On y représenta l’étourdi, piéce en cinq actes, qui enleva presque tous les spectateurs au théatre d’une autre troupe de comédiens établis dans cette ville. […] Les nuances étoient trop fines pour frapper des spectateurs accoûtumés à des couleurs plus fortes. […] Il crut devoir rappeller les spectateurs par quelque ouvrage moins bon, mais plus amusant, dans l’espérance que le public se laisseroit insensiblement éclairer sur le bon ; & parviendroit, peut-être, à en connoître tout le prix. […] Térence se retrouveroit encore dans la scéne, où Argante raisonne tout haut, tandis que Scapin répond, sans être vû ni entendu d’Argante, pour instruire le spectateur de la fourberie qu’il médite. […] L’affluence des spectateurs obligea les comédiens à faire payer, dès la seconde représentation, le double du prix ordinaire.
Le spectateur ne songe presque plus à ce que dit Orgon. […] L’âme du spectateur est sans cesse suspendue à deux pouces au dessus du fleuve de l’odieux. […] Exemple qui fait conclure au spectateur qu’il est plus aisé de donner des conseils que de les suivre. […] Dandin ; est-ce que le spectateur se dit : « Je n’aurais pas eu la bêtise moi d’épouser une fille noble ? […] Comment faire voir aux spectateurs qu’elles se trompent dans cette manière de chercher le bonheur ?
Il ne nous suffit plus, comme aux premiers spectateurs de Molière, qu une comédie nous charme par la vérité des caractères, l’habileté de l’intrigue et l’agrément du langage : nous voulons savoir quel esprit secret l’anime, quel but invisible aux yeux vulgaires s’est proposé l’auteur, au nom de quels principes latents il a fait parler et agir les personnages qui s’agitent devant nous. […] Mais elle n’est ni le principe ni le but de tout ce que fait l’homme ; et l’on ne saurait trop insister sur la distinction à établir entre le peintre dramatique, qui représente les mœurs en tableaux plus ou moins fidèles, quelquefois fantastiques, pour égayer ou attendrir un spectateur, et le moraliste qui recherche et enseigne les règles des mœurs pour rendre les hommes meilleurs. […] Il se contentait de mettre les mœurs en tableaux, de dessiner nettement un caractère, de faire ressortir les travers d’un personnage par le contraste exagéré d’un autre, sans presque jamais dire ce qu’il pensait au fond, ni vouloir, comme le font souvent les modernes, proposer aux spectateurs, dans l’espèce de problème moral qu’il agitait devant eux, une solution si secondaire à ses yeux qu’elle manque absolument à quelques-uns de ses chefs-d’œuvre. […] Mais enfin, quelle influence définitive sur l’esprit du spectateur doivent exercer ces contrastes, et quel est, dans l’esprit de l’auteur, ce milieu parfait qu’il a la prudence de ne jamais exprimer ? […] Il a voulu par cette liberté plaire au parterre, frapper les spectateurs les moins délicats, et rendre le ridicule plus sensible.
En un mot, ces pièces sont trop didactiques, on y remarque trop l’intention d’instruire, tandis que la leçon ne doit jamais être donnée au spectateur qu’en passant, et comme sans y songer. […] Le trésor souterrain est toujours présent à l’esprit du spectateur, il est là comme un mauvais génie qui tourmente l’avare jusqu’à le rendre fou, et c’est une leçon de morale qui pénètre bien plus avant dans le cœur que celle de Molière. […] On n’exige pas du poète comique qu’il présenté toujours, à côté d’un travers de l’esprit, l’opinion raisonnable qui lui est opposée : ce serait manifester d’une manière trop méthodique l’intention d’instruire le spectateur. […] Quant à Mélanie, cette pièce peut être bonne pour réveiller la conscience d’un père qui veut forcer sa fille à vivre dans un cloître ; mais en quoi les spectateurs ont-ils mérité un pareil tourment ? […] Comme les spectateurs les ont en quelque sorte gravées dans leur mémoire, toute leur attention se porte sur le jeu des acteurs, et ils sont prompts à relever la plus légère négligence.
Ce lazzi, de si mauvais goût, si dénué de vraisemblance, n’est-il pas d’autant plus condamnable, qu’il usurpe l’attention du spectateur ? […] Le spectateur, tout en riant des embarras qu’on oppose à leur impatience amoureuse, désire cependant de les voir cesser. […] des comédiens ou des spectateurs ? […] Ajoutons que le spectateur n’était pas encore à la hauteur de l’ouvrage. […] Le dénouement satisfait-il le spectateur ?
On dira que ces peintures-là ne produisent pas un grand effet sur les mœurs : en de tels sujets, le jugement du spectateur, comme celui de l’auteur, est fixé d’avance, et l’un et l’autre ont naturellement un sens du bien et du mal, qui décide leur préférence et leur mépris. […] En effet, nous n’y voyons pas seulement le type traditionnel du débauché impie, qui eut une si heureuse fortune parmi les dévots spectateurs de l’autre côté des Pyrénées. […] Ce qu’il faut remarquer , ici, c’est, la moralité absolue d’une œuvre où, d’un bout à l’autre, un scélérat supérieur, couvert des dehors les plus séduisants pour les bonnes âmes, revêtu de modestie, de désintéressement, de charité, de Dieu même empreint sur son visage 79, est sans cesse démasqué, méprisé, condamné, et enfin puni, sans la moindre restriction de la part de l’auteur, ni la moindre hésitation possible chez le spectateur. […] Dans ces peintures, son influence sur les spectateurs est évidemment utile, parce qu’il ajoute au tableau artistique des vices le tableau plus instructif de leur enchaînement et de leurs conséquences. […] Jusque dans les conceptions les plus hardies et les situations les plus hasardeuses, il garde un bon sens qui l’empêche de mettre sur la scène ces accouplements monstrueux de vice et de vertu, ces criminels sublimes, ces brigands héroïques qui remplissent tant de drames modernes, et habituent nécessairement le spectateur à s’imaginer que, même dans l’excès des passions les plus funestes, il peut y avoir quelque chose d’excusable et de grand111.
Le spectateur ne veut plus s’amuser de leurs fleurettes, il demande des incidents qui avancent ou retardent l’instant heureux. Les Auteurs doivent se persuader que, l’exposition une fois faite, une scene purement amoureuse ne peut être que très ennuyeuse pour le spectateur, & très difficile à faire pour un homme qui connoît son art. […] Parcourez ainsi toutes les scenes amoureuses de Moliere, vous verrez avec quelle adresse il en a écarté la fadeur, la monotonie ; & comparons-les à une de ces scenes où deux amants, occupés uniquement du plaisir de se parler, semblent faire assaut d’esprit, s’attaquent & se ripostent avec des madrigaux, interrompent la marche de l’intrigue & la font oublier au spectateur. […] Un poëte aura beau mettre son esprit à la torture, il fera bien imaginer à ses amoureux différents moyens pour parvenir à leur but ; mais il n’auront jamais, à moins qu’ils ne sortent de la nature, qu’une seule maniere pour se dire qu’ils s’aiment, toujours agréable au spectateur la premiere fois, ennuyeuse la seconde, détestable la troisieme. […] Boissy avoit le talent d’intéresser ses spectateurs en saisissant habilement la folie du jour, en aiguisant sa critique par les traits du vaudeville ; mais aussi la plupart de ses pieces ont-elles disparu avec l’anecdote qui les avoit fait naître.
Je défie le Philosophe le plus grave, l’homme le plus ami du bon genre, de ne pas s’amuser aux représentations de cette comédie, toute monstrueuse qu’elle est ; il sourira du moins lorsque la plus grande partie des spectateurs sera dans l’admiration. […] D’ailleurs, si l’on donne carriere à son imagination, les acteurs, grands ennemis de la dépense, ne veulent pas se charger de la piece : si l’Auteur, gêné par leurs mesquineries, resserre ses idées, il ne pourra pas soutenir l’admiration du spectateur ; & lorsqu’on cesse, dans ces pieces, de le surprendre, tout est perdu. […] Voilà, me dis-je tout de suite, la critique de la piece & de toutes celles qui feront tenir le même propos au spectateur.
On ne peut pas dire que dans une piece bien faite d’ailleurs, mais intriguée de dessein prémédité par plusieurs personnes, l’intérêt soit pour cela partagé, parceque les intrigants, en grand ou en petit nombre, n’y agissent que pour mener le spectateur au but qui seul l’intéresse. […] Le spectateur ne sait jamais à quel intrigant il a l’obligation du succès ; & l’Auteur, embarrassé pour nuancer leurs rôles, ou ne met aucune différence entre eux, on ne différencie celui du valet que par un jargon bas & affecté, tout-à-fait ridicule. […] Les coups qu’ils se porteroient mutuellement tour à tour donneroient un plaisir plus varié au spectateur.
Mettons sous les yeux du Lecteur un exemple qui prouve le mauvais goût des auteurs de ce temps-là, & du spectateur qui les applaudissoit. […] Je conçois que Desmarets, bien pensionné par le Cardinal, a voulu faire sa cour, en plaçant dans sa comédie la description d’une des maisons de campagne de son Protecteur ; mais je ne conçois pas que les spectateurs, qui tous n’étoient pas pensionnaires du Ministre, aient pu ne pas siffler des impertinences aussi maussadement pompeuses. […] Les Auteurs qui sont venus après le pere de la vraie comédie, ont, je n’en doute point, tenté de marcher sur les traces de ce grand homme, & de présenter leurs idées avec des expressions naturelles, comiques, intelligibles aux spectateurs les moins éclairés : mais la nature a épuisé ses dons en faveur de Moliere, & s’est montrée avare pour ses successeurs, qui n’ayant pas un génie capable d’imaginer des fables nouvelles, d’imiter heureusement celles des Anciens, ou de profiter des idées des nations voisines ; ne pouvant enfanter que des pieces dont l’action & le mouvement suffisent à peine pour soutenir un seul acte, & ne voulant pas ressembler à Poisson, qui se nommoit plaisamment un cinquieme d’Auteur, parcequ’il n’avoit fait que de petites pieces, imaginerent d’amuser le spectateur & de l’éblouir par des pensées brillantes. […] Ce qu’on appelle trait d’esprit, défigure les caracteres, en affoiblit le ridicule, & substitue à des traits naturels, si essentiels pourtant, des bons mots, des pensées brillantes, qui fixent l’attention du spectateur à tout autre objet que l’action de la comédie ; aussi les Auteurs se dispensent-ils d’en mettre. […] Chaque personnage de Moliere se peint par sa diction, chacun de ses mots décele au spectateur ce qu’il est ; mais Moliere savoit bien que tant qu’il y auroit des faux dévots, des chasseurs, des médecins, des apothicaires, des femmes savantes, ils parleroient sur le même ton, & s’exprimeroient dans les mêmes termes.
L’on s’accoutume à croire insensiblement que l’intérêt de l’amour est le seul qui doive regner dans une comédie, & qui puisse attacher vivement le spectateur. […] Le moyen le plus sûr pour être intéressant, est de ne faire aucune scene de pure conversation, de mettre dans chacune quelque chose de nouveau, qui, en satisfaisant en partie le spectateur, augmente sa curiosité, lui fasse desirer la scene suivante, & l’attache sans relâche jusqu’au dénouement. […] Qu’on me cite, chez les prétendus rivaux de Moliere, une piece plus attachante d’un bout à l’autre, que celle qu’on regarde comme une simple farce ; qu’on me prouve que le spectateur y craint ou y desire continuellement quelque chose depuis le commencement jusqu’à la fin, comme dans Pourceaugnac, & je permettrai alors de dire que Moliere n’est pas intéressant. Pour l’être, il n’est pas question de donner de temps en temps des secousses violentes à l’ame ; il faut s’emparer, dès le commencement de la piece, de l’attention du spectateur, & l’enchaîner à son sujet jusqu’à la fin.
En effet, le spectateur ne souhaite point que le Misanthrope épouse la coquette Célimène, et ne s’inquiète pas beaucoup s’il se détachera d’elle. […] Les nuances étaient trop fines pour frapper des spectateurs accoutumés à des couleurs plus fortes. […] D’ailleurs, une critique trop sévère ne s’accorde guère avec l’intérêt d’une troupe que la gloire seule ne conduisit pas, et qui ne jugeait du mérite d’une comédie que par le nombre des représentations et par l’affluence des spectateurs. […] Élise, d’un autre côté, en lui permettant de faire cette supposition à son père, manque aux bonnes mœurs et à la bienséance ; et jamais l’on ne doit exposer de pareils modèles aux yeux du spectateur. […] Il consultait ses amis ; il examinait avec attention ce qu’il travaillait ; on sait même que lorsqu’il voulait que quelque scène prît le peuple de spectateurs, comme les autres, il la lisait à sa servante, pour voir si elle en était touchée.
C’est justement parce que ces trois actes sont des chefs-d’œuvre, parce que les farces de Mercure et les terreurs de Sosie forcent absolument à rire589 ; parce que la conduite, la langue même et la versification de la pièce sont des modèles inimitables ; parce que rien enfin n’interrompt le plaisir délicieux du spectateur, et que le génie comique de l’auteur enlève d’un bout à l’autre le rire et les applaudissements, c’est pour cela que cette pièce est très-immorale590. […] Le caractère divin du coupable est une excuse de plus aux yeux du spectateur, qui ne rencontre qu’à la fin l’objection timide de Sosie : Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule595 ; et certes, ce n’est pas assez de trois paroles ironiques dans la bouche d’un valet méprisable, pour ramener à un jugement moral le spectateur démoralisé de main de maître par trois actes irrésistibles. […] Plaute était excusable de mettre sur la scène une des légendes monstrueuses des divinités à qui l’on croyait de son temps ; cela ne tirait pas à conséquence : le spectateur païen adorait l’honneur fait à Amphitryon et la divine naissance d’Hercule sans que son respect fût diminué pour Junon, protectrice de la foi conjugale. […] Présenter l’adultère comme une chose réjouissante, fort supportable, et qui peut même avoir quelque avantage605 ; couvrir de ridicule les victimes de ce malheur606 ; rendre toutes gracieuses les femmes infidèles, et leurs amants tout séduisants607 ; leur donner des charmes tels que le spectateur ne peut s’empêcher de les applaudir et de rire avec eux de leur succès608, c’est une œuvre immorale et sans excuse609. […] Autant on a approuvé les paroles hardies, mais convenables, qui effarouchaient les spectatrices précieuses de l’École des Femmes 611 ; autant on approuvera même la gaillardise, peu conforme au caractère de Dorine, mais nécessaire pour répondre à l’hypocrite lubricité de Tartuffe 612 : autant on condamnera sans rémission les plaisanteries grossières dont Molière a quelquefois sali d’excellentes scènes, entraîné par le désir de soulever le gros rire populaire613.
Le chœur, c’est la scène spirituelle192 du théâtre antique ; c’est la conscience sereine des spectateurs. […] Ainsi, dans la tragédie d’Hamlet, les ambassadeurs d’Angleterre et le prince de Norwége Fortinbras ne permettent pas au spectateur d’oublier que les destinées du Danemark sont en jeu. […] Il faut que le personnage de la comédie soit risible pour lui-même ; car s’il n’est risible que pour les spectateurs, il n’est point comique, et le drame imparfait se traîne dans un prosaïsme immoral. […] La gaieté des spectateurs ne fut plus l’écho de celle de la scène. […] … On doit bien distinguer si les personnages sont comiques pour eux-mêmes ou seulement pour les spectateurs.
Dans quelques autres il fait paroître un Dieu qui raconte au spectateur ce qui s’est passé avant le commencement de l’action : tel est celui du Mercator & de l’Amphitrion. […] Prologue fait pour solliciter l’indulgence du Spectateur. […] Prologues qui instruisent les spectateurs du sujet, de l’intrigue, du dénouement d’une piece, &c. Les Anciens, & quelques Modernes d’après eux, racontent presque toujours l’avant-scene au spectateur, dans un prologue. […] Le spectateur est si bien instruit par le prologue, qu’il peut se dispenser d’entendre la piece.
C’est assez que les entr’actes les détachent, encore n’est-ce qu’aux yeux du spectateur seulement. […] Les scenes doivent être liées de façon à satisfaire en même temps l’esprit & les yeux du spectateur ; l’esprit, par la continuité de l’action ; les yeux, par la présence continue des acteurs, qui, en se relevant mutuellement, en se succédant les uns aux autres, doivent sans relâche parer le théâtre. […] Le Philosophe est consterné, les deux sœurs fuient épouvantées, & les spectateurs rient.
Que tout cela soit fort réjouissant, nul n’en disconvient ; mais n’est-il pas funeste pour la morale de forcer, pendant deux heures, l’honnête spectateur à trouver plein de grâce et d’intérêt le plus insigne des voleurs et des fourbes ? […] 240 Mais il importe d’insister sur l’immoralité d’un spectacle où l’intérêt, le charme, la passion sont sans cesse inspirés par des hommes indignes, chez qui l’auteur fait survivre des qualités d’esprit et de cœur inconciliables avec la bassesse de leurs actions, en sorte qu’on leur pardonne leur vice en faveur de leur grâce, de leur sensibilité, de ce reste d’honneur qui leur a été artistement laissé ; elle gai spectacle de leurs succès finit par insinuer doucement au spectateur séduit, que le vice, après tout, n’est pas si noir qu’on le fait. […] Dans toute la suite de la pièce, le ridicule excellent dont est couvert M. de Pourceaugnac fait qu’aux yeux du spectateur Sbrigani a raison, toujours raison, dans toutes les entreprises de son infâme industrie ; et, à la fin, on est si bien pris au charme de cette joyeuse corruption, qu’on entend sans indignation chanter par toute la troupe : Ne songeons qu’à nous réjouir : La grande affaire est le plaisir257 ! […] Sans doute ; et ce qu’il y a d’immoral dans tous ces personnages, ce n’est pas tant leur conduite, évidemment condamnable et condamnée par tout homme de sens froid, que le charme comique par lequel Molière sait atténuer ce sens chez le spectateur.
La lettre de de Visé n’est pas d’une élégance de style remarquable : mais elle est solidement pensée ; elle développe et rend sensibles les beautés de composition et de détail qui pouvaient échapper au commun des spectateurs ; enfin, si l’auteur de cette apologie n’a pas été mis par Molière lui-même dans le secret de ses intentions les plus fines, on peut dire qu’il les a devinées avec une sagacité qui lui fait honneur. […] Depuis plus d’un siècle, on va répétant chaque jour qu’il fut promptement abandonné par les spectateurs, et que Molière fut obligé, pour le soutenir, de composer précipitamment Le Médecin malgré lui. […] L’action simple et peu animée, les beautés fines, délicates, mais quelquefois un peu sérieuses du Misanthrope n’étaient pas de nature à frapper, à saisir, à enlever des spectateurs, que Molière lui-même avait accoutumés à des intrigues plus vives et à un comique plus populaire. […] Il est donc impossible que des spectateurs aient pris le change sur son opinion, faute de la connaître. […] Il n’est pas vrai, comme je l’ai démontré ailleurs1, que Le Médecin malgré lui ait soutenu Le Misanthrope ; on pourrait dire, au contraire, qu’il l’a en quelque sorte éclipsé, puisque, l’ayant remplacé sur la scène, il s’y est maintenu plus longtemps, et a même attiré un plus grand concours de spectateurs.
Moliere, ainsi que Plaute, se sert de ce prologue pour exposer l’avant-scene ; mais, dans le latin, Mercure adresse tout uniment la parole au spectateur, ce qui rompt l’illusion. […] L’un est un peu trop grossier, mais l’autre est par trop fade, & le spectateur est tenté de s’écrier avec Alcmene : . . . . . . . […] Dans la piece latine, Bromie, servante d’Amphitrion, vient dire au spectateur, dès le commencement du cinquieme acte, que Madame a mis au monde deux garçons, qu’elle a furieusement eu peur, parcequ’il a beaucoup tonné, & que Jupiter a paru devant elle pour lui dire que l’un des garçons étoit de sa façon. […] Il se console en disant que Jupiter pourvoira sans doute à cet inconvénient, qui n’est pas petit en ménage, & il exhorte le spectateur à se retirer après avoir applaudi. […] J’ai toujours vu que le spectateur, tout en riant des choses qui ne sont pas fondées sur la vérité, s’écrie : Quelle ridiculité !
Cela se peut ; mais je crois avoir déja prouvé que le spectateur, entraîné par l’habitude, & séduit par l’apparence, bat souvent des mains à des fautes qu’un vernis brillant lui cache. […] Non sans doute, & je gage que le spectateur ne feroit nulle attention aux diverses attitudes qui le composent, si le Marquis ne prenoit la peine de les lui faire remarquer.
Riccoboni, dans ses Observations sur la comédie, prétend que la maniere de bien traiter le caractere, est de ne lui en opposer aucun autre qui soit capable de partager l’intérêt & l’attention du spectateur. […] Il est vrai que la perspective du théatre exige un coloris fort & de grandes touches, mais dans de justes proportions, c’est-à-dire telles que l’oeil du spectateur les réduise sans peine à la vérité de la nature. […] Le théatre a son optique, & le tableau est manqué dès que le spectateur s’apperçoit qu’on a outré la nature. […] La malignité des poëtes ni celle des spectateurs ne perdit rien à cette défense ; la ressemblance des masques, des vêtemens, de l’action, désignerent si bien les personnages, qu’on les nommoit en les voyant : telle fut la comédie moyenne, où le poëte n’ayant plus à craindre le reproche de la personnalité, n’en étoit que plus hardi dans ses insultes ; d’autant plus sûr d’ailleurs d’être applaudi, qu’en repaissant la malice des spectateurs par la noirceur de ses portraits, il ménageoit encore à leur vanité le plaisir de deviner les modeles. […] Comment se pouvoit-il que les mêmes spectateurs applaudissent à des mœurs si opposées ?
Moliere, l’Auteur le moins larmoyant, sans contredit, est celui qui a introduit dans quelques-unes de ses pieces les situations les plus faites pour attrister, même pour faire fondre en larmes, s’il n’eût connu parfaitement les limites que le goût & la raison ont posées entre la comédie & la tragédie, & si après avoir attendri le spectateur, il n’avoit eu l’adresse de le ramener malgré lui-même aux ris. […] Une pareille situation ne peut que jetter des idées tristes dans l’ame du spectateur. […] Il a soin d’en prévenir le spectateur dans son prologue, & de l’en faire ressouvenir à la fin de la piece ; & tout en disant cela, il lâche plusieurs mots qui ne sont rien moins qu’honnêtes. […] Maintenant, illustres Spectateurs, si cette piece est de votre goût, & si nous avons eu le bonheur de ne point vous déplaire, faites-le voir par des applaudissements.
Moliere les a vues presque toutes, s’en est emparé, & les a traitées en grand homme : mais pourquoi n’a-t-il pas mis en action, sous les yeux du spectateur, le moment où la Princesse chante pour charmer son amant ? Une femme qui a le dépit de voir manquer les armes qu’elle croit les plus puissantes pour ranger un homme sous ses loix, la contrainte d’un amant qui est forcé de cacher les progrès que l’amour & les talents de sa maîtresse font sur son cœur, tout cela auroit-il paru à Moliere indigne d’attacher le spectateur ? […] quel beau moment pour l’amant, pour l’amante & pour le spectateur ! Je conçois qu’il étoit difficile de l’introduire avec bienséance sur notre théâtre : mais puisque le Poëte François a transporté le spectateur dans le siecle des tournois, il pouvoit aisément, surtout dans une comédie-ballet, introduire la fête avec quelques légers changements, en la préparant avec adresse, en observant sur-tout de ne pas faire répéter quatre fois sur la scene la loterie de rubans.
Elle eut un succès extraordinaire ; dès la seconde représentation, les comédiens furent obligés de doubler le prix des places, pour diminuer l’affluence des spectateurs qui était excessive, et cette vogue se soutint pendant quatre mois de suite. […] Personne toutefois n’y fut trompé, ni parmi les spectateurs, ni parmi les modèles. […] Si vous la peignez dans ses accès les plus furieux et dans ses effets les plus terribles, le personnage, quel qu’il soit, fera naître dans l’âme du spectateur ces mouvements de commisération ou d’effroi qui sont exclusivement du ressort de la tragédie. […] Ils se retirent, et le spectateur ne peut avoir aucun doute sur ce qui doit résulter d’une telle proposition. […] Molière, qui n’avait eu besoin de personne pour imaginer la fable légère qui sert de cadre aux différents portraits qu’il voulait faire passer sous les yeux des spectateurs, craignit du moins que sa pièce ne fût pas achevée à temps, s’il n’avait recours à quelqu’un pour l’aider dans le travail de la versification.
En un mot, on reproduisait, sous toutes les formes, les personnages hors de la nature, comme les seuls qui pussent faire rire; parce qu’on n’avait pas encore imaginé que la comédie dût faire rire les spectateurs de leur propre ressemblance. […] C’est un de ces endroits où l’acclamation est universelle; j’ai vu des spectateurs saisis d’une surprise réelle; ils avaient pris Vadius pour le sage de la pièce. […] Les spectateurs ne purent pas l’atteindre : il avait franchi de trop loin la sphère des idées vulgaires. […] Il donna la farce du Fagotier, et, à la faveur de Sganarelle, on eut la complaisance d’écouter le Misanthrope, dont le succès alla toujours en croissant, à mesure que les spectateurs, en s’instruisant, devenaient plus dignes de l’ouvrage. […] Mais, quoiqu’en effet il ait parlé avec un ton d’humeur qui est un peu au-delà des convenances de la société, où l’on ne s’exprime pas si durement, cependant la vérité a tant d’empire, on en sent si bien toute l’utilité, que tous les spectateurs en cet endroit applaudissent très-sérieusement au courage du Misanthrope.
Il faut que ce qui remplit l’intervalle qui est entre l’exposition & la catastrophe, soit en mouvement & non en récit, puisque nous l’appellons action, puisque les personnages de cette action se nomment acteurs & non pas orateurs, puisque ceux qui sont présents s’appellent spectateurs & non pas auditeurs, puisqu’enfin le lieu qui sert aux représentations est connu sous le nom de théâtre & non pas d’auditoire, c’est-à-dire un lieu ou l’on regarde ce qui s’y fait, & non pas où l’on écoute ce qui s’y dit. […] parceque le spectateur est continuellement balloté par des événements qui se contrarient sans cesse, qui l’éloignent de la conclusion quand il croit y toucher, ou qui l’en rapprochent tout-à-coup quand il pense en être bien loin.
La donnée une fois admise, et le spectateur l’accepte volontiers dès qu’il connaît les noms des personnages, l’action n’étonne pas, tant il y a de naturel dans le développement des caractères. […] C’est ce qui a fait le succès d’Amphitryon dès le premier jour, ce qui a charmé les contemporains de Molière, ce qui plaît aux spectateurs d’aujourd’hui.
Retranchez du théâtre les méprises, les équivoques, & tout ce qui en approche, vous enleverez à Thalie la plus agréable, la plus féconde de ses ressources, & un moyen infaillible pour exciter le rire des lecteurs ou des spectateurs. […] Prouvons maintenant que, pour rendre ce même comique bon & digne de satisfaire le spectateur éclairé, la méprise qui le fait naître doit avoir deux qualités essentielles. […] Il est inutile de dire que les méprises de détail, c’est-à-dire celles qui ne doivent rien amener, & qui ne durent qu’un instant, sont jugées moins à la rigueur, & que le spectateur en rit, pourvu que l’ombre seule de la vraisemblance les amene.
Mes Lecteurs ne seront pas, je pense, de son avis : ils auront remarqué dans l’extrait non seulement une exposition simple autant qu’intéressante ; une intrigue bien graduée, & variée tantôt par la jalousie de l’amant, tantôt par celle de l’amante, tantôt par les contradictions de l’oncle ; un dénouement inattendu qui termine tout au gré des acteurs & des spectateurs : ils auront encore fait attention à l’adresse du nœud général ; il est ourdi de maniere que chaque fâcheux trouve l’amant dans une situation bien prononcée, à la portée de tous les cœurs, & qu’il sert à la rendre plus piquante. Dans le Mercure galant le héros ou son valet s’amusent aux dépens des divers personnages qui se succedent sur la scene ; le spectateur n’y rit que de leurs ridicules : ici la chose est bien différente, chaque fâcheux empêche Eraste ou d’aller joindre une maîtresse adorée dont il est attendu avec impatience, ou de s’informer si elle lui est réellement infidelle, ou de s’excuser d’une perfidie dont on l’accuse. […] Des scenes tendres, des scenes de jalousie, des scenes de réconciliation bien filées sur la scene, auroient refroidi celles des fâcheux, & détourné le spectateur du but principal.
« Cette sorte d’intrigue est, je crois, celle qui a le plus de mérite, & qui doit produire un plus grand effet ; parceque le spectateur, indépendamment de ses réflexions sur l’art du poëte, est bien plus flatté d’imputer les obstacles qui surviennent, aux caprices du hasard, qu’à la malignité des maîtres ou des valets ; & qu’au fond une comédie intriguée de la sorte, étant un image plus fidelle de ce que l’on voit arriver tous les jours, elle porte aussi davantage le caractere de la vraisemblance. […] « Cette sorte d’intrigue est, je crois, celle qui a le plus de mérite, & qui doit produire un plus grand effet ; parceque le spectateur, indépendamment de ses réflexions sur l’art du Poëte, est bien plus flatté d’imputer les obstacles qui surviennent, aux caprices du hasard, qu’à la malignité des maîtres ou des valets ; & qu’au fond une comédie intriguée de la sorte étant une image plus fidelle de ce qu’on voit arriver tous les jours, elle porte aussi davantage le caractere de la vraisemblance ». Riccoboni semble dire que le spectateur est flatté de voir des incidents amenés par le hasard, parceque le hasard est la divinité qui préside à tous les événements de la vie ; mais Riccoboni avoit trop de goût pour avoir une pareille idée.
Pour en avoir le plaisir, il ne faut être que spectateur. […] Pour être spectateur tranquille, laissez-moi cette bourse. […] J’eus le chagrin mortel de voir soutenir « qu’un Auteur sage doit, pour être plus sûr de réussir, ne placer dans chaque acte qu’une seule scene brillante & forte par sa situation ; que les autres doivent être faites seulement pour amener celle-là ; que dans les actes où il y a plusieurs grandes scenes, le spectateur, étourdi par des beautés qui se croisent mutuellement, les sent moins que lorsqu’il en voit seulement quelques-unes joliment enchassées, & distribuées avec prudence ».
« Alors les auteurs, incertains sur le parti qu’ils devaient prendre, cherchèrent à éblouir le spectateur par des saillies d’esprit et des pensées brillantes. […] Il y a même des pièces d’une grande réputation dont l’action et le mouvement, quoiqu’elles soient en cinq actes, suffiraient à peine pour soutenir un acte seul : c’est moins une action véritable qu’une apparence d’action ; ou plutôt, c’est un simple assemblage d’autant de scènes qu’il en faut pour donner à une pièce la durée ordinaire des représentations : c’est un remplissage de dialogues semés de bons mots, de traits satiriques, qui séduisent le spectateur par leur brillant et l’empêchent de remarquer le vide et le défaut d’action. […] Troupe de Spectateurs chantants, les sieurs Estival, Hédouin, Morel, Gingan l’aîné, Fernon, Deschamps, Gillet, Bernard, Noblet, quatre pages de la musique. […] « Le lieu destiné pour la représentation, et pour les spectateurs de cet assemblage de tant de magnifiques divertissements, est une salle faite exprès pour les plus grandes fêtes, et qui seule peut passer pour un très superbe spectacle. […] Térence se retrouverait encore dans la scène où Argante raisonne tout haut, tandis que Scapin répond sans être vu ni entendu d’Argante pour instruire le spectateur de la fourberie qu’il médite.
Transportons-nous dans une salle de jeu ; plusieurs tables y sont dressées : nous n’avons pas besoin de regarder de bien près pour décider quelle est celle où l’on risque une plus grosse somme ; l’intérêt, l’attention des spectateurs, nous en instruisent assez. […] Plus loin, le spectateur, les yeux fixes, la bouche ouverte, respire à peine ; l’espoir, la crainte, se peignent tour à tour sur son visage & dans ses gestes. […] Pourquoi le spectateur s’intéresse-t-il si vivement en faveur d’Agnès & de l’amant qu’elle aime ? […] Un Auteur qui, dans un ouvrage à prétention, feroit usage de ces différents noms, & qui les placeroit aussi bien que le hasard, auroit beau prouver, par la liste des cuisiniers, des orfevres, & l’almanach du théâtre, qu’il est dans la nature, on lui répondroit, avec Boileau : Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable : Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable. […] Il en est du nom des personnages comme du rang, de la fortune, du caractere, de l’âge ; c’est le dialogue qui doit nous en instruire bien clairement, afin que le spectateur ne fasse pas la moindre méprise, toujours fatale aux Auteurs.
Passant de l’acteur au spectateur, il examine comment la corruption se forme dans le cœur de ce dernier. […] Mais cette leçon ne vient guère à propos, et je doute que le spectateur soit disposé à en faire son profit. […] Il s’évertue à prouver que la morale pernicieuse débitée par Tartuffe au quatrième acte ne peut corrompre les spectateurs. […] Ou le spectateur se trompera, ou il s’avilira, ou il se corrompra ; voilà son partage dans ce grand bénéfice de la morale publique. […] Il empoche l’argent du spectateur qui veut s’amuser et il le méprise, parce que ce spectateur grossier le met dans le cas de se mépriser lui-même.
Ce ne sont plus deux furieux qui cherchent à terminer bien vîte leur combat par des coups mortels, ce sont au contraire deux athletes qui, placés dans la position la plus favorable pour faire admirer la souplesse, la grace & la vivacité de leurs mouvements divers, se fournissent tour-à-tour les moyens de les développer aux yeux du spectateur charmé. […] Je connois plusieurs pieces dans lesquelles le personnage mis en opposition avec le premier brille plus que lui, l’écrase si bien qu’il s’empare de toute l’attention des spectateurs, & passe aux yeux de la plupart pour le héros de la piece. […] Plus ces scenes sont brillantes, plus elles font oublier le véritable héros, lui pour qui le spectateur vient sur la foi du titre, qu’il veut voir briller de préférence, qu’il veut sur-tout voir toujours en action, ou duquel il veut du moins être entretenu quand il ne le voit pas.
Aussi, vers la fin de la vie de Molière, le Florentin l’emportera-t-il en faveur sur le Parisien ; et, ayant inventé en France, avec Quinault, la tragédie chantée tout entière, c’est-à-dire l’opéra, il obtiendra que défense soit faite aux comédiens de se servir de plus de six « musiciens » et de plus de douze joueurs d’instrumens, et « d’aucuns des danseurs qui reçoivent pension de Sa Majesté. » Jusque-là, dans ces occasions, Molière, auteur des récits, se tient à peu près sur le même rang que Benserade, auteur des vers, — c’est-à-dire des complimens glissés dans le livre de ballet, ou programme distribué aux spectateurs, en l’honneur des principaux personnages qui assistent au spectacle où se mêlent de danser un pas. […] D’autre part, même dans ce genre-là, — c’est le ballet que je veux dire, — genre allégorique, mythologique, pseudo-pastoral et carnavalesque, il avait mis le plus de vérité possible : il y avait introduit, autant que les conjonctures le permettaient, des personnages réels, humains, citadins, vêtus comme le spectateur. […] De l’Illusion comique je ne parle que pour mémoire : on a joué les trois premiers actes, une fois seulement, à l’Odéon, devant de rares spectateurs, qui, sans s’inquiéter de comprendre la pièce, riaient des grands bras et de l’accent gascon du capitan.
Rien n’y est vraisemblable ; et plus le spectateur est dépaysé, plus la pièce est heureuse. […] heureux le spectateur qui se dilate au théâtre ! […] C’est un art nouveau : c’est nous qui de spectateurs sommes devenus les héros. […] Tous reçoivent de la main de la coquette un coup d’éventail sur la joue, qui ne les corrigera pas, mais qui les punit assez pour le plaisir du spectateur. […] Voilà bien des choses entre l’art et le public ; or le propre du dramatique est de saisir le spectateur dès le lever de la toile, et de le transporter au milieu de l’événement dont il devient le témoin oculaire et dont il doit éprouver tous les contrecoups.
ÉPÎTRE VIIÀ MONSIEURRACINE Que tu sais bien, Racine, à l’aide d’un Acteur Émouvoir, étonner, ravir un Spectateur ! […] J’aime sur le Théâtre un agréable Auteur Qui, sans se diffamer aux yeux du Spectateur, Plaît par la raison seule, et jamais ne la choque.
C’est la représentation naïve d’une action plaisante, où le Poète, sous l’apparence d’un arrangement facile et naturel, cache les combinaisons les plus profondes, fait marcher de front d’une manière comique le développement de son sujet et celui de ses caractères mis dans tout leur jour par leur mélange et par leur contraste avec les situations, promenant le spectateur de surprise en surprise, lui donnant beaucoup et lui promettant davantage, faisant servir chaque incident, quelquefois chaque mot, à nouer ou à dénouer, produisant avec un seul moyen plusieurs effets tous préparés et non prévus, jusqu’à ce qu’enfin le dénouement décèle par ses résultats une utilité morale, et laisse voir le Philosophe caché derrière le Poète. […] On verrait quel artifice particulier a présidé à chacun de ses Ouvrages ; avec quelle hardiesse il élève dans les premières Scènes son Comique au plus haut degré, et présente au spectateur un vaste lointain, comme dans L’École des femmes ; comment il se contente quelquefois d’une intrigue simple, afin de ne laisser paraître que les caractères, comme dans Le Misanthrope ; avec quelle adresse il prend son Comique dans les rôles accessoires, ne pouvant le faire naître du rôle principal, c’est l’artifice du Tartuffe ; avec quel art un seul personnage, presque détaché de la Scène, mais animant tout le tableau, forme par un contraste piquant les groupes inimitables du Misanthrope et des Femmes savantes ; avec quelle différence il traite le Comique noble et le Comique bourgeois, et le parti qu’il tire de leur mélange dans Le Bourgeois Gentilhomme ; dans quel moment il offre ses personnages au spectateur, nous montrant Harpagon dans le plus beau moment de sa vie, le jour qu’il marie ses enfants, qu’il se marie lui-même, le jour qu’il donne à dîner. […] une maxime honnête, liée à une situation forte de ses personnages, devient pour les spectateurs une vérité de sentiment.
Nous avons vu chez eux, dès le premier acte, les héros se peindre par des actions aux yeux du spectateur : dans celui-ci, Moncade nous apprend qu’il est jaloux ; mais tout s’y passe en récit, à l’exception des soufflets & des coups de pied que Pasquin reçoit. […] Baron n’ose pas annoncer la grossesse de l’Andrienne : louons-le de cette délicatesse, & d’avoir laissé deviner au spectateur le genre de maladie de l’héroïne. […] Dave exhorte les spectateurs à ne pas attendre les gens de la noce, parceque la fête se fera dans la maison. […] Tout entier comme le latin, avec cette seule différence qu’à la fin Dave ne s’adresse pas aux spectateurs. […] « Ce n’est point assez que les mœurs du théâtre ne soient point mauvaises, il faut encore qu’elles soient instructives : il peut y avoir un ridicule si fade & si indifférent, qu’il n’est ni permis aux Poëtes d’y faire attention, ni possible aux spectateurs de s’en divertir ».
Puis on se rendit hors la ville, dans une plaine où un vaste amphithéâtre à neuf étages de gradins reçut des milliers de spectateurs. […] Soixante mille spectateurs y purent trouver place et même s’asseoir, abrités, comme ceux de Bourges, contre les intempéries ou contre l’ardeur du soleil, par des charpentes et des toiles, « tant bien et excellemment peintes d’or, d’argent, d’azur et autres riches couleurs, qu’impossible est de le savoir réciter. » Vous vous rappelez peut-être, Messieurs, ce qui, dans ce théâtre d’autrefois, correspondait à ce que nous appelons aujourd’hui la scène. […] Il faut croire que cet étage de la Terre était divisé en de nombreuses sections, ou que les spectateurs montraient de la bonne volonté. […] L’illusion du spectateur était ainsi plus complète, et je verrais-là plutôt l’effort d’un art naissant qu’une absence d’art. […] Aux plus terribles moments de la passion, à l’agonie du Jardin des Olives et pendant les souffrances même de la croix, les joies du ciel et ses concerts adoucissent et, suivant l’expression d’Aristote, purifient le sentiment douloureux du spectateur.
Corneille, entraîné par l’exemple de ceux qui avaient pris sa place, crut devoir s’y conformer, et tempérer le sujet plein d’horreur et d’effroi qu’il avait choisi par la passion de l’amour, qui en général est toujours du goût des spectateurs. […] Il fallait donc que Molière effaçât de l’esprit, et qu’il arrachât du cœur des spectateurs les idées d’un comique scandaleux, mais reçu pourtant et applaudi. […] On y trouve des personnages froids, des scènes peu liées entre elles, des expressions peu correctes ; le caractère de Lélie n’est pas même trop vraisemblablea, et le dénouement n’est pas heureux ; le nombre des actes n’est déterminé à cinq que pour suivre l’usage qui fixe à ce nombre les pièces qui ont le plus d’étendue, mais ces défauts sont couverts par une variété et par une vivacité qui tiennent le spectateur en haleine, et l’empêchent de trop réfléchir sur ce qui pourrait le blesser. […] Cette vérité, soutenue par un fond de plaisanterie gaie, et d’une sorte d’intérêt né du sujet, attira un grand nombre de spectateurs. » « * Le Cocu imaginaire fut joué quarante fois de suite, quoique dans l’été, et pendant que le mariage du roi retenait toute la Cour hors de Paris. » Le lecteur ne sera peut-être pas fâché de trouver ici de quelle façon Grimarest rend compte de cette pièce. […] « [*]L’affluence des spectateurs obligea les comédiens à faire payer, dès la seconde représentation, le double du prix ordinaire.
Le spectateur ressent le plaisir le plus vif en voyant Francaleu, enchanté de sa tragédie, s’accrocher au premier qu’il rencontre pour la lire ; avouer qu’il avoit cinquante ans lorsqu’il s’avisa de son talent pour la poésie ; n’en vouloir à un homme qui plaide contre lui que parcequ’il l’a empêché d’être Poëte cinq à six ans plutôt ; en le voyant enfin s’avouer pour la Muse originale dont M. […] Loin de se sentir de leur source, & de la rappeller au spectateur, elles la font totalement oublier : la Métromanie leur a donné naissance ; mais l’indolence & l’indocilité de Lucile, avec la pétulance de Dorante, les filent & les animent par l’adresse de Lisette qui conseille à Francaleu d’exclure ce même Dorante. […] On peut voir aisément ; par les pieces à caractere de Moliere, la différence qu’il y a d’une comédie qui laisse perdre de vue le héros ou le sujet promis, avec celles qui, dans chaque scene, développent aux yeux du spectateur le travers, le vice ou le ridicule annoncé par le titre.
Combien j’ai vu de spectateurs saisis d’une surprise très-réelle ! […] Mais quand le plaisir du spectateur n’est pas fondé sur l’intérêt, qu’importe le dénouement ?
: et il est d’autant plus redoutable qu’il fait encore après sa mort le même ravage dans le cœur de ses lecteurs, qu’il en avait fait de son vivant dans celui de ses spectateurs. […] Aussi peut-on dire qu’il se souciait peu d’Aristote et des autres maîtres, pourvu qu’il suivît le goût de ses spectateurs qu’il reconnaissait pour ses uniques juges.
Les mêmes spectateurs qui applaudissaient aux pièces médiocres des autres auteurs, relevaient les moindres défauts de Molière avec aigreur. […] Les mêmes spectateurs qui applaudissaient sans réserve à ces farces monstrueuses, se rendirent difficiles pour l’École des femmes, pièce d’un genre tout nouveau, laquelle, quoique toute en récits, est ménagée avec tant d’art, que tout paraît être en action. […] L’empressement d’enlever des spectateurs à l’hôtel de Bourgogne, fit qu’il se contenta de donner en prose sa comédie : c’était une nouveauté inouïe alors, qu’une pièce de cinq actes en prose. […] En effet, le spectateur ne souhaite point que le Misanthrope épouse la coquette Célimène, et ne s’inquiète pas beaucoup s’il se détachera d’elle. […] Quand il fallait chez les anciens apprendre aux spectateurs quelque événement, un acteur venait sans façon le conter dans un monologue ; ainsi Amphitryon et Mercure viennent seuls sur la scène dire tout ce qu’ils ont fait, pendant les entractes.
Tous les spectateurs furent révoltés de cette grossièreté ; au lieu qu’à la seconde représentation, on entendit, avec plaisir, allez, monsieur, on voit bien que vous n’avez pas accoutumé de parler à des visages.
Mounet-Sully, dans le rôle d’Oreste, un peu avant le lever du rideau, je me rappelle avoir entendu ce dialogue entre deux spectateurs du parterre : « Sais-tu ce que c’est qu’Andromaque ? — Je sais seulement que c’est une comédie et que ça se passe à Rome. » Au train dont vont les choses, il sera difficile avant peu de trou ver dans le parterre de la Comédie-Française deux spectateurs aussi bien renseignés sur une tragédie de Racine. […] Aussi bien la Comédie-Française et l’Odéon possèdent l’une et l’autre un fonds assuré de spectateurs pour rendu aux lettres est une élégance, et qui entendent une tragédie ou une comédie d’autrefois au moins comme la grand’messe.
Les comédies qui réunissent le comique à une saine morale sont excellentes ; celles qui ne sont que comiques peuvent être très bonnes ; celles dont la morale fait l’unique mérite, usurpent le titre de comédie ; celles qui n’instruisent pas le spectateur & qui ne le font pas rire, sont des monstres dont on ne doit point parler. […] Il faut qu’elle soit frappante à tel point que le spectateur n’ait pas besoin de commentaire ni de rêver pour la sentir. […] Un des moyens les plus propres à rendre une piece morale, est de mettre les moralités en action, c’est-à-dire de placer les principaux personnages dans des situations qui fassent bien projetter au spectateur d’en éviter de pareilles. […] Il semble que Regnard se soit étudié à choisir un fonds excellent, & à mettre son héros dans des situations qui promettent les moralités les plus essentielles, & tout cela pour tromper l’espérance du spectateur. […] Moliere les instruit de cette vérité dans les Femmes Savantes, en y couvrant de ridicule Philaminte, Armande, Bélise, & en leur opposant la naïve Henriette, aussi chere au spectateur qu’à Clitandre, cet amant raisonnable, après lequel tout le monde répete : Non, les femmes, Docteur, ne sont point de mon goût.
Le Spectateur n’auroit-il pas été dans le cas de demander, du moins à la premiere scene où rien ne distingue encore le personnage principal, lequel des deux on jouoit, du Philanthrope ou du Misanthrope ? […] Mais le Spectateur ne sent-il pas ce défaut, sur-tout lorsque le caractere vicieux est principal, comme dans l’exemple que je viens de citer.
Ce n’étoit pas assez d’éviter cet écueil, il falloit encore intéresser les spectateurs pour l’amant proposé, & donner une gradation vraisemblable aux progrès que cet amant fait sur le cœur de la maîtresse éprouvée : d’ailleurs le plan de cette piece demandoit de joindre à cet intérêt un comique tiré du fonds du sujet. […] L’Auteur auroit peut-être pu supposer que Damon avoit jadis été charmé de Julie, & qu’il se croyoit guéri ; par là il eût été moins criminel en acceptant la proposition de son ami ; par là le spectateur auroit joui du plaisir de voir renaître sa passion, & de son embarras pour l’accorder avec l’amitié. […] Quant à Julie, comme on ne sait ce qu’elle a voulu dans le courant de la piece, on ne sait si elle est contente ou mécontente à la fin, & le spectateur s’en inquiete peu. […] Julie, froide, insipide, ne se réchauffe que pour faire le dénouement : Evandra, la sensible Evandra, est toujours attachante ; elle respire continuellement l’amour le plus pur, la tendresse la plus délicate ; c’est la passion elle-même qui parle par sa bouche, elle la fait passer dans l’ame du spectateur ; tous desirent une maîtresse qui lui ressemble.
Ce sont ceux dans lesquels un personnage feint de regarder ce qui se passe dans le lointain, & en rend compte au spectateur. […] La scene qu’ils auront ensemble sera certainement plus longue que le monologue, & fort ennuyeuse indubitablement, puisqu’elle répétera au spectateur ce qu’il sait déja.
[Mariée en 1657], spectatrice de la Fronde, elle regretta de voir son père s’y engager.
La comédie ne sauroit donc rendre le ridicule de ses personnages trop sensible aux spectateurs. Les spectateurs, en démêlant sans peine le ridicule des personnages, auront encore assez de peine à y reconnoître le ridicule qui peut être en eux.
Et cela est vérité et cela est très théâtral, parce que le spectateur n’aime rien tant que de voir ces brusques retours du caractère inné à travers le caractère acquis. […] Elle se subdivise en deux catégories : la pièce où la vertu est si bien récompensée et le vice si bien puni que le spectateur, persuadé qu’il a intérêt à être vertueux, est encouragé à la vertu ; la pièce où la vertu n’est point récompensée, mais où une si grande admiration est soulevée à l’égard des vertueux que le spectateur est excité à la vertu. […] Mais, incomparablement, c’est la haine et le mépris de Molière pour Don Juan qui domine dans cette comédie et que l’auteur veut inspirer et qu’il inspire au spectateur. […] Cela donne envie de mendier. » De même un spectateur à Tartuffe peut penser : « Cherchons une bonne dupe. […] A ceux qui disent que le théâtre moralise, il répond que ce n’est pas le théâtre qui moralise, mais l’amour du bien qui est chez le spectateur, et vous voyez bien que le théâtre ne sert à rien.
Si les petites choses qui enthousiasment si fort nos élégants beaux esprits, suffisoient pour fournir les matériaux nécessaires à une piece, je conseillerois à nos Auteurs de prendre bien vîte un de ces Messieurs pour héros : mais comme leur caractere est accessoire & tient à mille autres, qu’il n’offre que des superficies de quelque côté qu’on le tourne, qu’il seroit minutieux sur la scene, qu’il n’intéresseroit qu’un très petit nombre de spectateurs, qu’il a été traité en détail dans plusieurs pieces différentes, je n’exhorterai personne à les prendre pour modele.
Les indécences de cette seconde espece sont beaucoup plus dangereuses que les premieres, plus sensibles, & occupent plus long-temps l’esprit d’une jeune spectatrice : il est donc bien plus dangereux qu’elles passent jusqu’à son cœur. […] J’ai assisté plusieurs fois aux représentations de l’Homme à bonne fortune, exprès pour voir l’effet que produiroit cette scene sur le spectateur ; je l’ai toujours vu indigné de l’indécente malhonnêteté avec laquelle Moncade parle à Eraste, & de la patience avec laquelle celui-ci l’écoute ; ce qui devient une seconde indécence, parcequ’il n’est pas reçu dans le monde qu’un homme entende de sang froid insulter sa sœur, & qu’il partage tranquillement avec elle l’affront qu’on lui fait. […] Je défie encore qu’un homme honnête puisse les lire sans en sentir tout le révoltant, sans souhaiter à l’Auteur qui les a composées, aux acteurs qui les ont représentées, au spectateur qui les a applaudies, tout ce que Lelio éprouve.
La farce amusait alors les gens de la meilleure compagnie ; alors, sur la même scène où l’on représentait les premiers chefs-d’œuvre de Corneille, des acteurs enfarinés faisaient rire les spectateurs de leurs quolibets et de leurs équivoques souvent licencieuses.
Il est vrai que les beautés de cette scene fixent l’attention du spectateur sur les amants ; mais ces mêmes beautés sont amenées par la crainte où est Valere de voir passer celle qu’il aime dans les bras de Tartufe. […] Il demande des nouvelles du Comte de Tufiere, promet de le corriger, & le rappelle par-là dans le souvenir du spectateur : il étoit temps.
L’acteur chargé de réciter le prologue indiquait ordinairement aux spectateurs la ville et les monuments qu’ils avaient devant leurs yeux : « Cette cité pour aujourd’hui sera Ferrare, et ce fleuve que vous apercevez sera le célèbre Pô. […] Le désordre se met dans la noce, grâce à Isabelle, et c’est ensuite une sarabande comique qui ne laisse pas aux spectateurs le temps de respirer jusqu’à la fin du troisième acte.
Naturellement Corneille fut parmi les spectateurs aux premières représentations, quoiqu’on y jouât Amalazonie, une tragédie de Quinault. […] Malgré toute sa fierté, Corneille devint spectateur du théâtre de Molière, même quand on le jouait an théâtre du Marais ou à l’hôtel de Bourgogne. […] C’est le sieur de Chappuseau, le Dangeau de cet autre Louis XIV, tenant journal des faits et gestes des comédiens et des spectateurs, qui nous initie après deux siècles aux délices de l’en tracte. […] Pour les spectateurs ce M. de Molière est un prodige16. […] Elle s’écriait comme le spectateur des Précieuses ridicules : « Bravo, monsieur de Molière, voilà la comédie !
Cette pièce fournit plusieurs exemples de certaines libertés que Molière prendra avec ses spectateurs, toutes les fois qu’il en aura envie. […] Cette magnifique désinvolture, si nous pouvons nous exprimer ainsi, séduit les spectateurs. […] Les spectateurs, au courant de la mésintelligence conjugale des deux personnages, eurent un intérêt de plus dans la représentation de cette pièce. […] Il est bien vrai qu’Alcmène n’a été fidèle que de pensée, mais elle obtient aisément pardon du plus rigide spectateur, puisque Jupiter avait pris le visage de son époux. […] Nous en avons vu une marquée par un petit incident qui prouve que les spectateurs devraient souvent mettre un peu de réserve dans leur jugement et ne se permettre de signes d’improbation qu’à bon escient.
Je crois même qu’en transportant l’action & les spectateurs dans le péristile, on ne sera plus surpris de voir Amphitrion arriver à pied de l’armée. […] C’est une petite coquetterie qui peut faire croire au spectateur que l’Auteur a voyagé.
Si le spectateur étoit du secret, comme dans le Philosophe marié, s’il savoit ce qu’Horace a pris à Agnès, cette scene seroit bien moins plaisante, & les réponses d’Agnès seroient attendues avec bien moins d’intérêt. […] Le dialogue est très bien monté sur ce ton, & le spectateur desire de le voir continuer par trois personnages rendus très intéressants par la situation, quand Crispin vient platement l’interrompre par cette balourdise : Crispin.
En face de ce portrait impitoyable, le spectateur se trouve eu cause ; il croit que les regards de tous vont se fixer sur lui, comme si l’auteur le dénonçait. […] Fidèle à son habitude, La Harpe n’a rien compris ; et cependant, comme son observation le prouve, Molière ne tourne pas du côté vrai les colères du spectateur ; on dirait presque que George Dandin a mérité son sort.
Toutes ces luronnes sont trop joyeuses et trop comiques pour que le spectateur puisse songer à condamner leur très-condamnable conduite ; d’ailleurs, même dans la farce, la grossièreté est de trop, et l’immodestie ne doit pas être ainsi étalée419. […] Jamais sur le théâtre il n’a été possible de forcer la sympathie du spectateur pour la femme vicieuse.
Il a voulu par cette liberté plaire au Parterre, frapper les spectateurs les moins délicats, et rendre le ridicule plus sensible.
Peu de spectateurs sont capables de cette contention d’esprit : on ne rit guère par réflexion au spectacle. […] Ces deux comédies laissent le spectateur triste et en disposition désagréable. […] C’est que tous les spectateurs, ne sentant rien, se diront : Voilà un singulier idiot d’attacher tant d’importance à cette misère ? […] Il serait vraiment dommage qu’il fût perdu pour les spectateurs. […] Il est entendu entre le poète et le spectateur que la ressemblance entre l’un et l’autre est absolument complète, et l’on passe.
Quelque pièce que Molière dût jouer, Boissat voulait se trouver au nombre des spectateurs. […] Chaque spectateur est juge, et juge très compétent, de ces sortes de scènes, parce qu’il n’en est aucun qui n’y ait joué plus d’une fois un rôle. […] Cette coquille fut une des merveilles qui charmèrent le plus les spectateurs. […] Tels étaient les desseins, les tourments qui agitaient quelques spectateurs des Fâcheux. […] Non content d’avoir pour lui le suffrage des gens de goût et des spectateurs impartiaux, Molière voulut mettre encore les rieurs de son côté.
Il satisfit fort le Public sur tout par les Pièces de sa Composition, qui étant d’un genre tout nouveau attirèrent une grande affluence de Spectateurs.
Pour rendre le travers des femmes savantes encore plus saillant, Molière s’est plu à leur opposer une jeune personne qui doit son plus grand charme à la nature : Henriette a tant de grâce, de modestie et de délicatesse, qu’il n’est aucun spectateur qui ne voudrait que son épouse lui ressemblât, et M. […] Un des grands secrets de l’art, qu’il a emporté presque tout entier avec lui, c’est d’intéresser le spectateur aux jeunes filles sur le mariage desquelles l’intrigue de sa comédie est fondée ; c’est ce que Regnard, Dancourt et beaucoup d’autres n’ont jamais fait ; leurs amoureuses sont des coquettes commencées ou achevées ; Quoi de plus aimable et de plus vertueux que les amoureuses de Molière ? […] Ces adversaires lui suscitèrent souvent des cabales ; quelquefois aussi il fut victime du mauvais goût des spectateurs désintéressés. […] Item, enfin, une cohorte De personnes de toute sorte, Qui furent de ses sectateurs ; Ou plutôt de ses spectateurs ; Et c’est ce que pour épitaphe, En style d’historiographe, Croyant lui devoir ce souci, J’en ai bien voulu mettre ici. […] Les spectateurs, blasés par Montfleury et les autres comédiens de son temps, qui se permettaient l’exagération la plus extravagante, eurent quelque peine à s’accoutumer à la noble simplicité de Baron, qui ne déclamait jamais, parlait la tragédie, et employait des gestes et des attitudes que l’on regardait alors comme trop voisins de la familiarité.
Non-seulement cent personnages mis sous les yeux du spectateur offrent en exemple la morale du mariage ; mais encore, de tous les discours mis çà et là dans leur bouche, on peut tirer un ensemble de maximes, qui, réunies et mises en ordre, constituent un véritable code moral du mariage : je demande de quel auteur dramatique ou de quel romancier on en peut tirer autant ? […] VI, Ce que c’est que les mariages du théâtre : « On commence par se livrer aux impressions de l’amour sensuel ; le remède des réflexions ou du mariage vient trop tard ; déjà le faible du cœur est attaqué, s’il n’est vaincu ; et l’union conjugale, trop grave et trop sérieuse pour passionner un spectateur qui ne cherche que le plaisir, n’est que par façon et pour la forme dans la comédie… Toute comédie, selon l’idée de nos jours, veut inspirer le plaisir d’aimer ; on en regarde les personnages, non pas comme gens qui épousent, mais comme amants ; et c’est amant qu’on veut être, sans songer à ce qu’on pourra devenir après (chap.
En l’un des bouts de la salle était élevé un grand théâtre de six pieds de hauteur, de huit toises de largeur et d’autant de profondeur ; en bas était une grande nuée qui cachait toute la scène, afin que les spectateurs ne vissent rien jusqu’au temps nécessaire. » Les principaux comédiens faisant partie de la troupe qui vint à Paris en 1645, étaient Tiberio Fiurelli jouant le personnage de Scaramouche ; Domenico Locatelli jouant le personnage de Trivelin ; Brigida Blanchi, fille du directeur, première amoureuse sous le nom d’Aurelia ; Marc Romagnesi, son mari, premier amoureux sous le nom d’Oratio. […] Valet de Scaramouche, il faisait pâmer de rire les spectateurs.
Que l’Acteur lise les préceptes qu’on nous a donnés sur la déclamation, qu’il les exécute, il touchera le Spectateur. […] Il doit ménager son haleine ; de manière qu’il ne la reprenne jamais dans un sens interrompu, afin de conserver l’attention du Spectateur. […] On est désolé d’entendre des Acteurs qui poussent leur voix, comme des possédés, en prononçant, par exemple, un adjectif, et tomber du moins à l’octave en proférant son substantif : Au lieu d’entraîner le Spectateur insensiblement, par degrés conjoints, s’il m’est permis de parler ainsi, jusqu’au terme qui doit lui faire sentir la pensée que l’on exprime.
l’intérêt et la pitié du spectateur, si telle est la volonté d’un poète tout-puissant, vont se porter même sur le vice et même sur le crime, à condition qu’ils seront mélangés d’une certaine dose d’honnêteté et de vertu. […] Les poètes grecs, en pareille occasion, et lorsqu’ils voulaient se reconnaître au milieu des divers membres de plusieurs familles, avaient soin de marquer d’un certain signe le genre et l’espèce : ainsi tous les Séleucides étaient marqués d’une ancre, imprimée sur la cuisse gauche. — On rirait bien, de nos jours, de cette précaution dramatique des Séleucides, et comme on se moquerait de cette loi du drame antique qui exigeait que l’on fît grâce au spectateur de certaines actions des honnêtes ou criminelles, également offensantes à la conscience et à l’honnêteté publiques. […] — Il faut donc, se dit-on, que cet art dramatique ait en lui-même une puissance énorme, pour agiter à ce point les philosophes, les moralistes, les législateurs, les spectateurs et la critique ?
On y représenta l’Étourdi, qui enleva presque tous les Spectateurs au Théâtre d’une autre Troupe de Comédiens établis dans cette ville. […] (Aux spectateurs) Hélas ! […] Molière, qui était toujours un Spectateur attentif et observateur, prit de-là l’idée de donner à son Imposteur le nom Tartuffe. […] Ducroisy* y fut un des meilleurs Acteurs de la Troupe du Palais Royal ; et ce fut pour lui que Molière composa le rôle de Tartuffe, que Ducroisy* joua au gré de l’Auteur et des Spectateurs. […] On y représenta l’Étourdi, qui enleva presque tous les Spectateurs au Théâtre d’une autre Troupe de Comédiens établis dans cette ville.
Une comédie d’intrigue amuse ; une comédie mixte peut joindre l’utile à l’agréable, en amusant & en instruisant le spectateur, mais moins parfaitement que celle où le principal personnage, mettant tout en mouvement, nous trace par ses actions un portrait frappant des travers, des ridicules, des vices dont nous sommes blessés journellement.
Les caracteres de tous les temps sont préferables aux autres pour deux raisons : la premiere, parceque si l’Auteur réussit à les peindre comme il faut, sa gloire est plus durable ; il n’est pas douteux que le spectateur ne prenne plus de plaisir à voir jouer sur le théâtre des travers, des ridicules ou des vices qui le frappent tous les jours dans la société, que s’il ne les connoissoit que par tradition : de telles pieces bien faites réunissent le double avantage de frapper toujours les connoisseurs & le commun des hommes : elles ont sans cesse les graces de la nouveauté60.
Surpris, sans doute, de voir les acteurs & les spectateurs fondre tout-à-coup en larmes après avoir ri aux éclats, il demanderoit à son interprete la cause d’un si subit changement. […] Les Anciens, qui sentoient vraisemblablement combien il étoit difficile de rendre une reconnoissance plaisante, & qui ne croyoient pas qu’il fût beau, grand, sublime, de filer de longues scenes larmoyantes pour forcer le public à pleurer à force de plaisir, faisoient passer presque toutes leurs reconnoissances derriere la toile ; ensuite un acteur venoit en instruire le spectateur.