L’idée de ce système absurde, qui est celui d’Arnolphe, se trouve dans une nouvelle de Scarron, tirée de l’espagnol, qui a pour titre la Précaution inutile. […] Pèdre, est précisément dans les mêmes préjugés qu’Arnolphe. Il fait élever sa future dans l’imbécillité la plus complète ; il tient à peu près les mêmes propos qu’Arnolphe, et une femme de fort bon sens les combat à peu près par les mêmes motifs que fait valoir l’ami d’Arnolphe, l’homme raisonnable de la pièce, si ce n’est que dans Molière le pour et le contre est développé avec une supériorité de style et de comique dont Scarron ne pouvait pas approcher. […] Il n’y a pas jusqu’à ces deux pauvres gens, Alain et Georgette, choisis par Arnolphe comme les plus imbéciles de leur village, qui n’aient à leur manière la sorte de bon sens qui leur convient. […] Arnolphe est vivement affecté, et ce qu’il y a de plus commun lui paraît monstrueux.
Mais avec Molière, nous rions du ridicule inhérent au vice ou à la passion ; —à l’amour d’Arnolphe pour Agnès, car si Arnolphe aimait une femme d’âge mûr, tout le comique disparaîtrait-, — à la colère d’Alceste s’exerçant contre des choses insignifiantes : à ces choses insignifiantes substituons des objets qui en vaillent la peine, Alceste cesse à tel point d’être ridicule que l’on a pu demander si, dans certaines scènes, il ne relevait pas du drame plutôt que de la comédie ; — à l’aveuglement pour Trissotin, de Philaminte, Armande et Bélise, — etc. […] Toujours à ce même point de vue, je reprocherais à la morale de Molière son manque de délicatesse : Molière manie rudement les femmes, et sur ce chapitre Arnolphe et Chrysale ne sont pas d’infidèles interprètes de sa pensée. […] Première épreuve ou premier crayon d’Arnolphe, ce Sganarelle n’en diffère que pour être traité moins sérieusement, dans le goût de Scarron, si je puis ainsi dire, plutôt que dans le grand goût de Molière. Arrivons donc promptement à Arnolphe, et parlons de l’Ecole des Femmes. […] Il y a dans Arnolphe un mélange de sottise naturelle et de contentement de soi-même, il y a de la finesse et de la prétention, et il y a dans Tartufe du calcul et de la maladresse, il y a de l’hypocrisie et de la grossièreté.
Arnolphe a prié Chrysalde à souper. […] — Non, je jeûne ce soir. répond Arnolphe. […] Arnolphe remonte aux plus anciens temps du monde. […] Cependant Arnolphe n’est pas très complexe pour dire le vrai. […] Arnolphe, quand il s’agit d’Agnès et à l’égard d’Agnès, est d’une dureté incroyable ; mais là où Agnès n’est pas en question ni la considération d’être trompé comme mari, Arnolphe est un homme comme un autre.
Agnès a bien plus de penchant à le croire ; elle le croit, et Arnolphe, malgré son expérience, est confondu par la jeune ingénue, qui n’y met pas même de méchanceté. […] Arnolphe s’est perdu lui-même ; ou plutôt c’est l’idée de tenir une femme dans l’ignorance pour l’avoir mieux dans la main, que le poète a condamnée par ce dénouement. […] Et, comme dit Arnolphe : … Des chaudières bouillantes13 Où l’on plonge à jamais les femmes mal vivantes ? […] La société est toujours divisée en deux moitiés, puisqu’enfin cette division est dans la nature ; mais l’une n’est plus moitié suprême et l’autre subalterne, comme le voulait Arnolphe ; elles vont au moins de pair aujourd’hui ; la toute-puissance n’est plus du côté de la barbe ; elle appartient plutôt à la moitié qui, généralement, n’en a pas. […] Elles ne sont pas non plus naturellement niaises ; la prétendue bêtise d’Agnès est le crime d’Arnolphe, et ses fautes ont leur excuse dans l’éducation qu’elle a reçue.
Arnolphe, vieux relativement à Agnès, l’a laissée ignorante et idiote pour qu’elle l’aimât. […] Il est vrai que le bon Arnolphe n’a aucun mérite intellectuel ni aucun talent propre à éblouir. […] Et donc il reconnaît lui-même qu’Arnolphe est « honnête homme ». […] monsieur, Arnolphe est un burlesque et toutes les sottises qu’il fait sont naturelles ! […] Philaminte et Don Juan, Tartuffe et Arnolphe, Arsinoé et Acaste, etc.
Moliere a encore connu tout le prix du sérieux déplacé, & s’en est servi en grand maître, témoin la scene dans laquelle Arnolphe annonce à Agnès qu’il va l’épouser. […] Arnolphe assis, à Agnès. […] Ce sont les mêmes causes qui nous font éclater, lorsqu’Arnolphe, voulant engager Alain & Georgette à veiller sur son honneur, leur dit très sérieusement : ACTE IV.
Armande le trompait : Armande, qu’il avait épousée par amour, après l’avoir élevée avec la plus généreuse et la plus libérale bonté, et beaucoup plus comme l’Ariste de l’École des Maris que comme Arnolphe. […] C’est ainsi qu’il créait Alceste, comme Arnolphe, comme Orgon, comme M. […] Il n’a pas fait parler à ses seigneurs la riche et simple langue bourgeoise d’Arnolphe ou d’Orgon. […] D’accord ; mais lui-même est pour beaucoup dans son malheur, Molière ne veut pas que nous l’oubliions, et pas plus qu’il n’entend nous faire pleurer quand il jette Arnolphe aux pieds d’Agnès, il ne veut nous indigner ni nous gonfler le cœur de pitié, lorsqu’au quatrième acte il met Alceste et Célimène aux prisés. […] distinguons : je ne le condamne qu’à faire rire, comme tous les jaloux de comédie, comme Arnolphe joué par Agnès, comme Bartholo joué par Rosine ; comme Georges Dandin enfin, qui l’a voulu !
Il y a un exemple beaucoup plus frappant encore dans le rôle d’Arnolphe ; vous savez ce qu’il est. S’il y a un personnage dans Molière qui n’est pas intéressant, c’est bien celui d’Arnolphe, et Arnolphe est une des plus puissantes créations de Molière. Je dois observer ici que ce rôle d’Arnolphe est presque toujours joué faux sur notre théâtre : on le représente en barbon. […] Arnolphe, comme je viens de le dire, n’est pas l’homme le plus intéressant du monde. […] Arnolphe donne aussi à Agnès, comme Gorgibus à sa fille, un livre sain et bon à méditer.
Arnolphe dit bien, il est vrai, à Chrysale son ami : Épouser une sotte est, pour n’être pas sot, Je crois, en bon chrétien, votre moitié fort sage Mais une femme habile est un mauvais présage. […] Cette complète ignorance dans laquelle Arnolphe a pris à tâche de retenir sa pupille, cet excès de simplicité et d’innocence sur lequel il a tant compté, a précisément des résultats tout contraires à ceux qu’il en attendait ; et peu s’en est fallu qu’ainsi qu’elle le lui raconte naïvement, elle ne poussât jusqu’au bout la guérison du cœur d’Horace, que, sans le savoir, elle avait blessé, et à qui sa douce présence pouvait seule rendre la vie comme le lui avait dit la messagère du blessé. […] Agnès se plaint à Arnolphe lui-même de l’état d’ignorance où il l’a retenue ; et quand il lui demande : N’est-ce rien que les soins d’élever votre enfance ? […] Ne vous semble-t-il pas, Messieurs, vous demanderai-je en terminant cet essai si imparfait, que j’étais du moins dans le vrai en disant tout d’abord que les divers portraits de femmes que nous a tracés ce grand peintre, qui se nomme Molière, prouvent que nul n’a mieux connu ni plus aimé ce sexe, qui, suivant l’expression de La Fontaine, fait notre joie ; ce sexe mobile qu’il faut encore aimer alors même qu’il nous désespère, et cela au dire de toutes ses victimes, aussi bien des plus nobles, comme le généreux Alceste, que des plus indignes, comme cet égoïste bourru d’Arnolphe, dont les plaintes impertinentes se terminent cependant par un trait qui restera éternellement vrai, sous sa forme d’un brutal comique : Tout le monde connaît leur imperfection, s’écrie-t-il, Ce n’est qu’extravagance et qu’indiscrétion, Leur esprit est méchant et leur âme est fragile.