Qu’il soit sincère, que son accent ne démente pas sa parole, et les rieurs seront de son côté, je veux dire qu’ils prendront parti pour les sentiments qu’il exprime. […] Avant d’exprimer leur avis, ils attendent l’avis de leur voisin, et comme leur voisin est le plus souvent imbu d’avance de la même opinion, les plus étranges méprises ne soulèvent aucun murmure. […] Penser par soi-même, exprimer sa pensée sans consulter personne, est une conduite dangereuse ; le moindre mal qui puisse vous arriver en pareille occasion est de passer pour mal élevé. […] S’il exprime la faculté de greffer sa pensée personnelle sur la pensée de l’auteur, il doit être banni à tout jamais. […] Le vœu que j’exprime n’est pas d’ailleurs aussi singulier que voudraient le donner à penser les amis de la routine.
Nous avons vu plus haut qu’en 1673, à l’époque de la mort de Molière, les trois amis qui lui survécurent avaient déjà arrêté le cours de leur fécondité, et qu’ils avaient exprimé, par un long silence, l’étonnement de ce qui se passait, le besoin d’étudier, d’observer, de suivre le changement qui s’opérait dans les mœurs de la haute société. […] Encore est-il plus sage de s’en tenir au doute qu’exprime M. […] sur deux lettres de madame de Sévigné où elle met en parallèle Corneille avec Racine, et peut-être encore sur une autre lettre où elle s’exprime peu favorablement sur la nomination de Racine et de Boileau à la place d’historiographes de France en 1675. […] L’actrice qui excellait à l’exprimer sur la scène, et qui passait même pour l’inspirer à l’auteur, était la Champmeslé, comédienne excellente, mais courtisane dangereuse qui avait séduit le jeune Sévigné, dont elle dérangeait la fortune, en donnant des soupers où Racine et Boileau se trouvaient. […] Quant à la manière dont madame de Sévigné s’est exprimée dans une lettre confidentielle à son cousin sur la nomination de Racine et de Boileau à la place d’historiens, Voltaire était plus capable que personne den sentir la justesse ; Racine et Boileau eux-mêmes, en mettant la main sur la conscience, n’auraient pu la trouver injuste.
On a dit avec raison que l’amour ne peut guère être exprimé que par ceux qui l’ont éprouvé. […] Il est beau d’avoir conçu cette idée élevée d’un sentiment qui peut tomber si bas ; il est bien d’avoir exprimé que ce sentiment est une passion de l’âme, non un appétit du corps ; il est glorieux d’avoir montré sur la scène, dans des situations souvent délicates, le caractère chaste et spiritualiste de l’amour, quand tant d’auteurs ont cherché et cherchent encore le succès dans son étalage tout matériel, quand tant de critiques se prosternent devant la peinture corruptrice de ce qu’ils appellent l’amour physique. […] Tout cela surnage au-dessus de toutes les intrigues et de toutes les faiblesses ; tout cela est exprimé ou indiqué avec une mesure et une justesse qui donnent à l’ensemble de ces peintures d’amour un caractère général de moralité, et qui placent le théâtre de Molière à une distance infinie au-dessus de l’immense majorité des drames et des romans d’amour464. […] Il pensait avec raison qu’un sentiment vrai se fausse et s’émousse à s’exprimer en termes recherchés et exagérés. […] Après avoir rappelé les amants à un langage naturel comme l’amour, il donna, mieux que tous les autres auteurs du siècle, l’exemple de cette langue douce et touchante qui va droit au cœur parce qu’elle en exprime les vrais sentiments.
Ce fut par la rumeur des précieuses de haut rang ou de mérite considérable, et par la nécessité où se trouva l’auteur de faire une distinction entre les précieuses, que ce mot cessa d’exprimer seul une idée déterminée. Il eut besoin d’un adjectif exprimé ou sous-entendu pour distinguer trois classes de précieuses : les précieuses ridicules ou caricatures ; les grandes précieuses ou femmes de rang, sans ridicules, mais de la coterie ; et les précieuses illustres, qui faisaient bande à part, et n’étaient l’auteur de précieuses que pour faire passer la distinction des grandes ou véritables précieuses et des précieuses ridicules. […] Mademoiselle de Montpensier s’exprime sur les mœurs des précieuses en ces termes : « Si elles sont coquettes, je n’en dirai rien, car je fais profession d’être un auteur fort véritable et point médisant ; ainsi, je ne toucherai point à ce chapitre, étant persuadée qu’il n’y a rien à en dire. […] Certes, il ne viendra dans l’esprit de personne que cela regarde la maison de Rambouillet Molière, dans la préface de la pièce, exprime positivement une intention opposée aux applications de nos biographes modernes : « Les vicieuses imitations de ce qu’il y a de plus parfait, ont été de tout temps, dit-il, la matière de la comédie ; les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes. […] Il eut donc l’intention de laisser venir sous ses pinceaux toutes ses réminiscences et de les exprimer ; sauf à écarter les plaintes et les vengeances par des phrases de précaution, par des protestations dont personne ne serait dupe que ceux qui les auraient rendues nécessaires. » Tout cela aurait pu passer à la faveur du vague nés conjectures et surtout étant dit sur le ton modeste du doute.
J’appelle une surprise muette celle qu’un personnage ressent si vivement qu’il ne peut l’exprimer par un seul mot. […] Cliton n’a pas le temps d’exprimer le chagrin que la mort d’Alcippe lui cause ; il le voit paroître, & en est si surpris, que la peur & l’étonnement le rendent muet. […] Je ne puis t’exprimer l’aise que j’en reçois.
J’avoue qu’un long et fréquent usage de la langue me fait quelquefois sortir du chemin battu ; mais il me semble que je le fais avec précaution, et dans les occasions, où ce que je hasarde relève le sentiment que j’exprime. La langue Française est aujourd’hui de tous les Pays, de toutes les Cours étrangères ; et l’on ne saurait se donner trop de soins pour la perfectionner ; de manière qu’elle soit toujours préférée, comme la plus propre pour s’exprimer naturellement. […] De sorte que les Auteurs, plus jaloux de la matière, que du style, aiment mieux faire un bon Livre exprimé faiblement, que de risquer de lui donner la grâce et le feu qu’il pourrait avoir par un style choisi. […] Peu attentifs à leur jeu, ils expriment souvent l’emportement, comme la tendresse ; le récit, comme le commandement : En un mot ils ne daignent pas sortir du ton qui leur est naturel pour entrer dans la passion. […] Cette action demande une voix ordinaire, mais agréable, et un ton moins élevé, parce que la passion, le caractère, le sentiment qu’on exprime appartiennent à des personnes communes.
C’est à Lausanne que Souvestre s’exprimait ainsi. […] Chaque peuple en exprime une idée, chaque homme une lettre ; aucune voix ne J’achève. […] Assis à la table du chef, honoré d’une place à droite, il n’était pas l’unique poète de l’assemblée, car tous chantaient du cœur ce qu’il exprimait des lèvres. […] Il a reçu du ciel le don d’exprimer ce que chacun dirait, si chacun possédait la baguette magique qui donne une forme vivante à des sentiments confus. […] Il laisse de côté les maximes de morale pratique qu’il emploie d’ailleurs fréquemment; ou si l’on y en rencontre encore, elles s’adaptent si bien à la situation, qu’elles ne font qu’exprimer d’une manière plus complète les sentiments qui agitent les héros.
C’est, si je puis m’exprimer ainsi, un écho qui se répète d’un siècle dans un autre, et qui se prolonge à travers la succession des âges. […] Le temps où parut Le Misanthrope était, à coup sûr, celui de la politesse et de l’élégance ; la cour où l’on s’exprimait avec cette pureté de langage était l’asile de l’esprit et des grâces ; le pays qui produisait de pareils chefs-d’œuvre était parvenu à un haut degré de gloire et de civilisation. […] Je n’ai tracé qu’une esquisse rapide et légère, et cependant les événements s’y succèdent, les faits s’y enchaînent, sans effort ; on y voit la comédie suivre et recevoir l’influence du temps où elle a paru, et en devenir, si je puis m’exprimer ainsi, l’histoire dialoguée.
Or, cette délicatesse morale, Molière l’a eue au plus haut degré, et l’a exprimée avec un suprême génie dans le Misanthrope 126. […] Il est admirable dans sa loyauté en amour139, dans son indignation contre les mensonges du cœur140, dans sa bonté à pardonner une tromperie d’autant plus indigne qu’elle s’adresse à un homme comme lui141 ; mais il exprime ridiculement un amour mal fait pour une âme comme la sienne, et mal placé sur une femme incapable de le comprendre142. Enfin, surtout, il a tort, et ses travers, jusqu’ici excusables, nobles, héroïques même143, deviennent une faute véritable quand, pour tous les ridicules, tous les vices qu’il voit autour de lui, il conçoit contre l’humanité cette haine violente qu’il ne cesse d’exprimer depuis la première scène jusqu’à la dernière : Tous les hommes me sont à tel point odieux Que je serois fâché d’être sage à leurs yeux. […] Boileau n’a fait qu’exprimer le jugement de Molière sur le métier d’écrivain : Soyez plutôt maçon, si c’est votre talent, Ouvrier estimé dans un art nécessaire, Qu’écrivain du commun et poète vulgaire184.