On faisait mystère de leur existence pour ne pas avouer un double adultère, parce que l’on craignait les avanies du marquis de Montespan, et parce que les lois s’opposant à la reconnaissance d’enfants nés d’un commerce doublement adultère, il fallait avoir le temps de préparer par quelques exemples une éclatante infraction de ces lois en faveur des enfants de madame de Montespan, qui ne devaient pas rester au-dessous de ceux de madame de La Vallière. […] Il était aussi très clair pour madame Scarron que l’issue de cette éducation clandestine d’enfants réprouvés par les lois, qui, peut-être, ne seraient pas avoués par leur père, pourrait être de la dégrader, au moins de la déconsidérer, aux veux de cette noble société par qui elle était honorée et chérie. […] Madame Scarron n’était pas plus hypocrite quand elle invoquait la religion au secours de l’honnêteté de ses mœurs que Bossuet n’était un charlatan et un mondain, quand, plus tard, voulant ramener le roi à la soumission aux lois de l’Église, il invoquait, en faveur de la foi conjugale violée parce prince, les lois de l’honneur elles intérêts de la gloire qu’il s’était acquise.
Dire que la chasteté du langage ne doit pas aller au-delà de celle des mœurs, quelque corrompues qu’elles soient, c’est prétendre que la société de mœurs honnêtes est condamnée à entendre et à parler un langage qui respire le mépris de l’honnêteté et de la morale ; c’est avancer que le langage peut mettre à découvert des mœurs que la morale oblige à cacher ; c’est aussi établir en principe que des esprits délicats et polis n’ont pas le droit d’exclure de leur langage des expressions grossières et brutales, et j’observe ici que si la décence est une loi de la morale, c’est aussi une loi du goût. Bien que les bonnes mœurs soient la plus sûre garantie du bon goût, cependant le bon goût a ses lois à part ; elles procèdent d’un instinct qui se développe dans la société avec la politesse des esprits, avec la délicatesse des âmes, avec l’élégance des manières, et s’exalte dans les douceurs des communications habituelles des esprits.
Les liens de respect, d’affection, de devoirs réciproques qui eu unissent les divers membres, sont ce qu’il y a de plus naturel dans la loi ‘ morale657 ; et l’esprit de famille est pour les êtres sensibles et intelligents un élément si constitutionnel, qu’on le retrouve sous forme d’instinct jusque chez les animaux. […] Que peut-on trouver dans toutes ces maisons-là, que des gens forcés de vivre en commun par la loi et l’usage, les uns bons, les autres méchants, la plupart ridicules, sans qu’ils aient les uns ni les antres aucun sentiment des obligations et des tendresses du sang, ou que nulle part, dans leur intimité, on sente le souffle d’affection qui rassemble et réchauffe les cœurs autour du père ? […] La nature peut faire une fois par hasard un tel prodige ; mais ici le prodige passe à l’état de loi. […] On objectera en vain qu’au dix-septième siècle il avait des abus d’autorité paternelle consacrés par les lois et par les mœurs, et que Molière a entrepris une réforme utile en attaquant et en ridiculisant ces abus : ce n’est pas en détruisant qu’on réforme, et je ne pense pas que personne puisse aujourd’hui accepter cette mauvaise excuse, qui est celle de tous les méchants quand ils déclarent la guerre aux bons, de tous les tyrans quand ils étouffent la liberté. […] On fait dater de 1789 le principe de l’égalité des hommes devant la loi civile : le principe de leur égalité devant l’estime et l’opinion des autres date de Molière.
Contemplant les hommes avec des yeux plus pénétrants que pas un, il a mieux vu la conscience de l’humanité, il a mieux lu dans son âme et dans celle des autres la loi morale qui y est mystérieusement empreinte. Doué d’un bon sens solide, il a mieux jugé les cas très-délicats que présente la pratique de cette loi, et mieux exprimé comment elle doit être respectée jusque dans ses moindres prescriptions. […] II est donc compréhensible que Dieu créateur, qui a permis que les caractères de la loi naturelle pussent être à demi effacés dans les âmes, leur rende cette loi formulée par la religion, avec une promesse et une menace qui fasse le devoir plus clair aux bons, et les méchants plus inexcusables. […] Pour eux un tel ouvrage est un monstre odieux : C’est offenser les lois, c’est s’attaquer aux cieux.
L’imagination, de son côté, est toujours soumise, dans la nouvelle comédie, aux lois de la vraisemblance théâtrale. […] L’imagination a ses lois propres. […] C’était pour les spectateurs un plaisir de se soustraire un instant aux lois de la scène, à peu près comme dans un déguisement burlesque on s’amuse quelquefois à lever le masque28. […] Si une ville de l’antiquité avait adopté la constitution développée dans le second ouvrage de Platon, les citoyens de cette ville auraient été comparés entre eux et jugés d’après la conformité de leur conduite avec l’idéal inférieur des Lois. […] N’eussent-ils pas admiré la ville où la République aurait été réalisée, plus que celle où l’on s’en serait tenu aux Lois ?
Son mérite scientifique est d’avoir su découvrir dans ces faits les effets naturels des passions, tels que doivent les faire ressortir les lois qui président à leur activité. […] Quant à son but, il est d’arriver, au moyen de déductions tirées de ces faits, à découvrir les lois qui dirigent l’esprit humain dans son activité. Et que l’on ne pense pas qu’il y ait un mérite moindre à apercevoir ces lois, à les exprimer d’une manière quelconque, ou en formules ou en action, qu’à trouver celles qui dirigent le monde physique. […] Il a voulu tout simplement montrer quels sont les effets naturels des passions, tels qu’ils ressortent des lois auxquelles leur activité se trouve soumise. […] Et par ces exagérations, Molière s’est montré, comme toujours, psychologue irréprochable, décrivant la nature humaine telle qu’elle se montre d’après les lois auxquelles elle est soumise.
C’est pourquoi la comédie réclame impérieusement son droit ; car elle n’admet pas de prescription ni d’accommodement pour ce que l’on peut appeler en morale « les lois existantes », c’est-à-dire le droit humain, le droit des familles et des propriétés. […] On a répondu que « l’optique du théâtre a ses lois nécessaires, et que si Tartuffe n’est vrai que suivant ces lois, il ne doit pas l’être autrement5 ». […] Si de telles captations n’étaient pas possibles, pourquoi les lois prendraient-elles tant de précautions contre les captateurs ? […] Le drame, surtout notre drame classique avec sa loi d’unité, ne permet pas toujours de suivre par degrés le développement d’une action et d’une passion : ici il faut accorder quelque chose à la fiction ; mais ce n’est que la forme et non le fond qui a besoin de cette justification. […] Lorsqu’il est menacé d’un duel par Oronte, il n’hésite pas un instant et ne manifeste aucun scrupule pour un acte condamné par la loi religieuse et par la loi de l’État.
Les lois, pour réprimer cette licence, défendirent de nommer. […] Il est des vices contre lesquels les lois n’ont point sévi : l’ingratitude, l’infidélité au secret & à sa parole, l’usurpation tacite & artificieuse du mérite d’autrui, l’intérêt personnel dans les affaires publiques, échappent à la sévérité des lois ; la comédie satyrique y attachoit une peine d’autant plus terrible, qu’il falloit la subir en plein théatre. […] Les magistrats s’apperçûrent, mais trop tard, que dans la comédie appellée moyenne les poëtes n’avoient fait qu’éluder la loi qui défendoit de nommer : ils en porterent une seconde, qui bannissant du théatre toute imitation personnelle, borna la comédie à la peinture générale des mœurs. […] Malgré tout cela, ils ont été traités très durement par quelques unes de nos lois, que nous allons exposer dans la suite de cet article, pour satisfaire à la nature de notre ouvrage. […] Cette loi ne s’observe point parmi nous.
C’est Alceste, franc et probe, qui doit seul souffrir d’indicibles douleurs, telle est la loi de la société. […] La société a ses traditions, ses lois, ou mieux encore son instinct qui la protège contre toute force qui tendrait à la modifier en bien.