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19. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIII. Des Pieces intriguées par les Maîtres. » pp. 151-168

Je le sais très bien ; mais les gens du bel air voudroient qu’un comique les plaçât sur la scene, moins tels qu’ils sont, que tels qu’ils veulent paroître ; qu’il ne s’attachât qu’aux mines, aux grimaces, & ne dévoilât pas le fond du cœur ; qu’il peignît ces travers, ces ridicules qu’on a érigés en agrément ; & non ces vices que l’éducation, que la politesse masquent, mais qu’elles ne cachent pas à un observateur profond. […] Jourdain, lui voler une bague & lui faire régaler sa maîtresse, se souciant fort peu de passer pour le Mercure du bourgeois : qu’on mette, dis-je, aujourd’hui un pareil intrigant dans une piece, & les gens du bel air vont lapider l’Auteur. […] De sorte que des trois intrigants du bel air, que Thomas Corneille emploie, Angélique agit en servante, Oronte en valet, & Léandre parle comme un homme du commun. […] Personnes du bon ton, gens comme il faut, ou du beau monde & du bel air, mots de convention.

20. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXX. Des Caracteres propres à tous les rangs. » pp. 328-330

Moliere s’est gardé de prendre pour son héros un Prince ou un homme élevé à la Cour : ce n’est point que le ridicule qu’il vouloit peindre ne se trouve aussi complettement chez eux que chez leurs inférieurs ; mais il n’auroit pas été aussi frappant, grace à l’adresse qu’ont les Grands, dit M. de Voltaire, de couvrir toutes leurs sottises du même air & du même langage. […] Premiérement le plaisant qui naît de l’extrême disproportion qu’il y a entre les manieres ou le langage d’un homme, avec les airs & les discours qu’il veut affecter, auroit disparu chez un homme au-dessus de la Bourgeoisie, parcequ’après un certain état, l’uniformité d’éducation ne met plus de nuances entre les propos & les manieres des hommes : d’un autre côté, ce même contraste auroit été dégoûtant dans un homme au-dessous de M.

21. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXVIII. Les Caracteres des hommes n’ont pas plus changé que ceux des professions. » pp. 303-311

La raillerie échauffoit mes adversaires ; ils ramassoient leurs forces & pensoient me laisser sans réplique, en me disant « que si nos avares ressembloient intérieurement à Harpagon, ils lui étoient tout-à-fait opposés par l’extérieur, puisqu’ils cachoient leur avarice sous un faux air de magnificence, qui, contrastant toujours avec leur passion, pouvoit les rendre très plaisants, sur-tout si un Auteur avoit l’adresse de les mettre dans une situation où ils fussent contraints à faire beaucoup de dépense pour ne pas démentir leur masque ». J’avoue que ce raisonnement prononcé avec vivacité, appuyé sur-tout d’un air leste & décidé, est éblouissant, & qu’il peut jetter de la poudre aux yeux ; peut-être a-t-il déja séduit quelqu’un de mes lecteurs : mais il ne lui faudra pas beaucoup de réflexion pour sentir que lorsqu’un peintre se borne à changer seulement le vernis d’un tableau, il ne fait pas un ouvrage bien estimable. […] Un peintre qui retoucheroit une Sabine peinte par un grand maître, & qui, sous prétexte de lui donner un air de nouveauté, lui mettroit un caraco, du rouge, & des mouches, ne seroit pas plus ridicule.

22. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE III. Choix du lieu de la Scene. » pp. 76-93

A ce mot de province, les femmes me toiserent, pour examiner, à mon air, si je l’avois quittée depuis long-temps ; on me pria de raconter mon histoire, afin de voir, disoit-on, si elle prêtoit réellement au comique, & je le fis à-peu-près en ces termes : « Une demoiselle, jeune, riche, belle, & coquette sur-tout, comme on le verra dans la suite, écoutoit assez favorablement les vœux de plusieurs soupirants ; Damon, Clitandre & Sainval l’aimoient publiquement. […] « A ces mots, du bout de la rue, Clitandre crut que son ami vouloit le plaisanter ; il lui demanda d’un air surpris d’où il savoit l’aventure. […] répondit Damon d’un air encore plus surpris ; ne veux-tu pas que je sache ce qui m’est arrivé ? […] Je me félicitois intérieurement ; je croyois que leurs ris partoient du fonds comique de l’aventure, de la situation des quatre amants, de l’adresse de la coquette, de l’air naturel qu’auroit sa promenade mise en action, & son sac à ouvrage descendu par le balcon.

23. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXVI. De l’opposition des Caracteres. » pp. 398-416

Cléon, du côté par où il entre d’un air furieux. […] Elle est dans ses grands airs, il me faut filer doux. […] Premiérement, Monsieur, sous un air très sincere, Vous êtes faux, malin, rusé comme un démon. […] Madame, il vous sied mal de prendre ce ton-là ; Et l’air dont vous venez de parler à mon frere, Me fait mal augurer de votre caractere.

24. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIV. Des Tableaux. » pp. 422-425

pourquoi sentons-nous toute la finesse de son air boudeur ? […] Pour que le lecteur puisse tirer quelque fruit de cet article ; pour bien lui persuader que les tableaux qu’on nous fera d’après des situations foibles, manqueront de vigueur, en ayant un air forcé, comparons à ceux qu’il connoît déja, celui qui est dans le Philosophe marié.

25. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE III. » pp. 53-56

Mascarille & Jodelet s’introduisent chez les Précieuses sous les titres de Marquis & de Vicomte, charment les héroïnes par leur abord familier, une parure outrée, de grands airs, un jargon affecté. […] La premiere ne rebute qu’un pédant qui le mérite ; les autres refusent, avec la derniere impertinence, deux époux aimables, parcequ’ils n’ont pas donné à leur passion un air de roman, & qu’ils ont débuté de but en blanc par le mariage.

26. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXVI. De la Vraisemblance. » pp. 434-445

Non sans doute ; rien de tout cela ne peut avoir un air de vraisemblance, & tout le comique qui en résulte, est forcé. […] Pour mieux prouver ce que j’avance, qu’on me permette d’imaginer quelque léger changement, qui, en ne dérangeant rien à la situation, donne au mensonge un air plus vraisemblable ; nous verrons l’effet qui en résultera. […] Qu’on admette pour un moment le mensonge avec ces légers changements, il aura, je crois, un air de simplicité, d’honnêteté & de vraisemblance sur-tout, qui se répandra sur les incidents qu’il amene ; puisque, de cette façon, Sganarelle ne doit plus trouver surprenant que Léonore aille chez un amant avec qui elle a renoué, avec qui elle est liée par une promesse de mariage.

27. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVIII. M. GOLDONI. » pp. 468-479

Picard, à part, d’un air fâché. […] Picard, en reculant d’un air très fâché. […] Géronte, d’un air pénétré, & à part.

28. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE PREMIER. Du Choix d’un Sujet. » pp. 25-38

Tous les sujets sont bons entre les mains d’un habile homme : propos absurde, que j’ai souvent entendu tenir à ces petits tyrans du Parnasse, qui s’érigent en censeurs, parcequ’ils ont enfanté avec peine quelques vers insipides ; à des hommes du bel air, qui vont réguliérement tous les jours à la Comédie, mais qui n’en connoissent que les foyers & les actrices ; enfin à de jolies femmes qui, occupées pour la plupart de l’art de la toilette, n’ont jamais réfléchi sur aucun autre. […] La fausse Lucile lui a fait promettre qu’il ne s’alarmeroit pas des feintes marques d’amitié qu’elle donneroit à Eraste ; aussi, loin d’être piqué du billet qu’on lui montre, il fait un grand éclat de rire, sort d’un air triomphant, & jette par là dans le plus grand désespoir celui qui vouloit le désespérer lui-même. […] M. de Marmontel nous indique, dans sa Poétique, six sujets de comédie : le Défiant, le Misanthrope par air, le Fat modeste, le petit Seigneur, le faux Magnifique, l’Ami de Cour.

29. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XV. M. DE CHAMFORT. » pp. 420-441

Avec ce tour d’esprit, il n’étoit pas mal fait de sa personne ; il avoit le visage vermeil, l’air robuste & vigoureux, & sa chevelure longue & frisée lui pendoit négligemment sur les épaules. […] Si l’Européen fut charmé de la tournure, des traits & des graces un peu sauvages de l’Américaine toute nue ; celle-ci n’admira pas moins l’air, la taille & le teint d’un Européen habillé de pied en cap. […] Nébi, furieux, se plaint du Marchand : le Médecin qu’il lui a vendu vient d’ordonner l’air natal à son esclave favorite. […] Peu de jours après, il fit attention qu’un de ces malheureux s’arrêtoit vis-à-vis des fenêtres de sa chambre, comme s’il eût été accablé de fatigue, & que n’appercevant personne, il s’asseyoit à terre d’un air triste & languissant.

30. (1747) Notices des pièces de Molière (1670-1673) [Histoire du théâtre français, tome XI] pp. -284

Cette espèce de ridicule ne se trouve point dans des princes, ou dans des hommes élevés à la Cour, qui couvrent toutes leurs sottises du même air et du même langage ; mais ce ridicule se montre tout entier dans un bourgeois élevé grossièrement, et dont le naturel fait à tout moment un contraste avec l’art dont il veut se parer. […] L’homme du bel air, le sieur Le Gros. Second homme du bel air, le sieur Rebel. Une femme du bel air……… Seconde femme du bel air……… Un Gascon, le sieur Gaye. […] Lully composa les airs (et les paroles de la plainte italienne).

31. (1879) Les comédiennes de Molière pp. 1-179

Pour n’altérer ni l’air de tête, ni l’attitude, ni ce je ne sais quoi qui porte l’empreinte du temps, le graveur a religieusement reproduit ce qu’il voyait. […] Quelle jolie chanson il chanta à la Du Parc, qui sans doute lui avait payé son droit de seigneur, mais qui gardait toujours ses grands airs d’impeccable ! […] On voit que le pâtissier lui-même prenait un air de bonne maison. Pourquoi ceux qui jouent les princes ne se donneraient-ils pas des airs et des noms de gentilhomme ! […] Ne prendront-ils jamais un air de gens sensés ?

32. (1843) Épître à Molière, qui a obtenu, au jugement de l’Académie française, une médaille d’or, dans le concours de la poésie de 1843 pp. 4-15

L’autre, dans son allure et libre et familière, Du vieil esprit français pétulante écolière, L’œil ardent, le pied leste, et l’air toujours dispos, Amuse les passants de ses joyeux propos, Transforme chaque scène en plaisante querelle, Confond George Dandin, tourmente Sganarelle, Enveloppe en riant Géronte dans un sac, Lance la pharmacie au dos de Pourceaugnac, Et, se moquant d’Argan sous sa robe d’hermine, Dans un patois latin berne la Médecine. […] Sous des noms différents n’est-il plus d’Harpagon, N’est-il plus de Cathos au précieux jargon, Et de monsieur Jourdain la race qui fourmille N’a-t-elle pas toujours le même air de famille ?

33. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXIV. On peut faire usage de tous les caracteres. » pp. 378-385

L’homme qui l’entretient de ses chevaux, de ses bonnes fortunes, de sa caleche ; celui qui le consulte sur l’air & les pas d’un ballet qu’il vient de composer ; Alcandre qui le prie de lui servir de second, & de porter un cartel pour lui à son ennemi ; Alcippe qui lui raconte ses malheurs dans une partie de piquet ; Oronte & Climene qui le prient de décider si un amant jaloux est préférable à celui qui ne l’est point ; le Chasseur qui lui fait part d’une chasse malheureuse ; l’Homme aux projets, qui veut enrichir la France en l’entourant de ports de mer ; le Savant, qui sollicite la charge de Contrôleur, Intendant, Correcteur, Reviseur & Restaurateur général des enseignes de Paris ; enfin, les divers caracteres de ces fâcheux devant également impatienter Ergaste en l’arrêtant, aucun d’eux ne devoit écraser les autres par une force trop supérieure. […] Elle marie des manieres campagnardes à son faux air de grandeur ; elle veut faire payer un verre que sa servante casse par mégarde.

34. (1848) De l’influence des mœurs sur la comédie pp. 1-221

Les riches bourgeoises de la finance et de la robe, au lieu de jouir modestement de leur fortune, déployaient dans leurs équipages et leurs toilettes un luxe scandaleux, et se donnaient en outre les grands airs des femmes de qualité. […] Ce sont eux qu’à cette époque on appelle du nom de calicots, et tous ceux dont la tournure et les airs fanfarons paraissent suspects reçoivent le même sobriquet. […] À soixante ans passés, il a conservé les airs sautillants, le ton évaporé, les idées, les préjugés, les mœurs des nobles d’avant 1789. […] Ce n’est pas qu’il manquât de noblesse, tant s’en faut; sa personne, au contraire, était pleine de distinction, mais cette distinction n’avait rien de l’air grave et austère qui convient au personnage d’Alceste. […] En général, on ne se trompe pas d’une manière tout à fait grossière sur l’ensemble d’un rôle, et jamais, par exemple, il ne viendra à l’idée d’aucun comédien, pas même des moins intelligents, de jouer Tartuffe avec les airs dégagés d’un petit-maître.

35. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE II. Regnard imitateur de Moliere. » pp. 51-80

Je suis assez adroit ; j’ai bon air, bonne mine, Les dents belles sur-tout, & la taille fort fine. […] On le voit à votre air. […] On le voit à votre air. […] Vos ris ne sont point de mon goût, Et vos airs insolents ne plaisent point du tout.

36. (1765) [Anecdotes et remarques sur Molière] (Récréations littéraires) [graphies originales] pp. 1-26

Roze de l’Académie Françoise, & Secretaire du cabinet du Roi, fit des paroles latines sur cet air ; d’abord, pour se divertir, & ensuite pour faire une petite malice à Moliere, à qui il reprocha chez M. le Duc de Montauzier, d’être plagiaire : ce qui donna lieu à une fort vive & & plaisante dispute. […] Roze soutenant, en chantant les paroles latines, que Moliere les avoit traduites en François d’une Epigramme Latine imitée de l’Anthologie, dont l’air en question semble fait exprès. […] Moliere s’étoit copié lui même en quelques endroits de sa Comédie du Misanthrope, sur tout dans la Scene où Oronte fait des protestations d’amitié & de grandes offres de service à Alceste ; & ou Alceste répond à chaque fois, d’un air froid & embarrassé : Monsieur.....

37. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XLIII. Du But Moral. Philosophie de Regnard comparée à celle de Moliere. » pp. 504-548

Tantôt prenant un ton sensé, un air imposant, elle parle par la bouche d’un homme raisonnable qui, en réprimandant un personnage, fait la critique de tous ceux qui lui ressemblent. […] Ce portrait a un air d’antiquité ; mais le Comédien le plus machine peut le rajeunir dans la minute, en disant. […] Lorsque les Anciens vouloient inspirer à leurs enfants l’horreur que tout honnête homme doit avoir pour l’ivresse, ils ne leur offroient pas pour exemple un buveur d’eau ; ils leur faisoient voir au contraire un esclave ivre ; & l’état affreux de ce misérable produisoit ordinairement l’effet qu’on s’étoit promis : de même, parmi nous, une personne sensée veut-elle exhorter son fils à être ferme sur ses pieds, à prendre une contenance noble & assurée, elle ne lui donnera pas pour modele un chef-d’œuvre de l’art & de Pigale, en lui disant : voilà comme tous les hommes devroient être : elle le menera aux Tuileries, elle lui montrera du doigt quelques-uns de ces faquins qui prennent un air penché, qui affectent l’anéantissement pour faire les hommes à bonnes fortunes, & elle lui fera remarquer l’air de pitié avec lequel tout le monde les regarde. […] Des bégueules, fieres d’avoir vu ou cru voir le beau monde de Paris, se donnent gauchement un air d’importance dans leur petite ville & dans leur cercle. […] Nous avons ailleurs blâmé Moliere d’avoir traité trop cruellement Cotin, & jusqu’au point de le faire mourir de chagrin : nous devons cependant dire ici, pour le justifier un peu, que Cotin l’avoit poussé à bout par l’air d’insolence & de supériorité avec lequel il l’avoit traité, à son arrivée à Paris, dans toutes les sociétés où ils s’étoient trouvés ensemble.

38. (1862) Molière et ses contemporains dans Le Misanthrope (Revue trimestrielle) pp. 292-316

Que ce partisan effréné du pouvoir absolu, qui veut qu’on bâtisse “deux citadelles à Paris pour contenir le peuple, et qui, avec ses grands airs d’austérité, rivalise avec sa femme, pour servir les plaisirs du roi ! […] » Quant à Célimène, les commentateurs de Boileau y ont vu le portrait d’une femme très-connue à la cour, la même que le satirique, vingt-huit mis après, stigmatisait dans ses vers : «  Nous la verrons hanter les plus honteux brelans, Donner chez la Cornu rendez-vous aux galants. » Mais, Dieu merci, cet ignoble signalement ne va pas à la taille de Célimène, malgré ses airs d’indépendance un peu compromettants. […] Molière lui, invente, engendre ses personnages, qui ont bien çà et là des airs de ressemblance avec tels ou tels, mais qui, au total, ne sont qu’eux-mêmes. […] Les brusqueries de Montausier, ce culte exagéré de la vertu, cette rigueur et ces airs stoïques, chez un homme de cour assez, en évidence dans le monde pour frapper les yeux de la foule, composaient un type peu commun, qui n’a pu échapper au regard observateur de Molière.

39. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VIII. » pp. 144-179

Si l’air du suppliant à quelque dame agrée,   Celle-là, sachant son métier,   Vous enverra faire un message. […] Un jeune objet qui loge en ce logis, Dont vous voyez d’ici que les murs sont rougis : Simple à la vérité, par l’erreur sans seconde D’un homme qui la cache au commerce du monde ; Mais qui, dans l’ignorance où l’on veut l’asservir, Fait briller des attraits capables de ravir : Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre, Dont il n’est point de cœur qui se puisse défendre. […] Elle lui répondit par deux ou trois révérences ordinaires qui ne finirent que lorsqu’il lui fit faire deux ou trois tours de chambre ; ce qu’elle fit par hasard de si bon air, sa beauté naturelle & son air de Pallas y contribuant beaucoup, que le trop fin Grenadin en demeura charmé. […] Dans le nôtre on agit d’un air bien plus courtois.

40. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXIX. De l’action dans les Pieces à caractere. » pp. 448-468

Le Glorieux entre sur la scene, d’un air fier, la tête haute ; c’est très bien : écoutons-le. […] (Le Comte entre en marchant à grands pas & la tête levée : ses six laquais se rangent au fond du théâtre, d’un air respectueux : Pasquin est un peu avancé.) […] Il prend un air sévere toutes les fois qu’elle lui en fait la proposition, & la quitte en feignant d’aller joindre quelqu’un qui l’appelle.

41. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VII. » pp. 125-143

J’étois sur le théâtre en humeur d’écouter La piece qu’à plusieurs j’avois ouï vanter : Les acteurs commençoient, chacun prêtoit silence ; Lorsque d’un air bruyant & plein d’extravagance, Un homme à grands canons est entré brusquement, En criant, holà, ho, un siege promptement. […] Je le remerciois doucement de la tête, Minutant à tous coups quelque retraite honnête : Mais lui, pour le quitter me voyant ébranlé : Sortons, ce m’a-t-il dit, le monde est écoulé : Et sortis de ce lieu, me la donnant plus seche ; Marquis, allons au cours faire voir ma caleche : Elle est bien entendue, & plus d’un Duc & Pair En fait à mon faiseur faire une du même air. […] On ne peut nier que Moliere n’ait imité en homme d’esprit les deux Satyriques, puisqu’en lisant la scene comique nous y reconnoissons les mœurs du siecle pour lequel elle fut faite ; & qu’aucun vernis d’ancienneté, aucun air étranger ne fait soupçonner son origine à ceux qui ne la connoissent point.

42. (1882) Molière (Études littéraires, extrait) pp. 384-490

Elle y met un air de bravade inquiétante ; irritée d’une mésalliance, elle engage hardiment contre les siens une lutte ouverte qui sera sa revanche. […] « Le grand flandrin de vicomte, l’homme aux sonnets », la perruque blonde de Clitandre, et ses airs « de doucereux » en seront donc pour leurs frais. […] Il eut donc des précurseurs nombreux, et comme une série d’ancêtres, dont il résume les traits héréditaires par une création définitive où se fixent, à jamais, l’air de famille et le type originel. […] N’a-t-il pas l’air de se moquer des gens, lorsqu’il s’accuse d’avoir tué une puce avec trop de colère ? […] Jourdain, sa liaison se compose de vanité : il ne vise qu’à se donner ainsi l’air d’un gentilhomme.

43. (1740) Lettres au Mercure sur Molière, sa vie, ses œuvres et les comédiens de son temps [1735-1740] pp. -89

Le Remerciement en vers que Moliere fit à Louis XIV après qu’il l’eut honoré d’une pension de mille livres39, est un ouvrage des. plus spirituels, et une satire des plus fines des airs des courtisans. […] Il avoit l’air noble et les maniérés polies et agréables. […] Elle avoit la taille mediocre, mais un air engageant, quoiqu’avec de très petits yeux, une bouche fort grande et fort plate, mais faisant tout avec grâce, jusqu’aux plus petites choses, quoiqu’elle se mît très-extraordinairement, et d’une maniéré presque toujours oposée à la mode du temps. […] Dans les Mémoires du Cardinal de Retz, on voit que Mme de Montbason ne pouvoit pas se résoudre à aimer M. de La Rochefoucault, parce qu’il ressembloit à Bellerose, qui avoit, disoit-elle, l’air fort fade. […] L’actrice dont nous parlons n’avoit contre elle que sa figure qui n’étoit pas belle ; mais elle se mettoit si bien, et avoit un si grand air de noblesse et d’autorité, qu’elle plaisoit toujours infiniment par le mérite extraordinaire qu’elle avoit d’ailleurs.

44. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE II. La Débauche, l’Avarice et l’Imposture ; le Suicide et le Duel. » pp. 21-41

Cet orgueil même tombe enfin : pour se mettre à l’abri des conséquences de ses crimes, il se jette dans l’hypocrisie53 ; il renonce aux conventions de l’honneur54 ; il ne connaît plus de loi aucune que son égoïsme, et le caprice effréné qui lui fait outrager done Elvire par le nouvel amour qu’il conçoit soudain, non pas pour elle, mais pour son habit négligé et son air languissant 55 ; jusqu’à ce qu’enfin il soit foudroyé sur cette parole de damné : « Il ne sera pas dit, quoi qu’il arrive, que je sois capable de me repentir56. » Voilà certes une grande leçon, que le vice arrive à s’emparer de nous jusqu’à nous rendre incapables de repentir. […] Il a bien pu parler en l’air, comme tant d’autres, de l’enfer, à son valet ; se moquer des croyances vulgaires en les assimilant aux superstitions, et mettre en avant son bel article de foi que deux et deux sont quatre 70 ; mais voilà un argument qui renverse tout cela : un homme qui « aime mieux mourir de faim que de commettre un péché71. » Il y aura lieu de revenir sur don Juan considéré comme esprit fort72. […]   C’est au même titre qu’on doit ici louer le Tartuffe 73 : nulle part un moraliste n’a mieux montré cette sorte d’air funeste que le vice répand autour de soi et fait respirer à ceux qui l’approchent.

45. (1881) Molière et le Misanthrope pp. 1-83

On l’approuve d’un air accablé ; on maudit avec lui cette société gangrenée qui le fait souffrir ; c’est un héros, c’est un saint ; tranchons le mot, un tragédien. […] « Son dessein, dit-il, est de peindre les mœurs sans vouloir toucher aux personnes, et tous les personnages qu’il représente sont des personnages en l’air, et des fantômes proprement, qu’il habille à sa fantaisie, pour réjouir les spectateurs… Si quelque chose était capable de le dégoûter de faire des comédies, c’était les ressemblances qu’on y voulait toujours trouver… Car pourquoi vouloir, je vous prie, appliquer tous ses gestes et toutes ses paroles et chercher à lui faire des affaires en disant hautement : Il joue un tel, lorsque ce sont des choses qui peuvent convenir à cent personnes ? […] Certes, il est dans le vrai, dans sa querelle avec Philinte, lorsqu’il déclare qu’il ne peut souffrir qu’on traite du môme air l’honnête homme et le fat ; et qu’il demande quel avantage on a … qu’un homme vous caresse, Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse, Et vous fasse de vous un éloge éclatant Lorsqu’au premier faquin il court en faire autant ? […] Quand il parle de sa flamme, lui, c’est dans un autre style, quoiqu’il en die ; et ce n’est pas sur cet air là qu’il exprime à Célimène … l’excès prodigieux De ce fatal amour né de ses traîtres yeux ! […] Voyons, voyons un peu par quel biais, de quel air Vous voulez soutenir un mensonge si clair Et comment vous pourrez tourner pour une femme Tous les mots d’un billet qui montre tant de flamme.

46. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXIII » pp. 237-250

Elle avait un air distrait et rêveur, qui faisait croire qu’elle méprisait ceux qu’elle regardait ; mais sa civilité et sa bonté raccommodaient en un instant de conversation ce que les distractions pouvaient avoir gâté. […] La crainte de respirer un air trop froid ou trop chaud, l’appréhension que le vent ne fût trop sec ou trop humide, étaient cause qu’elles s’écrivaient d’une chambre à l’autre.

47. (1746) Notices des pièces de Molière (1661-1665) [Histoire du théâtre français, tome IX] pp. -369

Durant la susdite action, On vit par admiration, (Quoiqu’en apparence bien fermes) Mouvoir des figures, des thermes, Et douze fontaines couler, S’élevant de dix pieds en l’air. […] Enfin pour abréger matière, Cette pièce assez singulière, Et d’un air assez jovial, Se fait voir au Palais-Royal ; Non pas par la Troupe royale, Mais par la Troupe joviale, De Monsieur le duc d’Orléans, Qui les a colloqués céans. […] La pièce dont je parle ici, Laquelle a fort bien réussi, Est un sujet noble et splendide, Et c’est La Princesse d’Élide, Qu’elle se nomme proprement, Vous assurant avec serment, Que l’actrice au joli visage*, Qui joue icelui personnage, Le représente au gré de tous, D’un air si charmant et si doux Que la feue aimable Baronne, Actrice si belle et si bonne, Et qui plaisait tant à nos yeux, Jadis ne l’aurait pas fait mieux. […]       Mardi dernier* Sa Majesté, Admira fort la rareté, D’une machine surprenante, Faite en épinette sonnante, Qui par un secret non commun, Et sans la voir toucher d’aucun, Joue avecque justesse extrême, Plusieurs nouveaux airs d’elle-même. […] En même temps, au milieu de vingt jets d’eau naturels, s’ouvrit cette coquille que tout le monde a vue, et l’agréable naïade* qui parut dedans s’avança au bord du théâtre, et d’un air héroïque prononça les vers que M. 

48. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [8, p. 39-40] »

Rose147, de l’académie française, et secrétaire du cabinet, fit des paroles latines sur cet air, d’abord pour se divertir, et ensuite pour faire une petite pièce à Molière, à qui il reprocha, chez le Duc de Montausier*, d’être plagiaire ; ce qui donna lieu à une vive et plaisante dispute.

49. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VII. Des Comédies Allégoriques. » pp. 75-90

C’est un air empesté qui vient, dit-on, de France. […] Rosette lui crie : Air : Ton humeur est, Catherine.

50. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXVI. Des Caracteres nationaux. » pp. 268-283

L’air léger, leste, élégant des originaux y est remplacé par la maussaderie la plus outrée ». […] Allons, courage ; donnez-vous des airs, ayez des façons, dites-nous de jolies choses.

51. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IV. » pp. 57-70

Sganarelle, qui le reconnoît pour l’original de la miniature, lui dit d’un air fâché qu’il l’a surpris à sa femme. […] Rapprochons Sganarelle de Jodelet, & nous verrons que s’ils ne se ressemblent pas parfaitement, ils ont du moins un air de famille très frappant.

52. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XI. Il Convitato di pietra (le Convié de pierre) » pp. 191-208

« Couvert d’un manteau noir, tenant en l’air une longue épée espagnole, au bout de laquelle brille une lanterne, Arlequin se présente et dit : “Si tous les couteaux n’étaient qu’un couteau, ah ! […] Don Juan met l’épée à la main ; Arlequin se couche à terre sur le dos, tient sa flamberge pointe en l’air, de manière que son adversaire la rencontre toujours en ferraillant ; ce jeu de théâtre bien exécuté faisait le plus grand plaisir.

53. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

Il manquait d’air, de liberté, d’espace ; il manquait de mémoire. […] Armand, et — il en fit un drame, une comédie, une chose en l’air. […] Plus de sourire, plus de gaieté, plus de propos en l’air, plus de déclamation goguenarde, plus rien ! […] Il invoque l’air et les nuées, ses grands dieux ! […] La gaîté, dans le poème, c’est l’air, l’espace, le soleil, et la vie !

54. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIV. Du choix des Caracteres. » pp. 261-262

Voilà comme parlent les gens du bel air : mais ces personnes si clairvoyantes, entraînées continuellement par le tourbillon du monde, ont-elles examiné si les prétendus caracteres qui les frappent sont propres pour la scene ?

55. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE IX. De l’Adultère et des Amours faciles. » pp. 166-192

Sur le même ton, sinon sur le même air, les bergères de la Fêle de Versailles 632 chantent à leurs bergers : CHLORIS. […]   Satire X, v. 131 :   Par toi-même bientôt conduite à l’opéra,   De quel air penses-tu que ta sainte verra   D’un spectacle enchanteur la pompe harmonieuse,   Ces danses, ces héros à voix luxurieuse,   Entendra ces discours sur l’amour seul roulans,   Ces doucereux Renauds, ces insensés Rolands ;   Saura d’eux, qu’à l’amour, comme au seul dieu suprême,   On doit immoler tout, jusqu’à la vertu même ;   Qu’on ne sauroit trop tôt se laisser enflammer ;   Qu’on n’a reçu du ciel un cœur que pour aimer ;   Et tous ces lieux communs de morale lubrique   Que Lulli réchauffa des sons de sa musique ? […] III, Si la comédie d’aujourd’hui est aussi honnête que le prétend l’auteur de la Dissertation : « Les airs de Lulli, tant répétés dans le monde, ne servent qu’à insinuer les passions les plus décevantes, en les rendant les plus agréables et les plus vives qu’on peut par le charme d’une musique… : c’est là précisément le danger, que pendant qu’on est enchanté par la douceur de la mélodie, ou étourdi par le merveilleux du spectacle, ces sentiments s’insinuent sans qu’on y pense, et plaisent sans être aperçus ; » chap.

56. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VI. Baron, imitateur, comparé à Moliere, à Cicognini, à Térence, &c. » pp. 219-261

Il avoit pourtant l’air triste, ajoute Simon. […] Très souvent dans les rues Je fais châteaux en l’air, je bâtis dans les nues ; Et rêver de la forte, est, vous le savez bien, Rêver à peu de chose, ou, pour mieux dire, à rien. […] Dave, désespéré d’avoir fait le malheur de son jeune patron, ne sait où donner de la tête : il voudroit se noyer, encore craindroit-il qu’un démon ne le retînt en l’air pour conserver sa vie. […] Nous nous contenterons de dire que Baron n’est exempt de blâme, ni comme traducteur, puisqu’il est beaucoup plus long que l’original, & bien moins élégant ; ni comme imitateur, puisque l’ouvrage imité perd en passant sur notre scene quelques beaux traits, y conserve des défauts, & sur-tout son air étranger.

57. (1765) Molière dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (compilation) pp. 2668-16723

On ne peut, sans regretter sensiblement les ouvrages de ce poëte, lire l’éloge qu’en a fait Plutarque, d’accord avec toute l’antiquité : C’est une prairie émaillée de fleurs, où l’on aime à respirer un air pur . . . . […] le misantrope par air est-il moins ridicule que le misantrope par principes ? […] La méprise des deux provinciales, leur empressement pour deux valets travestis, les coups de bâton qui font le dénouement, exagerent sans doute le mépris attaché aux airs & au ton précieux ; mais Moliere, pour arrêter la contagion, a usé du plus violent remede. […] Les prétentions déplacées & les faux airs font l’objet principal du comique bourgeois. […] Contemplez de quel air un pere dans Térence, Vient d’un fils amoureux gourmander l’imprudence ; De quel air cet amant écoute ses leçons, Et court chez sa maitresse oublier ses chansons ; Ce n’est pas un portrait, une image semblable, C’est un amant, un fils, un pere véritable.

58. (1775) Anecdotes dramatiques [extraits sur Molière]

après le Sermon, le bel esprit, curieux de savoir ce qui agitait si fort cet Ecclésiastique, prit la liberté de le lui demander avec l’air de l’intérêt. « Eh ! […] Ce langage qui avait un air d’intelligence, étonna fort Mlle Molière*, qui ne connaissait pas le Président. […] Roze, de l’Académie Françoise, fit des paroles Latines sur cet air, d’abord pour se divertir, ensuite pour faire une petite malice à Molière, à qui il reprocha d’être plagiaire. […] Lully* composa les airs et les paroles de la Plainte Italienne. […] Le succès de la nouvelle Pièce vengea notre Poète des airs avantageux qu’avait pris Benserade* avec lui depuis la Pastorale Comique.

59. (1739) Vie de Molière

L’autre2 écrivant à une maîtresse en l’air, lui dit : Votre nom est écrit en grosses lettres sur mon cœur... […] Molière ayant suspendu son chef-d’œuvre du Misanthrope, le rendit quelque temps après au public, accompagné du Médecin malgré lui, farce très gaie et très bouffonne, et dont le peuple grossier avait besoin ; à peu près comme à l’opéra, après une musique noble et savante, on entend avec plaisir ces petits airs qui ont par eux-mêmes peu de mérite, mais que tout le monde retient aisément. […] Mais la folie du bourgeois est la seule qui soit comique, et qui puisse faire rire au théâtre : ce sont les extrêmes disproportions des manières et du langage d’un homme, avec les airs et les discours qu’il veut affecter, qui font un ridicule plaisant ; cette espèce de ridicule ne se trouve point dans des princes ou dans des hommes élevés à la cour, qui couvrent toutes leurs sottises du même air et du même langage ; mais ce ridicule se montre tout entier dans un bourgeois élevé grossièrement, et dont le naturel fait à tout moment un contraste avec l’art dont il veut se parer. […] Toutes les paroles qui se chantent sont de Quinault ; Lulli composa les airs.

60. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VII. De l’Exposition. » pp. 139-164

Chaque jour, à l’Eglise il venoit, d’un air doux, Tout vis-à-vis de moi, se mettre à deux genoux. […] Pour sa figure, je ne veux point vous en parler : vous verrez de quel air la nature l’a dessiné, & si l’ajustement qui l’accompagne y répond comme il faut. […] L’air précieux n’a pas seulement infecté Paris ; il s’est aussi répandu dans les provinces, & nos donzelles ridicules en ont humé une bonne part.

61. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IV. Brueys & Palaprat, imitateurs, comparés avec Térence, Blanchet, un Auteur Italien, & la nature. » pp. 100-132

Et un homme d’épée, là, un cavalier du bel air ? […] Regarde-moi bien ; remarque ces airs, ce penchement de tête, ce tour de corps. […]   Il y a, sans contredit, du mérite dans le Muet ; mais nous nous garderons bien de le citer comme un modele d’imitation ; les divers matériaux dont la piece est composée n’ont pas perdu l’air de leur pays natal en passant par les mains des Auteurs François.

62. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIX. Des Méprises, des Equivoques & de ce qu’on appelle quiproquo au Théâtre. » pp. 474-489

Secondement, elle doit être filée avec un air si naturel, que le public ne s’apperçoive point de l’art. […] Il la fait remarquer au Maréchal, & lui dit ensuite, avec un air de vérité, que notre héroïne étant un jour à table, en déshabillé, devant une jatte de crême qu’elle distribuoit à son mari & à ses enfants, une épingle, trop foible pour soutenir un énorme poids, avoit laissé tomber sa gorge, & qu’afin de ne point scandaliser ses gens, ses enfants & leur précepteur, elle avoit été obligée de la relever bien vîte pêle mêle avec ses larcins.

63. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE V. Des Pieces à scenes détachées. » pp. 45-60

Eraste veut, en attendant Orphise, composer quelques vers sur un air qu’elle aime ; il est interrompu par deux femmes qui se disputent sur la cause & les effets de la jalousie, & le prient de décider. […] J’ai dessein de lui faire Quelques vers, sur un air où je la vois se plaire.

64. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXVIII. De l’exposition des Caracteres. » pp. 433-447

Je ne contracte point, grace à leur badinage, D’un savant orgueilleux l’air farouche & sauvage. […] Le laquais donne la lettre à Pasquin, qui copie son maître, & reçoit le laquais d’un air impertinent : celui-ci sort en se moquant de lui.

65. (1802) Études sur Molière pp. -355

Habits d’été, d’hiver, de printemps, de cour, de ville, de campagne, de deuil, tous ont pris l’air : Montrez-nous des talents, et non pas des habits. […] Les deux vers espagnols et les suivants n’ont-ils pas un air de famille ? […]  » Et l’on s’en passe encore très souvent, ou l’on met les nuages sur roulettes, afin que la Nuit et Mercure ne soient pas effrayés en s’élevant dans les airs. […] Il avait en même temps la dignité, le sérieux et l’air d’ironie nécessaires pour représenter un grand personnage, pour en imposer à un sot, et pour rappeler sans cesse au public qu’il était témoin d’une mystification. […] Cette pièce n’aurait-elle pas plus l’air d’avoir été faite en province, que les Précieuses 79 ?

66. (1852) Légendes françaises : Molière pp. 6-180

Il disait que rien ne lui donne du déplaisir comme d’être accusé de regarder quelqu’un dans les portraits qu’il fait que tous les personnages qu’il représente sont des personnages en l’air et des fantômes proprement qu’il habille à sa fantaisie, etc. […] Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre Dont il n’est point de cœur qui se puisse défendre. […] Ajoutez à cela qu’elle faisait toute chose avec le goût le plus délicat, et disposait sa toilette comme personne au monde à l’air de son visage. […] Un air doux et posé [...] […] Molière, de son côté, était allé l’attendre à la porte Saint Victor ; mais le grand air, la fatigue et surtout quelques mois à cet âge avaient si fort changé le jeune homme, qu’il ne le reconnut pas et le laissa passer.

67. (1877) Molière et Bourdaloue pp. 2-269

Il gardait à l’église plus que partout ailleurs l’air de majesté qui lui était naturel, et il s’en faisait une maxime de conscience. […] La coutume et le bel air du monde les autorisent, tandis que le démon d’impureté ne sait que trop s’en prévaloir. […] Malgré tous ses airs dégagés, Molière sent que le terrain se dérobe sous lui. […] Ce mot n’a guère l’air d’être du cru de Donneau. […] Il existe entre eux un air de quartier, un air de famille.

68. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XI. Du Dialogue. » pp. 204-222

Attiré par l’aspect & le frais de ces lieux, Je viens y respirer un air délicieux. […] Vous vous trompez, Monsieur ; l’air qu’ici l’on respire, Est tout à fait mal-sain.

69. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE III. Dufresny imitateur comparé à Moliere, à Champmeslé, son Mariage fait & rompu comparé à l’histoire véritable du faux Martin-Guerre, & à la nature. » pp. 81-99

Le Lecteur doit se rappeller que Maître Jacques croit le faux Intendant très poltron, se donne en conséquence des airs de bravoure, recule à son tour lorsqu’on lui parle ferme, & finit par recevoir des coups de bâton le plus patiemment du monde. […] Le Président, mari de cette prude, qui se laisse mener par sa femme, en affectant toujours un air d’autorité & en ordonnant sans cesse, est aussi fort plaisant.

70. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE II. » pp. 20-52

Valere se croyant bien traité de l’objet de ses vœux, a un air triomphant qui alarme Eraste, amant aimé de Lucile. […] Il faut, pour en avoir l’entiere connoissance, Savoir que l’ame vient d’une immortelle essence, Et qu’en nous animant, il est tout évident Qu’elle est une substance, & non un accident ; Ayant des attributs du Maître du tonnerre, Elle n’est pas de feu, d’air, d’eau, ni moins de terre, Ni le tempérament des quatre qualités Qui renferme dans soi tant de diversités. […] Les minéraux produits d’air & de flamme Ont un tempérament, mais ce n’est pas une ame.

71. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVI. » pp. 294-322

Don Gilles reprend son air cagot & son ton pédant, dit à son Eleve qu’il n’étoit entré dans la chambre de sa maîtresse que pour le surprendre. […] Il lui cherche dispute sur un prétexte en l’air. […] Il faut être réellement favorisé de Thalie pour remanier avec grace des choses déja dites, leur donner un air de nouveauté, sur-tout pour découvrir des richesses théâtrales où les autres n’ont su voir que des fleurettes propres à parer l’ouvrage d’un jour.

72. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVII. » pp. 323-356

Mais qu’il naisse, & commence une incroyable histoire : Sa peine avec usure achetera sa gloire : Le noir séjour des morts, l’air, la terre, le ciel, Vomiront contre lui tout ce qu’ils ont de fiel : Mortel, il est l’objet d’une immortelle haine ; Aussi-tôt que ses jours, commencera sa peine. […]  Mais, de peur d’incongruité,  Dites-moi, de grace, à l’avance, De quel air il vous plaît que ceci soit traité. […] Je me suis, d’être deux, senti l’esprit blessé, Et long-temps d’imposteur j’ai traité ce moi-même ; Mais à me reconnoître enfin il m’a forcé ; J’ai vu que c’étoit moi, sans aucun stratagême : Des pieds jusqu’à la tête il est comme moi fait ; Beau, l’air noble, bien pris, les manieres charmantes,  Enfin deux gouttes de lait  Ne sont pas plus ressemblantes ; Et, n’étoit que ses mains sont un peu trop pesantes,  J’en serois fort satisfait.

73. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXV. Des Caracteres généraux. » pp. 263-267

Une pauvre servante au moins m’étoit restée, Qui de ce mauvais air n’étoit point infectée ; Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracas, A cause qu’elle manque à parler Vaugelas.

74. (1696) Molière (Les Hommes illustres) « JEAN-BAPTISTE POQUELIN. DE MOLIERE. » pp. 79-80

Il y a apparence que les jeunes gens en profitèrent, du moins s’aperçut-on que les airs outrés de Cavalier qu’ils se donnaient diminuèrent à vue d’œil.

75. (1885) La femme de Molière : Armande Béjart (Revue des deux mondes) pp. 873-908

Vers le milieu du XVIIIe siècle, une comédienne qui l’avait vue encore jeune, Mlle Poisson, disait d’elle, en ayant soin de rappeler que son portrait était dans le Bourgeois gentilhomme : « Elle avoit la taille médiocre, mais un air engageant, quoique avec de très petits yeux, une bouche fort grande et fort plate, mais faisant tout avec grâce. » Grandval le père s’accorde avec Mlle Poisson : « Sans être belle, elle étoit piquante et capable d’inspirer une grande passion. » Il n’est pas jusqu’à l’auteur de la Fameuse Comédienne, auquel le même aveu n’échappe, enveloppé de toutes sortes de restrictions. […] Les frères Parfaict rapportent l’avis d’un meilleur juge en ce genre : « Personne n’a mieux su se mettre à l’air de son visage par l’arrangement de sa coiffure, et plus noblement par l’ajustement de son habit. » Non-seulement elle ne suivait pas servilement la mode, mais elle la corrigeait quelquefois avec une telle sûreté de goût qu’elle la faisait et l’imposait. […] La douceur de sa voix a voulu se faire paraître dans un air tout charmant qu’elle a daigné chanter, et les sons merveilleux qu’elle formoit passoient jusqu’au fond de mon âme et tenoient tous mes sens dans un ravissement à ne pouvoir en revenir. […] Armande avait aussi de la coquette l’humeur impérieuse et vaine ; elle « vouloit, dit la Fameuse Comédienne, être applaudie en tout, n’être contredite en rien, et surtout elle prétendoit qu’un amant fût soumis comme un esclave. » On se rappelle de quel air et de quel ton, au second acte du Misanthrope notamment, Célimène réprime les révoltes d’Alceste. […] Mais ma femme, toujours égale et libre dans la sienne, qui seroit exempte de tout soupçon pour tout autre homme moins inquiet que je ne le suis, me laisse impitoyablement dans mes peines ; et, occupée seulement du désir de plaire en général comme toutes les femmes, sans avoir de dessein particulier, elle rit de ma faiblesse. » Il y a bien là un air d’arrangement, une insistance maladroite sur la parfaite innocence d’Armande, qui compromettent la cause même que Grimarest veut servir.

76. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « PRÉFACE. Du Genre & du Plan de cet Ouvrage. » pp. 1-24

Je jugeai à propos de différer pour deux raisons ; premiérement, pour n’avoir pas l’air de vouloir lutter avec le Discours couronné. […] Ils sont entrés, avec ce dernier sur-tout, dans tous les mysteres de Thalie ; ils ont analysé son Tartufe, son Misanthrope, son Avare, ses Femmes Savantes, & tous ses divers chefs-d’œuvre, pour y puiser l’art si difficile de saisir la nature, & de la peindre par un mot, par un geste, par un silence, pour y apprendre le secret de faire tout concourir au même but, sans que rien ait trop l’air d’y prétendre, & sans nuire à l’illusion.

77. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVI. De l’Entr’acte. » pp. 289-308

Un instant après le Baron sort de chez sa fille d’un air pénétré, tenant d’une main un bougeoir allumé, & de l’autre cherchant une clef dans ses goussets : il s’en va par la porte du vestibule qui conduit chez lui, & en revient promptement, avec un flacon de sel ; ce qui annonce qu’Eugénie est dans une crise affreuse. […] Dans les intermedes de nos peres, les airs les plus flatteurs, les danses les plus voluptueusement caractérisées amusoient agréablement.

78. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XI. M. SAURIN. » pp. 333-353

D’un autre côté Géronte qui n’aime pas le Marquis, quoique celui-ci le flatte sur son opulence, qui déteste ses airs de Cour, qui craint de le voir bientôt mépriser sa fille, & qui ne consent au mariage que par foiblesse pour sa sœur, entend le Marquis disant à Cidalise : Quant au beau-pere, c’est un intendant que je prends, & un intendant d’espece nouvelle... […] Moncade lorgne cette derniere, ou plutôt ses biens considérables, étale ses airs de grandeur auprès de la mere & de la fille, leur tourne la tête.

79. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIV. La commedia dell’arte au temps de Molière (à partir de 1662) » pp. 265-292

Valerio entre d’un air respectueux ; Arlequin le traite de voleur en reconnaissant son habit. […] Scaramouche reprend son air contrit et son ton pédant, et dit à son élève qu’il n’était entré dans la chambre que pour le surprendre.

80. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVII. Pieces intriguées par une chose inanimée. » pp. 199-203

Pantalon survient ; il demande à sa fille aînée, d’un air courroucé, le portrait qu’Argentine lui a remis : elle lui dit qu’elle l’a cédé à sa sœur : celle-ci le remet à son pere, qui, s’attendant à voir la figure de Celio, selon le rapport de Scapin, est bien surpris devoir celle de son valet.

81. (1824) Notices des œuvres de Molière (VIII) : Le Bourgeois gentilhomme ; Psyché ; Les Fourberies de Scapin pp. 186-466

Le rusé Florentin prit un air contristé, et dit : Sire, vous me comblez de bontés ; mais j’avais dessein d’être secrétaire du roi, et vos secrétaires ne voudront plus me recevoir. — Ils ne voudront plus vous recevoir ! […] Molière a justement saisi le degré de la société où il devait placer son personnage ; et Voltaire a rendu parfaitement sensible l’excellence de son choix : « La folie du Bourgeois, dit-il, est la seule qui soit comique, et qui puisse faire rire au théâtre : ce sont les extrêmes disproportions des manières et du langage d’un homme, avec les airs et les discours qu’il veut affecter, qui font un ridicule plaisant. Cette espèce de ridicule ne se trouve point dans les princes ou dans les hommes élevés à la cour, qui couvrent toutes leurs sottises du même air et du même langage ; mais ce ridicule se montre tout entier dans un bourgeois élevé grossièrement, et dont le naturel fait à tout moment un contraste avec l’art dont il veut se parer. » Pour sentir quels durent être à la fois l’effet comique et l’effet moral de la pièce, il faut se reporter au règne de Louis XIV, et considérer quel était, à cette époque, l’état de l’opinion, relativement à la noblesse.

82. (1840) Le foyer du Théâtre-Français : Molière, Dancourt, I pp. 3-112

Il y a le même orgueil chez don Juan, la même audace, et cela fait presque excuser ses roueries et ses impiétés; il y joint un air de folie suprême. […] Ce sont les prétentions du bel air après les prétentions du bel esprit. […] Il avait besoin d’exercer sa verve sur ces airs de cour qu’il lui fallait supporter : la fatuité des hommes, nous l’avons déjà fait remarquer, et la coquetterie des femmes lui étaient à charge, et il secouait le fardeau dès qu’il le pouvait. […] La contagion des mœurs répandit dans l’air des émanations si malfaisantes, qu’il fallut la foudre et l’orage delà fin du 18e siècle pour épurer le ciel. […] Sottise de jeune homme ; air ridicule de bonne fortune ; pure impertinence ; envie de donner matière à parler.

83. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVII. M. DORAT. » pp. 463-467

Promenez-vous sur les boulevards, vous y verrez dans une parade Arlequin Enfant prodigue mangeant du son avec les pourceaux qu’il garde : passez sur le Pont-neuf, vous entendrez nos chantres en plein vent faire l’admiration de la populace en détonnant avec emphase le cantique de l’Enfant prodigue : lisez l’Enfant prodigue du Pere du Cerceau, vous bâillerez : allez à la Comédie Françoise, vous vous attendrirez avec les gens de goût à la représentation de l’Enfant prodigue de M. de Voltaire, & vous verrez que malgré les beautés de ce dernier ouvrage, & l’ennui ou la bêtise qui caractérise les autres, il leur reste toujours un air de ressemblance.

84. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IX. Du Genre larmoyant. » pp. 103-122

se peut-il, Monsieur, qu’avec l’air d’homme sage, Et cette large barbe au milieu du visage, Vous soyez assez.... […] Le bon-homme Hégion se laisse quelque temps persuader par Tindare ; mais Aristophonte, aidé de cet air d’assurance que donne la vérité, triomphe enfin.

85. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE PREMIER. Part de la Morale dans la Comédie de Molière. » pp. 1-20

  Molière déclare lui-même sur le théâtre quel est le but de sa comédie : « Son dessein est de peindre les mœurs, et tous les personnages qu’il représente sont des personnages en l’air, et des fantômes proprement, qu’il habille à sa fantaisie pour réjouir les spectateurs24. » Donc, il peint les mœurs et habille des fantômes à sa fantaisie pour réjouir le spectateur : voilà ce divertissement qu’il appelle le plus innocent du monde. […] Nous ne pouvons voir de tels tableaux sans qu’il en résulte quelque réflexion sur nous-mêmes, et une sorte de comparaison tacite faite par notre conscience entre notre propre personne et ces personnages en l’air produits devant nos yeux.

86. (1819) Notices des œuvres de Molière (III) : L’École des femmes ; La Critique de l’École des femmes ; L’Impromptu de Versailles ; Le Mariage forcé pp. 164-421

Lysidas, ces auteurs jaloux et pédants qui cachent leur malin vouloir sous un faux air d’impartialité, et qui dénigrent, pour la plus grande gloire des règles, l’écrivain coupable d’amuser le public qu’ils sont en possession d’ennuyer. […] La Critique de l’École des femmes pourrait être comparée à ces feuilles sur lesquelles un grand peintre jette avec rapidité, au moment de l’inspiration, des poses, des attitudes, des airs de tête, qu’il doit transporter au besoin dans ses compositions. […] Cette anecdote n’est pas bien sûre ; ce qui l’est plus, c’est que la conquête de mademoiselle de Brie avait son prix ; elle était grande, bien faite, extrêmement jolie ; elle conserva longtemps un air de jeunesse, et c’était de plus une excellente actrice. […] Il vient, le nez au vent, Les pieds en parenthèse, et l’épaule en avant ; Sa perruque, qui suit le côté qu’il avance, Plus pleine de laurier qu’un jambon de Mayence ; Les mains sur les côtés, d’un air peu négligé ; La tête sur le dos, comme un mulet chargé ; Les yeux fort égarés ; puis, débitant ses rôles, D’un hoquet éternel sépare ses paroles ; Et, lorsque l’on lui dit : Et commandez ici.

87. (1809) Cours de littérature dramatique, douzième leçon pp. 75-126

Plusieurs des sujets de Molière ont tout l’air d’être empruntés d’ailleurs, et je suis convaincu qu’il serait possible d’en découvrir la source, si l’on parcourait les antiquités littéraires de la farce1 ; d’autres sont si faciles à inventer, on en a tant usé et abusé, que tous les poètes comiques peuvent les considérer comme un bien en communauté. […] La différence essentielle qui l’en distingue, c’est que le poète s’y passe du compositeur de musique, et qu’il se contente de choisir des airs connus et déjà devenus populaires. […] Il peut souvent y avoir un trait d’esprit jusque dans le choix d’un air, ou dans une allusion à ses anciennes paroles. […] Ce sophiste spirituel fait des incursions dans le domaine de la critique avec une précipitation si désordonnée, que la moitié de ses coups portent en l’air. il confond tellement ce qui est vrai et ce qui est erroné, ce qui est connu et ce qui est nouveau, ce qui est essentiel et ce qui est insignifiant, qu’en résultat, le plus grand éloge qu’un puisse lui donner, c’est de dire qu’il vaut pourtant la peine de débrouiller tout ce chaos.

88. (1886) Molière, l’homme et le comédien (Revue des deux mondes) pp. 796-834

A Paris, il conserve la même habitude ; on le rencontre souvent dans les boutiques où fréquentent les gens du bel air, et il ne les quitte pas de l’œil, tandis qu’ils font leurs emplettes. […] Dans les « visites » de sa troupe chez les grands seigneurs, il observe les manières, les airs, les laçons de dire de la noble assemblée ; avant et après la représentation, tandis qu’il reçoit ordres ou complimens avec la docilité et la modestie obligées, il observe encore. […] Un renseignement donné par de Visé montre qu’il aimait à recevoir et qu’il recevait bien : s’il acceptait volontiers à dîner chez les gens du bel air pour les observer à loisir, « il rendait tous les repas qu’il recevait. » Traiter des grands seigneurs lui eût été impossible sans un train de maison luxueux ; il avait donc mis la sienne sur un grand pied, grâce aux profits de son théâtre. […] Tous les traits essentiels qui y sont tournés en ridicule, le nez en l’air, les yeux égarés, l’épaule en avant, « la tête sur le dos, la perruque plus pleine de lauriers qu’un jambon de Mayence, » tout cela se reconnaît dans le portrait de la Comédie-Française, d’autant plus aisément que le peintre et le satirique ont tous deux représenté leur modèle dans César, de la Mort de Pompée. […] Somaize l’accuse d’avoir « tiré des limbes son Dépit amoureux à force de coups de chapeau et amené la coutume de faire courre le billet ; » Montfleury le montre reçu chez les grands « au bout des tables » et payant son écot par ses imitations de comédiens ; de Visé raconte qu’il n’ouvrit son théâtre « qu’après avoir brigué quantité d’approbateurs. » Ce dernier accorde du moins que, ce faisant, « il avoit de l’esprit et savoit ce qu’il falloit faire pour réussir. » En effet, il atteignit de la sorte le but auquel doit viser tout directeur : faire de son théâtre un endroit à la mode, où il est nécessaire d’aller si l’on est du bel air.

89. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIV » pp. 394-401

Enfin, la joie était revenue, et tous les airs de jalousie avaient disparu.

90. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IX. Du point où doit commencer l’action d’une fable comique. » pp. 172-177

Il a fait à ce sujet l’épigramme suivante : sur l’air de Joconde.

91. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIX. Des Pieces intriguées par un déguisement. » pp. 216-222

Celio entre d’un air respectueux ; Arlequin le traite de voleur en reconnoissant son habit.

92. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre VII. Le théâtre français contemporain des Gelosi » pp. 119-127

Ces œuvres d’auteurs étaient des imitations confuses ; l’invention n’y atteignait qu’à la bizarrerie, et l’originalité en était plus absente que de la Farce grossière, dont « trois ou quatre diables volant en l’air, vous infectant d’un bruit de foudre », comme disait Bruscambille, faisaient le dénouement.

93.

Elle a plutôt l’air d’avoir guetté à l’antichambre le départ de Mme Pernelle, puisqu’elle a pu la devancer et prévenir Cléante de sa sortie. […] Selon une expression qui, pour être moderne, n’en est pas moins juste pour cela, le Tartuffe était dans l’air. […] Armand continue à porter sa tête d’un air satisfait et à siffler tout doux par ci par là en retirant le coin de sa bouche. […] Il tourne derrière Orgon, humble et la tête inclinée sur l’épaule, suppliant, mais déjà menaçant, et, à l’air dont il se ramasse, on comprend qu’il va s’élancer. […] Si tes nouvelles sont bonnes, tu fais tort à leur douce musique en me la jouant avec cet air aigre.

94. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXV. De l’Illusion Théâtrale. » pp. 426-433

D’ailleurs, n’est-ce pas enlever à la fable l’air de vraisemblance qui seul m’intéressoit ?

95. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE PREMIER. Des différents Genres en général. » pp. 1-8

Les uns vont dans le fond d’une terre se consoler avec une bergere à laquelle ils parlent chien, mouton & houlette ; les autres déchirent leur prochain avec la prude Arsinoé : ceux-ci pleurent aux pieds de l’insipide & langoureuse Fanni ; ceux-là se jettent dans les bras de ces femmes faciles, chez qui les grands airs, le jargon, le persifflage tiennent lieu de mérite ; & tous, pour encenser leur idole, jurent à ses pieds que Dorisée est une petite créature très maussade, très ennuyeuse, très peu faite pour figurer dans le monde.

96. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE III. Des Pieces à spectacle. » pp. 30-36

Au moment où elle porte sur ses levres le fatal breuvage, Arlequin paroît, donne un coup de baguette : une colombe descend des airs, emporte le verre & la soucoupe.

97. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IV. Des Comédies-Ballets. » pp. 37-44

Nous en voyons qui, très jolies sans le secours de l’art, prennent cependant un air plus frippon en couronnant leur tête de quelques fleurs.

98. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIV. Des Pieces intriguées par plusieurs Personnages. » pp. 169-175

Ma mere A pris aussi, dit-on, grand plaisir à me faire, Et je m’en suis senti, car certain air gaillard, Que j’ai d’elle hérité, me rend tout égrillard ; Je vous divertirai. . . . . .

99. (1739) Vie de Moliere (Réflexions sur les ouvrages de litérature) [graphies originales] « Chapitre » pp. 252-262

* « Nicolas Mauvilain, Chirurgien de Paris, laissa un fils Docteur de la Faculté de Médecine de Paris, qui avoit un air bouru, & un génie bisarre & inquiet.

100. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XII » pp. 100-108

Quelle imagination n’a été frappée du récit de ces fêtes somptueuses et magiques où le jeune roi n’était pas simple spectateur et qu’il embellissait par son grand air, sa bonne grâce, et sa galanterie !

101. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XII. Des Scenes. » pp. 223-249

Dans le monde, à vrai dire, il se barbouille fort : Par-tout il porte un air qui saute aux yeux d’abord ; Et lorsqu’on le revoit après un peu d’absence, On le retrouve encor plus plein d’extravagance. […] Je le trouve honnête homme, & d’un air assez sage.

102. (1919) Molière (Histoire de la littérature française classique (1515-1830), t. II, chap. IV) pp. 382-454

Bien loin de s’indigner, il n’est personne qui songe à s’étonner seulement si l’on critique dans Corneille « l’air d’héroïsme à tout propos », et la « fausse gloire », et « l’emphase du style ». […] Et de quel air pense-t-on qu’il supportât lui-même d’être ainsi loué ? […] Et n’est-il pas vrai que Petit Jean, « ce traiteur qui fait si bonne chère », et le cimetière des Arènes, « ce lieu où l’on se promène », et l’église Saint-Etienne, ont tout l’air d’être pour lui de vieilles connaissances et des appellations familières ? […] Il est cependant vrai qu’il a ses tendances, ses procédés, son but, son idéal, qui se retrouvent dans toutes ses pièces et leur donnent un air de famille. […] Mais, au lieu de la décomposer, si l’on se propose d’en reproduire les accidents eux-mêmes, et aussi de conserver il la parole qui la rend je ne sais quel air d’improvisation, c’est le style parlé.

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