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5. (1856) Molière à la Comédie-Française (Revue des deux mondes) pp. 899-914

Lors même qu’on arriverait à me prouver que les comédiens d’aujourd’hui ont reçu les révélations de leurs devanciers immédiats, et qu’on remonterait ainsi, preuves en main, par une suite non interrompue de confidences, jusqu’aux dernières années du règne de Louis XIV, il resterait à établir que le secret, en passant de bouche en bouche, est demeuré ce qu’il était au premier jour, que les acteurs qui ont joué pour la première fois les ouvrages de Corneille, de Racine et de Molière, qui ont reçu leurs conseils et profité de leurs leçons, ont pu les transmettre sans les altérer. […] C’est par cette fine sentence qu’on ferme la bouche aux censeurs, et la pensée de Molière se trouve ainsi rangée sur la même ligne que les gaudrioles du boulevard. […] Le personnage à qui l’auteur a confié la défense du bon sens, Chrysale, au lieu de prendre au sérieux les paroles placées dans sa bouche, semble effrayé de sa hardiesse, et pour atténuer, pour conjurer le danger de son rôle, il exagère par l’accent le prosaïsme bourgeois de ses sentiments. […] Ils croient de bonne foi que les vers ou la prose, avant de passer par leur bouche, n’ont guère plus de valeur qu’une ébauche.

6. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE V. L’Éducation des Femmes. » pp. 83-102

Et cette autre Climène, qui se trouve mal pour avoir vu l’École des Femmes, et qui pousse la pudeur jusqu’à l’obscénité 289 : « cette personne qui est précieuse depuis les pieds- jusqu’à la tête, et la plus grande façonnière du monde ; il semble que tout son corps soit démonté, et que les mouvements de ses hanches, de ses épaules et de sa tête n’aillent que par ressorts ; elle affecte toujours un ton de voix languissant et niais, fait la moue pour montrer une petite bouche, et roule les yeux pour les faire paroître grands : » en somme, «  la plus sotte bête qui se soit jamais.mêlée de raisonner290 !  […] Dès le début de sa pièce, il mit sur la scène, dans la bouche de la fraîche Henriette, cette franche expression du but pour lequel la femme est faite, en opposition aux théories sentimentales de l’éthérée Armande, qui se pâme au seul mot de mariage : Les suites de ce mot, quand je les envisage, Me font voir un mari, des enfants, un ménage ; Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner, Qui blesse la pensée et fasse frissonner, etc. […] Et comme si cette déclaration des droits de la femme n’avait pas assez de poids dans la bouche d’une suivante, Molière fait répéter le même plaidoyer par un homme sérieux, qui porte dans son discours l’élévation de son âme et l’autorité de son âge : Elle a quelque raison en ce qu’elle veut dire. […] C’est le même bon sens qui cric par la bouche de Lisette à Sganarelle qui ne veut pas entendre parler de marier sa fille : « Un mari !

7. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE II. La Débauche, l’Avarice et l’Imposture ; le Suicide et le Duel. » pp. 21-41

Essayons de démêler son jugement au milieu de toutes les paroles qu’il met dans la bouche de ses personnages, et de découvrir si c’est toujours suivant les règles de la morale qu’il nous touche ou qu’il nous fait rire. […] Surtout, quelle hardiesse et quelle vérité dans la leçon, venant de tout en bas au grand seigneur si haut placé, par la bouche du mendiant contre qui sa corruption échoue ! […] Sa puissance arrive à faire trembler les plus nobles, et arrête l’indignation dans leur bouche effrayée89. […] Enfin il a déclaré avec raison, par la bouche d’Eraste, qu’un homme qui a fait ses preuves n’a pas besoin de cela pour montrer qu’il n’est point un lâche122.

8. (1843) Épître à Molière, qui a obtenu, au jugement de l’Académie française, une médaille d’or, dans le concours de la poésie de 1843 pp. 4-15

Des mains d’un riche avare enlève sa cassette, Ou, vengeant les saints droits de la société, Écrase Don Juan sous son impiété, Et démasque cet homme au regard faux et louche, Qui, l’enfer dans le cœur et le ciel dans la bouche, Cachant ses noirs projets sous un manteau chrétien, Trompait tous les regards, tous, excepté le tien. […] le bronze a paru tressaillir ; J’ai vu de tes regards le feu sacré jaillir ; Ta bouche s’est ouverte, et la sagesse même Proclame par ta voix son oracle suprême : « Ô poètes !

9. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE PREMIER. Des différents Genres en général. » pp. 1-8

une Prude qui, contente d’avoir le mot de décence & de vertu continuellement à la bouche, manque à l’une & à l’autre en prononçant leur nom ? […] Il profite fort peu de la leçon que Romagnesi & Riccoboni lui ont donnée jadis par la bouche du Sang-froid.

10. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIX » pp. 207-214

C’était encore un courtisan quand il mettait dans la bouche du comte de Fiesque, parlant au roi, ce vers d’adulation inouïe : Jupiter prend de vous des leçons de grandeur. […] La Fontaine était un citoyen quand, après les ravages du Palatinat, il mettait dans la bouche du paysan du Danube ces vers énergiques : Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque jour.

11. (1697) Poquelin (Dictionnaire historique, 1re éd.) [graphies originales] pp. 870-873

Aussi-tôt qu’il se sentit en cet état, il tourna toutes ses pensées du côté du ciel : un moment après il perdit la parole, & fut suffoqué en demie heure par l’abondance du sang qu’il perdit par la bouche. » Pour ne rien dissimuler, j’avertis ici mon Lecteur, que si l’on en croit d’autres Ecrivains, Moliere n’eut pas la force d’assister à la representation jusques à la fin ; il falut l’emporter chez lui avant que toute la piece eût été jouée. […] On lui conseilla pour lors de ne point achever, & de s’aller mettre au lit : il ne laissa pas pour cela de vouloir finir ; & comme la piece étoit fort avancée, il crut pouvoir aller jusqu’au bout sans se faire beaucoup de tort ; mais le zêle qu’il avoit pour le public, eut une suite bien cruelle pour lui ; car dans le temps qu’il disoit de la ruë-barbe, & du scené dans la ceremonie des Medecins, il lui tomba du sang de la bouche ; ce qui ayant extremement effrayé les spectateurs & ses camarades, on l’emporta chez lui fort promptement, où sa femme le suivit dans sa chambre. Elle contrefit du mieux qu’elle put la personne affligée, mais tout ce qu’on employa ne servit de rien : il mourut en fort peu d’heures, après avoit perdu tout son sang, qu’il jettoit avec abondance par la bouche.

12. (1852) Molière, élève de Gassendi (Revue du Lyonnais) pp. 370-382

Si le bon sens parle souvent par la bouche de Clitandre. d’Henriette et même de Chrysale, on doit avouer que quelquefois il incline un peu trop du côté de l’empirisme. […] Sans doute il faut savoir gré à Molière de faire parler Alceste avec tant de chaleur et d’éloquence contre la brigue et l’imposture, et de mettre dans sa bouche de si nobles sentiments si noblement exprimés : Je veux qu’on soit sincère et qu’en homme de cœur On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur… Ce me sont de mortelles blessures De voir qu’avec le vice on garde des mesures. […] Je ne sais jusqu’à quel point, à l’appui du cartésianisme de Molière en physique, on peut prendre au sérieux les éloges de la physique de Descartes qu’il a placés dans la bouche des Femmes savantes.

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