Voilà des obstacles qui ne nous permettent point d’admirer ce Poëte selon son mérite, ni en Grec, ni en Latin, ni dans les Versions Françoises les plus fidelles, & les plus polies, qu’on nous en puisse donner. […] Vous me direz sans doute qu’il faut être Poëte pour aimer de cette maniere ; mais pour moi je croi qu’il n’y a qu’une sorte d’amour, & que les gens, qui n’ont point senti de semblables delicatesses, n’ont jamais aimé veritablement – – –15. […] Il a fait faire fortune à quelques phrases, & à quelques mots, qui ont beaucoup d’agrémens ; & si quelque Grammairien en jugeoit d’une façon toute contraire, il mériteroit d’être traité comme celui qui censura le Poëte Furius d’avoir inventé certains mots Latins qui abregeoient le discours, & qui n’avoient rien de rude pour les oreilles délicates. […] Il est sûr qu’un Poëte Comique n’est pas aussi excusable que les Philosophes qui forgent des mots.
Enfin nous allons examiner une pièce de théâtre, L’École des femmes n’est pas autre chose, L’École des femmes n’est pas davantage, mais une pièce de théâtre admirable et qui, avec huit ou dix autres ouvrages du même poète, représente ce que la comédie, ce que l’art comique a produit de plus humain, de plus vrai et de plus libre. […] Si j’ajoute que Molière est un poète comique, le poète comique par excellence, il est évident qu’il aura rendu le personnage principal de sa pièce aussi ridicule que possible. […] Il n’appartient à personne de grandir Molière, et, lorsqu’on a dit de lui qu’il est le premier et peut-être le seul poète comique, on lui a rendu un hommage suffisant, celui qu’il mérite.
Où le poète comique avait-il cueilli cette première moisson ? […] Un des ennemis du poète comique, Saumaise, allait bientôt lui reprocher cette imitation comme « une singerie dont il était seul capable 41 », et bientôt aussi, en 1661, Boursault s’empara du même sujet en disant simplement : « Le sujet est italien : il a été traduit dans notre langue, représenté de tous côtés. » La Jalousie du Barbouillé a une autre origine. […] La pièce italienne intitulée Le Gelosie fortunate del prencipe Rodrigo (les heureuses jalousies du prince Rodrigue) est du poète florentin Giacinto-Andrea Cicognini ; celui-ci aurait lui-même, pour cette pièce comme pour la plupart de ses nombreux ouvrages, suivi un original espagnol. […] Nous ne nous attacherons pas à signaler, dans les créations nouvelles qui vont dès lors se succéder, tous les éléments qui sont de provenance italienne ; ce n’est que dans une édition des œuvres du poète qu’il y a lieu de noter cela par le détail.
Ce tableau est fait de main de maître et, quoique Pierre Gringore fût à peine né à l’époque où le poète lui attribue la moralité de 1482, cette licence non impardonnable, tant de fois dépassée d’ailleurs par l’école de la couleur locale, ne saurait empêcher de rendre justice çà la vérité de la peinture. […] Vous avez tous, Messieurs, récité ces vers si précis, si bien frappés et qui, comme tous ceux du même poète, une fois entrés dans la mémoire, n’en peuvent plus guère sortir : Chez nos dévots aïeux, le théâtre abhorré Fut longtemps dans la France un plaisir ignoré. […] Quant à la géographie et à la chronologie, ces deux poètes en font tout aussi peu de cas que nos auteurs de mystères. […] L’un, malgré toutes ses imperfections, est original, spontané, vivant, parfois pathétique, parfois aussi tout imprégné de la saveur du vieux sel gaulois; l’autre, tout savant qu’il est, n’offre que des scènes sans vigueur, un style terne, une imitation à la fois servile et infidèle des poètes de l’antiquité classique. […] Un seul homme, au temps de Louis XI et dans toute notre vieille littérature, a eu cette langue et ce génie, c’est Villon, ce poète populaire, « né de Paris emprès Pontoise, » et dont les années concordent si exactement avec la date de Patelin qu’il en ressort un invincible rapprochement.
Préface On a vu, dans les volumes précédents de cette Histoire, les vains efforts que firent les poètes dramatiques pour imiter les ouvrages immortels de M. […] Les poètes qui leur succédèrent, ayant paru dans un temps où la cour de France était devenue le modèle de la galanterie, saisirent cette circonstance pour prendre une nouvelle route ; ils crurent devoir diminuer quelque chose de la sévérité de la tragédie, et pour en faire un spectacle plus riant aux yeux du public, ils rendirent l’amour le maître dominant de la scène. […] Ces pièces et quelques autres d’un moindre mérite durent les succès dont elles furent honorées, et à la nouvelle forme que les poètes leur avaient donnée, et à la persuasion où le public était que Corneille avait pour toujours renoncé au théâtre. […] Les poètes qui l’avaient précédé dans le comique (du moins la plupart) s’étaient permis des licences dans leurs ouvrages, qui marquaient également la malignité de l’esprit et la corruption du cœur. […] Picorin, poète dans le goût précieux.
On est enchanté encore des arrangements que prend le Poëte pour payer ses dettes. […] Le spectateur ressent le plaisir le plus vif en voyant Francaleu, enchanté de sa tragédie, s’accrocher au premier qu’il rencontre pour la lire ; avouer qu’il avoit cinquante ans lorsqu’il s’avisa de son talent pour la poésie ; n’en vouloir à un homme qui plaide contre lui que parcequ’il l’a empêché d’être Poëte cinq à six ans plutôt ; en le voyant enfin s’avouer pour la Muse originale dont M. […] Ces deux scenes, ainsi que celles dont nous venons de parler, ont pris naissance de la manie poétique, puisque c’est pour représenter une piece de Francaleu que Lisette s’est déguisée, & que par une suite de ce déguisement elle a causé la méprise de Dorante ; mais en voyant, ou en lisant ces deux scenes, je perds de vue les Poëtes qui sont les héros de la piece, & je vois seulement le Poëte qui l’a faite.
L’ombre du grand homme, qu’un poète jeune et de bonne espérance a évoquée ingénieusement ce soir-là, aurait pu se montrer fière et reconnaissante de ce nouvel hommage, préférable peut-être même au premier ; car, si les statues publiques sont la digne et seule récompense à offrir à la mémoire des grands généraux et des grands citoyens, nous n’imaginons pour les poètes et pour les artistes aucun hommage plus désirable et plus flatteur que le culte intelligent de leurs ouvrages. […] Le poète déploie dans ce banquet le plus grand luxe d’inventions lugubres.
Un ancien poète a dit qu’une jeune fille est une fleur qui naît dans un jardin enclos1 ; j’en saurai respecter la candeur et le parfum. […] Arnolphe s’est perdu lui-même ; ou plutôt c’est l’idée de tenir une femme dans l’ignorance pour l’avoir mieux dans la main, que le poète a condamnée par ce dénouement. […] Je n’en sais rien, et je suis obligé de m’en rapporter là-dessus à un poète, peut-être mal renseigné, qui fait ainsi parler l’une d’entre elles, au moment de s’endormir : … Ah ! […] On ne demande pas que les filles apprennent le latin, ainsi que le permet Fénelon, ni qu’elles lisent Saint Augustin dans le texte comme madame de Sévigné ; mais on voudrait que les écrivains de génie eussent une place sur leur étagère à côté des partitions des maîtres, et que le piano fît taire quelquefois ses gammes pour laisser entendre les voix harmonieuses qui s’échappent des œuvres des grands poètes Cependant l’ignorance, même complète, vaudrait mieux que la pédanterie d’Armande. […] C’est dans cette scène et dans la façon dont elle est amenée que se montrent avec le plus d’éclat l’art du poète et le mérite d’Elmire.
Je le crois grand poète, parce que j’apprends qu’on récitait ses vers après sa mort, et qu’on l’avait laissé mourir de faim pendant sa vie. […] Cet homme, qui fut un grand poëte, un grand philosophe, et le premier des comiques de tous les siècles, mourut avant le temps, et obtint à peine la sépulture.