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4. (1812) Essai sur la comédie, suivi d’analyses du Misanthrope et du Tartuffe pp. 4-32

La première partie de l’art dramatique, appelée comédie, fut consacrée à corriger les hommes, à attaquer leurs vices, leurs ridicules. […] Quel esprit pénétrant pour saisir les nuances, les aperçus fugitifs d’un vice ou d’un ridicule, quelque passager qu’il paraisse ! […] Mais cette seconde espèce d’intérêt, par sa nature, doit toujours être dépendante et subordonnée au but de la comédie, d’instruire en attaquant les vices. […] Cependant il existe plusieurs pièces très estimables, où tout l’intérêt ne roule que sur le ridicule et les vices des personnages. […] Le principal but de la comédie étant de corriger les vices, les vertus n’entrent dans son plan qu’accessoirement, et pour faire ressortir les vices du principal personnage.

5. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE IV. Jugement sur les Hommes de Molière. » pp. 65-82

Il y réussit admirablement par la peinture de nos vices et de nos ridicules. Et comme le contraire du vice et du ridicule est le bien, en poursuivant tous les vices et tous les ridicules, il montre par contraste le bien sous toutes ses faces. […] Il est vrai que c’est d’une part un vice évidemment condamné par le sens universel ; d’autre part une honnêteté supérieure, sublime. Mais, en somme, sur ce théâtre, le vice est trop séduisant, l’honnêteté trop dissimulée. […] Une des principales immoralités des romans et des drames, c’est de faire croire à la possibilité de l’alliance de vices et de vertus incompatibles.

6. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXI. Des Caracteres de tous les siecles, & de ceux du moment. » pp. 331-336

Les caracteres de tous les temps sont préferables aux autres pour deux raisons : la premiere, parceque si l’Auteur réussit à les peindre comme il faut, sa gloire est plus durable ; il n’est pas douteux que le spectateur ne prenne plus de plaisir à voir jouer sur le théâtre des travers, des ridicules ou des vices qui le frappent tous les jours dans la société, que s’il ne les connoissoit que par tradition : de telles pieces bien faites réunissent le double avantage de frapper toujours les connoisseurs & le commun des hommes : elles ont sans cesse les graces de la nouveauté60. […] l’hypocrisie est un vice à la mode, Et quand de ses couleurs un vice est revêtu, Sous l’appui de la mode il passe pour vertu. […] Contre tout autre vice on parle hautement : Chacun a liberté d’en faire voir le piege. […] C’est ainsi que l’on peut, dans le siecle où nous sommes, Profiter sagement des foiblesses des hommes, Et qu’un esprit bien fait, s’il craint les mécontents, Se doit accommoder aux vices de son temps. […] Je ne veux pas décourager les jeunes Auteurs qui entreprendroient de faire la guerre aux ridicules, aux travers, même aux vices naissants : au contraire, je leur ai fait voir les difficultés qu’il y a dans le succès, non pour ralentir leur zele, mais pour les engager à redoubler leurs efforts : je leur dirai même, pour les encourager, que si ces sortes de pieces procurent une gloire souvent moins durable, elle est ordinairement plus éclatante.

7. (1823) Notices des œuvres de Molière (VII) : L’Avare ; George Dandin ; Monsieur de Pourceaugnac ; Les Amants magnifiques pp. 171-571

Trois fois seulement, dans toute sa carrière dramatique, on l’a vu attaquer des vices véritables. […] Dans L’Avare, au contraire, Molière a peint un vice de tous les temps, de tous les pays, de toutes les conditions ; un vice inhérent à notre nature, et dont beaucoup d’hommes sont attaqués. […] L’avarice est un vice des âmes basses, des cœurs froids et des esprits faux. […] Représenter un vice puni par un autre vice qu’il a produit, ce n’est pas encourager celui-ci, c’est les combattre à la fois tous les deux. […] La mission du poète comique consiste à combattre les vices et les ridicules, et plus souvent ; les ridicules que les vices, par la raison que ceux-ci ont quelque chose d’odieux et de révoltant qui répugné à une condition essentielle du genre, celle d’amuser et de faire rire les honnêtes gens.

8. (1765) Molière dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (compilation) pp. 2668-16723

Enfin le vice n’appartient à la comédie, qu’autant qu’il est ridicule & méprisable. […] La politesse gase les vices ; mais c’est une espece de draperie légere, à-travers laquelle les grands maîtres savent bien dessiner le nud. […] L’avarice, cette avidité insatiable qui fait qu’on se prive de tout pour ne manquer de rien ; l’envie, ce mêlange d’estime & de haine pour les avantages qu’on n’a pas ; l’hypocrisie, ce masque du vice déguisé en vertu ; la flatterie, ce commerce infame entre la bassesse & la vanité : tous ces vices & une infinité d’autres, existeront par-tout où il y aura des hommes, & par-tout ils seront regardés comme des vices. […] Leurs vices sur-tout ont je ne sai quoi d’imposant qui se refuse à la plaisanterie : mais les situations les mettent en jeu. […] Il joue la cour, le peuple & la noblesse, les ridicules & les vices sans que personne ait un juste droit de s’en offenser.

9. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XLII. De l’art d’épuiser un Sujet, un Caractere. » pp. 493-503

Il est reçu qu’un seul homme, quelque ridicule, quelque vicieux qu’il soit, ne peut réunir sur lui seul tous les traits du ridicule ou du vice qui le caractérise. […] Moliere, chez qui j’ai puisé cette réflexion, a très bien vu les nuances différentes que chaque vice ou chaque ridicule a, selon l’état du personnage. […] Il en est de l’âge comme des conditions : la même passion, le même vice, le même ridicule agissent plus ou moins sur un homme, selon qu’il est plus ou moins âgé. […] Je ne me suis engagé ni à faire les comédies dont je viens de parler, ni à fournir les matériaux suffisants ; mais, je le répete, je suis fermement persuadé qu’on pourroit donner dans plusieurs pieces suivies l’histoire d’une passion, d’un vice, d’un ridicule, &c. […] Tartufe renferme dans son ame tous les vices de l’hypocrisie & de l’irréligion.

10. (1910) Rousseau contre Molière

Il faut qu’il ait tous les vices et tous les ridicules encore s’il se peut. […] Ignorez- vous qu’ils font la peinture de tous les vices de l’humanité ? […] En général, le grand vice ne fait pas rire parce qu’il fait peur. […] Peinture d’un vice et de ses conséquences soit comiques soit quasi tragiques. […] En effet, ce sont des vices qui opèrent dans le sens de l’instinct conformément à la nature ; ce sont vices qui s’avouent et, au besoin, dont on se pare.

11. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXVI. Des Caracteres nationaux. » pp. 268-283

« Nous reconnoissons toujours les hommes dans les héros des tragédies, soit que la scene soit à Rome ou à Lacédémone, parceque la tragédie nous dépeint les grands vices & les grandes vertus. Or, les hommes de tous les pays & de tous les siecles sont plus semblables les uns aux autres dans les grands vices & dans les grandes vertus, qu’ils ne le sont dans les coutumes, dans les usages ordinaires, en un mot, dans les vices & les vertus, que la comédie peut copier : ainsi les personnages de comédie doivent être taillés, pour ainsi dire, à la mode du pays pour lequel la comédie est faite. […] Car enfin, après tout, qui sait, en pareil cas, Si la terre d’autrui ne m’appartiendra pas, Par quelque nullité, vice de procédure ? […] En relisant cette comédie, je vois encore mieux que la haine du Comte & de la Marquise sert de base à la piece, & que la chicane, vice reproché aux Normands, n’est qu’accessoire. […] Moliere, loin de bâtir l’intrigue d’une seule de ses pieces sur le vice ou le ridicule attribué à quelques-unes de nos provinces, n’a seulement pas daigné en faire des scenes détachées.

12. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXVII. Du Caractere des Professions. » pp. 284-302

Chaque profession a, comme chaque homme, son vice, son ridicule, son caractere enfin, plus ou moins prononcé. […] S’il est vrai qu’on doive mettre les caracteres à la portée de tout le monde, comment veut-on que les travers, les ridicules, les vices d’une profession, connus seulement par ceux qui sont initiés dans les mysteres, puissent frapper le grand nombre ? […] Il en est des vices d’une profession comme de ses ridicules, ils sont très souvent inconnus à ceux même qui en sont les victimes. […] S’ils ont encore les vices qu’on a jadis reprochés à leur profession, pourquoi entreprendre de leur répéter ce que l’Auteur d’Arlequin Grapignant leur a si bien dit ? […] Il est question de peindre les vices de la finance moderne pour corriger ceux d’entre ses membres qui les ont adoptés, ou les tourner en ridicule pour préserver les autres de la contagion.

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