Le précis seul de ces scenes suffit pour en faire connoître la beauté, la force, la variété du comique. […] Un homme de génie apperçoit quelquefois des richesses comiques dans les livres qui, par leur nature, paroissent devoir en fournir le moins. […] Saisissons avec empressement tout ce qui se présentera dans nos sociétés sous un aspect moral & comique ; mais gardons-nous bien d’imaginer que toute aventure qui nous a déridés en passant, doive également amuser le public. […] que cela est comique ! […] Il semble donc que nous devrions parler, à la suite de ce Chapitre, du but comique & moral ; mais nous réserverons cette matiere pour le volume où il sera question du genre des pieces.
Nos comiques modernes rient de la folie de nos voisins, ce n’est pas sans sujet ; mais nos voisins rient aussi de nous, de nos productions, & ce n’est pas avec moins de raison. […] Fanatiques outrés du comique larmoyant, osez l’en blâmer. […] Le grand art d’un Auteur Comique seroit de se rendre intéressant sans aucun des moyens employés si souvent en Espagne, en Italie, à Londres, & par malheur sur notre théâtre, en dépit du goût, du bon sens & de Thalie. […] Qu’on envisage ainsi l’intérêt comique, qu’on ne le confonde pas avec l’intérêt tragique, & l’on verra que Moliere est le plus attachant des Auteurs. […] J’ai dit plus haut que Moliere est le plus intéressant, ou le plus attachant des Auteurs comiques, mais qu’il auroit pu l’être davantage.
C’est une pièce en un acte, où il entre un peu de caractère, et dont l’intrigue est comique par elle-même. […] Quand il n’aurait fait que ce seul ouvrage, il eût pu passer pour un excellent auteur comique. […] Il est vraisemblable, naturel, tiré du fond de l’intrigue ; et, ce qui vaut bien autant, il est extrêmement comique. […] L’Europe regarde cet ouvrage comme le chef-d’œuvre du haut comique. […] Mais avec tous ces défauts-là, il sera toujours le premier de tous les poètes comiques.
Molière n’est pas seulement un grand comique, il est encore un grand écrivain. […] En un mot, le poète comique est moins un prédicateur de vertus qu’un précepteur de bienséances. […] Du comique de situation dans les pièces de caractère, jaillit naturellement le comique de dialogue. […] Des esprits bornés ou irréfléchis ont fait un reproche à Molière de ce qu’il a souvent exagéré le comique de situation et le comique de dialogue. […] La comédie d’intrigue, la comédie de caractère et la comédie de mœurs ; le comique noble, le comique bourgeois et le comique populaire, tous les genres dans lesquels l’art se divise, toutes les formes qu’il peut affecter, tous les tons qu’il peut prendre, Molière en a donné des exemples qui ont presque tous été des modèles.
Un Auteur fameux a laissé entrevoir que les Comiques pourroient tirer un parti considérable des professions, s’ils les mettoient sur la scene. […] On ne distingue plus dans la société les différents états que par des cheveux plus ou moins longs, un habit plus ou moins brillant, une mine minaudiere, une contenance fiere, & quelques termes favoris ; mais toutes ces nuances ne peuvent fournir qu’en passant au comique d’une scene, tout au plus. […] Voilà qui nous enleve tout d’un coup une bonne partie de nos sujets, & peut-être les plus comiques. […] Tel finit ses jours dans les fers de la Justice, & que la Muse comique seroit forcée de respecter. […] Turcaret, & il lui ressemblera par sa conduite, pour peu qu’il donne prise à la Muse comique.
. — Odéon : l’Illusion comique. […] Mélicerte, la Pastorale comique, le Sicilien ne sont que de petites pièces insérées dans le Ballet des Muses ; la Comtesse d’Escarbagnas n’est qu’un léger cadre pour le Ballet des ballets. […] Même en de moindres pompes, alors que Molière dispose lui-même toute la représentation, elle n’est qu’un accessoire de la fête, ou du moins son texte comique n’y est pas le principal. […] Ce ne sont pas des caractères comiques en action, ils ne concourent pas à un effet dramatique ; ils passent un à un devant le compère de cette revue de salon, ils déroulent de la sorte et pourraient allonger à l’infini, pour peu qu’ils fissent des recrues, une sorte de charade sans énigme. […] Et, pour les chefs-d’œuvre, en voici de petites éditions, réduites de celles-là, discrètement annotées, et qui donnent pourtant aux grandes personnes comme aux écoliers l’hallucination du drame comique ou tragique2.
grace pour le comique larmoyant, vont s’écrier ses partisans, puisqu’il est certain qu’on ne veut plus rire ». […] Les Desmarets, les Scuderi, si prônés autrefois, si bien sifflés maintenant, ont avant vous allié, dans des productions monstrueuses, le comique le plus bas au tragique le plus dégoûtant. […] Ils ont négligé le genre de Marivaux pour l’Opéra comique : quand ils ont voulu le reprendre ils y ont été vomitifs. […] Jeunes comiques, je vous le répete, & je ne cesserai de vous le répéter ; quand on vous dira qu’on ne veut plus rire au spectacle, n’en croyez rien. […] En effet, cette comédie larmoyante, absolument privée de comique, n’est, au fond, qu’un monstre né de l’impuissance d’être ou plaisant ou tragique ».
Or, qu’est-ce que ce Libertin offre de comique ? […] La Reconnaissance du comique. […] Il est reconnu que le comique glisse sur tout homme passionné. […] Il est reconnu que le comique glisse sur tout homme passionné. […] Ce passage sur le Comique est déjà donné pages 84-85.
Conclusion Nous venons de reconnaître toute une tradition comique qui précède immédiatement Molière et qui lui arrive de première main. […] Ils lui apprirent surtout à donner un relief vigoureux aux idées comiques ; ces incidents variés à l’infini, ces situations singulières, ces jeux de théâtre, ces pantomimes expressives, jusqu’à ces lazzi que les Italiens multipliaient et prodiguaient souvent sans autre but que l’action elle-même, Molière les employa avec réflexion. […] Et ce sont, pour ainsi dire, des formules comiques que Molière emprunte aux Italiens, sauf à centupler la valeur de ce qu’il emprunte par le parti qu’il en tire, par l’usage qu’il en fait. […] Toute cette tradition comique, qui semblait ne rien produire que d’éphémère, ne fut ainsi ni inutile ni perdue ; et Molière, en la faisant contribuer à son œuvre, fit rejaillir sur elle un peu de l’éclatante lumière dont celle-ci est éclairée. […] Quoique les productions sans nombre que nos théâtres voient éclore chaque année, n’offrent pas, en général, les conditions d’une longue durée, qui sait pourtant si les éléments comiques qu’elles renferment sont destinés à périr à jamais ?
Il excelloit également dans le tragique et dans le comique. […] Elle avoit auparavant été admirée sur le théâtre du Marais, où elle jouoit tous les premiers rôles sérieux et comiques. […] De Montfleury197, poète comique, fils du comédien du même nom. […] Elle joüoit aussi parfaitement les amoureuses comiques. […] mais quel homme on auroit pu faire de ces deux comiques !
La vraisemblance est l’essence d’une comédie sur-tout ; & sans elle, je défie un Poëte comique de faire dire ou d’amener quelque chose de raisonnable sur la scene. […] Il est absolument possible que cet homme préoccupé dicte un nom pour un autre, & fasse précisément le contraire de ce qu’il a projetté ; cependant il seroit ridicule de bâtir une piece comique sur une pareille méprise. […] Il n’y a que la vraisemblance qui puisse raisonnablement fonder, soutenir & terminer un Poëme, & un Poëme comique sur-tout, je le répete. […] Non sans doute ; rien de tout cela ne peut avoir un air de vraisemblance, & tout le comique qui en résulte, est forcé. […] J’ose même penser que, de cette façon, le comique ne perdra rien de sa vivacité, puisque Sganarelle rit toujours d’un malheur qu’il essuie, & presse également un hymen qui le mettra au désespoir.
Il n’avait pas manqué de s’apercevoir que plusieurs des actions de Lélie n’étaient point des étourderies, mais de simples incidents comiques, propres à mettre en jeu l’imagination et activité de Mascarille ; et il crut pallier cette espèce de faute, en accolant deux titres, dont l’un indiquât les effets du caractère, et l’autre les combinaisons de l’intrigue. […] Molière doit à l’auteur de L’Inavvertito, avec le sujet de sa pièce, la plupart des incidents qui en forment l’intrigue ; mais on me croira sans peine, lorsque j’affirmerai qu’en général il les a disposés avec plus d’art, qu’il les a quelquefois modifiés très heureusement, et que toujours il les a embellis par une exécution plus vive, plus ingénieuse et plus comique. […] Molière prétendit seulement à être l’imitateur du comique italien, et toutefois il embellit sa copie de quelques traits originaux qui la rendirent fort supérieure à son modèle, ainsi qu’aux autres ouvrages où était reproduit le même sujet. […] Le style de L’Étourdi est animé d’une verve comique que ne comportait pas Le Dépit amoureux ; mais la diction de ce dernier ouvrage, quoique chargée encore d’un assez grand nombre d’incorrections et d’impropriétés, est cependant un peu plus exacte, et parait surtout avoir obéi plus facilement à la pensée de l’auteur. Depuis l’établissement régulier de la scène française, il s’était écoulé un grand nombre d’années, pendant lesquelles notre Muse comique s’était vouée exclusivement à l’imitation de deux théâtres étrangers.
Le dialogue est vif et franc, le comique incisif et redoublé : Molière est désormais maître de son expression. […] Le cousin Aristote y trouve son lot, et la philosophie pyrrhonienne est maltraitée par Molière d’une façon très comique. […] Il n’en fallut pas davantage au poète comique ! […] Son intrigue est toujours comique, mais elle ne s’enchaîne pas avec une rigueur absolue. […] On ne trouve nulle part un comique plus abondant.
Oh çà, je dis moi, en style comique, qu’il pouvoit faire autrement ; & la Sémiramis du Chantre immortel de Jeanne d’Arc me le prouve. […] Les Auteurs qui connoissent la marche aisée des Drames anciens, les entrées & les sorties forcées des modernes, ne peuvent pas nier que la rue ne soit le champ le plus commode pour faire passer une action comique. […] Je me félicitois intérieurement ; je croyois que leurs ris partoient du fonds comique de l’aventure, de la situation des quatre amants, de l’adresse de la coquette, de l’air naturel qu’auroit sa promenade mise en action, & son sac à ouvrage descendu par le balcon. […] J’en ai déja vu deux sur nos deux Théâtres comiques. […] Les Auteurs tragiques, devenus jaloux de l’opéra, aiment que la toile, en se levant, présente un coup d’œil agréable : les Auteurs comiques ont une ambition toute opposée.
C’est enfin par elles que Molière a rendu en France la scène comique supérieure à celle des Grecs et des Romains. […] Mais quel homme on aurait pu faire de ces deux comiques ! […] Il a rassemblé dans ses ouvrages presque tous ce qu’il y a de bon et de mauvais dans les comiques grecs et romains. […] Il prétendait que le prologue de Plaute vaut mieux que celui du comique français. […] Il a aussi écarté du comique de la liste l’outré que l’auteur italien y avait ajoutée.
On aperçoit dans les canevas nouveaux ou refaits à cette époque, bien des idées comiques qui, à coup sûr, avaient passé par là scène française. […] Je sais qu’il connaissait parfaitement les anciens comiques ; mais enfin il a pris à notre théâtre ses premières idées. […] Toute production italienne où Cailhava aperçoit quelque analogie avec l’œuvre de Molière témoigne, pour lui, d’un emprunt de notre comique, et il ne se pose jamais l’hypothèse contraire. […] Quoi qu’il en soit de ce dernier point, il est constant que les Italiens prirent à Molière ses inventions comiques sans plus de scrupules qu’il n’en avait mis à puiser dans leur répertoire. […] Dans un divertissement que les comédiens italiens joignirent à une de leurs pièces représentée devant le roi, Dominique, qui dansait fort bien, imita d’une façon extrêmement comique la danse de Beauchamp.
Elle envisagea le cœur humain dans toutes les situations, le montra sous toutes les faces ; et, par le contraste continuel du personnage avec sa position, elle fit naître ces situations comiques, jaillir ces expressions si vraies, si naturelles, qu’elles peignent tout l’homme. […] Beaucoup de littérateurs ont soutenu que notre cœur était une mine inépuisable où le génie comique trouverait toujours à faire de nouvelles découvertes. […] Quel talent, quelle force comique Molière n’a-t-il pas déployé dans les Précieuses ridicules ! […] Dans une seule comédie (le Tartuffe), Molière a porté l’intérêt jusqu’au dernier degré de pathétique ; mais aussi quelle force comique, quelle gaieté brillent à côté ! […] Mais comment démêler en même temps le côté comique qu’elle peut offrir ?
Mais la Comédie est la Comédie : le répertoire comique, sans doute, y est entretenu dans la perfection ; il y profite naturellement de tout ce qu’a perdu le tragique. […] Tournons vers le comique. […] Mais M. de La Rounat, à qui je l’avais d’abord présentée, m’a fait venir : Monsieur, m’a-t-il déclaré, vous n’avez pas le comique de l’Odéon ! […] Y aurait-il, en effet, un comique de l’Odéon, qui ne serait pas le comique ? […] Comique ou tragique, une des œuvres que nous regrettons serait la bienvenue, le mardi et le jeudi, chez M.
MOLIERE (Jean-Baptiste Pocquelin) célébre poëte comique, qui s’est acquis une réputation qui ne mourra jamais. […] Voyez le jugement que l’auteur des reflexions sur la poëtique a fait de Moliere « Personne, dit-il, n’a porté le ridicule de la comédie plus haut parmi nous que Moliere ; car les autres poëtes comiques n’ont que les valets pour plaisans de leur théâtre ; & les plaisans du théâtre de Moliere, sont des marquis & des gens de qualité. […] Riccoboni a fait des observations sur le génie de ce poëte comique. […] Le premier volume commence par l’avertissement qui est dans l’édition de 1734, suivi d’additions importantes à cet avertissement, du catalogue des critiques qui ont été faites contre les comédies de Moliere, & de mémoires instructifs sur la vie & les ouvrages du même comique.
MOLIÈRE (Jean-Baptiste Poquelin) Poète Comique, était de Paris, et ses Pièces de Théâtre lui ont acquis une réputation, qui surpasse tout ce qu’on pourrait dire de lui. […] Je me contenterai de rapporter ici ce que celui qui a fait les Réflexions sur la Poétique, a dit de ce célebre Poète Comique. […] Car les autres Poètes Comiques n’ont que les valets pour plaisants de leur Théâtre, et les plaisants du Théâtre de Molière, sont des Marquis et des gens de qualité.
Quelle imagination prompte et féconde, quelle tête riche en aperçus et en intentions comiques, que celle d’où pouvait sortir, en si peu de temps et à commandement (ici l’expression est rigoureusement juste), une comédie, même la plus courte et la moins chargée d’incidents ! […] En rapprochant les traits dont se compose le caractère comique d’Alceste, je cesse d’être étonné que Rousseau ait fait le procès à Molière. […] Une telle conception est évidemment le chef-d’œuvre du génie comique. […] Au lieu d’une comédie, il composa une Pastorale comique, mêlée de chants et de danses. […] Le Ballet des Muses, dont La Pastorale comique et Mélicerte formaient deux entrées, la troisième et la quatrième, fut exécuté, à Saint-Germain, le 2 décembre 1666.
Notre grand poète comique Molière a été, l’un des premiers, livré à la curiosité de l’érudition. […] Elles exercèrent chacune une influence spéciale sur les deux grands génies qui fondèrent chez nous l’un et l’autre genre dramatique : Pierre Corneille, le père de la tragédie, fut soutenu dans sa puissante initiative par la littérature espagnole ; Molière, le comique, s’inspira davantage de l’art de l’Italie. […] Dans ce qui est aux yeux, des Italiens le véritable art comique, dans la Comédie de l’art, la parole est absolument subordonnée et compte à peine. […] Il y a, comme on le voit, un grand intérêt à déterminer aussi exactement que possible quel est le contingent que la comédie italienne a apporté à Molière et par lui à notre littérature comique.
Voyons, étudions la nature : c’est chez elle qu’un Auteur, & un Auteur comique sur-tout, doit puiser toutes ses regles. […] Cette exclamation d’Harpagon n’est-elle pas plus comique, & ne peint-elle pas mieux son caractere après les seuls mots de potages & d’entrées, qu’après une longue énumération de superfluités qui feroient dire la même chose à toute autre personne qu’un avare ? […] Certainement tous les connoisseurs, après avoir convenu que la coupe du dialogue fait la seule différence de ces deux scenes, donneront la préférence à la derniere, & avoueront qu’elle est beaucoup plus comique. […] Un Auteur comique a besoin d’un art infini, d’une connoissance très profonde du théâtre & du cœur humain, pour savoir distinguer les situations qui veulent qu’un interlocuteur réponde prestement aux questions qu’on lui fait, ou à celles qui exigent au contraire que l’interlocuteur hésite, & fasse long-temps attendre une réponse positive. […] Les reparties vives, positives & nettes de Madame Grognac établissent son caractere brusque ; & ses monosyllabes deviennent comiques.
Il est inutile de passer en revue tous les exploits parfaitement comiques, quoique pendables, de ce héros qui veut Qu’au bas de son portrait on mette en lettres d’or : Vivat Mascarillus, fourbum imperator ! […] Ce n’est pas une fois que Molière a mis sur le théâtre ces conduites criminelles, fardées sous l’excellent comique de sa verve intarissable, et rendues excusables en apparence par le caractère de ceux contre qui elles sont dirigées. […] Sans doute ; et ce qu’il y a d’immoral dans tous ces personnages, ce n’est pas tant leur conduite, évidemment condamnable et condamnée par tout homme de sens froid, que le charme comique par lequel Molière sait atténuer ce sens chez le spectateur. […] La vérité : c’est que l’auteur atteint, dans tous les genres, au sublime du comique, et qu’il est un comédien parfait. […] — « Le personnage de Sganarelle est trop souvent invraisemblable pour offrir toujours de l’intérêt, trop souvent bouffon pour être toujours comique.
Racine le porta peu de temps après, le genre comique n’était qu’amusant et gai ; et c’est dans ce goût qu’on vit paraître L’Amant indiscret, ou le Maître étourdi ; La Comédie sans comédie ; Le Geôlier de soi-même ; Le Pédant joué, et Le Campagnard. […] Les poètes qui l’avaient précédé dans le comique (du moins la plupart) s’étaient permis des licences dans leurs ouvrages, qui marquaient également la malignité de l’esprit et la corruption du cœur. Il fallait donc que Molière effaçât de l’esprit, et qu’il arrachât du cœur des spectateurs les idées d’un comique scandaleux, mais reçu pourtant et applaudi. […] Il osa, dans cette pièce, abandonner la route connue des intrigues compliquées, pour nous conduire dans une carrière de comique ignorée jusqu’à lui. […] « Il fit quelque temps la comédie à la campagne, et quoiqu’il jouât fort mal le sérieux, et que dans le comique il ne fût qu’une copie de Trivelin et de Scaramouche, il ne laissa pas de devenir en peu de temps, par son adresse et par son esprit, le chef de sa troupe, et de l’obliger à porter son nom.
Cette fureur de mettre des noms aux portraits du théâtre appartient à ces ridicules fureteurs d’anecdotes, qui, trop préoccupés du futile objet de leurs recherches, sont incapables de concevoir les procédés du génie comique. […] La Muse comique ne pouvait donc lancer ses traits que contre les manants qui se rendaient ridiculement malheureux en s’alliant à la gentilhommerie, ou les bourgeois qui se ruinaient follement par la fréquentation de la noblesse, et l’imitation de ses manières. […] Il est peut-être plus nécessaire encore qu’aucun personnage comique ne soit entièrement exempt de vice ou de ridicule. […] Dans ce que Molière eut le temps d’exécuter lui-même, quelques traits d’observation comique percent, par intervalle, à travers la dignité obligée du langage ; mais ils sont déplacés, et semblent n’être là que pour attester combien peu le caractère du sujet convient à celui du poète. […] Oui, sans doute, l’auteur du Misanthrope est descendu trop au-dessous de lui-même, et a, pour ainsi dire, donné lieu de le méconnaître, lorsqu’il a transporté sur le théâtre illustré par tant de chefs-d’œuvre comiques sortis de ses mains, une bouffonnerie grossière qui avait déjà traîné sur les plus ignobles tréteaux.
Moliere a sur-tout ajouté au comique en donnant aux amants devenus tout-à-coup musiciens plusieurs témoins intéressés à l’action. […] Desire-t-on que je suive notre Comique jusqu’aux confins de l’imitation, s’il m’est permis d’employer ce terme précieux d’après Madelon 51 ? […] Veut-on une preuve plus claire de cette espece d’aveuglement qu’ont pour les choses théâtrales les personnes qui ne sont pas réellement avouées par la Muse comique ? […] Nous l’avons déja dit ; parcequ’il n’étoit pas né pour la comédie ; qu’il ne connoissoit pas ce qui doit faire effet sur le théâtre ; qu’il n’étoit pas doué de ce génie vraiment comique, sans lequel un Auteur ne peut imiter ni créer, puisque bien imiter c’est créer, & créer c’est bien imiter. […] Nous rendrons cette différence sensible en faisant passer sous nos yeux les différentes imitations des plus fameux Comiques depuis Moliere jusqu’à nous.
Ne faisons pas, cependant, trop bon marché de ces commencements de notre art comique. […] Henri IV, qui aimait à se divertir des parades comiques qui commençaient à faire la réputation de l’acteur français, le faisait appeler quelquefois. […] C’est là du moins ce que rapporte la légende comique. S’ils étaient moins savants et moins raffinés que leurs rivaux, s’ils n’étaient pas aussi riches en inventions galantes ou burlesques, les comédiens français de la rue Mauconseil avaient pourtant leurs verves, comme disait Montaigne, et, dans leurs batelages, perçait parfois un génie comique qui promettait de dépasser la commedia dell’arte elle-même.
Louis ouvrit l’entrée de sa cour à l’auteur comique, comme s’il eût voulu lui fournir ses modèles, et s’associer ainsi à ses plus beaux ouvrages. […] Le philosophe et l’auteur comique, l’honnête homme et le poète, voilà ce qu’on trouve dans l’auteur du Tartuffe : cet immortel ouvrage n’est pas seulement un monument pour les lettres, c’est un service rendu à l’humanité. […] Cependant les hommes qui ont étudié tous les secrets du style n’ont pas trouvé dans celui de l’auteur la manière largeet franche et la touche vigoureuse du poète comique. […] Quelques commentateurs ont pensé qu’en ajoutant cette scène, Molière avait eu pour but de faire ressortir davantage celle qui suit, et qui est si comique par l’incrédulité de madame Pernelle. […] Il y a du reste entre Onuphre et Tartuffe la même différence qu’entre l’auteur des caractères et le grand poète comique.
Ici, par un contraste curieux avec le portrait de Mignard, c’est l’acteur comique, le « farceur, » que nous avons devant nous. […] Le chœur, le prologue, quelque personnage secondaire était jadis l’interprète de leur philosophie ; les comiques modernes ont les raisonneurs, dont tous ont usé, quelques-uns abusé. […] Il se résigne alors à essayer du comique, et on l’y trouve excellent ; selon Chalussay, la petite ville se pâme d’aise dès qu’il paraît. […] Écoutez ce bout de conversation entre Filippopoli et sa directrice : « Tu es un comique, lui dit celle-ci, tu es même plus comique que tu ne le crois, mon garçon ; je ne sais pas pourquoi tu as la rage de vouloir jouer la tragédie. — Je sais ce que je peux faire, répond l’autre ; j’ai la larme ! […] Si Molière fut mauvais acteur tragique, il excellait dans le comique, et tous les genres de comique, le plus élevé comme le plus bas.
Nous avons promis, en parlant du choix d’un sujet, d’analyser six caracteres que M. de Marmontel, dans sa Poétique, a indiqués aux Auteurs Comiques. […] Je ne sais pas comment M. de Marmontel a envisagé son Petit Seigneur, & s’il a cru faire présent aux jeunes comiques d’un caractere propre à fournir une petite ou une grande piece ; par conséquent je puis risquer mon sentiment. […] Aussi l’Auteur, content d’avoir ramassé ces différents traits, qui sont en même temps comiques & moraux, qui peuvent lui fournir cinq grands actes, s’empresse de les mettre à leur place. […] On voit que le comique de la piece est plus amené par l’adresse de l’amant, que par son caractere magnifique. […] Si j’exhorte les Auteurs à connoître toutes les pieces de nos différents comiques avant que de traiter un sujet, c’est que j’ai éprouvé les dangers & les désagréments qu’on risque à ne pas le faire.
Faire rire & corriger les hommes, est le double but que doit se proposer un Auteur comique. […] Cette piece, son comique & sa moralité sentent furieusement le terroir. […] Il faut qu’un Poëte comique soit juste en tout, & qu’il satisfasse les cœurs droits de son assemblée, en traitant ses personnages avec la derniere équité. […] Voilà à-peu-près les divers moyens que les Poëtes vraiment comiques peuvent mettre en usage pour rendre les hommes meilleurs. […] Sa supériorité sur tous ses prédécesseurs & successeurs pour la partie comique est assez prouvée dans différents Chapitres de cet ouvrage.
Je parus pour la premiere fois sur la scene comique à peu près dans le temps où M. […] Quant à mes pieces données au théâtre italien par la troupe lyrique, un Conte m’a fourni l’idée du nouveau Marié, ou les Importuns, opéra comique d’un acte. La Buona Figliuola, ou la Bonne Enfant, piece lyrique en trois actes, est imitée de la Buona Figliuola, opéra comique de Goldoni, lequel opéra comique Goldoni a imité lui-même d’une de ses Comédies, laquelle Comédie est imitée de la Nanine de M. de Voltaire, laquelle Nanine est imitée de Paméla, roman anglois, lequel roman est une imitation de Grisélidis, &c.
Je n’ai pas la prétention, après tant d’autres plus habiles, de faire l’éloge et la critique du génie comique de Molière. […] Or, nous trouvons tout cela dans Molière, sous une forme comique qui elle-même peut-être a été inspirée par cette légère et fine ironie dont Gassendi a su animer la plupart de ses discussions philosophiques, et surtout ses objections contre Descartes. […] Quoi de plus comique que la fureur péripatéticienne de Pancrace contre le misérable qui a osé dire la forme au lieu de la figure d’un chapeau. […] Dans les Femmes savantes, Molière reproduit sous une forme comique l’ironie de Gassendi contre le spiritualisme de Descartes. […] De là un caractère de Molière en opposition avec le spiritualisme cartésien de la plupart des grands écrivains du siècle de Louis XI v, de là l’origine et l’explication d’un certain nombre de traits comiques répandus dans quelques-unes de ses pièces, de là quelques maximes de sagesse plus en harmonie avec la morale de l’intérêt bien entendu qu’avec celle ’ du devoir.
Mais qu’on ne se figure point qu’une méprise, une équivoque, &c. soient comiques par elles-mêmes, & qu’il suffise d’en introduire dans une piece pour la rendre plaisante. […] On vient de voir comme une méprise peut rendre une piece ou une scene plus ou moins comique, selon le génie de l’Auteur. Prouvons maintenant que, pour rendre ce même comique bon & digne de satisfaire le spectateur éclairé, la méprise qui le fait naître doit avoir deux qualités essentielles. […] Une fois qu’il voit les efforts de l’Auteur pour éluder l’éclaircissement, tout est perdu, & le vrai comique disparoît. […] L’Ariane comique se sauve par miracle, revient dans sa ville habillée en homme, obtient la charge de Prévôt, & juge son mari.
Un auteur comique, rien de plus. […] Et sans poursuivre davantage une comparaison inutile avec le seul homme toutefois qui lui puisse être comparé, — quelle invention comique ! […] Son génie s’était formé pendant les premières, alors qu’à la suite de Madeleine Béjart, il menait à travers la France ce roman comique dont on relève aujourd’hui les étapes légendaires. […] C’est cette disproportion entre l’offre et la demande qui fait de lui ce qu’on appelait du temps de Molière un Ridicule, ce qu’on appelle aujourd’hui un personnage comique. […] Et pour en revenir à mon commencement, il est un personnage comique, ainsi que le jouait Molé, qui était dans la tradition de Molière, ainsi qu’on devrait toujours le jouer.
Il y eut comme une adoption de ce grand génie comique par la nation. […] Mieux instruits des commencements du poète comique, nous savons maintenant que c’est l’acteur qui s’éveilla en lui le premier et non pas l’acteur comique, mais l’acteur tragique. […] Il pratiqua assidûment les auteurs comiques de l’antiquité. […] Quel auteur comique s’est soumis à un plus terrible noviciat ? […] Pour cela, il n’eut qu’à revenir à la veine franchement comique.
La surprise de Déméa amene des scenes comiques que Moliere n’a pas négligées. […] Moliere, en saisissant tout le comique que l’idée de l’Auteur Espagnol pouvoit lui fournir, a compris en même temps combien un fils qui se joueroit de son pere seroit révoltant sur notre scene. […] Cette situation, très comique par elle-même, n’étoit pas à négliger. […] quel comique ! […] J’ai rapporté ceux-ci pour faire connoître l’art avec lequel notre comique a su les rendre propres à nos mœurs & à son sujet.
Jamais piece ne m’a fait sentir aussi bien que le Bourru bienfaisant combien il est utile pour un Auteur comique d’être à l’affût des traits qui échappent aux divers caracteres répandus dans la société, de les recueillir avec un soin extrême, de les mettre chacun dans leur case pour les en retirer au besoin ; sur-tout combien il est heureux d’être amené par les circonstances dans les lieux & dans les instants les plus favorables pour prendre la nature sur le fait, & faire une ample moisson. […] Nous n’avons donc qu’à réfléchir sur ce que nous venons de lire, & nous nous rappellerons aisément que nos Comiques n’ont mérité des éloges que lorsqu’ils ont mis dans leurs ouvrages, à l’imitation de Moliere, une exposition simple & claire, des scenes bien filées & qui se font desirer, des actes bien enchaînés, des situations amenées sans effort, un dialogue aussi vrai que précis ; lorsqu’à l’imitation de Moliere, loin d’ériger le jargon affecté en agrément, ils l’ont ridiculisé ; lorsqu’ils ont dédaigné l’esprit, les pointes, les épigrammes, les madrigaux, les détails plus propres à parer un almanach qu’à figurer dans une comédie ; qu’ils ont tiré tout le comique de la situation ; qu’ils ont rendu leur morale amusante ; qu’ils ont porté sur notre théâtre les beautés de l’étranger, & non ses absurdités ; lorsqu’enfin, à l’imitation de Moliere, ils ont fait un tout rendu parfait par la justesse de toutes ses parties. […] Nous remarquerons encore sur-tout que Regnard, si inférieur à Moliere du côté du style, des plans, des dénouements, de la morale, des caracteres, du comique même, ne marche, de l’aveu de tout le monde, immédiatement après lui que parcequ’il l’a singé, qu’il a déridé le front de ses auditeurs. […] Indépendamment de tout cela, mille circonstances ont concouru à seconder la nature pour former en lui l’homme extraordinaire, & s’opposent trop bien présentement aux progrès d’un Auteur comique.
De là résultent le comique, le moral, l’intérêt même, & plusieurs autres qualités d’un drame. Quelques Comiques n’ont pas daigné réfléchir sur cette vérité. […] Je demande d’abord ce qu’on entend par morale comique. […] L’âge des principaux personnages contribue autant que leur fortune à rendre une piece plus ou moins morale, intéressante & comique. […] Moliere est le seul de nos Poëtes comiques qui ait poussé là-dessus la licence au dernier point.
Elle jouait dans le Tragique, et le noble Comique. […] Il avait ce que les Comédiens appellent l’emploi des grands Amoureux, tragique et comique. […] Voyez la Pastorale Comique. […] C’est le grand acteur comique du XVIIIe siècle ; Garrick l’appelle l’« enfant de la nature ». […] Il est un des créateurs de l’École royale de déclamation, et le maître de la plupart des comiques des générations suivantes.
Le comique de situation se fait surtout remarquer dans les ouvrages de Beaumarchais. […] Par malheur, la peinture de ces revirements subits, véritable bonne fortune pour les auteurs comiques, leur fut interdite. […] En fait de style comique, c’est encore à Molière qu’il faut recourir pour en trouver le meilleur modèle. […] Scribe que nous trouvons accomplissant le mieux la mission du poëte comique. […] C’est là encore un effet comique obtenu aux dépens de la vérité.
Quelle que soit cette différence essentielle, fondamentale, quelque avantage qu’elle donne à l’ouvrage moderne sur l’ouvrage ancien, le comique français n’en a pas moins de grandes obligations au comique latin. […] Un poète comique de nos jours craindrait de faire entendre ces regrets dérisoires ou ces souhaits impies ; et il oserait encore moins peut-être présenter un fils tournant en dérision la malédiction la plus ridicule. […] Mais que sont quelques paroles dures et hautaines, comparées aux deux rôles si comiques de monsieur et de madame de Sotenville ? […] L’impiété perverse de dom Juan et la scélérate hypocrisie de Tartuffe sont des vices ou plutôt des crimes qui n’appartiennent pas à la justice ordinaire du théâtre comique : les personnages mis en scène, quoi qu’ils fissent, ne sauraient les châtier suffisamment Que fait alors le poète ? […] Ce qui, sortant de la plume du moraliste ou de la bouche du prédicateur, obtiendrait l’approbation publique, le poète comique le met en action.
On s’était déjà occupé de Molière à l’Athénée ; tout un mois on disserta dans les journaux sur ce qui s’y était dit au sujet du grand poète comique. […] » Et cependant, parmi tous les auteurs comiques, pas un ne l’a trouvée ! […] Ici le comique reparaît. […] On ne nous a point disputé le premier rang dans le comique. […] Nulle part nous ne saisirons mieux au vif cette transformation que sur la scène comique.
Quelles obligations notre scène comique ne lui a-t-elle pas ? […] Qui, depuis sa mort, a tenu plus sûrement le théâtre comique que M. […] Mais quel homme on aurait pu faire de ces deux comiques ! […] Il n’a jamais rempli que les seconds rôles tragiques et comiques. […] Cette passion n’est point propre au théâtre comique.
L’origine de cette petite société nous a semblé mériter d’être éclaircie : ce fut là que débutèrent deux des plus parfaits acteurs du théâtre français, Baron et Raisin le cadet ; le premier si admirable dans les premiers rôles tragiques, et ceux du haut comique, et le second, si supérieur dans tous les emplois comiques et à manteau. […] C’est une pièce de caractère et d’intrigue ; quand il n’aurait fait que ce seul ouvrage, il eût pu passer pour un excellent auteur comique. […] Il n’y a presque point d’intrigue dans les Adelphes et celle de L’École des maris est fine, intéressante et comique. […] Il est vraisemblable, naturel, tiré du fond de l’intrigue, et, ce qui vaut bien autant, il est extrêmement comique. […] Ce changement lui donna lieu de retrancher la scène du faux médecin, qui, par le bas comique dont elle est remplie, déshonore l’original.
Il attaqua encore les mauvais Médecins par deux Pièces fort Comiques, dont l’un est le Médecin malgré lui, et l’autre le Malade imaginaire. […] Quoiqu’il en soit depuis les anciens Poètes Grecs et Latins qu’il a égalés et peut-être surpassés dans le Comique, aucun autre n’a eu tant de talent ni de réputation. […] Il a été si excellent Acteur pour le Comique, quoique très médiocre pour le sérieux, qu’il n’a peu être imité que très imparfaitement par ceux qui ont joué son rôle après sa mort.
Le théâtre, tant tragique que comique, a une règle générale fondée sur la vérité des choses, c’est qu’on ne doit y faire figurer aucun personnage parfait. […] Bayle, exempt de tout préjugé, même littéraire, et adorateur des anciens sans superstition, Bayle proclama hautement le triomphe du comique français sur le comique latin. […] Mais ce n’est pas assez d’augmenter le comique ; il faut encore le varier. […] Molière est, sans contredit, de tous nos poètes comiques celui qui a le plus souvent et le plus gaiement tiré parti de l’espèce de ridicule attachée à certaine disgrâce qui menace les maris, et que désignait de son temps une expression naïve repoussée par la délicatesse actuelle du langage. […] De là sans doute l’Amphitryon et Les Ménechmes, deux sujets traités primitivement par les comiques grecs à qui Plaute les a empruntés.
Ainsi, la pièce comique servait d’introduction, de cadre à la pièce pastorale ; et celle-ci, à son tour, était destinée à recevoir ces morceaux de chant et ces entrées de ballet, dont le Roi avait fait choix. […] Une farce est une petite pièce, où domine un comique bouffon et outré, comme Pourceaugnac ou Les Fourberies de Scapin. […] Mais deux personnages d’un comique plus fort, plus saillant, ce sont messieurs Tibaudier, le conseiller, et Harpin, le receveur des tailles. […] Il est alors, dramatiquement parlant, bien mieux qu’un personnage raisonnable ; il est un personnage comique, passionné, opposant un ridicule à un ridicule, un excès à un excès. […] Voilà pourquoi le sujet de La Malade sans maladie n’est nullement comique.
Les uns, bien mieux instruits que moi, ont fait apparemment toutes les recherches nécessaires au poëte comique. Ils savent sous combien de faces différentes ils doivent envisager leur art ; avec quelle variété infinie Ménandre, Aristophane, Plaute, Térence, Calderon, Lopez de Vega, les Comiques Anglois, les Italiens, les Danois & Moliere ont saisi les causes du rire. […] Indépendamment du mauvais personnage qu’un homme, peu instruit des regles de la comédie, doit faire nécessairement dans un temps où tout le monde parle spectacle, où les cercles, les toilettes, les boudoirs même retentissent des mots pompeux de comédie larmoyante, comédie bourgeoise, comédie sérieuse, haut & bas comique, &c. indépendamment, dis-je, du rôle insipide qu’il joue en se voyant forcé de se taire ou de montrer son ignorance, je crois très agréable pour la propre satisfaction d’un homme, quel qu’il soit, de connoître toutes les finesses d’un art que nous faisons contribuer à notre amusement, puisque notre plaisir suit nécessairement le progrès de nos connoissances. […] Nous traiterons ainsi toutes les diverses parties du drame comique jusqu’au dénouement inclusivement ; & nous appuierons nos raisonnements par des exemples pris chez les meilleurs Auteurs comiques. […] comment l’Auteur comique & le grand Philosophe savoient se ménager de loin les scenes de pur agrément, ou celles qui devoient démasquer les travers & les vices ?
On trouva outrecuidant qu’un auteur attaqué se défendit en personne, et, qui pis est, se défendît en poète comique, c’est-à-dire fit de ses critiques une comédie, et des plus vives. […] Ce vers est un trait, de génie comique. […] Il faut que vous changiez le ton, si vous voulez rester d’accord : parce que vous jetez dans le couplet la note comique, irrésistiblement comique ; parce qu’un homme, dans l’état d’esprit où est Arnolphe, ne dira pas : Veux-tu que je m’arrache un côté de cheveux ? […] Je l’ai entendu, moi, dans un cours,en chaire, c’est-à-dire sans costume, sans geste,avec la tête seulement : mais cela suffisait et vous : aviez Arnolphe tout entier sous les yeux, et Arnolphe comique, étourdissamment comique. […] C’est que chez Molière, comme chez tous les véritables poètes dramatiques, l’esprit planait au-dessus des misères du cœur ; et que ses tortures intimes n’altérèrent jamais ni son incomparable verve comique, ni la souveraine impartialité de son génie.
La pièce est claire du reste et souvent comique ; Elle a de la verve et une allure vive et alerte. […] Cette pièce est un fleuve de comique ; il y a plus : elle en est une source. […] En tous les temps la réalité burlesque égale l’imagination burlesque des auteurs comiques et quelquefois la dépasse. […] Le temps travaille pour les auteurs comiques en décuplant le comique qu’ils ont mis d’abord dans leurs portraits ou tableaux. […] Qu’est-ce donc que Tartuffe dans l’ordre tragique et Monsieur Jourdain dans l’ordre comique ?
Dans son œuvre, comme dans la réalité, le comique est le plus souvent l’effet de deux contrastes aussitôt perçus. […] Alceste n’est comique que parce qu’il est jeune, sans véritable expérience de la vie, et que sa pseudo-misanthropie a pour cause un amour mal placé et la perte d’un procès. L’art d’exprimer la disproportion et l’antinomie entre la valeur des causes et leurs effets, entre les raisons de nos actions et nos actions elles-mêmes et non pas seulement, comme chez les bouffons italiens qui furent ses premiers maîtres, des jeux artificiels et faciles de mots et d’attitudes, voilà certes par quoi sa force comique est particulièrement irrésistible. […] Il faut ajouter que si de cette loi des contrastes, il a tiré tous les effets comiques qu’elle comporte, il en a exprimé aussi un élément tragique. […] Oui ne connaît ces mots si brefs dans lesquels se condense avec force la violence d’une passion et dont le retour, à la fois comique et dramatique, en apprend plus sur un caractère que ne le ferait une longue analyse ?
Chose remarquable, le théâtre comique fut presque libre dans un temps où on ne parlait pas de liberté, et le théâtre tragique n’eut aucune entrave. […] Le vrai génie comique que Molière seul peut-être a possédé dans la perfection, c’est-à-dire le don de réaliser dans des types individuels les traits généraux de la nature humaine, est essentiellement impersonnel : il se détache de ce moi tyrannique, si difficile à soumettre, pour vivre de la vie d’autrui et pour la reproduire. […] Ce chef-d’œuvre de la scène comique est-il un attentat contre la piété ou un acte loyal de bon sens, de courage, de prudence sociale, accompli avec génie ? […] Le comique n’est que la forme du génie de Molière ; le bon sens en est la substance : c’est par là qu’il sera toujours cher à l’humanité, qu’il amuse de l’image fidèle de ses travers et de ses vices. […] Il montre sans animosité, mais avec une verve de comique plus vive et plus étincelante que nulle part ailleurs, quels peuvent être les périls de ce travers, de cet engouement de bel esprit qui enlève aux femmes les qualités aimables et solides par où elles sont véritablement femmes.
Et peut-on résister au comique victorieux de la scène où Amphitryon, mis à la porte de chez lui par Mercure-Sosie, apprend de la bouche du dieu-valet que, dans le moment même, l’autre Amphitryon Est auprès de la belle Alcmène 594 ? En un mot, cette pièce est d’un bout à l’autre un effort du plus grand génie, qui triomphe du sentiment moral par la force comique, au point de rendre d’honnêtes époux ridicules, et de faire trouver excusable, agréable, admirable, le plus odieux adultère. […] La Pastorale comique ainsi que Mélicerte tenaient place dans la grande fête appelée le Ballet des Muses, donnée à Saint-Germain en décembre 1666. […] Pastorale comique, sc. […] Pastorale comique, sixième entrée de ballet.
On peut assurer cependant qu’il a peu de pièces où brille davantage le mérite de la véritable invention comique, et qu’il n’en a peut-être pas une seule dont l’exécution porte un caractère si marqué d’originalité. […] Les conditions de la fable comique exigeaient ce changement. […] Il n’y a pas moyen de se méprendre à l’intention d’un sieur de la Croix, auteur de La Guerre comique, ou la Défense de l’École des femmes. […] L’ouvrage eut ce succès de scandale qu’obtiendront toujours au théâtre les personnalités cruelles de la satire, substituées aux innocentes généralités de la censure comique. […] Le style de ces sommaires, quoi qu’on en ait dit, n’est pas indigne de Molière ; il est vif, précis, et il a la couleur comique.
Cela t’apprendra à chercher du comique dans les mots. […] Le comique de la chose a absolument disparu. […] Or, le comique de pensées est aussi solide et durable que le comique des mots est caduc et passager. […] Ce défaut est bien rare chez notre grand comique. […] La scène est très comique, mais de ce comique profond et triste, qui pousse à la réflexion plus encore qu’au rire.
Soulié, en 1863, a eu le mérite de faire faire un troisième pas à l’histoire critique de la vie de Molière, en soumettant le grand comique aux dépendances de la « race » du « milieu », du « moment ». […] Le Théâtre comique de 1650 à 1658. […] Sans doute aux imaginations très compliquées d’alors elles parurent trop simples, d’un comique trop tempéré, et, en somme, peu amusant. […] Considérons le Matamore de l’Illusion Comique, ou Dorante, dans Le Menteur. […] Le théâtre comique de 1650 à 1658 : Scarron, Th.
Enfin nous allons examiner une pièce de théâtre, L’École des femmes n’est pas autre chose, L’École des femmes n’est pas davantage, mais une pièce de théâtre admirable et qui, avec huit ou dix autres ouvrages du même poète, représente ce que la comédie, ce que l’art comique a produit de plus humain, de plus vrai et de plus libre. […] Si j’ajoute que Molière est un poète comique, le poète comique par excellence, il est évident qu’il aura rendu le personnage principal de sa pièce aussi ridicule que possible. […] Il l’accueille avec ce vers si délicieusement comique : La besogne à la main, c’est un bon témoignage. […] Il n’appartient à personne de grandir Molière, et, lorsqu’on a dit de lui qu’il est le premier et peut-être le seul poète comique, on lui a rendu un hommage suffisant, celui qu’il mérite. […] Cependant, il ne faut pas tomber dans l’excès contraire et se figurer qu’étant un auteur comique, il a simplement voulu faire rire.
Où le poète comique avait-il cueilli cette première moisson ? […] Elle n’a rien de la dignité et de la noblesse avec laquelle se justifie la Lucile de Molière40 ; mais dans la pièce italienne, le comique de la situation est poussé beaucoup plus loin et jusqu’à l’extrême. […] Depuis longtemps, les acteurs français, du moins les acteurs comiques, s’efforçaient de suivre, sur ce terrain difficile pour eux, les artistes italiens. […] Admettons qu’il existait, avant Molière, quelque imbroglio fondé sur l’équivoque du portrait : il n’est guère douteux que cette intrigue ne provienne de la source ordinaire des quiproquos et des méprises comiques, c’est-à-dire de la commedia dell’arte. […] L’École des maris fut représentée le 24 juin 1661 : elle marque une nouvelle époque dans la carrière du grand comique, celle où il est en pleine possession de son génie : désormais il fera encore plus d’un emprunt à la comédie italienne, il lui empruntera une situation, une scène, quelque moyen d’action ; il ne reproduira plus une œuvre dans son ensemble.
La scène italienne est bouffonne, puisqu’Arlequin confie même à son cheval les secrets de son maître ; la française est du meilleur comique. […] n’ajouterait-elle pas à son comique ? […] Enfin, P. de la Croix fit paraître La Guerre comique, ou la Défense de l’École des femmes. […] La confession si comique de Scapin est imitée de Pantalon père de famille, canevas italien. […] On dit que Molière et les autres comiques du temps eurent là-dessus des ordres de Colbert.
Si comique que soit cette excellente comédie, n’est-ce pas une chose triste de voir ce vieillard déshonorer ses cheveux blancs par de honteuses querelles avec ses valets93 ? […] Euclion, avec sa marmite pleine d’or, est sans doute un avare fort comique ; mais il n’est pas amoureux en même temps, pour montrer que les ridicules les plus divers et les plus contradictoires s’assemblent dans les âmes qui ont quitté le droit chemin de la raison ; il est volé par celui qui lui enlève sa fille103, et l’on rit de voir ce rapace vieillard pleurer ridiculement sa marmite et son honneur. […] 116 » Cette satire comique du suicide est achevée dans l’adieu larmoyant de Covielle : Nous allons mourir 117. […] IV ; Philène et Lycas dans la Pastorale comique, sc. […] Voir Loret, Lettre du 6 février 1655. — À toutes ces excellentes scènes, il faut joindre les scènes III-X de la Pastorale comique, dont il ne nous reste que quelques paroles chantées, mais qui étaient certainement une satire fort risible du duel.
Josse, un comique, n’est-ce pas, Monsieur Coquelin ? […] Et Tartuffe est le personnage comique de la pièce, le ridicule, la dupe. […] On comprend ce que le personnage, vu ainsi, — et je crois que c’est ainsi qu’il faut le voir, — offre de perspectives comiques. […] Le faux dénouement, toutefois, garde encore une allure comique. […] Tout ce qui sort de la juste nature est du domaine du poète comique ; est-ce la faute de Molière si les excessifs ont poussé la religion sur ses terres ?
Au contraire celui du Comique Moderne est dans la nature, & une des meilleures Pieces de l’Auteur. […] Moliere n’auroit plus joué que dans les rôles du haut comique, mais sa mort précipitée le priva d’une place bien méritée, & l’Académie d’un sujet si digne de la remplir. […] Despréaux, qui lui corrigea ces deux vers de la premiere Scene des Femmes Savantes, que le Poëte Comique avoit faits ainsi : Quand sur une personne on prétend s’ajuster, C’est par les beaux côtés, qu’il la faut imiter. […] Car, qu’un homme s’imagine être Alexandre, & autres caracteres de pareille nature, cela ne peut arriver, que la cervelle ne soit tout-à-fait altérée : mais le dessein du Poëte Comique étoit de dépeindre plusieurs fous de société, qui tous auroient des manies pour lesquelles on ne renferme point, & qui ne laisseroient pas de se faire le procès les uns aux autres, comme s’ils étoient moins fous pour avoir de différentes folies. […] Au contraire celui du Comique Moderne est dans la nature & une des meilleures Pieces de l’Auteur ; C’est ainsi qu’en jugeoit M.
La caravane comique tomba par malheur dans un parti, de huguenots. […] Les comiques italiens, dont la présence au milieu de si graves circonstances était un signe du temps, avaient à peine pu donner un échantillon de leur savoir-faire. […] Il n’y a plus aucune place, en effet, pour les divertissements comiques pendant ces dernières années du règne de Henri III où s’engage la lutte suprême de la Ligue et de la royauté. […] Il appela ou il accueillit la plus excellente troupe d’artistes comiques que l’Italie possédât alors. […] » Et là-dessus de lui faire un cours d’horticulture comique, en lui nommant tous les outils du métier et en lui indiquant la manière de s’en servir.
Nos comiques ont, me dira-t-on, varié les déguisements. […] Gardons-nous donc de bâtir une fable, à l’instar de nos premiers comiques, sur un déguisement dénué de toute vraisemblance, & dont les personnes les moins clair-voyantes ne peuvent être les dupes. […] Il faudroit avoir de l’humeur pour ne pas avouer que la fable de cette piece est plus comique, plus naturelle, plus vraisemblable que celle de toutes nos comédies intriguées par des déguisements.
Représentation de Mélicerte et de La Pastorale comique. […] Auteurs comiques qui, comme lui, ne firent pas partie de cette compagnie. […] Elle jouait avec le plus grand succès dans le tragique et le comique noble. […] Elle ne s’était encore vu confier aucune œuvre nouvelle, ni comique ni tragique. […] On représenta seulement la Pastorale comique et Le Sicilien.
D’un autre côté, ceux qui ignorent l’art de rendre une piece comique par sa contexture, s’évertuent à prouver que les comédies doivent être versifiées ; c’est que les madrigaux, les jeux de mots, les pointes, les épigrammes dont ils veulent remplir leur ouvrage, n’ont pas le moindre sel en prose. […] Faites des vers alexandrins, vous Auteurs comiques qui pourrez en composer d’approchants à ceux du Misanthrope, des Femmes Savantes & du Tartufe. […] Il n’est pas nécessaire, je crois, de dire que cette piece Est précieuse seulement Par son comique extravagant17. […] Ses comédies sont plus burlesques que comiques.
153 (I) On n’aura pas la satisfaction aujourd’hui d’adresser à nos comiques le même éloge. Depuis le fameux drame de Pinto154, jusqu’à l’Abbé de l’Epée, la comédie n’est plus qu’une suite de scènes décousues, sans intérêt, et sans situations comiques.
Pourvu qu’il produise un violent effet comique, il est satisfait. […] Il y a donc une méchanceté latente au fond de tout auteur comique. […] Qu’elles n’ont plus de vrai comique et ne produisent aucun effet. […] Elles sont matière de ridicule et de comique. Donc le vice, aux yeux du vulgaire, est très rarement comique, il est mêlé de comique plutôt que comique en soi.
Leurs ennemis se sont ligués avec le comique larmoyant, le drame & plusieurs autres tyrans, qui tous ont usurpé un grand crédit. Etudiez nos Auteurs, vous verrez que les ennemis de l’ancien genre, du bon comique, se déchaînent contre lui, parcequ’ils se sentent hors d’état de le traiter avec succès. […] Tout le monde a reconnu dans les bons Auteurs comiques trois especes de pieces, pieces à intrigue, pieces à caractere, pieces mixtes, c’est-à-dire, qui tiennent des deux premieres : mais tout le monde n’a peut-être pas senti que les pieces à intrigue, que les pieces à caractere, que les pieces mixtes sont variées à l’infini dans leur construction, dans leur marche ; que chacun de ces trois genres en a plusieurs autres, qui doivent être traités différemment, & qui l’ont été par les meilleurs maîtres de l’art chez toutes les nations.
Molière y alla sans marchander ; il mit sur la scène un gueux plus noble de cœur qu’un gentilhomme716 ; il bafoua les bourgeois qui croient que c’est une belle chose de devenir gentilhomme ; les Arnolphe qui se donnent le nom de Monsieur de la Souche ; les Gros-Pierre qui s’appellent pompeusement Monsieur de l’Isle 717 ; les George Dandin qui, par un allongement, reçoivent le titre de Monsieur de la Dandinière 718 ; on n’oubliera jamais l’illustre maison de Sotenville, dans laquelle « Bertrand de Sotenville fut si considéré en son temps que d’avoir permission de vendre tout son bien pour le voyage d’outre-mer719, » ni celle de la Prudoterie « où le ventre anoblit720 ; » on rira éternellement des manies de dignité et de vanité qui constituent toute la noblesse des Pourceaugnac et des Escarbagnas ; enfin le type du marquis, produit par Molière et prodigué dans toutes ses pièces, est resté et restera comme l’un des meilleurs personnages du théâtre comique. […] « On trouve dans les fragments de Ménandre et des comiques de son école beaucoup de sentences qui expriment la tendresse, et j’allais presque dire la faiblesse, que le père doit avoir pour son fils : Un bon père, dit Ménandre (Sentences des anciens comiques grecs, édit. […] On sait tout ce qu’il y a de touchant et de vraiment paternel dans le caractère de Ménèdème, sans que ces qualités nuisent en rien au comique, ni le comique à la dignité du père. […] Molière, qui jouait Mascarille, s’était composé un costume sur la dernière mode de la cour, qui était d’un comique admirable, en sorte que l’entrée produisait un effet irrésistible.
Dira-t-on qu’un tel personnage ne serait point comique ? […] Quant à la grossièreté, elle est à peu près inséparable du génie comique. […] Contrepartie de la scène d’Oronte, aussi comique pour le moins ! […] Mais nous voici trop loin des parodies du poète comique. […] Si le cas se présente, il est du ressort d’Esculape et non de la Muse comique.
Je n’entreprendrai pas de louer Moliere sur l’invention du projet de Caritidès ; je laisse ce soin à l’Auteur du Spectateur Anglois, il s’en acquitte mieux que je ne saurois faire, peut-être sans avoir eu dessein de donner des applaudissements à notre Comique : n’importe, les éloges ne sont pas moins pour lui. […] Je crois devoir faire remarquer en passant que l’Auteur Anglois, en imitant le placet du Fâcheux, lui donne une tournure un peu trop basse, & lui enleve en même temps toute la vigueur comique, même la morale, qui naît des prétentions ridicules de Caritidès adressant directement un placet au Roi, & se vantant d’un savoir aussi rare qu’éminent. […] Une Satyre d’Horace a fourni à notre Poëte comique la scene d’exposition de ses Fâcheux. […] On ne peut nier que Moliere n’ait imité en homme d’esprit les deux Satyriques, puisqu’en lisant la scene comique nous y reconnoissons les mœurs du siecle pour lequel elle fut faite ; & qu’aucun vernis d’ancienneté, aucun air étranger ne fait soupçonner son origine à ceux qui ne la connoissent point. […] La piece tant & tant louée, Qui fut derniérement jouée, Avec ses agréments nouveaux, Dans la belle maison de Vaux, Divertit si bien notre Sire, Et fit la Cour tellement rire, Qu’avec les mêmes beaux apprêts, Et par commandement exprès, La troupe comique excellente, Qui cette piece représente, Est allée encor de plus beau La jouer à Fontainebleau...
Le reproche seroit fondé si la piece étoit dans le genre du Tartufe, du Misanthrope, des Femmes Savantes, si, sur-tout, les valets ne faisoient que parodier leurs maîtres : mais leur situation est au contraire tout-à-fait opposée ; & c’est de cette variété que naît la plus grande partie du comique. […] Je ne sais pas pourquoi Moliere n’a pas tiré parti de ces deux traits, qui sont d’un excellent comique, puisque le plaisant sort du fond de la scene & de la situation des personnages. […] Moliere a fort prudemment abandonné la quatrieme scene du troisieme acte de Plaute, dans laquelle Mercure, nous enlevant encore le plaisir de toute surprise, nous rapporte, dans un très long monologue, ce qu’il va faire, & le comique qui en résultera. Notre Poëte, plus adroit, nous fait rire avant que de nous le promettre, & passe rapidement aux scenes comiques par la situation. […] Le comique y est noyé ou répété.
Tel fut chez nous le sort du Théâtre Comique. […] Mais pour un tas grossier de frivoles Esprits Admirateurs zélés de toute œuvre insipide, Que non loin de la place, ou Brioché préside, Sans chercher dans les vers ni cadence ni son, Il s’en aille admirer le savoir de I*** L’Art poétique, chant III, v. 359-428 Que la Nature donc soit votre étude unique, Auteurs, qui prétendez aux honneurs du Comique. […] Le Comique ennemi des soupirs et des pleurs N’admet point en les vers de tragiques douleurs ; Mais son emploi n’est pas d’aller dans une place, De mots sales et bas charmer la populace.
Le poète comique puise .ses inspirations à deux sources différentes : l’une, la société qui l’entoure, avec ses ridicules et ses vices particuliers ; l’autre, le fond invariable -de la nature humaine. […] » Ce n’est pas à dire que Molière n’ait pas pu joindre à ses tableaux quelques traits empruntés à ses contemporains : « Le théâtre et la société, dit Chamfort, ont une liaison intime et nécessaire, et les poètes comiques ont toujours peint, même involontairement, quelques traits du caractère de leur nation 28. » Mais qu’on se garde bien de chercher dans chacun des personnages de Molière la reproduction d’un visage unique, une copie: de la stricte réalité. Ce serait faire descendre les grandes œuvres à des proportions indignes dit génie, et rabaisser l’art du poëte comique au triste niveau de la satire personnelle. […] L’art du poëte comique. […] Dans Alceste faisant la guerre à « Tous ces colifichets dont le bon sens murmure, » ne voyez-vous pas le grand comique aidant Boileau dans sa courageuse croisade contre le faux goût de l’époque39 ?
… L’arrêt comique fut signifié à ce malheureux. […] — N’avait-il donc pas vu lui échapper l’héritage comique de trois siècles ? […] que je veuille déclamer contre la facilité de ces fortunes comiques. […] Il a fait un héros comique, de Tartuffe ! […] Voilà ce que l’on disait, tout d’abord, du nouveau poète comique.
« Mais, ajoute-t-il, Baron est son ami ; seulement il a part à son Ouvrage : il le loue trop légèrement ; et il insulte trop les autres Auteurs Comiques pour n’en être pas persuadé. » Donc encore mon Ouvrage est mauvais et suspect. […] Mais vous insultez Dancour, et plusieurs autres Auteurs, ajoute mon Censeur, d’avancer hardiment que depuis Molière, personne n’a mieux soutenu le Théâtre Comique que Baron. […] Ainsi lorsque j’ai dit que Baron était celui des Auteurs qui avait le mieux soutenu le Théâtre Comique depuis Molière, j’ai dit ce que j’ai pensé, et ce que je pense encore sans préjugé ; et je ne trouve point mauvais qu’un autre soit d’un sentiment opposé, comme le fait mon Censeur. […] Ce qui fait bien connaître que le Théâtre Comique était alors négligé ; et que l’on était fatigué de mauvais ouvrages avant Molière, comme nous l’avons été après l’avoir perdu . […] Mais, me dira mon Critique, votre Molière ne savait point tout cela ; vous dites vous-même qu’il n’eut point de succès dans le tragique : et toutes ces belles règles que vous venez de donner ne conviennent point à l’Acteur Comique.
Quand un bel esprit a étalé dans un cercle, avec emphase, cette raison convaincante, il sourit, & se rengorge : les femmes applaudissent de l’éventail ; les hommes, qui, pour s’épargner la peine de réfléchir, jugent toujours sur parole, partent de là pour condamner, sans appel, les aparté, & pour bannir totalement du théâtre comique une partie aussi utile qu’agréable. […] Ils doivent sur-tout être extrêmement courts : & pour lors, maniés par un homme ingénieux, ils peuvent devenir une source très féconde du comique le plus plaisant. […] Je suis surpris que pas un seul Auteur n’ait encore imaginé d’en enrichir notre scene, du moins je ne me souviens pas d’avoir vu rien d’égal dans aucun comique. […] Enfin les aparté sont, pour l’ordinaire, une source féconde de comique.
Je le sais très bien ; mais les gens du bel air voudroient qu’un comique les plaçât sur la scene, moins tels qu’ils sont, que tels qu’ils veulent paroître ; qu’il ne s’attachât qu’aux mines, aux grimaces, & ne dévoilât pas le fond du cœur ; qu’il peignît ces travers, ces ridicules qu’on a érigés en agrément ; & non ces vices que l’éducation, que la politesse masquent, mais qu’elles ne cachent pas à un observateur profond. […] Cette scene est extrêmement comique ; on ne sauroit le nier. […] J’ose soutenir le contraire ; & je défierois là-dessus, non seulement Thomas Corneille, mais Moliere lui-même ; parceque toute intrigue préméditée dénote nécessairement dans celui qui l’imagine un esprit de fourberie & de fausseté qui ne sauroit s’allier à la décence qu’on exige, sur le théâtre, des personnes bien éduquées ; & qu’il est impossible de filer, de soutenir quelque temps une intrigue comique, sans employer quelques-uns des ressorts que la bienséance interdit aux personnes d’une certaine façon, & qu’elle permet aux intrigants subalternes. […] Barthe : cette piece en est digne à tous égards, puisque l’Auteur est, de nos jeunes Comiques, celui qui fait voir un talent plus décidé ; puisque son ouvrage est resté au théâtre, qu’il a eu le plus grand succès & qu’il le mérite ; puisqu’on y voit des scenes que les maîtres de l’art ne désavoueroient pas ; puisqu’enfin l’Auteur vise à la gloire de faire regner dans ses pieces le ton de la bonne compagnie.
Le comique qu’une ressemblance bien annoncée & bien ménagée fournit à un Auteur ingénieux, mérite quelque indulgence. […] Je ne doute pas qu’il n’y fût, en effet, très comique ; mais la premiere personne qui a fait cette belle découverte, n’a pas certainement pris la peine de réfléchir, de voir si l’exécution en seroit facile sur notre Théâtre, & en second lieu, si elle contribueroit à sa gloire, ou à sa chûte. […] Ses extravagances sont mises par Arlequin sur le compte du manque de mémoire, ce qui amene des situations très comiques. […] Il n’y a qu’à supposer entre les deux jumeaux, ou les deux personnes qui se ressemblent, un son de voix différent, une démarche, une façon de se mettre, un caractere même tout-à-fait opposé ; de cette façon l’Acteur qui joue les deux rôles peut les varier, y mettre infiniment plus de comique, & jouer sa dupe avec beaucoup plus de vraisemblance36.
. ; mais la perspective ordinaire, au milieu de laquelle se déroulaient les événements de la comédie, c’était cette piazetta ou ce carrefour, doré de soleil, divisé en coins et recoins mystérieux, qui, avec une plus grande simplicité d’architecture, a servi également à nos premiers poètes comiques. […] Voilà l’ensemble de personnages qu’on retrouve dans la plupart des pièces comiques. […] On voit que sur le théâtre des Gelosi et dans les comédies même, l’élément comique ne prévalait pas exclusivement ; le sentiment, la passion et le drame y tenaient une bonne place ; la bouffonnerie n’y était souvent qu’accessoire et épisodique, et ainsi mesurée elle n’en produisait sans doute qu’un plus grand effet. […] Le désordre se met dans la noce, grâce à Isabelle, et c’est ensuite une sarabande comique qui ne laisse pas aux spectateurs le temps de respirer jusqu’à la fin du troisième acte.
Secondement, il s’est ménagé le comique que produisent la morgue, la bassesse, & la dispute des différents maîtres. […] Enfin Moliere a préparé par le seul état de son héros, toutes les richesses comiques amenées par le bon sens de Madame Jourdain, l’ingénuité de Nicole, le bon esprit de Lucile, la noble franchise de Cléonte, la subtilité de Covielle, ils se trouvent très bien en opposition avec le caractere principal, & font ressortir le ridicule de M.
Nous rendrons cette différence sensible en faisant passer sous nos yeux les différentes imitations des plus fameux Comiques depuis Moliere jusqu’à nous. […] Nous espérons prouver encore par-là que les successeurs les plus célebres de Moliere sont ceux qui ont imité davantage leurs prédécesseurs, & que tous ont été plus ou moins applaudis, à mesure qu’ils se sont plus ou moins rapprochés de Moliere, le premier Poëte comique de tous les âges & de toutes les nations ».
Ces sortes de méprises sont ordinairement des triomphes pour l’auteur comique. […] Cet homme, qui fut un grand poëte, un grand philosophe, et le premier des comiques de tous les siècles, mourut avant le temps, et obtint à peine la sépulture. […] S’il s’élevait parmi nous dans la suite un auteur comique qu’on pût lui opposer, c’est que nos mœurs seraient devenues plus fortes, et que cet auteur aurait encore plus de génie que lui.
MOLIERE (Jean-Baptiste Pocquelin) poëte comique, étoit fils d’un valet de chambre-tapissier du roi, & nâquit à Paris vers l’an 1620. […] Voyez le jugement que l’auteur des reflexions sur la poëtique a fait de Moliere « Personne, dit-il, n’a porté le ridicule de la comedie plus haut parmi-nous que Moliere ; car les autres poëtes comiques n’ont que les valets pour plaisans de leur theâtre ; & les plaisans du theâtre de Moliere, sont des marquis, & des gens de qualité.
Quelles obligations notre Scène comique ne lui a-t-elle pas ? […] Cependant les petits Auteurs comiques de ce temps-là, alarmés de la réputation que Molière commençait à se former, faisaient leur possible pour décrier sa Pièce. […] Qui, depuis sa mort, a soutenu plus sûrement le Théâtre comique, que Monsieur Baron ? […] Depuis ce temps-là, dit-on, il ne s’attacha qu’au Comique, où il avait toujours du succès, quoique les gens délicats l’accusassent d’être un peu grimacier. […] Mais quel homme on aurait pu faire de ces deux Comiques !
Plusieurs écrivains, qui ont traité certaines parties de l’histoire de notre grand comique et de sa famille, ont puissamment aidé à ce mouvement de réaction ou s’y sont associés. […] Louis XIV tenait en plus haute estime un ballet ou une mascarade, surtout quand il y figurait, que les meilleures œuvres tragiques ou comiques. […] Le moliériste recherche toutes les demeures qu’a habitées notre grand poète comique ; l’archéologue les décrit et en analyse les titres. […] Cela est de toute autre conséquence que de savoir si le grand comique est mort au n° 42 ou bien au n° 40 de la rue Richelieu. […] En 1873, à propos du second centenaire de la mort du grand poète comique, M.
Car son cœur valut son imagination ; et, si le comique est la forme de son génie, le bon sens, la raison la plus pure en est le fond et la substance. […] Oui, sous son masque, le traître qu’on déteste ne laisse pas d’être comique, ne fût-ce que par l’effronterie de parvenu qu’il mêle à ses roueries. […] car il faut être vraiment aveugle pour regarder comme une maladresse une des plus fécondes ressources de l’intérêt comique. […] Sources du comique. […] Voilà le travers, dont le poète avait besoin pour tourner au comique l’austérité de son sujet.
Mais pour ne rien entreprendre sur les devoirs de nos pasteurs et des prédicateurs de l’Évangile, j’abandonne le comédien pour ne parler ici que du poète comique, et pour rapporter de la manière la plus succincte et la plus sèche qu’il me sera possible, quelques-uns des jugements que nos critiques séculiers et réguliers en ont porté. […] C’est en quoi consiste l’avantage qu’on lui donne sur tous les comiques modernes, sur ceux de l’ancienne Rome, et sur ceux même de la Grèce : de sorte que s’il se fût contenté de suivre les intentions de M. le cardinal de Richelieu, qui avait dessein de purifier la comédie, et de ne faire faire sur le théâtre que des leçons de vertus morales, comme on veut nous le persuader, nous n’aurions peut-être pas tant de précautions à prendre pour la lecture de ses ouvrages. […] Rapin nous fait connaître qu’il est aussi dans le même sentiment, et il est allé même encore plus loin que ces deux critiques, lorsqu’il dit, qu’à son sens c’est le plus achevé et le plus singulier de tous les Ouvrages comiques qui aient jamais paru sur le théâtre9.