d’un coup de pied, réduira
en poudre le globe terrestre et précipitera les méchants dans les enfers.
138. Siva.
Siva, troisième personne de la Trimourti, est le dieu destructeur, et, à ce titre,
l’ennemi implacable de ses deux frères, de Brahma, le créateur, et de Vichnou, le
conservateur. C’est lui qu’il rencontre sans cesse sous la forme de génies malfaisants
et de géants terribles, s’efforçant de bouleverser le monde. Son histoire se trouve
donc racontée par la leur, dont elle ne se sépare pas. On représente Siva avec cinq
têtes, quatre mains et trois yeux à sa tête principale. Il est monté tantôt sur le
taureau Nandi, tantôt sur un tigre. Ses gencives sont armées de dents aiguës et
tranchantes, ses bras et sa taille entourés de serpents ; des crânes humains forment
un collier au-dessus de sa poitrine et un diadème autour de sa tête.
Telles sont les divinités des Indous, tels sont les dogmes que renferment les
Védas. Les brahmanes ont seuls le droit d’en faire la lecture, et les
radjahs la liberté de l’entendre. La morale enseignée par ces livres se réduit à
quelques points principaux : ne tuer aucune créature vivante, s’abstenir de l’usage du
vin et de la chair, faire des prières, des ablutions et des ◀sacrifices▶. Mais le
principe de la charité est entièrement inconnu à ces peuples, comme il l’a été, du
reste, à toutes les nations païennes. Ainsi un Indien n’oserait pas écraser un
insecte, et cependant ne tendrait pas la main à un paria pour l’empêcher de tomber
dans un précipice. Il était réservé au christianisme d’établir cette loi divine de
l’amour, qui doit unir tous les hommes entre eux sans aucune exception. Le culte des
Indous est rempli de pratiques superstitieuses, les unes ridicules, les autres
révoltantes. Ainsi à la fête qui se célèbre, tous les ans, à Djaggernâth, tandis que
le char qui porte la statue de Vichnou écrase sous ses roues pesantes une foule de
victimes qui se précipitent au-devant de cette mort, dont ils attendent une éternelle
félicité, d’autres fanatiques se réunissent dans des pagodes pour se soumettre à
d’affreuses tortures. On sait qu’une coutume barbare oblige les femmes à se brûler sur
le bûcher qui consume les restes de leurs époux.
Questionnaire.
155. Quel est le caractère de l’histoire religieuse des Indous ? Quelles traces y
trouve-t-on de la vérité primitive ? Quel est leur dieu suprême ? À quelles autres
divinités a-t-il donné naissance ? Qu’appelle-t-on Trimourti ? Comment se compose
cette trinité indienne ? Faites voir que ce mot trinité, appliqué ici, est inexact,
puisque les Indous reconnaissent quatre dieux primitifs.
136. Comment Brahma créa-t-il l’espèce humaine, et format-il les quatre castes qui
divisent la population indienne ? Que sont les parias ? Quelle fut la destinée de
Brahma ? Quelles furent ses principales métamorphoses ? Quelle explication peut-on
donner de cette doctrine ?
137. Comment les Indous appellent-ils les métamorphoses ou incarnations de Vichnou ?
En quoi diffèrent-elles de celle de Brahma ? Donnez-en une idée, en faisant remarquer
la plus célèbre.
138. Quel est le caractère distinctif de Siva ? Comment le représente-t-on ? Quels
sont les principaux dogmes que renferment les Védas ? Quelles sont encore les
pratiques superstitieuses des Indiens ?
Chapitre XXXIII. Mythologie des Scandinaves.
139. Les Scaldes ; l’Edda et les Sagas.
L’histoire des divinités scandinaves porte l’empreinte du caractère dur et belliqueux
de ces peuples, sortis du nord de l’Asie. Cette mythologie est l’œuvre des scaldes ou
bardes, c’est-à-dire, des anciens poëtes de la Norwége, de l’Irlande, de la Suède et
du Danemark, qui chantaient les mystères de leur religion, les aventures de leurs
dieux les exploits des rois et des guerriers. Ils vivaient à la cour des princes et
les accompagnaient à la guerre, afin d’être témoins des exploits qu’ils devaient
célébrer. Plusieurs de ces chants étaient gravés en caractères runiques (genres
d’écriture des peuples du Nord), mais le plus souvent ils passaient de bouche en
bouche. Plus tard, ils furent recueillis et formèrent l’Edda et les
Sagas
76 qui contenaient toute la mythologie scandinave. En
voici les traits principaux.
140. Allfadher et les principaux dieux.
Au commencement des temps, le créateur Allfadher (père de tout) produisit la terre
glacée de Nifleim et la terre brûlante de Muspelheim. Leur contact engendra des
vapeurs, d’où sortirent le géant Ymer et la vache Audumbla. Ymer donna naissance à la
race des géants, et la vache, en léchant les glaçons, produisit un être vivant nommé
Bor. Celui-ci épousa Belsta, la fille d’un géant, et en eut trois fils, Odin, Vili et
Vé. Les fils de Bor, qui étaient bons, étaient sans cesse en guerre contre Ymer et sa
race, qui étaient méchants. Ils finirent par les exterminer et créèrent ainsi le
monde. Car la chair du géant forma le continent et les îles, son sang la mer et les
lacs, ses os les montagnes, ses dents les pierres ; son crâne devint la voûte du ciel,
sa barbe et ses cheveux les plantes et les arbres, et sa cervelle lancée dans les airs
se transforma en nuages. Odin et ses frères, ayant ainsi créé le monde, en devinrent
les dieux et prirent possession du ciel. Ils animèrent ensuite deux troncs d’arbre
dont ils firent Askur, le premier homme, et Embra, la première femme, qui ont donné
naissance au genre humain.
141. Conseil des ases ou grands dieux.
Au-dessous d’Allfadher, les Scandinaves admettent douze Ases ou grands dieux et
autant de déesses, Odin, le plus ancien et le plus puissant, est le roi de cette cour
céleste. Du trône élevé où il est assis, il embrasse l’univers de son immense regard.
Dans ses expéditions, il traverse les airs sur un coursier rapide, ayant huit pieds,
d’une agilité merveilleuse. Il se tient au-dessus des champs de bataille, animant les
guerriers, qui entendent les hennissements de son cheval.
Après Odin vient son fils aîné Thor, le dieu de la force, le maître de la foudre et
des orages. Le bruit du tonnerre n’est que celui de son char, passant au-dessus des
nuages. Thor est le fléau des mauvais génies et le vengeur des dieux. Niord, qui vient
ensuite, est le Neptune des Scandinaves, le dieu puissant de la mer et des tempêtes,
qu’il déchaîne et calme à son gré. Freyr, son fils, est le dispensateur des pluies et
des jours sereins, le dieu de la paix et des richesses. On l’invoque pour obtenir des
moissons abondantes.
Après ces dieux paraissent, dans un ordre inférieur, Tyr, le dieu des combats, le
protecteur des guerriers et des athlètes ; Balder, l’Apollon du Nord, comme lui beau,
radieux, éloquent ; Braya, le dieu de la sagesse et de la poésie ; Heimdall, le
gardien du pont céleste, de l’arc-en-ciel, par lequel les dieux communiquent avec la
terre. Les sens de ce dieu sont si subtils qu’il aperçoit les objets à d’énormes
distances ; il entend croître l’herbe des champs et la laine des brebis. Viennent
ensuite Vidar, dieu du silence, qui doit tuer le loup Fenris, lorsqu’au dernier jour
ce mauvais génie aura dévoré le soleil ; Wali, dieu de la valeur, puissant à tirer de
l’arc ; Uller, héros brillant, qui dans sa course légère effleura à peine de ses
patins rapides la surface des glacières, enfin Forsate, le dieu de la concorde, le
conciliateur des querelles, le juge des hommes et des rois.
À la tête des douze grandes déesses est Frigga ou Frya, fille de Niord et épouse
d’Odin. Comme emblème de la terre, elle recueille les dépouilles mortelles des hommes,
tandis qu’Odin les reçoit dans les palais célestes. Frigga est la déesse de l’amour,
la Vénus du Nord77, sans doute parce
qu’elle est regardée comme le principe de la fécondité et la mère de tout ce qui
existe. Gna est la messagère de Frigga ; Fulla, sa confidente, préside à sa parure ;
Egra est la déesse de la médecine ; Gelione celle de la virginité ; Lofna réconcilie
les époux désunis ; Vara reçoit leurs serments et punit ceux qui les violent. Snotra
est la déesse des sciences et des bonnes mœurs.
Le conseil des dieux se tient sous le chêne d’Idrasil ; les racines de cet arbre
s’étendent jusqu’aux enfers, ses branches couvrent le monde et sa tête touche aux
cieux.
142. Paradis et enfer des Scandinaves.
La mythologie scandinave présente, comme celle des autres peuples, deux demeures
distinctes destinées aux hommes qui ont quitté la vie. La première s’appelle Valhalla,
c’est le palais d’Odin, séjour des bienheureux, où sont reçus les héros qui sont morts
en combattant. Là, ils sont servis par des vierges appelées Valkiries, qui leur
versent à grands flots l’hydromel et la bière la plus pure. Odin envoie ces déesses
sur les champs de bataille, couper la trame des guerriers qu’il leur désigne, et faire
pencher la victoire où il lui plaît. Les lâches et tous ceux dont la mort n’a point
été sanglante sont précipités dans un lieu de ténèbres et de supplices, appelé le
Nilsheim : c’est l’enfer des Scandinaves ; il est traversé, comme celui des Grecs et
des Romains, par des fleuves qui roulent des eaux noires et fangeuses. On conçoit dès
lors que ces peuples aient fait de la guerre leur état habituel, et qu’ils aient porté
le courage jusqu’au fanatisme.
Questionnaire.
139. Quel est le caractère de la mythologie scandinave ? De qui est-elle l’œuvre ?
Quel était le genre de vie des bardes ? Comment se conservaient leurs chants ?
Qu’est-ce que l’Edda ? Qu’est-ce que les Sagas ?
140. Faites connaître l’histoire de la création, Allfadher et les principales
divinités Scandinaves.
141. Quels étaient les Ases ou grands dieux composant le conseil d’Allfadher ?
Énumérez-les, ainsi que les douze déesses, en faisant connaître leurs
attributions.
142. Qu’est-ce que le Valhalla ? Qu’est-ce que les Valkiries ? Comment s’appelle
l’enfer des Scandinaves ? Quels sont ceux qui sont condamnés à l’habiter ?
Chapitre XXXIV. Mythologie des Gaulois.
143. Les druides, prêtres des Gaulois.
Nous ne pouvons avoir que des notions très-imparfaites sur les Gaulois et sur leur
religion, ne les connaissant que par les Romains, leurs vainqueurs, qui nous les ont
dépeints d’après leurs idées, c’est-à-dire d’après leurs préjugés et leurs propres
erreurs. Il paraît que dans le principe les Gaulois croyaient à l’existence d’un Dieu
suprême, à l’immortalité de l’âme et à une autre vie, époque de récompenses et de
peines. Pendant longtemps ils ne représentèrent point leurs dieux : ils les adoraient
dans les forêts les plus sombres, sur les bords solitaires de l’Océan, dans les lieux
incultes où la main de l’homme n’avait pas pénétré. Leurs prêtres s’appelaient
druides, d’un mot celtique qui signifie chêne78,
parce qu’ils vénéraient cet arbre. Instituteurs de la jeunesse, dépositaires de toutes
les connaissances et d’une doctrine occulte qu’ils ne communiquaient qu’à leurs
adeptes, les druides exerçaient sur les Gaulois une autorité souveraine. Aucune
affaire importante n’était entreprise sans leurs conseils, et ils décidaient de la
paix et de la guerre. On distinguait parmi eux les eubages, ou sacrificateurs, chargés
des cérémonies du culte, et les bardes, qui chantaient des hymnes divins et les
louanges des héros. Plusieurs contrées, en France, ont conservé des traces de leur
existence. La ville de Dreux (Eure-et-Loir) indique par son nom un lieu où se tenaient
leurs assemblées. Chartres et tout le pays environnant, alors couvert de forêts,
était, en effet, leur métropole et leur point central. Montbard79 (Côte-d’Or) rappelle aussi un lieu où leurs bardes se
réunissaient. Les côtes de la Bretagne, et particulièrement les environs de Carnac
(Morbihan) sont couverts des monuments grossiers de leur culte. Ce sont d’énormes
pierres brutes, tressées dans le sens de leur longueur (men-hir) ; d’autres placées
horizontalement (dolmen), et formant des autels où les druides immolaient des victimes
humaines dans les grandes calamités, superstition monstrueuse à laquelle ils en
joignaient d’autres. Ils attachaient des vertus mystérieuses à certaines plantes, et
surtout au gui, qui croît sur l’arbre sacré des druides, sur le chêne. On a peine à
concevoir le culte national dont cette plante était l’objet et les cérémonies
solennelles avec lesquelles il était découvert et cueilli chaque année.
144. Dieux des Gaulois ; Hésus, Taranis ; Teutatès, Ogham.
On conçoit que chez une nation belliqueuse comme les Gaulois, le dieu souverain fût
le dieu de la guerre. Il s’appelait Hésus ; on le représentait armé d’une hache, et on
l’honorait surtout par l’effusion du sang. Venaient ensuite quelques autres dieux, que
l’on croit avoir été introduits en Gaule par les Romains, c’étaient Taran ou Taranis,
dieu du tonnerre (le Jupiter des Latins) ; Teutatès (leur Mercure), le dieu du
commerce, de l’intelligence et de la parole ; Bélénus, le soleil (Apollon) ; enfin
Ogham, ou en latin, Ogmius (Hercule), le dieu de la force et de l’éloquence.
Ces ténèbres de l’idolâtrie furent dissipées au sein de la France par la lumière du
christianisme, qui commença à briller sur le trône des Francs avec Clovis, au sixième
siècle, comme elle avait brillé à Rome au quatrième, sous Constantin.
Questionnaire.
143. Quelles notions avons-nous sur les Gaulois ? Pourquoi sont-elles imparfaites et
peu sûres ? Quelles étaient leurs croyances primitives ? Qu’était-ce que les druides ?
Qu’était-ce que les cubages et les bardes ? Quels souvenirs, quels monuments-de leur
existence trouve-t-on en France ? Quelles étaient les principales superstitions des
Gaulois ?
144. Quelles étaient leurs principales divinités ? De qui paraissent-ils les avoir
reçues ? Comment furent dissipées les ténèbres de l’idolâtrie gauloise, au sein de la
France ?