Il est vrai que les beautés de cette scene fixent l’attention du spectateur sur les amants ; mais ces mêmes beautés sont amenées par la crainte où est Valere de voir passer celle qu’il aime dans les bras de Tartufe.
Il a ses adorateurs, ses fétichistes, ses jaloux, ses contempteurs ; mais, qu’on l’aime, qu’on le haïsse, on s’incline devant son génie et la voix publique le place sur cette cime accessible à un petit nombre où l’admiration des hommes a juché un Homère, un Dante, un Shakespeare, un Goethe.
Le despotisme d’un seul est encore préférable : hors ses propres faiblesses, il est possible qu’il livre toutes les autres aux libertés de la scène, et qu’ayant autour de lui les modèles, il aime à s’amuser de la ressemblance. […] Louis, brillant de jeunesse, commençait à déployer cette royale magnificence au sein de laquelle il aimait à se montrer ; tous les arts et tous les plaisirs accouraient à sa voix, et Versailles éblouissait la France de la magie de ses fêtes et de l’éclat de ses merveilles. […] Les observateurs qui aiment à comparer les époques ne liront pas sans profit, et peut-être les nouveaux tartufes ne me sauront pas eux-mêmes mauvais gré de leur avoir fait connaître ce petit chef-d’œuvre.
J’aurois à batailler en demandant si cette façon de présenter les vices changeroit leur nature, ou les rendroit plus comiques & plus moraux : mais j’aime mieux aller au fait dont il est question dans cet article, & prouver que l’Auteur qui suivroit cette route se trouveroit encore devancé par Poisson.
La première scène du premier acte, où Armande et Henriette exposent leurs différents caractères ; la deuxième, où Clitandre avoue à Armande qu’il ne l’aime plus ; la quatrième, où Bélise veut toujours voir une déclaration d’amour dans tout ce que lui dit Clitandre ; au deuxième acte, les scènes cinquième et sixième, où Martine est chassée, parce qu’elle a manqué à la grammaire ; la septième, où Chrisale se plaint aux femmes savantes et leur parle raison ; au troisième acte, les scènes 1, 2, 3, 4, 5, où Trissotin lit ses vers, où il se prend de querelle avec Vadius ; au cinquième acte, la scène première, où Henriette témoigne à Trissotin sa répugnance, et où celui-ci persiste ; la scène troisième, où le notaire ne sait auquel entendre, le père disant que le gendre est Clitandre, la mère disant que c’est Trissotin, Martine philosophant mieux que personne : voilà les scènes de cet ouvrage admirable qui doivent servir de modèles.
Peut-on aimer comme Je Dorante du Bourgeois gentilhomme, et voler en même temps l’or, les bagues même que l’on offre à sa maîtresse ; la laisser entretenir par un vieux fou qu’on flatte, et faire argent de l’honneur de celle qu’on veut s’attacher par un lien sacré 267 ?
Moliere s’étoit marié à la Demoiselle Béjart, fille d’un Comédien & d’une Comédienne de ce nom : il l’aima avec beaucoup de tendresse ; mais comme c’étoit une coquette des plus aimables, qui avoit le talent de plaire à presque toutes les personnes qui la voyoient, & dont l’humeur ne sympatisoit nullement avec celle de Moliere, il eut quelques chagrins domestiques à essuyer.
On charge un Comédien de l’examiner : c’est dans ses mains que votre sort est remis ; il peut à son gré vous fermer ou vous ouvrir les premieres avenues du temple de mémoire : reste à savoir s’il est assez éclairé pour juger de l’effet que la piece peut produire au théâtre ; si elle est dans le genre qu’il aime ou qu’il protege ; s’il est lui-même votre ami ou votre ennemi ; s’il ne voudra pas favoriser un autre Auteur.