Ils mettent au rang des comédies mixtes celles qui offrent en même temps un caractere & une intrigue. Il s’en suivroit de là que toutes les pieces à caractere seroient des pieces mixtes, puisqu’on n’en voit pas une où il n’y ait une espece d’intrigue bien ou mal filée. On ne pourroit en excepter que les pieces à scenes détachées, encore en avons-nous où il y a une exposition, une intrigue, un dénouement. […] l’intrigue écrase si bien le caractere, qu’on est surpris de le voir annoncé, & tout le monde convient que la piece devroit seulement porter le dernier de ses titres. […] Par conséquent, Lélie sert autant à l’intrigue que Mascarille, puisque dans une comédie les incidents qui éloignent le dénouement échauffent l’intrigue, animent la grande machine autant & peut-être davantage que ceux qui le rapprochent.
Passons à l’intrigue. […] L’intrigue est dans sa crise. […] L’intrigue doit rouler sur ce que l’exposition annonce. […] Il faut encore que la petite intrigue puisse faire partie de l’intrigue générale, & concourir avec elle au dénouement. […] Toute scene dont la fin ne répond pas au milieu & au commencement ; disons mieux, toute scene dont une de ces parties ne répond pas aux deux autres, ou dont l’intrigue particuliere ne fait pas marcher l’intrigue générale, est mal faite.
Titres qui annoncent une double Intrigue. […] Si le caractere principal & l’intrigue sont liés ensemble, à quoi bon le double titre ? Si au contraire l’intrigue est étrangere au caractere, ou le caractere à l’intrigue, c’est une grande faute sur laquelle on ne doit pas prévenir le spectateur. […] On voit, par le croquis seul de cette piece, qu’elle est bien intitulée, puisque l’intrigue est bâtie & roule sur des perdrix. […] L’intrigue roule sur quelques personnes que les vendanges réunissent, le titre est donc bon.
Analysons l’intrigue du Baron d’Albikrac. […] Cette intrigue est très ingénieusement imaginée. […] Voilà donc l’intrigue qui peche par ses fondements, & qu’il eût fallu laisser construire à des intrigants subalternes. […] Remarquez qu’ils ne font rien, puisqu’ils ne peuvent dénouer cette fameuse intrigue, qu’en appellant à leur secours un valet, auquel ils font prendre le nom & l’équipage du Baron d’Albikrac. […] Tout cela prouve, comme je l’ai dit, que la politesse françoise, que le ton, l’éducation, les manieres du monde qu’on appelle comme il faut, sont incompatibles avec les ressorts d’une intrigue, & d’une intrigue plaisante sur-tout.
Je dirai seulement que je ne connois point de comédie françoise d’intrigue, dont les incidents ne soient pas prévus par les personnages, & qu’excepté Amphitrion, c’est le seul genre que Moliere n’ait point traité. Les Espagnols ont un assez grand nombre d’intrigues de la premiere espece : telle est, entre autres, l’intrigue d’une piece de Calderon, qui a pour titre, La Maison à deux portes, & que l’on peut regarder comme un modele en ce genre ». […] Le faux pas qui sert de principe à l’intrigue du Menteur, n’a certainement pas coûté beaucoup à l’Auteur, & tout le monde convient que si la piece n’avoit pas d’autres beautés, elle ne seroit pas à beaucoup près aussi estimée. […] Le public peut aimer à voir troubler une intrigue par un ou deux caprices du sort ; mais voilà tout : encore faut-il qu’ils servent à jetter les acteurs dans de grands embarras. […] Il a certainement voulu dire que le Public aime, dans une intrigue, à voir naître & agir tous les ressorts avec cette facilité qui laisse croire que le hasard seul les fait mouvoir.
Des Pieces d’intrigue en général. Rien de plus plaisant que le souverain mépris qu’on affecte pour les pieces d’intrigue. […] Il est sans doute plus beau, plus grand de faire une piece à caractere ; mais elle est défectueuse si l’intrigue n’en lie les différents portraits, & ne les place dans une situation frappante. Je vous prédis donc que vous ne réussirez jamais à faire une bonne piece à caractere, si vous ne commencez par vous exercer dans les sentiers compliqués d’une intrigue adroite & vigoureuse. […] C’est avec l’intrigue qu’ils ont fait leurs premieres armes, qu’ils se sont familiarisés avec les difficultés les plus insurmontables, & qu’ils sont parvenus quelquefois à la sublimité de leur art.
Malheur à qui ne sait pas voir dans la derniere de ces pieces une exposition, une intrigue, un dénouement. […] Cette piece est totalement dénuée d’intrigue, puisque les divers acteurs arrivent & sortent, sans apporter le moindre changement aux affaires des amants : je ne dis pas à leur situation, parcequ’il n’y en a pas une seule dans la piece entiere. […] Moliere n’avoit donc pas d’autre parti à prendre que celui de presser les incidents de l’intrigue, de les indiquer seulement sur le théâtre, & de les faire développer derriere la toile quand ils demandoient des détails trop longs. Après avoir loué Moliere d’avoir rendu sa piece intéressante par une intrigue qui met en situation même des personnages épisodiques, nous devons le louer encore davantage d’avoir fondu toute cette même intrigue dans un petit nombre de vers semés à propos dans la piece. […] Les différentes parties de cette intrigue ainsi rapprochées font voir que le sujet est clairement exposé, que les noms des principaux personnages sont annoncés, ainsi que leurs caracteres & les motifs qui les font agir.
Le comique de caractère, cette carrière ouverte par Corneille dans le Menteur, appellait Molière ; mais le comique d’intrigue s’était emparé de la scène, il ne fallait point l’en chasser ; conservons, multiplions les genres, n’excluons rien. […] L’Étourdi est une machine composée de ces deux ressorts ; Mascarille renoue sans cesse une intrigue toujours rompue ou par l’étourderie de Lélie ou par des contre-temps que le hazard amène. […] et quelle vivacité dans l’intrigue ! […] Dans le Dépit Amoureux, c’est encore l’intrigue qui domine, intrigue bizarre, compliquée, peu décente ; mais déjà la main d’un maître sait répandre sur ce fonds ingrat, des caractères d’un comique fort, des situations piquantes, des scènes exquises et dans des genres tout differents.
Il n’avait pas manqué de s’apercevoir que plusieurs des actions de Lélie n’étaient point des étourderies, mais de simples incidents comiques, propres à mettre en jeu l’imagination et activité de Mascarille ; et il crut pallier cette espèce de faute, en accolant deux titres, dont l’un indiquât les effets du caractère, et l’autre les combinaisons de l’intrigue. […] Molière doit à l’auteur de L’Inavvertito, avec le sujet de sa pièce, la plupart des incidents qui en forment l’intrigue ; mais on me croira sans peine, lorsque j’affirmerai qu’en général il les a disposés avec plus d’art, qu’il les a quelquefois modifiés très heureusement, et que toujours il les a embellis par une exécution plus vive, plus ingénieuse et plus comique. […] L’amour menaçant de détruire par un travestissement ce que l’avarice a fait par un autre, forme le nœud de l’intrigue, dont le dénouement concilie, à la satisfaction de tous, les intérêts de ces deux passions ennemies. […] Molière avait-il besoin d’un canevas italien pour savoir que les brouilleries et les raccommodements sont les épisodes les plus piquants d’une intrigue amoureuse ? […] Des travestissements et des aventures nocturnes sont le fond du sujet ; l’intrigue est aussi compliquée que romanesque ; et, des deux valets, l’un, par ses bouffonneries, rappelle le gracioso qui figure d’obligation dans tous les drames composés par-delà les Pyrénées.