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4. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

On ne peut pas dire, pour expliquer cette conformité de sentiments, que madame de Staël fut de deux cents ans en arrière de son siècle, ni madame de Rambouillet de deux cents ans en avant du sien ; elles étaient toutes deux de leur temps, de leur sexe, et toutes deux plus sensibles aux plaisirs de l’âme et de l’esprit qu’à tout autre. […] Le premier discours est en partie le résumé, et en partie le développement d’une conversation sur la grandeur du caractère romain ; Balzac y peint, d’après Polybe et Tite-Live, l’âme d’un citoyen de la république ; après l’avoir montré impénétrable à la vanité, à la peur, à l’avarice, ensuite sensible à la faveur de l’étranger, ou d’un usurpateur, il le fait voir à la dernière épreuve de sa vertu ; c’est l’injustice de la république à son égard. « La république, madame, ne le peut perdre, quelque négligente qu’elle soit à le conserver ; il souffre non seulement avec patience, mais encore avec dignité, ses mépris et ses injustices. […] « À qui furent-ils plus nécessaires et plus utiles qu’à Auguste, pour éloigner de son imagination les débauches de sa fille, la défaite de ses légions, la révolte des provinces, et pour apaiser et mettre en repos cette partie impatiente de son âme qui se tourmentait et veillait sans cesse ? […] Cet écrit est d’une âme généreuse et soulevée contre la cupidité, qui était la maladie régnante sous le règne du cardinal Mazarin. […] « Vous avez dans l’âme, madame, tous les principes de la haute et ancienne générosité.

5. (1852) Molière, élève de Gassendi (Revue du Lyonnais) pp. 370-382

Le doute méthodique, l’autorité du témoignage des sens niée, la distinction profonde de l’âme et du corps, la connaissance de l’âme plus claire que celle du corps, sont tour à tour l’objet de l’ironie de Molière, comme de l’ironie de Gassendi. […] Presque tous les adversaires de Descartes, de même que Molière et Gassendi, lui reprochent soit sous une forme sérieuse, soit sous une forme ironique d’avoir fait l’âme indépendante du corps et de prétendre qu’elle ne doive pas s’apercevoir qu’elle ait un corps. Des âmes cartésiennes qui sortent de leur corps, pour errer dans l’espace, et qui y rentrent quand il leur plaît, voilà la donnée commune des romans anti-cartésiens du P. […] Pour moi, par un malheur, je m’aperçois, Madame, Que j’ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une âme; Je sens qu’il y tient trop pour le laisser à part : De ces détachements je ne connais point l’art, Le ciel m’a dénié cette philosophie, Et mon âme et mon corps marchent de compagnie. […] J’accoutume mon âme à souffrir ce qu’ils font… Oui, je vois ces défauts dont votre âme murmure Comme vices unis à l’humaine nature; Et mon esprit enfin n’est pas plus offensé De voir un homme fourbe, injuste, intéressé, Que de voir des vautours affamés de carnage, Des singes malfaisants et des loups pleins de rage.

6. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE IX. De l’Adultère et des Amours faciles. » pp. 166-192

Le chagrin des vieux jours ne peut aigrir mon âme Contre les doux transports de l’amoureuse flamme ; Et, bien que mon sort touche à ses derniers soleils, Je dirai, que l’amour sied bien à vos pareils ; Que ce tribut qu’on rend aux traits d’un beau visage De la beauté d’une âme est un clair témoignage, Et qu’il est malaisé que, sans être amoureux, Un jeune prince soit et grand et généreux... […] C’est le printemps qui rend l’âme À nos champs semés de fleurs ; Mais c’est l’Amour et sa flamme Qui font revivre nos cœurs. […] Le soleil chasse les ombres Dont le ciel est obscurci, Et des âmes les plus sombres Bacchus chasse le souci. […] Le moraliste doit protester avec Boileau635 contre l’influence de ce plaisir qui amollit les âmes et les prépare tout doucement à succomber au premier assaut de la passion. […] S’il y a un moyen terrible de démoraliser, c’est d’accoutumer doucement l’âme, par le charme, amollissant de la musique et des vers, à entendre, à goûter, à aimer ce qui la corrompt.

7. (1858) Molière et l’idéal moderne (Revue française) pp. 230-

Il se joue une partie terrible pour l’un, indifférente pour l’autre ; Alceste y met pour enjeu son cœur, son sang, sa vie, sou âme ; Célimène, une demi-heure de plaisir ou d’ennui. […] Le bon sens a des pieds, il n’a pas d’ailes ; l’âme humaine est faite pour apercevoir au-dessus de lui des horizons qu’il n’ouvre pas. […] Le repentir est la marque des grandes âmes. […] Toutes les grandeurs, toutes les puretés, tous les enthousiasmes, sans doute pour nous indiquer la route du ciel, portent l’âme au repentir. […] L’âme humaine est une substance et une force ; cette force est active, et les passions en sont les défaillances.

8. (1881) La philosophie de Molière (Revue des deux mondes) pp. 323-362

Ce qui fait l’originalité du personnage, n’était-ce pas précisément ce mélange du libertinage de l’esprit et du libertinage des mœurs dans une même âme ? […] En réalité, la méchanceté n’est pas tant dans les actions que dans l’âme : or Molière a eu soin de nous peindre une âme scélérate sans avoir besoin d’y joindre des actions. […] Ce rôle venait chez lui de l’imagination et de la tête plus que de l’âme. […] C’est la grandeur d’âme enveloppée de toutes parts dans le réseau invisible, mais inextricable, de ce qu’on appelle les convenances, la mode, le qu’en-dira-t-on, les habitudes reçues, eu un mot ce réseau de la vie mondaine, où viennent s’embarrasser, s’user, s’effacer tous les caractères, se glacer à la longue toutes les chaleurs de l’âme, s’émousser tous les courages et toutes les vertus. […] Après un accès de misanthropie qui le chasse pour un temps au désert, son âme haute et généreuse lui fera comprendre que c’est encore une sorte d’égoïsme que de ne vouloir jouir que de soi.

9. (1852) Molière — La Fontaine (Histoire de la littérature française, livre V, chap. I) pp. 333-352

Doué d’une force prodigieuse de recueillement et de méditation, au milieu des agitations d’une vie nomade et de la direction d’une troupe d’acteurs plus difficile à régir qu’un empire, il sut unir l’activité et la contemplation ; il fit plus encore : il s’oublia lui-même, il se désintéressa de ce qu’il voyait si nettement, de ce qu’il comprenait si bien ; son âme sincère et compréhensive reçut fidèlement l’empreinte de l’humanité, et son puissant génie exprima ce que contenait son âme. […] Je ne sais pas quel grand crime c’est de s’attendrir à la vue d’une passion honnête ; et c’est un haut étage de vertu que cette pleine insensibilité où ils veulent faire monter notre âme. […] L’âme de La Fontaine s’est émue ; il n’avait que le goût des vers, et le voilà poète ! […] La Fontaine a réellement sous les yeux ce qu’il raconte, et son récit est une peinture ; son âme, doucement émue du spectacle dont elle jouit seule d’abord, le reproduit en images sensibles. […] Outre le naturel du langage et de la pensée, qui ne l’abandonne jamais, il a comme moyen de souplesse les ressources d’une versification qui, par les variétés de la mesure et du rythme, suit sans effort tous les mouvements de l’âme.

10. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

L’âme de chaque homme devint le sanctuaire intime de la Divinité. […] De peur d’être entraîné dans la ruine de sa propre activité, il n’a garde de s’intéresser à ce qu’il fait ; son âme affranchie ne s’y absorbe point : il reste indépendant, voulant rester debout. […] Ils sont indépendants, et leur âme affranchie promène sur leur personne et sur le monde un regard philosophique. […] 3º La comédie est enfin : la synthèse de la sottise individuelle et du sourire indifférent des Dieux dans l’âme du personnage comique. […] Harpagon enferme son âme trop exclusivement dans sa cassette.

11. (1901) Molière moraliste pp. 3-32

Affligé d’une Armande Béjart, aigre, coquette, infidèle, inconsciente surtout de son génie ; entouré d’inférieurs ; indigné des basses manœuvres de ses ennemis ; cherchant vainement la paix du cœur et celle de l’âme, il put rêver comme le plus haut idéal de bonheur auquel l’humanité doive réellement prétendre, la bienveillance, la bonté, la franchise et cette vie de famille saine, affectueuse, cette existence calme et paisible, que lui ne connut jamais. […] Moi-même j’en ai honte ; et dans l’âge où je suis, Je ne veux plus passer pour sotte, si je puis… Molière ne souhaite point que la femme soit laissée dans l’ignorance, car une âme ignorante est une âme atrophiée, et Molière veut pour chacun le développement et la puissance intégrale de toutes ses facultés. […] Ce qui reste vrai, incontestable, ce qui explique le déchaînement de haine et d’injures dont le Tartuffe fut l’occasion, l’indignation des jésuites, des jansénistes et du clergé, c’est que Molière, d’un bout à l’autre de la pièce, protestait énergiquement contre la préoccupation égoïste du salut, qui fut l’âme du jansénisme ; contre l’intrusion du directeur dans la famille, dont les jésuites furent toujours les défenseurs intéressés. […] Un chrétien ne parle qu’avec respect de ces couvents silencieux, où des femmes à genoux consument leur vie entière à prier pour le salut des âmes en péril. […] Derrière les grilles, la personne humaine cesse d’être libre, la femme voit sa beauté se faner sans profit, son âme se dessécher ou s’abêtir.

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