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4. (1812) Essai sur la comédie, suivi d’analyses du Misanthrope et du Tartuffe pp. 4-32

D’un côté, il attaqua les vices des grands, toujours exposés aux regards de la multitude, et que remarquent avidement ceux nés dans la classe ordinaire ; de l’autre, par la représentation des grandes infortunes et des excès affreux auxquels conduisent ordinairement les passions, il sut émouvoir. […] La première partie de l’art dramatique, appelée comédie, fut consacrée à corriger les hommes, à attaquer leurs vices, leurs ridicules. […] Ce n’était pas assez pour Molière d’attaquer nos vices, de les poursuivre jusque dans leurs derniers retranchements, et de les livrer à la risée publique ; il ne pouvait pas s’arrêter là, il devait donner une leçon à la vertu même, lui apprendre à être heureuse au sein de la plus extrême corruption, en conservant encore sa pureté. […] De tous les vices qui dégradent l’homme, lui font perdre l’estime de ses semblables, le rendent digne du mépris général, celui contre lequel la société entière doit réunir tous ses efforts, qu’elle doit attaquer et poursuivre continuellement, c’est l’hypocrisie. […] Indigné de cet abus, de tout ce qu’il y a de plus sacré, Molière osa l’attaquer, et employer contre lui toutes les ressources de son art.

5. (1821) Notices des œuvres de Molière (VI) : Le Tartuffe ; Amphitryon pp. 191-366

Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l’hypocrisie est un vice privilégié qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde jouit en repos d’une impunité souveraine. » Il est impossible de s’y tromper : c’est ici l’auteur même du Tartuffe qui se plaint, à la face du public, de ceux qui ont eu le pouvoir d’écarter de la scène cet ouvrage entrepris pour les démasquer. […] Pourquoi des hommes que Molière n’attaquait pas l’attaquèrent-ils lui-même ? […] Bourdaloue, après eux tous, et lorsque le chef-d’œuvre du Tartuffe eut enfin pris possession de la scène, crut remplir un devoir de son ministère, en attaquant, dans un sermon sur l’hypocrisie, non pas cette fois l’hypocrisie elle-même, mais le motif pour lequel les indévots l’attaquent, et les inductions qu’ils tirent, contre la vraie dévotion, du vice qui en emprunte les dehors. […] Voilà ce qu’ils ont affecté, mettant dans la bouche de cet hypocrite des maximes de religion faiblement soutenues, au même temps qu’ils les supposaient fortement attaquées ; lui faisant blâmer les scandales du siècle d’une manière extravagante ; le représentant consciencieux jusqu’à la délicatesse et au scrupule sur des points moins importants, où toutefois il le faut être, pendant qu’il se portait d’ailleurs aux crimes les plus énormes ; le montrant sous un visage de pénitent, qui ne servait qu’à couvrir ses infamies ; lui donnant, selon leur caprice, un caractère de piété la plus austère, ce semble, et la plus exemplaire, mais, dans le fond, la plus mercenaire et la plus lâche. » Je suis loin d’approuver tout ce qu’il y a de dur et d’amer, de violent et d’outré dans cette éloquente tirade. […] Il ne m’a pas été possible de confondre l’homme éloquent et vertueux dont s’honorent à la fois l’église et la littérature de notre pays, avec ces odieux sycophantes qui auraient pardonné à Molière d’attaquer la religion, s’il ne les eut pas attaqués eux-mêmes.

6. (1696) Molière (Les Hommes illustres) « JEAN-BAPTISTE POQUELIN. DE MOLIERE. » pp. 79-80

Il attaqua encore les mauvais Médecins par deux Pièces fort Comiques, dont l’un est le Médecin malgré lui, et l’autre le Malade imaginaire. On peut dire qu’il se méprit un peu dans cette dernière Pièce, et qu’il ne se contint pas dans les bornes du pouvoir de la Comédie ; car au lieu de se contenter de blâmer les mauvais Médecins, il attaqua la Médecine en elle-même, la traita de Science frivole, et posa pour principe qu’il est ridicule à un Homme de vouloir en guérir un autre.

7. (1706) Addition à la Vie de Monsieur de Molière pp. 1-67

D’un autre côté cet Avocat, qui ne connaît que le langage gothique de sa famille et de ses paperasses, et qui ignore celui de la Cour et des bons Auteurs, a donné matière à mon Critique, pour attaquer mon style. Il a saisi les plaintes des Comédiens, qui se sont cru offensés de l’effronterie que j’ai eue d’attaquer leur Jeu et leur Profession : Il a répété d’après eux que j’ignorais les principes de leur Art, et que ce n’était pas à moi à en parler si légèrement. […] J’aurais suffisamment satisfait par cette Réponse à la Critique que l’on a faite de mon Livre, si je n’avais affaire à un Censeur difficile, du moins il me paraît tel : Il m’a attaqué en détail ; je vais lui répondre de même. […] L’Auteur de la Critique est du moins autant ami des Comédiens, qu’il prétend que je le sois de Mr le Baron ; il s’épuise pour les défendre, comme si je les avais attaqués personnellement. […] Cependant je ne puis m’empêcher de faire remarquer au Lecteur le travers de mon Critique ; qui trouve à redire que je n’aie pas nommé des Personnes de considération, et qui veut que je ménage les Comédiens, que je n’ai pas même attaqués personnellement ni en général ; c’est Molière qui parle encore une fois.

8. (1769) Éloge de Molière pp. 1-35

Une intrigue, trop souvent faible, mais prise dans des mœurs véritables, attaqua, non les torts passagers du citoyen, mais les ridicules plus durables de l’homme. […] Celui que Molière attaqua dans les Précieuses fut anéanti ; mais l’ouvrage survécut à l’ennemi qu’il combattait. […] Il conçut qu’il aurait plus d’avantage à combattre le ridicule qu’à s’attaquer au vice. […] Ce fut dans ce moment qu’on attaqua l’Auteur du Misanthrope. […] Mais qu’un Bourgeois, voyant la fille de son voisin attaquée de mélancolie, conseille au père de lui acheter une garniture de diamants pour hâter sa guérison, le mot qu’il s’attire, vous êtes orfèvre, M. 

9. (1910) Rousseau contre Molière

Comme lui, je me sens attaqué par Molière. […] Il l’a attaqué de toutes les manières. […] Rousseau ne peut guère attaquer le Tartuffe. […] C’est elle qui sera ridicule de s’attaquer à gens tellement plus forts qu’elle. […] » Ainsi Molière n’a jamais attaqué, ni voulu attaquer l’ambition ?

10. (1820) Notices des œuvres de Molière (V) : L’Amour médecin ; Le Misanthrope ; Le Médecin malgré lui ; Mélicerte ; La Pastorale comique pp. 75-436

On a dit et souvent répété que L’Amour médecin était la première comédie où Molière eût attaqué la médecine. […] Molière a tant de fois et si vivement attaqué les médecins, qu’on a cherché si cette espèce d’acharnement n’avait pas eu quelque cause particulière. […] Comment croire, enfin, que Molière ait été irrité de ce qu’un homme, dont l’opinion n’était pas sans influence sur les jugements publics, avait pris la défense de sa pièce attaquée par tant de gens qui n’en sentaient pas ou qui affectaient d’en méconnaître le mérite ? […] Si l’on éprouve pour lui de tels sentiments, c’est que Molière l’en a fait digne : ce grand poète ne prévoyait sûrement pas qu’on dût prendre un jour contre lui la défense d’Alceste, et s’armer, pour l’attaquer lui-même, de tout l’intérêt qu’il a voulu qu’inspirât ce personnage. […] Rousseau, au moins singulier dans le choix de ses maîtresses, et toujours prêt à se brouiller avec ses meilleurs amis ; affectant de contrarier sans cesse l’opinion commune, et quelquefois sa propre opinion ; faisant à tout propos la satire de la société, et menaçant de rompre avec elle en fuyant dans un désert ; s’imaginant que tous les hommes étaient ligués pour lui nuire, et aspirant à des persécutions réelles pour nourrir et justifier sa misanthropie, Rousseau, je suis bien tenté de le croire, se sentit joué personnellement dans le rôle d’Alceste ; et, quand il attaqua Molière, il ne fit, à son insu peut-être, que se défendre et se venger lui-même.

11. (1818) Épître à Molière pp. 6-18

Épître à Molière PHILOSOPHE profond, dont l’esprit courageux Sondant du cœur humain les replis tortueux Des fripons et des sots prépara les supplices, Osa dans tous les rangs attaquer tous les vices ; Le plus bel ornement du siècle de Louis, Gloire, gloire Molière, à tes divins écrits ! […] J’aime à le voir, surtout, poursuivant dans ses vers L’altière ambition à la bassesse unie, Attaquer des grandeurs la coupable manie. […] J’ai tort : le vaudeville du Combat des Montagnes nous prouve que l’on peut attaquer hardiment certains ridicules, et je fais amende honorable à messieurs les censeurs, car c’est toujours à eux que s’adressent mes humbles remontrances.

12. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE VI. Les Femmes. » pp. 103-120

Les autres ont beau faillir, elle ne faiblit jamais ; ils ont beau méconnaître ses mérites et attaquer sa conduite, jamais de sa bouche ne sort un mot de blâme ou d’aigreur : aux injures de Mme Pernelle, elle n’oppose qu’un doux et digne silence361 ; à l’impudente déclaration de Tartuffe, elle ne répond qu’avec le mépris serein de la véritable vertu, assez forte pour se défendre sans colère362. […] Qu’elle soit indulgente, polie ; qu’elle n’aille point perdre son temps dans ces conversations où le prochain est toujours attaqué ; qu’elle apprenne à être sage sans aigreur, et à avoir de l’esprit sans médire381. […] Il ne peut, pas plus que Boileau, supporter « ces femmes qui se retranchent toujours fièrement sur leur pruderie, regardent un chacun de haut en bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que possèdent les autres ne soient rien en comparaison d’un misérable honneur dont personne ne se soucie382. »II déteste également « ces personnes qui prêtent doucement des charités à tout le monde, ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant, et seraient bien fâchées d’avoir souffert qu’on eût dit du bien du prochain383. »Il veut que, jusque dans sa défense, la vertu attaquée reste douce ; il fait exprimer ce précepte par Elmire, insultée par la lubrique déclaration de Tartuffe : J’aime qu’avec douceur nous nous montrions sages, Et ne suis pas du tout de ces prudes sauvages, Dont l’honneur est armé de griffes et de dents, Et veut au moindre mot dévisager les gens384.

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