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5. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre IV. — Molière. Chœur des Français » pp. 178-183

Représentation de la nature humaine244, l’art comique a pour condition la science des traits éternellement communs de l’humanité245. Ses personnages, élevés du particulier au général, résument en eux des catégories entières ; ils participent de la nature immuable et essentielle de l’homme, un hypocrite a quelque chose de l’hypocrisie absolue, un jaloux, quelque chose de la jalousie absolue ; leur nom propre devient un substantif commun ; ils sont de tous les pays, et demeurent à jamais contemporains des générations qui se succèdent246.

6. (1820) Notices des œuvres de Molière (V) : L’Amour médecin ; Le Misanthrope ; Le Médecin malgré lui ; Mélicerte ; La Pastorale comique pp. 75-436

Depuis Regnard, un nombre infini d’auteurs ont travaillé sur ce modèle, et le dénouement surtout est devenu un expédient banal, une espèce de propriété commune. […] La lettre de de Visé n’est pas d’une élégance de style remarquable : mais elle est solidement pensée ; elle développe et rend sensibles les beautés de composition et de détail qui pouvaient échapper au commun des spectateurs ; enfin, si l’auteur de cette apologie n’a pas été mis par Molière lui-même dans le secret de ses intentions les plus fines, on peut dire qu’il les a devinées avec une sagacité qui lui fait honneur. […] Rousseau, au moins singulier dans le choix de ses maîtresses, et toujours prêt à se brouiller avec ses meilleurs amis ; affectant de contrarier sans cesse l’opinion commune, et quelquefois sa propre opinion ; faisant à tout propos la satire de la société, et menaçant de rompre avec elle en fuyant dans un désert ; s’imaginant que tous les hommes étaient ligués pour lui nuire, et aspirant à des persécutions réelles pour nourrir et justifier sa misanthropie, Rousseau, je suis bien tenté de le croire, se sentit joué personnellement dans le rôle d’Alceste ; et, quand il attaqua Molière, il ne fit, à son insu peut-être, que se défendre et se venger lui-même. […] La vie pastorale n’a rien de commun avec l’existence héroïque. […] Dans l’un, comme dans l’autre, Myrtil et Mélicerte devaient être reconnus pour des enfants nés d’un sang illustre, que des motifs de politique avaient fait élever sous des habits de bergers, et qui s’étaient aimés, dans cette obscure condition, comme s’ils eussent pu deviner qu’ils étaient faits l’un pour l’autre ; mais il n’est pas certain que cette combinaison, assez commune dans les grands romans du temps, ait été fournie à Molière par le roman de Cyrus.

7. (1821) Notices des œuvres de Molière (VI) : Le Tartuffe ; Amphitryon pp. 191-366

L’hypocrisie en général, l’hypocrisie de mœurs est commune à tous les temps, à tous les lieux. […] Mais c’est particulièrement sous l’empire du christianisme que, la piété devenant une vertu plus difficile, plus haute et conséquemment plus honorée, le vice qui la contrefait est devenu plus profitable et nécessairement plus commun. […] L’opinion la plus commune et la plus probable se fonde sur cette anecdote. […] Il fallait qu’il l’emportât sur Plaute, leur modèle commun ; il fallait qu’à force de génie dans l’imitation, il parvînt à lui enlever ou du moins à partager avec lui la gloire de l’originalité. […] La situation des deux maris diffère entièrement : celle des femmes se ressemble par la colère qui leur est commune, quoique ayant des causes différentes.

8. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XX » pp. 215-219

Cette société faisait cause commune avec la cour contre le mauvais langage et les mauvaises manières, et eut peut-être la plus grande part à leur réprobation ; mais elle faisait cause commune avec les bonnes mœurs de sa préciosité contre la licence de la cour et contre celle des écrivains nouveaux et elle eut la plus grande part à leur défaite.

9. (1769) Éloge de Molière pp. 1-35

Avoir à la fois un cœur honnête, un esprit juste ; se placer à la hauteur nécessaire pour juger la société ; savoir la valeur réelle des choses, leur valeur arbitraire dans le monde, celle qu’il importerait de leur donner ; ne point accréditer les vices que l’on attaque en les associant à des qualités aimables, méprise devenue trop commune chez les successeurs de Molière, qui renforcent ainsi les mœurs au lieu de les corriger ; connaître les maladies de son siècle ; prévoir les effets de la destruction d’un ridicule : tels sont dans tous les temps les devoirs d’un Poète comique. […] C’est que les femmes font cause commune ; c’est qu’elles sont liées par un esprit de corps, par une espèce de confédération tacite, qui, comme les ligues secrètes dans un État, prouve peut-être la faiblesse du parti qui se croit obligé d’y avoir recours. […] Il paraît qu’il méprisait, ainsi que le grand Corneille, cette modestie affectée, ce mensonge des âmes communes, manège ordinaire à la médiocrité, qui appelle de fausses vertus au secours d’un petit talent. […] Mais sa philosophie, ni l’ascendant de son esprit sur ses passions, ne purent empêcher l’homme qui a le plus fait rire la France, de succomber à la mélancolie : destinée qui lui fut commune avec plusieurs Poètes comiques ; soit que la mélancolie accompagne naturellement le génie de la réflexion, soit que l’observateur trop attentif du cœur humain, en soit puni par le malheur de le connaître. […] C’est le propre du génie de rendre digne des beaux-Arts la nature commune.

10. (1844) La fontaine Molière (La Revue indépendante) pp. 250-258

Au reste, la fête, pour n’avoir été que la fête de la commune et des arts, n’en a pas moins eu un caractère de grandeur ; et, comme tout ce qui porte ce cachet, elle a vivement impressionné la population- Avant toutes choses, constatons ici la sollicitude du conseil municipal à doter la ville de Paris de monuments qui, dans son intention, doivent orner la capitale de la France eu même temps qu’ils encouragent les arts. […] Exprimée extérieurement, cette construction fournissait des surfaces planes, des lignes graves qui eussent donné aux façades latérales un aspect monumental, tandis qu’elles n’ont qu’un aspect commun. […] Et cependant ce n’est que par un commun accord qu’on parviendra à donner aux œuvres d’art cet ensemble harmonieux sans lequel elles ne sont jamais belles et durables.

11. (1825) Notices des œuvres de Molière (IX) : La Comtesse d’Escarbagnas ; Les Femmes savantes ; Le Malade imaginaire pp. 53-492

Bien que Thomas vécût dans un monde à part, dans un monde presque idéal, il ne pouvait ignorer à ce point la société commune. […] Ils ont un intérêt, un but commun ; c’est la main d’Henriette, que l’un brûle d’obtenir, et que l’autre brûle de lui accorder. […] Les Henriettes et les Clitandres sont rares ; mais en quel siècle ont-ils été communs ? […] Du reste, Elmire ne peut que faire cause commune avec toute la famille contre l’odieux étranger qui en veut la ruine entière. […] Le travers qu’il attaque est trop commun pour être bien frappant, et il est trop voisin d’une triste réalité pour qu’on ne doive pas craindre d’en rire.

12. (1922) La popularité de Molière (La Grande Revue)

On peut sans crainte jouer devant n’importe quels spectateurs n’importe laquelle de ses comédies : gens du commun et gens du monde, ignorants et lettrés, collégiens et hommes mûrs, tous, dès le rideau levé, sont pris, conquis aussitôt jusqu’au moment prochain où un éclat de rire général fait résonner la salle, de l’orchestre à l’amphithéâtre. […] un problème moral, voire même social, contemporain, certes, mais en un sens aussi universel : la naissance, le rang, la fortune, un ensemble d’avantages exceptionnels qui l’élèvent au-dessus du commun, peuvent-ils permettre à l’homme qui en bénéficie de soumettre à ses passions et à ses caprices, une foule faible, mal défendue, une Elvire, une Mathurine, un pauvre pécheur, un M.  […] Celle-ci n’est ni une création individuelle, ni l’apanage d’une élite : elle repose sur ce fond éternel de raison et de sagesse qui est le bien commun de toute l’humanité.

13. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Nous pouvons établir une hiérarchie entre les diverses imitations d’un même modèle, parce que nous avons une commune mesure pour les comparer ; mais nous ne pouvons point établir de hiérarchie entre deux modèles, parce nous n’imaginons pas d’exemplaire idéal supérieur à l’un et à l’autre. […] Il est contradictoire de poser comme terme d’une comparaison, une idée aussi indéterminée dans l’esprit du commun des hommes, que celle de la beauté. […] En effet, un certain nombre d’œuvres à la fois semblables et diverses sont comprises sous la dénomination commune de comédies. Il faut donc que, sous la diversité des formes particulières, toutes ces œuvres aient une essence commune, et, pour dégager ce caractère général qui doit constituer le fond de chacune d’elles, l’analyse et l’abstraction sont suffisantes. […] Car, voici : cette essence commune, ce caractère général qui constitue le fond de toute œuvre comique, ne vaut pas le quart de la peine que se donnent, pour l’extraire, les abstracteurs de quintessence ; ce qu’il y a de plus insignifiant dans chaque comédie, c’est précisément l’unité du genre ; la diversité particulière des espèces et des formes est seule intéressante.

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