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25. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Le sérieux n’est pas toujours triste, et le rire est si peu identique à la gaieté, qu’il peut être sérieux jusqu’à la tristesse. […] La gaieté, cette chose vive, ailée et légère, fuit bien loin devant un tel rire. […] L’enfance est gaie ; mais combien d’hommes, combien de poètes ont su conserver ou rappeler les joyeux celais de rire de l’enfance ? […] La gaieté comique n’a rien de commun avec le rire amer et moqueur, ou l’ironie. […] On rit pourtant, parce qu’il est impossible de ne pas rire en voyant Crispin s’envelopper dans la robe de chambre du moribond et contrefaire sa voix cassée.

26. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XLIII. Du But Moral. Philosophie de Regnard comparée à celle de Moliere. » pp. 504-548

Faire rire & corriger les hommes, est le double but que doit se proposer un Auteur comique. […] Rire à la comédie, pleurer à la tragédie ; voilà le premier précepte établi par les anciens, par le goût & la raison, suivi par les bons Auteurs de tous les pays. […] « De quoi ris-tu donc, lui demanda avec surprise un de ses amis ? […] (A Philinte, qui rit.) […] Ce petit sacrifice une fois fait, il rit des sots qui, en la ramassant, se félicitent d’avoir fait une bonne trouvaille.

27. (1823) Notices des œuvres de Molière (VII) : L’Avare ; George Dandin ; Monsieur de Pourceaugnac ; Les Amants magnifiques pp. 171-571

Je vous estime trop, lui répondit Boileau, pour croire que vous n’y ayez pas ri vous-même, du moins intérieurement. […] Que penser d’une pièce où le public applaudit à l’infidélité, au mensonge, à l’impudence de celle-ci, et rit de la bêtise du manant puni ?  […] Rousseau prétend que, dans cette pièce, le public applaudit à la femme infidèle, et rit du mari trompé. […] Rire des tours qu’on joue à un sot qui s’y est exposé volontairement, ce n’est pas approuver l’aigrefin, le fourbe, le fripon qui le trompe. […] On se divertirait encore plus au parterre, si l’on se divertissait moins sur le théâtre : le public aime à rire tout seul ; et c’est surtout le sérieux des autres qui le fait rire.

28. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IX. M. PALISSOT. » pp. 297-316

Elle rit de la figure d’Arlequin, & trouve le singe de Zulime plus joli. Almanzor demande un barbier ; Arlequin va chercher le barbier qui l’a fait rire avec son conte. […] Tu veux rire. […] Et j’en ris, qui plus est. […] Non, parbleu, continua le rieur, ce mot d’être est trop comique, & je rirai long-temps d’une mere qui prend sa fille pour un arbre.

29. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

Les Carmélites lui font peur, et elle en rit ! […] Au contraire, il semblerait que ce Don Juan soit le seul des êtres évoqués par Molière qui ne fasse pas rire le parterre. Le parterre a ri aux malheurs du Misanthrope, il a ri aux malheurs de M.  […] Ces questions souveraines de la conscience, ce débat d’une âme qui s’agite entre Dieu et le néant, valent la peine, selon nous, que le rire s’arrête quand elles commencent ; Molière lui-même ne parviendra jamais à nous faire rire de la démonstration de l’existence de Dieu. […] De grâce, ne séparons pas ce que Molière a réuni, laissons le rire à côté des larmes, la pitié non loin de l’ironie.

30. (1862) Molière et ses contemporains dans Le Misanthrope (Revue trimestrielle) pp. 292-316

Une autre, non moins dénuée de fondement, nous montre dans Alceste, Plapisson, bel esprit patenté de l’hôtel de Rambouillet, original qui jouissait d’une réputation usurpée de philosophe, le même qui, prenant en pitié l’admiration du public pour L’École des femmes, s’écriait dans son grotesque dédain : Ris donc, parterre, ris donc 2 ! […] En vérité, Molière naturellement froid dans ses démonstrations, comme tout homme d’une sensibilité véritable et profonde ; Molière, doué de cette mélancolie qui accompagne naturellement le génie de la réflexion et qui souvent est le fruit funeste de l’observation attentive du cœur humain (quoi qu’en disent les consolantes doctrines de Droz, dans son Art d’être heureux) ; Molière, qui de son coup d’œil observateur avait embrassé notre pauvre nature humaine et a « pénétré le fond de tant de cœurs cachés18; » Molière, « Dont la gaîté souvent fut voisine des pleurs 19, » et qui, suivant l’heureuse expression de Sainte-Beuve, au milieu des applaudissements et des rires qu’il provoquait, habitait ordinairement « dans les tristes ombres de lui-même, » — n’est pas sans ressemblance avec le Misanthrope. […] Et cette Célimène, qui se rit de l’amour qu’elle inspire et ne répond à une passion profonde que par l’indifférence et la sécheresse du cœur, n’est-ce pas Armande Béjart, cette femme si frivole et si coquette, qui n’a jamais compris quel noble cœur elle avait blessé à mort ? […] Génin, voulut une fois épancher noblement la douleur qui navrait son âme : de là vient que le Misanthrope, sans action, est si intéressant; c’est le cœur du poëte qui s’ouvre, c’est dans le cœur de Molière que vous lisez sans vous en douter; tout cet esprit si fin, cette délicatesse élevée, cette jalousie vigilante et confuse d’elle-même; cette fière vertu, rebelle à la passion qui la dompte, c’est Molière, c’est lui qui se plaint, qui se débat, qui s’indigne ; c’est lui que vous aimez, que vous admirez, de qui vous riez d’un rire si plein de bienveillance et de respect46.  […] « Le grand contemplateur au rire bon et triste, » dit encore Brizeux, dans sa Poétique nouvelle, chant II. — « Beaumarchais était morose, dit Victor Hugo, Molière était sombre, Shakspeare mélancolique. » M. de Loménie conteste le fait pour Beaumarchais, « qui naquit et vécut foncièrement gai. » —Voir Beaumarchais et son temps, par Louis de Loménie, 2e édit., t.

31. (1877) Molière et Bourdaloue pp. 2-269

Il était glorieux, et il faisait rire ! […] Cependant fait-il « rire dans l’âme ?  […] Il parle du rire de l’âme ! […] Qu’y a-t-il là pour exciter le rire de l’âme ? […] Faire rire dans l’âme !

32. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XII. Lo Ipocrito et Le Tartuffe » pp. 209-224

De ce moment, il ne fait plus que rire à toutes les mauvaises nouvelles qu’on lui annonce, et ne dit plus que des folies. […] Je ris du rire qui me fait rire.

33. (1910) Rousseau contre Molière

Le public rit d’Orgon et méprise Tartuffe. […] Il veut dire très nettement : « La comédie a pour but de faire rire honnêtement les gens bien élevés. » De faire rire ; elle doit fait rire. […] Mais de quoi les faire rire ? […] Celui qui rit du crime est le plus criminel. […] Au point de vue du bon sens bourgeois, c’est tellement fou qu’il en rit encore et qu’il en rira toute sa vie.

34. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

. — On rirait bien, de nos jours, de cette précaution dramatique des Séleucides, et comme on se moquerait de cette loi du drame antique qui exigeait que l’on fît grâce au spectateur de certaines actions des honnêtes ou criminelles, également offensantes à la conscience et à l’honnêteté publiques. […] Le beau remède, en effet, aux fêtes de l’amour et aux charmantes folies de la jeunesse, que de se mettre à se moquer et à rire. […] Partout, même dans les plus charmantes minauderies de ses petites filles, le rire est caché, comme l’aspic sous les fleurs. […] Il a ri de tout son cœur, et il a poussé le rire jusqu’à la bouffonnerie ; à présent il rentre dans toute sa dignité. […] mon Dieu, Messieurs, taisez-vous ; quand Dieu ne vous a pas donné la connaissance d’une chose, n’apprêtez pas à rire à ceux qui vous entendent parler, et songez qu’en ne disant mot, on croira peut-être que vous êtes d’habiles gens ! 

35. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [63, p. 100-101] »

RIS : Signifie la même chose que Rire.

36. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE PREMIER. Regnard imitateur comparé avec la Bruyere, Plaute, & la nature. » pp. 5-50

Il entre à l’appartement, & passe sous un lustre où sa perruque s’accroche & demeure suspendue : tous les courtisans regardent & rient : Ménalque regarde aussi, & rit plus haut que les autres ; il cherche des yeux dans toute l’assemblée où est celui qui montre ses oreilles, & à qui il manque une perruque. […] Je consens qu’on s’amuse à la représentation de ses Menechmes, quand on n’a pas vu ceux du Poëte Latin : mais après cela, si l’on y rit, on ne pourra du moins estimer cette copie très défectueuse d’un très beau modele. […] Puisque ce fut là son unique but, rions, avec la multitude, de ses quolibets, de ses jeux de mots : mais rions de lui-même avec les gens de goût, quand, par exemple, dans Démocrite amoureux il peint un pédant ennuyeux au lieu d’un philosophe aimable ; lorsqu’il prévoit que le rôle d’Agélas, Roi d’Athenes, sera joué par un petit-maître François jaloux de sa frisure. […] Rions de lui lorsqu’il fait revivre à Athenes l’état monarchique, éteint plus de sept cents ans avant Démocrite. Rions sur-tout de lui lorsque, dans le même temps & dans la même ville, Strabon parle de clochers.

37. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [61, p. 99] »

Peu de temps après la désertion du poète tragique, Molière donna son Avare, où Despréaux fut des plus assidus. « Je vous vis dernièrement, dit Racine à Boileau, à la pièce de Molière, et vous riiez tout seul sur le théâtre. Je vous estime trop, lui répondit le satirique, pour croire que vous n’y ayez pas ri, du moins intérieurement ».

38. (1885) Études sur la vie et les œuvres de Molière pp. -461

Et vois-tu rien de plus impertinent que les femmes qui rient à tout propos ? […] Il a ri de tout ce qui le touchait lui-même, excepté de cela. […] Eux partis, plus de contrepoids ; adieu le rire, vive la grimace ! […] On aurait bien crié, s’il s’était avisé de ne pas faire rire. […] Toute sa vengeance avait été de faire rire le mieux et de rire le dernier.

39. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IV. Brueys & Palaprat, imitateurs, comparés avec Térence, Blanchet, un Auteur Italien, & la nature. » pp. 100-132

Dis-moi, je te prie, les muets rient-ils ? […] vraiment oui, les muets rient, imbécille ! […] Je n’en ai jamais vu rire. […] Et comment veux-tu qu’ils rient, nigaud ? Ils rient comme les autres hommes...

40. (1873) Le théâtre-femme : causerie à propos de L’École des femmes (Théâtre de la Gaîté, 26 janvier 1873) pp. 1-38

Elle a beaucoup d’esprit, et du meilleur ; mais, malgré tout l’esprit qu’elle a, elle ne rit pas toujours franchement. Encore ne rit-elle que pendant les premiers actes. Passé un certain moment, elle ne rit plus du tout. […] Son rire robuste et sain, lui tout seul, a fait rentrer sous terre des légions de vices et fauché des moissons de ridicules. […] Et il était défendu de rire.

41. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE II. La Débauche, l’Avarice et l’Imposture ; le Suicide et le Duel. » pp. 21-41

Essayons de démêler son jugement au milieu de toutes les paroles qu’il met dans la bouche de ses personnages, et de découvrir si c’est toujours suivant les règles de la morale qu’il nous touche ou qu’il nous fait rire. […] Et au milieu du rire que soulève la scène des mains 94, celle de la tache d’huile et du haut de chausses troué, n’y a-t-il pas un grand sentiment de mépris et de pitié pour celui qui se laisse tomber si bas ? […] Euclion, avec sa marmite pleine d’or, est sans doute un avare fort comique ; mais il n’est pas amoureux en même temps, pour montrer que les ridicules les plus divers et les plus contradictoires s’assemblent dans les âmes qui ont quitté le droit chemin de la raison ; il est volé par celui qui lui enlève sa fille103, et l’on rit de voir ce rapace vieillard pleurer ridiculement sa marmite et son honneur. […] Le suicide, qui tient tant de place dans nos romans et nos drames, paraissait à Molière une folie et un crime tel, qu’il ne le jugeait pas digne de faire un ressort de la comédie : il n’en parlait que pour rire. […] Jourdain, ou le Spadassin des Fourberies de Scapin ; il s’est moqué hardiment, devant une cour de gentilshommes chatouilleux sur le point d’honneur, de la prétention de faire consister l’honneur dans une provocation bien faite, et un coup d’épée bien donné ou bien reçu ; il a fait rire à gorge déployée de l’habileté de M. de Sotenville à bien pousser une affaire ; les formes du doucereux Alcidas et la raison démonstrative de M.

42. (1765) [Anecdotes et remarques sur Molière] (Récréations littéraires) [graphies originales] pp. 1-26

Je vous estime trop, lui répondit son ami, pour croire que vous ni ayez pas ri, du moins intérieurement. » M. […] Le Latin Macaronique qui fait tant rire à la fin du Malade Imaginaire, fut fourni à Moliere par son ami Despréaux, en dînant ensemble avec Mlle.  […] Les graces & les ris, regnent sur son visage ; Elle a l’air tout charmant, & l’esprit tout de feu. […] Je vous estime trop, lui répondit son ami, pour croire que vous n’y ayez pas ri, du moins intérieurement, M. […] Moliere se mit à rire de cette saillie, & l’employa ensuite fort à propos : (Acte II.

43. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

Après tant de jours sombres, il veut rire, mais rire largement, pleinement, non point du bout des lèvres, mais du fond du cœur. […] Il se moquait d’Arnolphe et riait de Sganarelle, et que de traits, pour les peindre, il empruntait à son propre caractère ! […] « Il fait rire !  […] On devine alors, on sent ou l’on entend dans son rire ou dans sa tristesse passer quelque chose de supérieur, de shakespearien. […] Une foule de gens en perruque le regardent et rient.

44. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXII. Des Caracteres principaux ou simples, des Caracteres accessoires, des Caracteres composés. » pp. 337-349

permettez-moi de rire, Madame, je vous prie. […] Permettez-moi donc de rire un peu de la conversation que nous venons d’avoir ensemble. […] permettez que je rie un peu à mon tour de vous voir rire avec tant d’affectation de ma curiosité, pour me cacher l’inquiétude qu’elle vous donne.

45. (1836) Une étude sur Molière. Alceste et Célimène (La Revue de Bordeaux et Gironde unies) pp. 65-76

Ceci nous mène au second reproche adressé à Molière : il est accusé de faire rire aux dépens du misantrope : « Ce caractère si vertueux, dit Rousseau, est présenté comme ridicule. […] Le rire des salons, cette arme défensive des préjugés, s’exerce contre tout ce qui n’est pas jeté dans le moule commun. […] Cet homme est à l’étroit dans la société ; il porte un habit qui ne va pas à sa taille, ses mouvemens sont brusques et guindés : on en rit. Mais quand il est face à face avec Philinte, avec l’homme à la vertu souple, dont on ne rit jamais, comme il l’écrase de toute sa supériorité !

46. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VIII. De l’Action, du Nœud, des Incidents. » pp. 165-171

L’embarras dans lequel ils le jettent est très plaisant ; les pilules qu’il leur ordonne de prendre font beaucoup rire. […] L’intendant rit. […] Il ne borne pas là sa vengeance ; il déchire la donation qu’il a faite à son neveu en faveur de son mariage avec la fille du Malade imaginaire, & ne veut plus avoir aucune liaison avec lui : de sorte que le lavement, qui paroît d’abord n’être amené que pour faire rire, amene le dénouement ; puisque Cléante n’auroit certainement pas obtenu Angélique, si Purgon, en déchirant la donation, & en rompant avec Argan, n’eût en même temps rompu le mariage projetté entre Angélique & Thomas Diafoirus.

47. (1775) Anecdotes dramatiques [extraits sur Molière]

Il étudia le génie des Grands, les fit rire de leurs défauts, et osa substituer nos Marquis aux Esclaves des Anciens. […] Je vous estime trop, lui répondit son ami, pour croire que vous n’y ayez pas ri, du moins intérieurement ». […] On rit beaucoup de son étonnement : et tous les Acteurs finissent par se battre à coups de bâtons. […] Cette réponse ayant fait rire un Courtisan, le Roi voulut en savoir le motif. […] Il étudia le génie des Grands, les fit rire de leurs défauts, et osa substituer nos Marquis aux Esclaves des Anciens.

48. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE PREMIER. Du Choix d’un Sujet. » pp. 25-38

Valere rit du compliment, parcequ’il croit Ascagne un homme, & le prie de parler toujours en sa faveur à Lucile. […] On y cabale avec l’acteur qui doit jouer le beau rôle ; on réussit à l’y faire représenter ; les protecteurs louent des loges, rient beaucoup, & applaudissent encore davantage. […] Après que l’Auteur s’est déterminé pour un sujet, qu’il a mesuré son étendue, qu’il a pesé sa juste valeur, il doit voir s’il peut se flatter de faire rire les hommes en les corrigeant, ou s’il est contraint de se borner à les faire rire.

49. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXII. De l’Intérêt. » pp. 385-398

Trouve-t-on que les larmes de Pantalon, que ses exclamations touchantes sur son malheur & celui de sa fille qu’il a immolée, se marient agréablement avec les ris qu’Arlequin excite lorsqu’il veut se cacher dans une cheminée, & que, le feu prenant dans la maison voisine, il reçoit sur la figure l’eau qu’on jette pour arrêter l’incendie ; lorsqu’il veut grimper dans la maison de Colombine par une fenêtre, & que le balcon lui tombe sur la tête ; lorsqu’après s’être fait un lit d’une botte de paille, des voleurs y mettent le feu ; & mille autres folies ? […] Nos comiques modernes rient de la folie de nos voisins, ce n’est pas sans sujet ; mais nos voisins rient aussi de nous, de nos productions, & ce n’est pas avec moins de raison. […] Les ris de la populace nous apprennent que M. de Pourceaugnac est un grotesque personnage : il ne nous fait pas languir ; il paroît, & sa figure seule nous intéresse en faveur de son rival.

50. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [40, p. 69-70 ] »

Plapisson, qui passait pour un grand philosophe, était sur le théâtre pendant la représentation ; et à tous les éclats de rire que faisait le parterre, il haussait les épaules et regardait le parterre en pitié, et disait quelquefois tout haut : Ris donc, parterre ! ris donc !

51. (1899) Salut à Molière, dit par Coquelin cadet, le soir du 15 janvier, pour le 277e anniversaire de la naissance de Molière, sur la scène de la Comédie-française pp. 3-8

Salut à Molière, comédien qui fait rire, écrivain qui fait penser. […] Son amère satire, sans cesser de sourire et de rire, se jette dans la mêlée, s’attaque aux charlatans, aux parvenus, aux vaniteux du jour, aux vices fonciers de l’homme et de la femme.

52. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIII. Des Reconnoissances. » pp. 399-421

elles sont dans une bonne & belle comédie qui fait beaucoup rire en plusieurs endroits. […] Surpris, sans doute, de voir les acteurs & les spectateurs fondre tout-à-coup en larmes après avoir ri aux éclats, il demanderoit à son interprete la cause d’un si subit changement. […] » Un Savant qui entendroit mon étranger, auroit pitié de son ignorance, & lui expliqueroit en beaux termes ce que c’est que la joie, & quels sont les différents effets qu’elle peut produire : il lui démontreroit, après plusieurs doctes distinctions, qu’elle s’exprime également par les ris & par les larmes ; mais que les ris étant devenus roturiers, une joie larmoyante a, sans contredit, un air bien plus distingué. Alors mon homme, aidé du simple sens commun, pourroit lui répondre, je pense : « Puisque la satisfaction du cœur a deux façons de s’exprimer, gardez votre joie pleureuse pour les pieces que je viens voir avec l’intention d’y pleurer ; mais lorsque, sur la foi de votre affiche, je vous donne de l’argent pour rire, régalez-moi, je vous prie, d’un plaisir qui soit gai, & qui ne ressemble pas si fort au chagrin ».

53. (1824) Notices des œuvres de Molière (VIII) : Le Bourgeois gentilhomme ; Psyché ; Les Fourberies de Scapin pp. 186-466

Il vous sied bien, lui dit-il, d’aspirer à une charge honorable, vous qui n’avez d’autre recommandation et d’autres services que d’avoir fait rire le Roi ! […] Le Roi soutint le farceur qui le faisait rire contre le ministre qui le faisait vaincre ; et le chancelier, plus docile aux désirs de son maître que jaloux de la gloire du corps qu’il présidait, repoussa les remontrances de ceux qui n’étaient pas sensibles à l’honneur d’avoir Lulli pour confrère, en termes plus mortifiants que n’avait fait le monarque lui-même. […] Molière a justement saisi le degré de la société où il devait placer son personnage ; et Voltaire a rendu parfaitement sensible l’excellence de son choix : « La folie du Bourgeois, dit-il, est la seule qui soit comique, et qui puisse faire rire au théâtre : ce sont les extrêmes disproportions des manières et du langage d’un homme, avec les airs et les discours qu’il veut affecter, qui font un ridicule plaisant. […] Dans cette revue des personnages de la pièce, pourrais-je oublier cette excellente Nicole, qui rit de si bon cœur, et dont le rire est si communicatif ? […] Fille de bon sens et domestique dévouée, elle ne s’élève pourtant pas au-dessus de la sphère naturelle de ses idées et de ses intérêts : tandis que madame Jourdain se lamente sur les ruineuses folies de son mari, elle rit à gorge déployée du grotesque accoutrement de son maître ; et la seule chose qui la désole dans ce nouveau train de vie, c’est qu’elle prend beaucoup de peine pour tenir son ménage propre , sans pouvoir en venir à bout.

54. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE II. De l’Etat, de la Fortune, de l’Age, du Rang, du Nom des Personnages. » pp. 39-75

Pourquoi rit-on des tours qu’Agnès lui joue ? […] Enfin si le vieillard a dix ans de moins, ses prétentions seront moins ridicules & moins plaisantes : par conséquent si le Marquis a dix ans de plus, sa fatuité, loin d’exciter à rire, fera pitié. […] Que le lecteur lise attentivement la scene que je mets sous ses yeux, qu’il se figure le Marquis à quinze ou à quatre-vingts ans, il le plaindra ; il souffrira de son embarras, & il n’en rira point. […] Il s’est bien gardé, dans ses grandes pieces, d’employer de pareils ressorts pour exciter le rire. […] Je voudrois bien savoir de quelle façon on pourroit l’ajuster pour le rendre plaisant ; & si, quand on le berneroit sur le théâtre, il seroit assez heureux pour faire rire le monde.

55. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE V.*. Destouches imitateur, comparé à Moliere, Plaute, Regnard, Shakespeare, &c. » pp. 185-218

Pourquoi me rire au nez ? […] ne l’irritez point ; il est dans son délire : Souvent dans ses accès il se pâme de rire. […] (Il rit encore plus fort.) […] Sur mon ame, il me fait rire aussi. […] (Il rit de tout son cœur.)

56. (1922) La popularité de Molière (La Grande Revue)

Mais l’art de faire rire n’est pas simple, et s’il en a connu toutes les variétés, depuis les charges à l’italienne, les coups de bâton de Scapin et les clystères d’Argan, jusqu’aux fines répliques de Célimène, il a puisé plus que personne aux sources naturelles du rire, à celles qui le font communément jaillir de nos lèvres à tous. […] Argan, vieux, malade, ne serait point ridicule à prendre médecine et à craindre la mort : ce qui nous fait rire, c’est un Argan, gras et frais, tremblant devant les menaces d’un Purgon. […] Il est une limite où le rire s’arrête : un Plaute, un Regnard ne la franchissent point : Molière va au-delà.

57. (1818) Épître à Molière pp. 6-18

Je ne te suivrai pas dans ta pénible tâche, Lorsque tu la remplis sans pitié, sans relâche ; Implacable ennemi de tous les charlatans, Je te laisse écraser sous le poids du bon sens Du bel esprit du jour la risible manie ; Chez Dandin nous montrer la vanité punie ; T’égayer aux dépens du bon monsieur Jourdain ; Rire de Vadius, et fouetter Trissotin. […] Aujourd’hui, sur la scène, et leur prose et leurs vers Des vivants et des morts respectent les travers : Si jamais le Léthé les jetant sur ses rives Te porte les tributs de leurs rimes craintives, Quand tu reconnaîtras dans leurs tristes tableaux Que la timidité, dirigeant leurs pinceaux, Ose à peine, aujourd’hui, rire d’un ridicule, Peut-être, cette fois, Molière trop crédule Nous croira corrigés : cependant, ici bas, Sans heurter quelque vice on ne peut faire un pas : Tu l’attaquas en vain, chez nous toujours nouvelle, Comme le monde, hélas, sottise est éternelle ! […] Près de lui Dorval, fier de ses douze quartiers, Méprisant de Mondor les vices roturiers, Se rit des parvenus ; mais, grâce à sa naissance, De vertus, comme lui, Monseigneur se dispense. […] Malin observateur de nos vices bourgeois, Bon et joyeux Picard, peut-être, quelquefois, Dans tes tableaux, brillants de vérité, de grâce, À nos petits travers tu donnas trop de place ; Mais que l’on applaudit le flexible talent Dont la variété nous charma si souvent, Et que de fois Picard, en voulant nous distraire, Dans la cause du rire a trouvé l’art de plaire !

58. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [56, p. 89-93] »

Plaute* tendait surtout à faire rire ; il se plaisait à amuser et à jouer le petit peuple. […] Molière a fait rire les plus austères : il instruit tout le monde, ne fâche personne.

59. (1886) Molière, l’homme et le comédien (Revue des deux mondes) pp. 796-834

Plus l’ombre, cette fois, de noblesse ou même de sérieux ; il s’incline dans une posture contournée, il rit largement, il grimace. […] Comme ils visent au but de leur art, qui est le rire, ils ne nous montrent qu’une part de leurs découvertes, mais l’autre se devine, et il en reste quelque chose dans l’impression qu’ils nous laissent ; ils nous inspirent quelque chose de la pitié qu’ils ont ressentie. […] Dans la première, sans aucune nécessité d’intrigue ni d’action, le poète fait de Sganarelle un médecin pour rire, à seule fin, semble-t-il, de pouvoir placer sur les médecins et la médecine une opinion trop nette pour n’être pas sérieuse et raisonnée. […] C’est là ce que n’ont jamais voulu comprendre un certain nombre de comédiens que la nature destine à faire rire. […] Alceste doit-il faire rire, doit-il faire pleurer, ou tous les deux à la fois ?

60. (1840) Le foyer du Théâtre-Français : Molière, Dancourt, I pp. 3-112

On rit de ses trames rompues à chaque instant, et Molière s’est arrangé de façon à ce qu’on en fût satisfait. […] C’est un rire bienveillant qui les accueille, sans que l’on perde le respect dû au personnage. […] Laissez-nous donc rire du malheur des Georges Dandin du théâtre et du monde. Cela sert la morale, au lieu de la blesser, et nous donne un peu de bon temps ; le rire est si rare de nos jours ! […] La ville seule riait de ses naïfs et spirituels tableaux.

61. (1858) Molière et l’idéal moderne (Revue française) pp. 230-

Quels sanglots sous ce rire ! […] Le rire peut être intérieur au sujet ou extérieur à lui ; il peut naître des entrailles de la chose on venir du dehors comme un accident. […] Dans la plaisanterie, c’est l’auteur qui rit, qui se moque, qui fait rire.

62. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE X. Du Père, de la Famille, de l’Etat. » pp. 193-216

Obliger sans cesse le spectateur à mépriser des tètes respectables, et à rire sans pitié des Gorgibus 671, des Pandolfe, des Anselme 672, des Albert, des Polidore 673, des Alcantor 674, des Sganarelle 675, des Géronte 676, des Orgon 677, des Sotenville 678, des Harpagon 679, des Oronte 680, des Jourdain 681, des Argante 682, des Chrysale 683 et des Argan 684 l’en a-t-il un seul qui ne soit ou tyrannique, ou égoïste, ou avare, ou lubrique ; ou qui, s’il a quelques qualités, ne les gâte par des défauts toujours ridicules, souvent honteux ? […] »   Quelle ne doit pas être la démoralisation lente produite par un spectacle qui dure sans interruption depuis deux siècles, et qui enseigne sans cesse aux jeunes gens à rire de ce que le devoir et la nature leur ordonnent de respecter ? […] Nous nous obstinons à ignorer que c’est sous son règne que fut inventé le moi de patriote ; que la tyrannie féodale fut définitivement vaincue ; que la liberté commerciale et industrielle prit son premier et victorieux essor ; que le peuple fut déchargé des impôts du servage ; que la justice cessa d’être une routine ou un abus ; que ceux qui s’engraissaient du suc de la France712 furent brisés, et que des fils de bourgeois et de marchands vinrent remplacer au ministère les ducs et les princes déchus ; nous oublions qu’il souffrit que l’éducation de son petit-fils fût nourrie des plus hardies et même chimériques utopies républicaines ; qu’il servit à sa table, de sa royale main, le valet de chambre qui proclama que la France est un peuple, qui immola les marquis au rire du peuple, cent cinquante ans avant que le peuple les traînât à la guillotine, et enfin qu’il voulut être le parrain du fils de ce fils du peuple. […] Molière y alla sans marchander ; il mit sur la scène un gueux plus noble de cœur qu’un gentilhomme716 ; il bafoua les bourgeois qui croient que c’est une belle chose de devenir gentilhomme ; les Arnolphe qui se donnent le nom de Monsieur de la Souche ; les Gros-Pierre qui s’appellent pompeusement Monsieur de l’Isle 717 ; les George Dandin qui, par un allongement, reçoivent le titre de Monsieur de la Dandinière 718 ; on n’oubliera jamais l’illustre maison de Sotenville, dans laquelle « Bertrand de Sotenville fut si considéré en son temps que d’avoir permission de vendre tout son bien pour le voyage d’outre-mer719, » ni celle de la Prudoterie « où le ventre anoblit720 ; » on rira éternellement des manies de dignité et de vanité qui constituent toute la noblesse des Pourceaugnac et des Escarbagnas ; enfin le type du marquis, produit par Molière et prodigué dans toutes ses pièces, est resté et restera comme l’un des meilleurs personnages du théâtre comique. […] Le marquis aujourd’hui est le plaisant de la comédie ; et comme, dans toutes les comédies anciennes, on voit toujours un valet bouffon qui fait rire les auditeurs, de même, dans toutes nos pièces de maintenant, il faut toujours un marquis ridicule qui divertisse la compagnie737. » Cette satire des marquis est faite avec verve et hardiesse, mais sans fiel.

63. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE XII. Réflexions Générales. » pp. 241-265

Immoler sous le rire tous leurs ridicules, toutes leurs passions honteuses, et leur montrer en riant ce que sont la vraie distinction et la vraie noblesse, c’est travailler sans aucun doute à les rendre meilleurs. […] Toutes ces choses excellentes, il les a enseignées presque sans le vouloir, poursuivant son but de comédien, cherchant seulement le rire et l’émotion, et semblant ignorer quelle puissance était attachée à. ses moindres paroles.   Et puis, d’une autre part, toujours pour faire rire, il a forcé le cœur à être indulgent pour des gens méprisables, à s’intéresser au succès de ruses honteuses ; il a mis les grâces et l’esprit dans des personnes indignes ; il a chanté des refrains bachiques et des couplets licencieux ; il a fait des plaisanteries grivoises ; il a ri du crime d’adultère comme d’une chose fort comique ; il a tourné en ridicule, avec une verve inépuisable, l’autorité paternelle. […] Ce génie, c’est le rire : il subjugue ; on s’y laisse aller d’autant mieux qu’il est délicat et franc ; en sorte qu’insensiblement on s’attache à ce qui plaît, en oubliant absolument de juger si cet attachement s’applique au bien ou au mal.

64. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VIII. » pp. 144-179

Du fruit de son conseil le Docteur s’applaudit, Rit en Jurisconsulte, & des maris se raille. […] C’est à la Fontaine, comme on vient de le voir, que Moliere doit l’humeur goguenarde de cet Arnolphe qui rit des malheurs arrivés aux maris, & qui se trouve ensuite au rang des infortunés. […] Jaloux à faire rire ? […] Enfin quand la grande envie qu’elle avoit de rire fut assez satisfaite, & lui laissa la liberté de parler, elle dit à la vieille qu’il falloit bien que ce gentilhomme n’eût jamais été marié, & que c’étoit elle qui se promenoit dans sa chambre, toute armée. […] Elle voulut laisser Laure dans son erreur, & au lieu de se montrer surprise de la nouveauté de la chose autant qu’elle l’étoit, elle se mit à rire avec Laure de la frayeur qu’avoit eu le galant.

65. (1843) Le monument de Molière précédé de l’Histoire du monument élevé à Molière par M. Aimé Martin pp. 5-33

Un législateur qui le fait rire, qui le corrige en l’amusant, le plus joyeux des législateurs, élevé à la toute puissance par lu grâce de son génie et de sa gaîté ? […] Tableau charmant qu’il oppose au tableau de l’amour grossier du populaire, faisant rire de l’un, faisant admirer l’autre, corrigeant les premiers par les derniers, et triomphant de tous les vices que peut atteindre son ardente raillerie. […] Voilà la source non de sa gaîté franche et railleuse, mais du trait bouffon qui dans ses pièces fait éternellement éclater le rire. […] Il riait aux pièces de Molière, mais sans reconnaissance pour son génie. […] « La postérité saura peut-être la fin de ce poète comédien qui en jouant son Malade Imaginaire ou son Médecin par Force reçut la dernière atteinte de la maladie dont il mourut « peu d’heures après, et passa des plaisanteries du théâtre, parmi lesquelles il rendit presque le dernier soupir, au tribunal de celui qui dit : malheur à vous qui riez, car vous pleurerez.

66. (1746) Notices des pièces de Molière (1658-1660) [Histoire du théâtre français, tome VIII] pp. -397

Ces pièces ne laissent pas d’être fort plaisantes et pleines d’esprit, témoin Le Menteur, dont nous parlons, Dom Bertrand de Cigarral, Le Geôlier de soi-même ; mais enfin la plus grande beauté de la comédie était inconnue ; on ne songeait point aux mœurs, aux caractères ; on allait chercher bien loin les sujets de rire dans des événements imaginés avec beaucoup de peine, et on ne s’avisait point de les aller prendre dans le cœur humain qui en fourmille. […] Il produisit une réforme générale ; on rit, on se reconnutb ; on applaudit en se corrigeant. » « [*]Il y a très peu de défauts contre la langue (dans cette pièce) parce que lorsqu’on écrit en prose, on est bien plus maître de son style, et parce que Molière, ayant à critiquer le langage des beaux esprits du temps, châtia le sien davantage. […] « Il apprit que les gens de qualité ne voulaient rire qu’à leurs dépens ; qu’ils voulaient que l’on fît voir leurs défauts en public ; qu’ils étaient les plus dociles du monde, et qu’ils auraient été bons du temps où l’on faisait pénitence à la porte des temples, puisque loin de se fâcher de ce que l’on publiait leurs sottises, ils s’en glorifiaient : et de fait, après que l’on eut joué les Précieuses, où ils étaient bien représentés et bien raillés, ils donnèrent eux-mêmes, avec beaucoup d’empressement, à l’auteur dont je vous entretiens, des mémoires de tout ce qui se passait dans le monde et des portraits de leurs propres défauts, et de ceux de leurs meilleurs amis, croyant qu’il y avait de la gloire pour eux que l’on reconnût leurs impertinences dans ses ouvrages, et que l’on dît même qu’il avait voulu parler d’eux : car vous saurez qu’il y a de certains défauts de qualité dont ils font gloire, et qu’ils seraient bien fâchés que l’on crût qu’ils ne les eussent pas. […] « [*]On remarqua, dans Le Cocu imaginaire, que l’auteur, depuis son établissement à Paris, avait perfectionné son style ; cet ouvrage est plus correctement écrit que ses deux premières comédies, mais si l’on y retrouve Molière en quelques endroits, ce n’est pas le Molière des Précieuses ridicules ; le titre de la pièce, le caractère du premier personnage, la nature de l’intrigue, et le genre de comique qui y règne, semble annoncer qu’elle est moins faite pour amuser les gens délicats que pour faire rire la multitude ; cependant on ne peut s’empêcher d’y découvrir en même temps un but très moral ; c’est de faire sentir combien il est dangereux de juger avec trop de précipitation, surtout dans les circonstances où la passion peut grossir ou diminuer les objets. […] Une grande troupe ou famille De comédiens de Castille, Se sont établis dans Paris, Séjour des jeux, danses et ris ; Pour considérer leur manière, J’allai voir leur pièce première, Donnant à leur porter tout franc, La somme d’un bel écu blanc ; Je n’entendis point leurs paroles, Mais tant Espagnols, qu’Espagnoles, Tant comiques, que sérieux, Firent chacun tout de leur mieux, Et quelques-uns par excellence, À juger selon l’apparence.

67. (1819) Notices des œuvres de Molière (III) : L’École des femmes ; La Critique de l’École des femmes ; L’Impromptu de Versailles ; Le Mariage forcé pp. 164-421

Brécourt joua le rôle d’Alain, et le joua si plaisamment que Louis XIV ne put s’empêcher de s’écrier : Cet homme-là ferait rire des pierres. […] Le personnage qui a le plus d’intérêt à tout cacher, informe de tout celui qui a le plus d’intérêt à tout savoir : nous rions de l’imprudente confiance du premier ; nous jouissons de la rage muette et concentrée du second. […] Que ta ris agréablement ! […] Molière, dont le but était de faire rire aux dépens des personnages ridicules, et de les corriger, s’il se pouvait, ne craignait pas d’employer pour cette fin des personnages vicieux. […] Un particulier, nommé Plapisson, dont on ne sait rien, sinon qu’il passait pour un grand philosophe, assistant, sur le théâtre, à la représentation de L’École des femmes, haussait les épaules à chaque éclat de rire du parterre, et, le regardant, tantôt avec dédain, tantôt avec colère, lui disait tout haut : Ris donc, parterre, ris donc.

68. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIII. » pp. 436-488

On rit beaucoup de son étonnement ; & tous les acteurs finissent par se battre à coups de bâton. […] vous n’en riez pas ? […] Mais vous n’en riez pas ? […] Mais riez donc. […] vous ne riez pas de ce vieux bossu, de ce maussade à triple étage !

69. (1900) Molière pp. -283

Son vaste répertoire, c’est le répertoire du rire ; le rire s’y démène si bien, il y règne en souverain, en maître si absolu, que rien n’y manque, pas même les plus libres facéties de tréteaux et les plus violentes tabarinades. […] Ce rire de Molière, messieurs, ce rire se donne pleine carrière ; il n’épargne rien ; Molière, poète comique, n’a respecté ni les autres ni lui-même, ni rien de ce qui était autour lui ! […] On rit toujours aux Précieuses ridicules : il est convenu qu’on doit rire, et l’on rit, et l’on ne médite pas sur tous les mots. […] L’esprit a beau rire et se moquer. […] Elle songe en elle-même que rira bien qui rira le dernier, — un proverbe qu’elle a peut-être inventé, — et qu’après tout ce n’est pas pour lui que sont les biens solides de la terre.

70. (1747) Notices des pièces de Molière (1666-1669) [Histoire du théâtre français, tome X] pp. -419

Les efforts qu’il fit pour achever son rôle augmentèrent son oppression, et l’on s’aperçut qu’en prononçant le mot juro, dans le divertissement du troisième acte, il lui prit une convulsion qu’il tâcha en vain de déguiser aux spectateurs par un ris forcé. […]             Rien au monde n’est si plaisant,             Ni si propre à vous faire rire :             Et je vous jure qu’à présent,             Que je songe à vous en écrire,             Le souvenir fait (sans le voir)             Que j’en ris de tout mon pouvoir. […] L’on rit, dit Horace*, et le poète est tiré d’affaire. […] Lui-même, donc, avec sa troupe, Laquelle avait les ris en croupe, Fit là le début des ébats, De notre cour pleine d’appas, Par un sujet archi-comique, Auquel rirait le plus stoïque, Vraiment malgré, bon gré ses dents, Tant sont plaisants les incidents. […] Ils me regardent tous, et se mettent à rire.

71. (1765) Molière dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (compilation) pp. 2668-16723

Ces images nous font sourire, si elles sont peintes avec finesse : elles nous font rire, si les traits de cette maligne joie, aussi frappans qu’inattendus, sont aiguisés par la surprise. […] Si l’on nous demande pourquoi le comique de situation nous excite à rire, même sans le concours du comique de caractere, nous demanderons à notre tour d’où vient qu’on rit de la chûte imprévûe d’un passant. […] Rire. […] Plaute tendoit sur-tout à faire rire ; il se plaisoit à amuser & à jouer le petit peuple. […] Moliere fait rire les plus austeres.

72. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre X. La commedia dell’arte en France pendant la jeunesse de Molière » pp. 160-190

Scaramouche fut mandé à Paris toutes les fois qu’on y appelait une troupe italienne ; et Louis XIV rappelait volontiers à Fiurelli leur première entrevue, et riait beaucoup en le voyant mimer le récit de l’aventure. […] En un mot, c’est ici où cet incomparable Scaramouche, qui a été l’ornement du théâtre et le modèle des plus illustres comédiens de son temps qui avaient appris de lui cet art si difficile et si nécessaire aux personnes de leur caractère, de remuer les passions, et de les savoir bien peindre sur le visage (c’est une allusion à Molière) ; c’est ici, dis-je, où il faisait pâmer de rire pendant un gros quart d’heure dans une scène d’épouvante où il ne proférait pas un seul mot. […] Si nous en croyons Le Boulanger de Chalussay, l’auteur d’Élomire hypocondre, Molière aurait positivement reçu de Scaramouche des leçons de pantomime, et lui aurait dû ses progrès dans l’art du comédien : ………… Par exemple, Élomire Veut se rendre parfait dans l’art de faire rire ; Que fait-il, le matois, dans ce hardi dessein ? […] Valet de Scaramouche, il faisait pâmer de rire les spectateurs.

73. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXVI. De la Vraisemblance. » pp. 434-445

Il cherchoit à faire rire beaucoup, n’importe comment. […] Hector, en lisant Séneque, épele en effet, & met chaque mot en pieces, comme un enfant qui lit pour la premiere fois : surcroît d’invraisemblance qui fait bien rire le parterre des Dimanches, mais qui fait, avec juste raison, secouer la tête aux connoisseurs. […] J’ose même penser que, de cette façon, le comique ne perdra rien de sa vivacité, puisque Sganarelle rit toujours d’un malheur qu’il essuie, & presse également un hymen qui le mettra au désespoir.

74. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVIII. M. GOLDONI. » pp. 468-479

Que seroit-ce si, plus savant dans l’art d’imiter son maître, il eût fait rire l’ame ? Le rang décerné à Regnard par tous les connoisseurs prouve incontestablement qu’on veut rire à la comédie & non y pleurer. […] Il le feroit bien vîte disparoître en le mettant sur la scene, & en nous forçant d’en rire.

75. (1821) Scène ajoutée au Boulevard Bonne-Nouvelle, pour l’anniversaire de la naissance de Molière pp. -

Yes… C’était moi qui faisais le Dandin… La pièce elle était fort à la mode, et ils avaient ri beaucoup de moi. […] Il faisait plus que rire… Il parlait toujours de Thomas Diafoirus ; et quand je lui demandais de l’argent, il me disait : Clisterium donare, ensuita purgare … Il y a de quoi se pendre

76. (1914) En lisant Molière : l’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Or le spectateur ne rit pas beaucoup ou se reproche de rire. […] Le public parce qu’il rit de Monsieur Jourdain n’est pas absolument forcé d’être amoureux de Dorante, non plus que parce qu’il rit d’Orgon il n’est forcé d’avoir tendresse d’âme pour Tartuffe. […] L’auteur nous fait rire par l’exposition pure et simple de ce vice dans tout son détail et non en le faisant battre par quoi que ce soit. […] Les Français rient dès qu’ils voient quelqu’un qui porte un chapeau un peu différent de celui qu’on porte dans leur quartier. […] Chez Molière nous rions des sots qui sont dupés, mais nous méprisons les coquins qui les dupent.

77. (1852) Légendes françaises : Molière pp. 6-180

Au milieu de ses malheurs, il ne pensa aux autres hommes que pour les faire rire, les consoler, les rendre meilleurs. […] Il les fit rire en leur parlant sérieux. […] Qu’enfin dans la passion d’Arnolphe, c’était sa propre passion qu’il exposait aux rires de la foule ! […] On riait aux éclats ; il observait et faisait son profit des contenances de ce naïf auditoire. […] Tant que l’âge des fleurs Nous rit, qui, las !

78. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Ici il ne faut point rire ou se récrier, et dire qu’il nous importe peu, à nous humains et humains civilisés, que pour les crapauds les plus beaux objets du monde soient leurs crapaudes. […] De tous côtés, sous les portiques des temples, je voyais les Athéniens se promener librement, se saluer avec grâce, s’arrêter, causer, rire. […] Il rit volontiers ; mais il veut que son rire soit provoqué par un jugement. […] Un bretteur de qualité veut le prendre pour témoin rie son duel ; il réfléchit un instant, prononce vingt phrases qui le dégagent, et sans faire le capitan, laisse les spectateurs persuadés qu’il n’est point lèche. […] C’était risquer beaucoup contre un homme qui avait eu l’honneur de faire rire le roi au dépens des marquis et des ducs.

79. (1882) Molière (Études littéraires, extrait) pp. 384-490

Or il y réussit par cette incomparable naïveté qui n’est que la nature prise sur le fait, comme le laisse entendre ce mot de Joubert : « Molière est comique de sang-froid, à son insu : il provoque le rire, et ne rit pas. » Son style. […] Pourquoi rit-on d’Alceste ? […] C’est ainsi que, dans les chœurs bouffons de M. de Pourceaugnac et du Malade imaginaire, Molière riait encore, au moment où il se mourait déjà. […] Nous n’excusons pas ce qui nous offense, mais nous l’expliquons ; et nous estimons que dans cette crise, où le sérieux eût tout perdu, le rire sauve tout156. […] Dans L’École des femmes, Arnolphe prête à rire, parce qu’il est grondeur et jaloux.

80.

La comédie des Plaideurs l’amuse, il en rit franchement. Le rire du Roi gagne naturellement la Cour, et la Cour entraîne la Ville. […] Lorsque le public ne se laissait pas encore aller sans hésitation au comique de L’Avare, on a vu Racine reprocher à Despréaux d’avoir ri ouvertement sur le théâtre où, selon lui, Despréaux était seul à rire. […] Thym a traduit « ricaner » comme si Cléante riait à gorge déployée. […] C’est Dorine qui se rit des gens à leur nez.

81. (1861) Molière (Corneille, Racine et Molière) pp. 309-514

Pour n’en citer qu’un exemple, la comédie peut exciter sans doute cette espèce de rire que l’on appelle le fou rire, sans tomber ni dans le comique d’intrigue, ni dans celui de mœurs, ni dans celui de caractère. […] Il semble qu’il ait cherché un refuge dans l’excès et l’ivresse du rire. […] Il y a de quoi rire dans la famille d’Orgon. […] Pauvre et grand poète, que de fois sur la scène son rire dut être forcé ! […] Qui sait s’il n’a pas ri quelquefois avec Célimène et Philinte de son farouche Alceste ?

82. (1819) Notices des œuvres de Molière (II) : Les Précieuses ridicules ; Sganarelle ; Dom Garcie de Navarre ; L’École des maris ; Les Fâcheux pp. 72-464

Molière jouait le rôle de Mascarille ; il se servit d’un masque aux premières représentations ; mais ensuite il le quitta, persuadé avec raison que sa figure, dont le jeu était singulièrement comique, valait mieux, pour exciter le rire, que l’immobilité du masque le plus grotesque. […] Ce sujet avait fourni à la vivacité italienne quelques saillies bouffonnes et quelques lazzis plaisants ; le génie de Molière y a trouvé une suite de situations comiques qu’il a développées dans un dialogue plein de verve, et sa pièce, quoique éloignée aujourd’hui du théâtre, est restée en possession d’exciter le rire et de dérider les fronts les plus mélancoliques. […] La remarque la plus importante peut-être à laquelle Le Cocu imaginaire puisse donner lieu, c’est que Molière, pour la première fois, y fit rire aux dépens d’une classe d’hommes que la malignité publique fait sans doute plus nombreuse qu’elle ne l’est, et dont le malheur, redouté de chacun de ceux qui y sont exposés, n’en est pas moins un objet de raillerie pour tous, sans en excepter ceux qui l’ont subi. […] Il n’y a guère de milieu : il faut qu’un jaloux fasse frémir et pleurer ; alors c’est un personnage tragique, c’est Orosmane ou Vendôme : ou bien il faut qu’il fasse rire ; alors c’est un personnage comique, c’est Arnolphe ou George Dandin. […] Plaute n’est plus qu’un plat bouffon, Et jamais il ne fit si bon Se trouver à la comédie ; Car ne pense pas qu’on y rie De maint trait jadis admiré Et bon in illo tempore ; Nous avons changé de méthode ; Jodelet n’est plus à la mode, Et maintenant il ne faut pas Quitter la nature d’un pas.

83. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIII. M. ROCHON DE CHABANNES. » pp. 381-412

Avant que d’entreprendre un récit ennuyeux, Il dit qu’il fera rire, & l’on bâille à ses yeux. […] Quand on se rit de lui, c’est une agacerie, Le sexe se l’arrache & le trouve charmant. […] Lisban rit des alarmes de sa femme : que seroit-ce, lui dit-il, si ton époux étoit d’épée ? […] J’ai fait rire à temps un Anglois Qui songeoit à ses funérailles ; Un Allemand, un Hollandois, Un Ministre allant à Versailles. […]  Je suis enchanté de votre air,  Et j’en ferai rire l’Hiver.

84. (1868) Une représentation de M. de Pourceaugnac à Chambord. Examen de deux fragments inédits paraissant appartenir à l’œuvre de Molière (Revue contemporaine) pp. 700-722

Si l’on rapproche de ces faits l’organisation musicale des intermèdes, la logique des morceaux de chant et de danse, si l’on cherche à faire concorder, en même temps, certaines anecdotes reçues pour vraies, telle, par exemple, celle de Lully sautant dans le clavecin de l’accompagnateur pour faire rire le roi Louis XIV, on arrivera facilement à conclure comme nous le faisons plus loin. […] Tout eût été expliqué dans les épisodes qui semblent se présenter sans raison, et la pièce eût surtout gagné par sa fin, qui eût été faite avec la poursuite des apothicaires ; ces apothicaires sont la gaieté ; le rire disparaît quand il sont partis ; ils ne devraient donc point se montrer au premier acte, car ils tuent l’élément comique pour le reste de la soirée, et ils formeraient un finale brillant, croissant en gaieté, tandis que le troisième acte actuel s’éteint dans l’ennui d’un rire forcé et trop prolongé. […] Si Lully voulait faire rire le roi et en retirer quelque avantage, il fallait qu’on sût que c’était lui qui jouait ; et, outre que les rôles des opérateurs étaient insignifiants, ces rôles étaient masqués5 ; Lully ne pouvait avoir l’idée de plaire et de rester en même temps inconnu. Donc Lully voulant faire rire le roi, et pour cela Lully se cachant, portant un masque pour chanter un rôle infime, nous paraît impossible ; et d’ailleurs, dans votre système, qui eût chanté Pourceaugnac ?

85. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre VII. Le théâtre français contemporain des Gelosi » pp. 119-127

Le rire, moins épanoui, moins insouciant chez nous, révélait, en revanche, bien plus de sagacité et de malice. […] Ce fut la fin de la farce de ces beaux jeux, mais non de ceux que voulurent jouer, après, les conseillers des aides, commissaires et sergents, lesquels, se prétendant injuriés, se joignirent ensemble et envoyèrent en prison MM. les joueurs ; mais ils furent mis dehors le jour même, par exprès commandement du roi, qui appela les autres sots, disant Sa Majesté que, s’il fallait parler d’intérêt, il en avait reçu plus qu’eux tous, mais qu’il leur avait pardonné et pardonnerait de bon cœur, d’autant qu’ils l’avaient fait rire jusqu’aux larmes.

86. (1843) Épître à Molière, qui a obtenu, au jugement de l’Académie française, une médaille d’or, dans le concours de la poésie de 1843 pp. 4-15

Tu vécus sérieux, toi qui nous fais tant rire. […] En vain tu rencontrais pour auguste patronne La faveur de Condé, l’amitié de Vivonne ; En vain, quand du faux goût hardi persécuteur, Ton bon sens le livrait aux ris du spectateur, De la postérité devançant le suffrage, Un vieillard t’applaudit et te cria : Courage !

87. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXV. De l’Illusion Théâtrale. » pp. 426-433

De quoi riez-vous ? […] Ils me regardent tous, & se mettent à rire.

88. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIV. M. BARTHE. » pp. 413-419

Page ne fait qu’en rire ; M. le Ford devient jaloux : le premier accuse son ami de croire trop légérement tout ce qui flatte sa jalousie ; le dernier lui reproche d’avoir trop de confiance en la vertu de sa femme. Nous avons déja vu dans le second volume de cet ouvrage, Chapitre XIII, des pieces intriguées par les Maîtres, que, dans les Fausses Infidélités, un fat maussade, nommé Mondor, entreprend de subjuguer les maîtresses de deux de ses amis ; qu’il leur écrit ; qu’elles se montrent les lettres ; qu’elles veulent punir l’original par un feint retour ; que l’un des rivaux de Mondor est jaloux ; que l’autre ne fait que rire d’une pareille rivalité ; que le premier reproche à son ami son sang-froid ; que le second le raille sur sa jalousie, &c.

89. (1856) Les reprises au Théâtre-Français : l’Amphitryon, de Molière (Revue des deux mondes) pp. 456-

Le mari, bien que trompé, mais trompé par une femme de bonne foi, qui ne peut rire de sa mésaventure, puisqu’elle l’ignore elle-même, éveille plus de sympathie que l’amant heureux obligé de prendre les traits d’Amphitryon pour obtenir les faveurs d’Alcmène. […] Sa vie personnelle intervient malgré lui, souvent même à son insu, dans le travail de son imagination ; il veut rire, il veut égayer ceux qui l’écoutent, et l’amertume se laisse deviner dans ses plus joyeuses railleries.

90. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIX » pp. 207-214

— Alors, cher Cynéas, victorieux, contents, Nous pourrons rire à l’aise, et prendre du bon temps. — Hé, seigneur, dès ce jour, sans sortir de l’Épire, Du matin jusqu’au soir qui vous défend de rire ?

91. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXVIII. De l’exposition des Caracteres. » pp. 433-447

que nous allons rire ! […] que nous allons rire ! […] que nous allons rire !

92. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XII. Des Scenes. » pp. 223-249

Depuis que dans la tête il s’est mis d’être habile, Rien ne touche son goût, tant il est difficile : Il veut voir des défauts à tout ce qu’on écrit, Et pense que louer n’est pas d’un bel esprit ; Que c’est être savant que trouver à redire ; Qu’il n’appartient qu’aux sots d’admirer & de rire, Et qu’en n’approuvant rien des ouvrages du temps, Il se met au-dessus de tous les autres gens : Aux conversations même il trouve à reprendre ; Ce sont propos trop bas pour y daigner descendre, Et les deux bras croisés, du haut de son esprit, Il regarde en pitié tout ce que chacun dit. […] Non, morbleu, c’est à vous, & vos ris complaisants Tirent de son esprit tous ces traits médisants. […] C’est pour rire, je crois. […] C’est pour rire, je crois.

93. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIV » pp. 126-174

Isolées, elles disent des niaiseries, dont elles rient aux éclats quand on les leur fait remarquer… — Ah ! […] — Sont-elles deux ensemble ou un plus grand nombre, elles rient au nez des gens, trouvent à redire à tout ce qu’on dit.… Ce sont les plus insupportables personnes du monde. » Mademoiselle de Montpensier fait une description assez grotesque de leur figure, et surtout de leurs minauderies. […] Mais comme c’est une vérité de l’art littéraire ou poétique observée par Voltaire, que ce qui fait rire au théâtre, ce sont les méprises des personnages, et que c’est une autre vérité recueillie par l’observation, que la méprise la plus risible et la plus ridicule consiste essentiellement dans la prétention manquée, il faut avoir plus d’esprit qu’il ne m’en appartient, pour reconnaître que Molière, ce grand maître de l’art dramatique, cet observateur profond, n’a exprimé ou sous-entendu ces vérités dans la préface des Précieuses que pour masquer un gros et plat mensonge sur ses intentions relativement à l’hôtel de Rambouillet. […] Mais ce qui n’admet point de réplique, c’est ce fait, attesté par Ménage, que madame de Rambouillet voulut réchauffer et réjouir sa souffrante vieillesse du spectacle des Précieuses, à leur première représentation, bien assurée sans doute de rire un moment à leurs dépens, et qu’il ne viendrait dans l’idée de personne de rire aux siens ; et en effet, elle et ses vieux amis y applaudirent de tout leur cœur52. […] Dans un siècle frivole, de bel esprit, de mauvaises mœurs, sous un gouvernement absolu, la satire, la comédie satirique, devaient être en grand honneur ; les bonnes qualités ne rachetaient pas le ridicule ; après le besoin de parler était venu le besoin de rire.

94. (1819) Introduction aux œuvres de Molière pp. -

Le but de la comédie est de corriger ; son moyen est de faire rire. […] On est dans un cercle de gens à bons mots qui veulent à 1a fois rire et faire rire les autres de leurs saillies. […] Le sel réjouissant de cette farce et le jeu plaisant de l’auteur, qui y faisait le principal rôle, excitèrent des rires universels. […] Il rie le pouvait pas, puisque Armande et Françoise étaient une seule personne. […] Celui qui fit tant rire, ne riait que fort rarement et d’un rire plus que modéré.

95. (1802) Études sur Molière pp. -355

et le valet, qui a voulu faire rire, ignore-t-il que le public est censé n’être pas là ? […] Arnolphe, loin de toucher Agnès, semble n’avoir voulu que la faire rire. […] ris donc !  […] Si je jouais le rôle de Clitandre, je me dirais, Molière veut que ma façon de rire et mon ton de fausset soient ridicules, mais de manière à faire rire la bonne compagnie, et non les partisans, les admirateurs de Polichinel. […] La multitude rit à la vérité, mais les gens de goût haussent les épaules.

96. (1852) Molière — La Fontaine (Histoire de la littérature française, livre V, chap. I) pp. 333-352

En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n’être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens et bien usitées ; mais ce n’est pas assez dans les autres : il y faut plaisanter ; et c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. » Molière a réussi dans cette étrange entreprise : il fait excellemment rire les honnêtes gens, et il ne s’inquiète pas si les autres font la grimace. […] Molière n’est ni édifiant ni scandaleux, il fait réfléchir et il fait rire : or, la réflexion est salutaire quand elle conduit à s’amender, et le rire est hygiénique.

97. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE VII. De l’Amour. » pp. 121-144

Il semble qu’Henriette pourrait souffrir les hommages de Trissotin, quand ce ne serait que pour en rire, et pour complaire aux idées de sa mère : non, elle le prendra à part pour lui dire : Je vous estime, autant qu’on sauroit estimer ; Mais je trouve un obstacle à pouvoir vous aimer : Un cœur, vous le savez, à deux ne sauroit être, Et je sens que du mien Clitandre s’est fait maître480. […] Le spectateur, fatigué de rire, s’y repose avec une émotion délicieuse ; et l’auteur sait quelquefois, par la simplicité du style et la vérité de la passion, faire parler à l’amour un langage digne de Corneille : CLITANDRE. […] et voyez-vous rien de plus impertinent que ces femmes qui rient à tout propos ? […] Les amours de la femme incomprise, de la femme de quarante ans n’ont été peints par Molière que pour exciter le rire fou, comme Bélise des Femmes savantes ou la Comtesse d’Escarbagnas.

98. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE PREMIER. » pp. 5-19

Licipe qui le croit s’apprête à partir, quand Cléandre paroît, reconnoît le cabaretier, rit de son déguisement, & avertit son rival qu’on le trompe. […] Il conseille à sa prétendue sœur de donner Cléandre à sa fille, quand Cléandre lui-même rit au nez du faux oncle, & découvre la supercherie. […] Une des choses qui fait le plus rire dans l’Etourdi François est puisée dans d’Ouville.

99. (1732) Jean-Baptiste Pocquelin de Molière (Le Parnasse françois) [graphies originales] « CII. JEAN-BAPTISTE POCQUELIN. DE MOLIERE, Le Prince des Poëtes Comiques en France, & celebre Acteur, né à Paris l’an 1620. mort le 17. Fevrier de l’année 1673. » pp. 308-320

Il arriva qu’un jour Moliere étant à la table de ce Prince, les Pages qui y servoient, ne cherchant qu’à badiner & voulant empêcher Moliere de manger les bons morceaux qu’on lui presentoit, lui changeoient d’assiette dans l’instant qu’on les lui servoit ; Moliere s’en étant apperçu, prit promptement une aîle de Perdrix, qu’on ne faisoit que poser sur son assiete, & n’en fit qu’une bouchée jusqu’à l’os, qu’il remit sur l’assiete : le Page qui vint pour lui ôter son assiete, ne fut pas assez alerte, & ne retira que l’os de cette aîle de perdrix, ce qui fit rire Moliere ; M. le Prince lui en demanda la raison ; il lui répondit : Monseigneur, c’est que vos Pages ne sçavent pas lire, il prennent les O pour les L. […]    L’homme ennemi du genre humain,    Le Campagnard, qui tout admire,    N’ont pas lû tes Ecrits en vain ; Tous deux s’y sont instruits en ne pensant qu’à rire. […] Mais qui peut ignorer les raisons que Moliere a euës de donner dans quelques-unes de ses Pieces quelques Scenes burlesques & d’un Comique un peu trop boufon : il falloit faire subsister une troupe de Comédiens, & attirer le Peuple & l’homme qui ne cherche qu’à rire : les personnes d’érudition & d’un discernement juste & délicat sont en petit nombre, & ne sont pas souvent les mieux traitez de la fortune, & par conséquent hors d’état de faire vivre les Comédiens en allant souvent aux Spectacles occuper les premieres places.

100. (1692) Œuvres diverses [extraits] pp. 14-260

Sans ce métier fatal au repos de ma vie, Mes jours, pleins de loisir couleraient sans envie, Je n’aurais qu’à chanter, rire, boire d’autant ; Et comme un gras Chanoine, à mon aise, et content, Passer tranquillement, sans souci, sans affaire, La nuit à bien dormir, et le jour à rien faire, Mon cœur exempt de soins, libre de passion, Sait donner une borne à son Ambition, Et suivant des grandeurs la présence importune, Je ne vais point au Louvre adorer la Fortune : Et je serais heureux, si, pour me consumer, Un destin envieux ne m’avait fait rimer. […] Imite mon exemple ; et lorsqu’une Cabale, Un tas de vains Auteurs follement te ravale, Profite de leur haine, et de leur mauvais sens : Ris du bruit passager de leurs cris impuissants.

101. (1855) Pourquoi Molière n’a pas joué les avocats pp. 5-15

Il l’a dit quelque part en parlant de lui-même : « Ce ne sont point les médecins qu’il joue, mais le ridicule de la médecine 4. » Or, il aurait bien pu faire rire aux dépens de tel ou tel avocat, mais jouer le ridicule de la profession elle-même, cela était impossible; il le comprit et n’en parla point. […] Tout cela ne vient pas des individus, mais bien de la profession elle même, et c’est de là que naît le comique, c’est là ce qui fait rire même de l’idée de la mort, à chaque instant brutalement répétée ; car autrement, un homme qui de lui-même se jouerait de la vie d’un autre serait odieux, tandis que le médecin, entêté de ses règles, « vous expédiera de la meilleure foi du ‌ monde6. » Mais, en conservant cette même idée, ne faisons que changer de robe; nous voici en Cour d’assises : cet avocat qui est là plaide pour sauver un accusé de la mort ; l’intérêt est le même, c’est de même aussi l’exercice d’une profession, seulement ici le sourire ne saurait trouver place.

102. (1856) Molière à la Comédie-Française (Revue des deux mondes) pp. 899-914

Non-seulement Arnolphe, tel qu’ils le représentent, prête à rire, ce qui est dans la vérité, mais il exagère à plaisir le ridicule de sa situation, comme s’il voulait dire aux spectateurs : Ne vous méprenez pas sur mon compte ; je ne suis pas si sot qu’on pourrait le croire. […] Et comment s’amuser, si avant de rire on a besoin de se consulter ? Pourvu qu’on rie, c’est le principal. […] Cependant, si Chrysale ne prend pas au sérieux ses railleries contre les femmes savantes, s’il se trouve ridicule, et s’applique à provoquer le rire de l’auditoire, ce personnage devient un non-sens.

103. (1919) Molière (Histoire de la littérature française classique (1515-1830), t. II, chap. IV) pp. 382-454

Il a vu, il voit chaque soir quels moyens de faire rire sont irrésistibles, et quels sont d’un effet médiocre. […] Elles sont burlesques  : les moyens dont elles disposent pour faire rire sont la parodie et la grossièreté. […] En troisième lieu, Molière va chercher le rire aux vraies sources du ridicule. […] Ces deux personnages nous font rire. Mais nous rions de ce qu’ils ont d’excessif et d’outré, du burlesque de leur grossissement, pour ainsi dire, de leur grimace, de leur caricature.

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