. — Sociétés d’élite qui prennent la place de l’hôtel de Rambouillet. […] En 1650, la société de tous les rangs, de toutes les opinions, s’était formée en cercles et en coteries. […] Là, les Arnauld, les Nicole, les de Sacy s’assemblaient chez elle et formèrent toute sa société. […] Le savant Huet, évêque d’Avranches, fut aussi de sa société habituelle ; mais l’ami le plus ancien et le plus intime fut le duc de La Rochefoucauld. […] Nous avons vu madame Cornuel dans la société du maréchal d’Albret, qui en fut amoureux.
. — Première société qui s’y rassemble. […] C’est au milieu de cette cour de Henri IV dont nous venons de parler, que se forma la société de l’hôtel de Rambouillet. […] Tout cela est nécessaire chez un peuple où les mœurs ont admis les femmes dans la société en parfaite parité avec les hommes. […] Malherbe et Racan furent de la société la plus intime de la marquise, Racan devint passionnément amoureux d’elle. […] Peu de gens ignorent le mérite des écrivains qui formèrent la société de Rambouillet dans la première période de son existence.
La société n’était point encore une arène où l’on se mesurât des yeux avec une défiance déguisée en politesse. […] C’est un or qui a besoin d’alliage pour prendre de la consistance, et servir aux divers usages de la société. […] L’homme le plus extraordinaire de son temps, comme Boileau le dit depuis à LOUIS XIV, celui chez qui tous les ordres de la société allaient prendre des leçons de vertu et de bienséance, se voyait retranché de la société. […] Qui ne croirait, à nous entendre, que tous les vices ont disparu de la société ? […] Répandre l’esprit de société fut le but qu’il se proposa.
Le vice du sujet, et la manière dont Molière l’a traité, annoncent assez que l’opinion de la haute société pesait tout à la fois sur la cour et sur le poète, et n’embarrassait pas moins celui-ci qu’elle n’importunait l’autre. Il est évident par le travail de cette comédie qu’elle n’a été ni inspirée par le spectacle de la société, ni avouée par l’art. […] Il est fort probable que les directions primitives de l’esprit du poète ont été tournées contre la haute société et contre les hommes de lettres qui s’y étaient attachés ; que les atteindre a été son but secret. […] Il résulte de ce qui précède que la comédie de Molière, ou n’était pas une hostilité contre la société d’élite, ou était regardée par lui-même comme une hostilité impuissante dont il ne voulait pas cire accusé. Elle n’empêchait pas le crédit de madame Scarron à la cour même, et l’inclination du roi vers les mœurs douces, honnêtes, et polies de la société dont elle était un ornement.
. — Le triomphe de madame de Maintenon est celui de la société polie. […] J’ai voulu seulement montrer, dans le plus grand événement de sa vie, le triomphe d’une des plus illustres personnes de la société polie, et de cette société elle-même dont elle fut l’ornement et la gloire. […] Ce triomphe de madame de Maintenon fut celui de sa société tout entière. […] La société polie allait se propager dans celle de la marquise de Lambert. La société de la cour allait former la société dévote que La Bruyère a si bien peinte.
. — Influence de la société polie sur les mœurs générales et sur le langage. — Mots qu’elle élimine de la langue. Nous venons de passer en revue une nombreuse société qui n’est pas moins en opposition avec celle de la cour qu’avec les précieuses ridicules de la ville. […] Et tandis que les mauvaises mœurs et le langage grossier constataient leur impuissance contre la société polie, celle-ci prenait sur elles un invincible ascendant ; elle le prenait sans discussion, sans dispute, uniquement par la force de son exemple, par la séduction propre à son langage spirituel, élégant et gracieux ; peut-être aussi par un effet naturel du progrès des lumières, et de l’affinage des esprits dans l’exercice continu de la conversation, dont la société de Rambouillet avait eu le mérite de fournir le premier modèle. […] Mon opinion sur le pouvoir des sociétés choisies n’est pas fondée uniquement sur cette observation générale : elle l’est sur des faits positifs. […] Quand l’honnêteté de mœurs se constitua aussi un tribunal et une juridiction, ce qui s’appelait impudicité à l’église, s’appela obscénité dans la société polie.
Voyons l’effet que ce changement de la société produisit sur les trois poêles qui survécurent à Molière : Boileau, Racine et La Fontaine. […] L’adversité, qui, dans le même temps, menaçait les intérêts politiques du roi, concourut puissamment à arrêter l’essor du poète, devant le changement des mœurs de la haute société. […] Entre les sociétés que j’ai citées comme formées de la composition de l’ancienne maison Rambouillet, je n’ai eu garde de citer ni l’hôtel de Nevers, ni l’hôtel de Bouillon, ni l’hôtel de Soissons, qui formèrent une coterie à part, incompatible avec les précieuses, encore plus avec la bonne compagnie, une coterie trop diffamée pour la cour même, et qui appartenait à la classe des sociétés dissolues de la capitale. […] Si j’en parle ici, c’est parce que je dois relever la méprise des écrivains qui ont confondu des sociétés si différentes, à l’occasion de la Phèdre de Racine, jouée pour la première fois le 1er janvier 1677. […] La société du duc de Nevers, à laquelle elle s’était attachée, était plus près de la licence que de la préciosité.
Chapitre VIII Mœurs, ton et langage de la société de Rambouillet. — Ton et langage de la bonne compagnie des gens peints par Corneille, dans sa comédie de Mélite. — Ton et langage de la société dissolue a la même époque. — Distinction entre différents genres de naïveté. […] Quant au langage, je ne pourrais dire que la société de Rambouillet tout entière se piquât de la même simplicité que la Marquise et sa famille ; mais s’il était un peu plus orné, il n’était pas pour cela affecté et précieux, Nous avons un monument authentique du langage habituel de la haute société dans la comédie de Mélite, qui est le premier ouvrage de Corneille. […] Toutes ces naïvetés-là ont changé de nuance jusqu’à Voltaire, qui fut libre, leste et gai, mais avec une retenue dont la société de madame Duchatelet lui avait fait sentir la convenance. […] La bienséance du langage est une loi de la morale dans toute société où les femmes sont en parité avec les hommes, parce que c’est un devoir envers elles. Dans la société des femmes, la bienséance du langage est imposée par la double sympathie qui unit l’homme délicat à la pudeur du sexe, et la délicatesse de chaque homme avec celle de tous les autres.