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23. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « PRÉFACE. Du Genre & du Plan de cet Ouvrage. » pp. 1-24

Ils sont entrés, avec ce dernier sur-tout, dans tous les mysteres de Thalie ; ils ont analysé son Tartufe, son Misanthrope, son Avare, ses Femmes Savantes, & tous ses divers chefs-d’œuvre, pour y puiser l’art si difficile de saisir la nature, & de la peindre par un mot, par un geste, par un silence, pour y apprendre le secret de faire tout concourir au même but, sans que rien ait trop l’air d’y prétendre, & sans nuire à l’illusion. […] On a beau dire que la nature & la vérité ne se montrent jamais sans être apperçues ; on les goûte plus ou moins, selon qu’on est plus ou moins instruit. […] c’est un homme qui, riche de tous les dons de la nature & de toutes les acquisitions de l’art, sauroit subjuguer en même temps les yeux, les oreilles, l’esprit & le cœur. Le comédien, pour exceller, doit avoir reçu de la nature une taille, une figure, une voix propres aux rôles auxquels elle le destine. […] Tels sont à-peu-près les présents que le comédien doit tenir de la nature.

24. (1819) Notices des œuvres de Molière (I) : L’Étourdi ; Le Dépit amoureux pp. 171-334

On voudrait, en quelque sorte, qu’ils eussent toutes les qualités d’une bonne définition, c’est-à-dire qu’ils fussent clairs, comprissent tout le sujet, et convinssent au sujet seul ; et l’on a vu des comédies fort estimables, sinon condamnées, du moins jugées avec rigueur, par l’unique raison qu’un titre vague ou disproportionné avait trompé le spectateur sur la nature ou sur l’étendue du sujet. […] C’est la même idée, comme le titre l’indique ; mais ce n’est pas le même sujet, si, par ce mot, ou entend la nature et la disposition des incidents, en un mot l’action. […] Du rôle insignifiant de cette sœur dont on emprunte le nom et les vêtements, il fit le délicieux personnage de Lucile, et il créa cette admirable scène de brouillerie et de raccommodement, image si fidèle d’une nature charmante, qu’il a répétée plus d’une fois lui-même, et qu’on a mille fois répétée d’après lui. […] Fallait-il à Molière, pour lui enseigner à peindre les agitations de l’amour, d’autres maîtres que son cœur qui les éprouva toutes, et la nature qui n’eut aucun secret pour lui ?

25. (1862) Corneille, Racine et Molière (Revue chrétienne) pp. 249-266

Monnard, qui joignait à une connaissance raisonnée de sa langue maternelle une connaissance approfondie des langues anciennes et de celles des principaux peuples de l’Europe, avait fait de ses cours une étude comparée des littératures diverses, l’expression des développements divers de la nature humaine. […] Veut-on savoir exactement de quelle nature est cette influence ? […] Or accorder dans la question dont il s’agit la première place à des considérations de cette nature, c’est déjà condamner la femme à une infériorité irréparable ; c’est en faire un être qui ne vaut pas pour lui-même, mais seulement pour l’homme, son maître et seigneur. […] Il n’a pas l’air de penser que la nature, en leur donnant une intelligence aussi bien qu’aux hommes, les ait appelées par cela seul à la cultiver. […] La nature, la vraie nature, droite, saine et forte, l’emporte sans cesse chez lui sur tes habitudes acquises et proteste avec une sublime énergie contre toutes les. déviations et tous les compromis.

26. (1816) Molière et les deux Thalies, dialogue en vers pp. 3-13

Un misanthrope aigri vainement en murmure ; Ce sont vices unis à l’humaine nature : J’ai fait de vains efforts, croyant les corriger, Le masque est différent, l’homme n’a pu changer. […] Il est toujours bien temps d’embrasser ce parti, Lorsque de la beauté l’éclat est amorti ; Vous n’en êtes point-là ; non, croyez-en Molière, Reprenez votre humeur, vous pourrez longtemps plaire Et par le naturel et par la vérité ; Laissez là ce maintien, ce langage affecté ; Laissez ce style faux dont le bon sens murmure, Car ce n’est pas ainsi que parle la nature. […] C’est différent : au moins, vous avez une excuse ; Pleurez ; mais, croyez-moi, le rire vous va mieux : Laissez à Melpomène injurier les dieux, Apostropher le ciel d’une plainte importune, Quereller les destins et braver la fortune ; Vous, peignez la nature et l’homme tel qu’il est ; Qu’il s’amuse en voyant son bizarre portrait ; Tachez de corriger, mais surtout faites rire ; Rien ne vaut la gaîté ; l’espèce humaine en tire Des plaisirs toujours sûrs ; bien souvent la santé, Et presque autant de biens que de la Faculté L’on peut tirer de maux ; c’est dire assez, sans doute. […] Il est aussi dans notre nature d’estimer les choses à proportion qu’elles s’éloignent de nous, major è longinquo reverentia.

27. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXVII. Des aparté. » pp. 446-462

vous m’avez déja accordé un point essentiel, puisque, selon vous, les aparté sont dans la nature. […] — Non, puisque l’aventure est censée se passer seulement entre les personnes intéressées. — Si le spectateur est censé n’être pas présent, sa présence peut-elle faire qu’une chose naturelle par elle-même devienne tout de suite contre nature ? […] Dans l’instant même où il soutenoit avec plus de feu qu’ils n’étoient pas dans la nature, Boileau disoit à ses voisins : La Fontaine est un grand sot ! […] Par conséquent les aparté, quoique dans la nature par eux-mêmes, peuvent devenir plus ou moins vicieux, plus ou moins naturels, selon l’art des Auteurs. […] Plaute, moyennant cette adresse, est rentré dans la nature dont il paroissoit s’écarter, & l’on n’a pas le plus petit mot à dire, si son fourbe s’excuse adroitement.

28. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IX. Du Genre larmoyant. » pp. 103-122

Erreur accréditée par les Auteurs & les Acteurs, qui, privés des dons rares & précieux qu’il faut avoir reçus de la nature pour la peindre gaiement, & pour exciter la joie du public, n’osent avouer leur insuffisance, veulent jouer un rôle dans le monde, & feignent de suivre par raison une carriere où leur foiblesse seule les conduit. […] « Du moins, ajoutera-t-on, vous ne pouvez pas disconvenir que ce qu’on dit, que ce qu’on fait dans les pieces larmoyantes & dans les drames ne soit dans la Nature ». […] — « Cela prouve que ces pieces sont faites pour figurer avec grace sur la scene, puisque le théâtre est un cadre sous lequel les Auteurs ont droit de nous peindre la Nature dans toutes ses attitudes ». […] Tout cela est on ne peut pas mieux dans la Nature. […] Le Poëte tragique, le Poëte comique doivent peindre la Nature, il est vrai ; mais l’art du premier consiste à la saisir dans ses instants de mauvaise humeur : l’art du second, dans ses instants de gaieté, & jamais dans ceux que la décence doit couvrir d’un voile.

29. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIX & dernier. Des causes de la décadence du Théâtre, & des moyens de le faire refleurir. » pp. 480-499

« La nature épuisée n’enfante plus, dit-on, de grands hommes ». […] La nature toujours également féconde, toujours également bonne mere, se plaît à faire naître dans chaque siecle un certain nombre de talents dans tous les genres, & chacun de ces talents languit ou produit des fleurs & des fruits en abondance selon qu’il est plus ou moins secondé par les circonstances. […] La nature le destinoit à illustrer sa patrie : le discrédit des Lettres, les privileges tyranniques d’une seule troupe en font quelquefois une des sangsues de l’Etat, ou du moins un homme inutile. […] Les Acteurs qui voudront être lestes sur le cothurne, lourds sur le brodequin, & sortir de la nature, seront sifflés, parceque leurs rivaux feront leur critique en conservant les nuances convenables à chaque genre. […] La nature de cet ouvrage ne me permet pas d’entrer dans de plus grands détails : tous sont de la derniere importance ; mais ils nous meneroient trop loin.

30. (1852) Molière — La Fontaine (Histoire de la littérature française, livre V, chap. I) pp. 333-352

Le vrai génie comique que Molière seul peut-être a possédé dans la perfection, c’est-à-dire le don de réaliser dans des types individuels les traits généraux de la nature humaine, est essentiellement impersonnel : il se détache de ce moi tyrannique, si difficile à soumettre, pour vivre de la vie d’autrui et pour la reproduire. […] Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d’après nature : on veut que ces portraits ressemblent ; et vous n’avez rien fait, si vous n’y faites reconnaître les gens de votre siècle. […] Je doute qu’une si grande perfection soit dans les forces de la nature humaine, et je ne sais pas s’il n’est pas mieux de travailler à rectifier et à adoucir les passions des hommes que de vouloir les retrancher entièrement. […] « La nature du conte le voulait ainsi, » dira-t-il avec je ne sais quelle impudeur ingénue ; et il ajoutera : « c’est une loi indispensable, selon Horace, ou plutôt selon la raison et le sens commun, de se conformer aux choses dont on écrit. » Mais pourquoi écrire sur de pareilles choses ? […] L’illusion qui le domine et qui l’inspire si heureusement ne tient pas seulement à l’imagination, mais à la sensibilité : car dans sa longue familiarité avec les animaux, il s’est pris pour eux, comme pour la nature, d’un amour véritable ; il les porte dans son cœur, il plaide leur cause avec éloquence, et dans l’occasion il s’arme de leurs vertus contre les vices de l’humanité.

31. (1809) Cours de littérature dramatique, douzième leçon pp. 75-126

Il cherchait à réunir deux choses inconciliables par leur nature, la dignité et la gaîté. […] Le talent qui aspire à l’immortalité, doit s’exercer sur des sujets que le temps ne puisse jamais rendre inintelligibles, et peindre la nature humaine plutôt que les mœurs de tel ou tel siècle. […] L’auteur connaissait par expérience la passion du jeu et la vie qu’elle fait mener ; aussi sa pièce est-elle un tableau d’après nature, peint avec force, quoique sans exagération. […] L’emportement des sens a bornes fixées par la nature elle-même, mais quand la vanité se plaît à revêtir les formes de la lassitude et de la satiété, elle mène à la corruption la plus révoltante. […] Je crois être ennemi du maniéré autant que personne ; mais il faut s’entendre sur le degré de nature et de vérité qu’on peut exiger de chaque genre.

32. (1858) Molière et l’idéal moderne (Revue française) pp. 230-

expression vulgaire et admirable qui trahit la nature des sentiments faux ! […] La femme sans cœur est un monstre qui a perdu sa nature et sa forme par quelque corruption : le secret du mépris qu’elle nous inspire est dans la dégradation que nous sentons derrière sa dureté. […] Le comique a sa source dans les contradictions de la nature humaine, dans le jeu multiforme des passions et des affaires, dans le choc, dans le croisement des formes et des choses, dans le contraste de ce qui est et de ce qui devrait être. […] La lutte, la lutte de la liberté et de la nature. La personne humaine tend à son but à travers une route barrée ; les obstacles que la nature, dans le sens le plus large de ce mot, oppose à la liberté, voilà le sujet du drame, le principe de la contradiction.

33. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XLIII. Du But Moral. Philosophie de Regnard comparée à celle de Moliere. » pp. 504-548

Si leurs drames sont tristes, en revanche ils me paroissent eux-mêmes bien plaisants, de vouloir se montrer plus sages que la nature, cette mere bienfaisante qui donne un goût agréable aux aliments les plus nécessaires. […] Vadius leur peint ce ridicule d’après nature, & les avertit de s’en corriger. […] La Poésie a été de tout temps, & de l’aveu de toutes les personnes de goût, une imitation de la nature. […] Sors du tombeau, divin Moliere, viens nous faire un autre Impromptu, qui ramene la nature sur nos théâtres. […] La nature d’elle-même, quand nous la laissons faire, se tire doucement du désordre où elle est tombée.

34. (1836) Une étude sur Molière. Alceste et Célimène (La Revue de Bordeaux et Gironde unies) pp. 65-76

Alceste est grand, il surpasse ses contemporains de toute la tête, et s’il vivait parmi nous, il serait bien haut encore; cependant il n’est point exempt d’imperfections ; Molière peint bien plutôt la nature caractéristique que la nature choisie. […] Il valait mieux, dira-t-on, ne pas faire de comédie, que d’accumuler, dans un beau rôle, les invraissemblances et les contradictions. — Je dois répéter ici qu’Alceste sans imperfection, non seulement ne serait pas comique, mais qu’il serait même faux et hors de nature. […] Si chaque homme ne suivait qu’une impulsion, rien ne serait si facile que de concevoir un rôle de théâtre, ce serait un ouvrage de mathématicien ; mais la nature humaine n’est pas ainsi faite.

35. (1886) Molière, l’homme et le comédien (Revue des deux mondes) pp. 796-834

Ce que j’y vois, au contraire, avec la droiture dont j’ai essayé de donner des preuves, c’est assez de bonté et de bon sens pour que ces deux qualités fussent le fond essentiel de sa nature. […] C’est là ce que n’ont jamais voulu comprendre un certain nombre de comédiens que la nature destine à faire rire. […] Si le lecteur la trouvait acceptable, il pourrait l’appliquer à d’autres pièces de Molière, où l’élément sérieux est moins envahissant, mais où il prend sa place, assez contraire parfois à la nature même de la comédie. […] De l’ensemble il résulte que Molière fut un acteur comique des plus complets, à la fois laborieux et inspiré, devant beaucoup à la nature, encore plus à l’art, par-dessus tout interprète admirable de ses propres œuvres. […] Cette nature d’esprit, non-seulement se conciliait très bien avec celle de la comédie, mais elle y était jusqu’à un certain point nécessaire.

36. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE X. De la Diction. » pp. 178-203

Il faut que la diction d’une comédie soit, comme toutes ses autres parties, assujettie aux regles de la nature & de la vraisemblance, qui, devant régler & conduire l’action d’une fable, sans perdre un instant de vue l’intrigue, les caracteres, le dénouement, &c. ne doivent pas moins présider l’une & l’autre à la diction. […] Pas requérir ne me devez, Car, mon cher Seigneur, vous savez Qu’il n’affiert pas à ma nature. […] Ce lieu se peut nommer séjour des voluptés, Où l’art & la nature étalent leurs beautés. […] Guidé par la nature, le goût, le discernement, il connut qu’un poëte dramatique, loin de se faire une diction à lui, ne doit avoir que celle que le caractere de ses pieces ou de ses personnages amene naturellement. Voilà pourquoi il a mieux aimé se donner un style conforme à la nature, en perfectionnant ceux de Plaute & de Térence, & en les employant à propos, que de s’en former un nouveau.

37. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [90, p. 134] »

[90, p. 134] L’auteur fécond et célèbre des Singularités de la nature 284, nous a appris une allusion très heureuse au trait plaisant du Pédant joué, que diable allait-il faire dans cette galère ? […] Des Singularités de la nature par Voltaire, 1768.

38. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIV. Des Monologues. » pp. 261-273

« Premiérement les monologues ne sont pas dans la nature. […] Pere de la nature, Soleil ! […] Osez dire que le monologue de Timon n’est pas dans la nature, je vous dirai hardiment que vous ne la connoissez pas. […] Il ne seroit pas surprenant que rencontrant quelqu’un sur son passage il lui racontât son désastre ; mais ses plaintes sont bien plus plaisantes & ont bien plus d’énergie quand il les fait aux échos, aux murailles, à lui-même, & à toute la nature.

39. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXVII. Du titre des Pieces à caractere. » pp. 417-432

Mais avec de gros biens, Prodigue par caprice, avare par nature,  Elle est impérieuse & dure, Ne hait que son époux, & n’aime que ses chiens. […] La naïve Sophie, en sa simplicité,  Est une glace encore pure,   Qui réfléchit la nature   Dans toute sa vérité. […] C’est la nature même. […]  « Abjurez une triste erreur :  « Le Ciel à l’humaine nature  « Donna la beauté pour parure,  « Et l’amour pour consolateur.

40. (1823) Notices des œuvres de Molière (VII) : L’Avare ; George Dandin ; Monsieur de Pourceaugnac ; Les Amants magnifiques pp. 171-571

Dans L’Avare, au contraire, Molière a peint un vice de tous les temps, de tous les pays, de toutes les conditions ; un vice inhérent à notre nature, et dont beaucoup d’hommes sont attaqués. […] Si, suivant Horace, ou plutôt suivant la nature, un avare ne doit point compter sur l’amour et le respect de ses enfants, s’il doit, au contraire, s’attendre à leur haine et à leur mépris, quel crime a commis Molière, en donnant à Harpagon un fils qui manque à son égard de tendresse et de respect ? […] Telle qu’elle est toutefois, cette plaisanterie, et quoi qu’on puisse dire pour en atténuer le tort, non seulement le personnage qui la profère est coupable, mais le poète qui la lui met dans la bouche, ménage trop peu des bienséances d’un ordre supérieur et d’une nature presque sacrée, qu’on ne saurait assez ménager. […] Il croit réunir tous les avantages naturels et acquis ; il a toutes les disgrâces que la nature et l’art peuvent rassembler sur une personne. […] Les deux autorités étaient de même nature, de même valeur ; et des exemples tirés du théâtre convenaient merveilleusement dans une aventure aussi romanesque.

41. (1819) Notices des œuvres de Molière (II) : Les Précieuses ridicules ; Sganarelle ; Dom Garcie de Navarre ; L’École des maris ; Les Fâcheux pp. 72-464

Molière, dans ses deux premiers ouvrages, avait suivi, comme tous ses devanciers et ses contemporains, la route tracée par les comiques italiens et espagnols ; dans celui-ci, il s’ouvrit une carrière nouvelle, où il n’eut d’autre guide que la nature, et qu’il semble avoir fermée, après l’avoir parcourue toute entière. […] On juge de son trouble, de son désespoir, de l’horreur qu’elle se fait à elle-même ; mais elle appuie si fortement sur la nature du crime, elle en développe si complaisamment toutes les circonstances, que ses remords finissent par devenir presque aussi scandaleux que l’action même qui les a produits. […] Le dénouement des Adelphes n’a nulle vraisemblance : il n’est point dans la nature qu’un vieillard qui a été soixante-dix ans chagrin, sévère et avare, devienne tout à coup gai, complaisant et libéral. […] C’est de L’École des maris que date véritablement ce qu’on pourrait appeler la seconde manière de Molière, celle où, cessant de copier avec talent, il invente avec génie, où renonçant à imiter les tableaux fantastiques d’une nature de convention, il prend pour uniques modèles, l’homme de tous les temps et la société du sien. […] Ces deux génies étaient de même trempe : c’est pour avoir été tous deux également vrais et originaux, c’est surtout pour avoir excellé l’un et l’autre dans l’imitation de la nature, qu’ils ont tous deux mérité le surnom d’inimitable qui les distingue au milieu de tous les grands écrivains de leur siècle.

42. (1881) Molière et le Misanthrope pp. 1-83

La nature, à ce qu’on prétend, ne m’a pas gratifié d’un physique qui me permette de jouer Alceste. […] Molière a toujours cru qu’il devait ‘conformer son style à la nature de son œuvre et à l’état de ses personnages. […] Molière, ne croit pas. qu’aucun homme soit assez vertueux, assez pur, assez complet pour se permettre d’anathématiser la nature humaine. […] C’est lui qui crie par la bouche de Philinte : … Faisons un peu grâce à la nature humaine ! […] Restons dans la juste nature.

43. (1850) Histoire de la littérature française. Tome IV, livre III, chapitre IX pp. 76-132

Une fois averti des puissants effets de la nature bien observée, Molière n’eut plus besoin de la comédie d’intrigue : il se passa des personnages artificiels. […] Il a craint que la vérité de la nature ne fît pas assez d’effet ; il l’a quelquefois chargée pour la faire applaudir. […] C’est la révolte de sa noble nature contre ce vice, le plus odieux de tous, parce qu’il sert de couverture à tous. […] Molière n’emprunte que ce qui est dans la nature. […] L’imitation est aussi innocente de plagiat dans les pages du poète que sur la toile du peintre ; tout ce qui rend la nature y est fait de génie.

44. (1865) Les femmes dans Molière pp. 3-20

Je ne sais si je m’abuse, mais il me semble que sa constante préoccupation a été de les ramener à la nature, de leur montrer tout ce qu’elles ont à gagner à être vraies, sensées, indulgentes et bonnes, éclairées sans pédantisme, gracieuses sans afféterie, et tout ce qu’elles ont à perdre, au contraire, à usurper un rôle qui ne saurait leur appartenir et qui est si contraire, d’ailleurs, à la douce et bienfaisante influence qu’elles peuvent et doivent exercer, influence d’autant plus irrésistible qu’elle est plus modeste et plus ménagée. […] On sent là, comme aux courtes et dignes paroles qu’elle adresse à Trissotin sur sa brusque retraite, une nature énergique et noble au fond, à qui il ne manquait peut-être que d’être contenue et dirigée par un mari ayant lui-même plus de caractère. […] Armande, on le voit, avait dû être merveilleusement douée ; les avantages qu’elle avait reçus de la nature primait même assez ceux de sa sœur Henriette, pour que ce fut à elle, Armande, que se fussent adressés tout d’abord les hommages de Clitandre, homme de cœur et de mérite ; mais ses manières hautaines son dédain affecté des sentiments les plus doux et les plus naturels : ses prétentions à une philosophie creuse, toute de montre et de pédantisme, et ses indécentes déclamations contre le mariage, et ses nœuds de chair, ses chaînes corporelles avaient fini par éteindre dans le cœur de son amant la passion que sa beauté y avait fait naître et c’est, blessé de ses mépris, qu’il avait reporté toutes ses affections vers la moins belle, mais plus aimable Henriette. […] La pièce tout entière est le plus fort et le plus ingénieux plaidoyer qui se puisse faire contre l’ignorance et contre la sotte prétention de vouloir, par la contrainte, triompher de doux instincts de la nature, qui réagissent d’autant plus violemment qu’on les comprime davantage, et dont une indulgente prudence peut seule modérer et diriger l’épanouissement. […] Et cette Toinette, du Malade imaginaire, quelle heureuse et fine nature !

45. (1848) De l’influence des mœurs sur la comédie pp. 1-221

Il excellait aussi à peindre la nature rusée des paysans, qui, sous une apparente bonhomie, cachent souvent la plus insigne malice. […] Il caresse son enfant, il la prend sur ses genoux, et ses marques d’affection / sont de nature à le rendre intéressant. […] Telle était le plus ordinairement la nature des combinaisons dramatiques de Molière. […] Mais, dira-t-on, Célimène est de sa nature mordante et satirique, et la malice, dans ses jugements, a peut-être plus de part que la raison et la justice. […] Sans admirer en vous l’auteur de la nature, etc.

46. (1692) Œuvres diverses [extraits] pp. 14-260

Mais pour un tas grossier de frivoles Esprits Admirateurs zélés de toute œuvre insipide, Que non loin de la place, ou Brioché préside, Sans chercher dans les vers ni cadence ni son, Il s’en aille admirer le savoir de I*** L’Art poétique, chant III, v. 359-428 Que la Nature donc soit votre étude unique, Auteurs, qui prétendez aux honneurs du Comique. […] La Nature féconde en bizarres portraits, Dans chaque âme est marquée à de différents traits. […] Jamais de la Nature il ne faut s’écarter.

47. (1886) Molière et L’École des femmes pp. 1-47

Mais Molière, vous le savez, se tient toujours le plus près possible de la nature, et la nature lui aura dit qu’un homme, à quarante-deux ans, ne doit guère penser au mariage, et surtout à un mariage disproportionné. […] Il lui rappellera les obligations qu’elle lui doit ; il fera valoir les avantages qu’il lui apporte ; en même temps, il lui remettra une sorte de charte où sont consignés tous les devoirs de la femme dans le mariage et qui serait de nature à l’en dégoûter à jamais. […] Il l’a prise en quelque sorte à l’état brut afin qu’elle n’écoutât que la pensée de la nature qui est en même temps la pensée de la comédie : l’amour est le privilège de la jeunesse. […] Du rapprochement que je viens de faire entre Arnolphe et George Dandin, je ne veux tirer qu’une conclusion qui me paraît évidente et décisive : Molière nous a peint deux faiblesses, deux ridicules, deux personnages qui se mettent dans leur tort, l’un devant la nature, l’autre devant la société. […] Sa besogne est de fixer dans le monde de l’art des caractères qui, sans lui, resteraient disséminés et épars dans la nature.

48. (1922) La popularité de Molière (La Grande Revue)

Elle fait agir une loi psychologique de notre nature. […] Est-il rationnel qu’une culture disproportionnée à son rôle lui permette de tenir dans la communauté une place que la nature et une organisation plusieurs fois millénaire de la famille ont attribuée à l’homme ? […] Pour lui toute celte question se résume en deux points : la loi de nature et la loi morale s’unissent pour exiger une double condition : la parité d’âge et de milieu social d’une part ; la communauté de goûts et d’humeur de l’autre. […] Il en coûte parfois à la vérité psychologique, car la nature humaine est plus variée, plus ondoyante, plus difficile à saisir que ne le sont ces personnages de construction un peu sommaire.

49. (1877) Molière et Bourdaloue pp. 2-269

La nature l’y poussait sans doute, une belle passion le décida. […] Comme vices unis à l’humaine nature. […] Les vices ne sont pas unis à la nature humaine. […] Mais la grâce corrige et retourne la nature, de même que le péché l’enfonce dans la corruption. […] C’est le dernier trait où l’on reconnaît la nature relativement honnête de la coquetterie.

50. (1732) Moliere (Grand Dictionnaire historique, éd. 1732) [graphies originales] « article » pp. 45-46

Dans le Bourgeois gentilhomme, le Pourceaugnac, les Fourberies de Scapin, & les autres de cette nature, il a trop donné au goût du peuple, pour les situations & les pointes bouffonnes. […] Il est le seul parmi-nous qui ait découvert ces traits de la nature, qui la distinguent & qui la font connoître.

51. (1686) MDXX. M. de Molière (Jugements des savants) « M. DXX. M. DE MOLIÈRE » pp. 110-125

Il faut convenir que personne n’a reçu de la Nature plus de talents que M. de Molière pour pouvoir jouer tout le genre humain, pour trouver le ridicule des choses les plus sérieuses, et pour l’exposer avec finesse et naïveté aux yeux du public. […] Ce même père prétend que Molière est le seul parmi nous qui ait découvert ces traits de la Nature qui la distinguent et qui la font connaître. […] Voila peut-être tout ce qu’on peut raisonnablement exiger d’un critique judicieux qui n’a pu refuser la justice que l’on doit à tout le monde, et qui n’a point cru devoir blâmer des qualités qui sont véritablement estimables, non seulement parce qu’elles viennent de la Nature, mais encore parce qu’elles ont été cultivées et polies par le travail et l’industrie particuliere du poète.

52. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE III. Dufresny imitateur comparé à Moliere, à Champmeslé, son Mariage fait & rompu comparé à l’histoire véritable du faux Martin-Guerre, & à la nature. » pp. 81-99

Dufresny imitateur comparé à Moliere, à Champmeslé, son Mariage fait & rompu comparé à l’histoire véritable du faux Martin-Guerre, & à la nature. […] Du reste il n’est point vraisemblable qu’un homme s’expose à jouer un aussi sot personnage dans la maison de sa maîtresse : son rôle jure avec son rang, ses prétentions, le lieu de la scene, & par conséquent avec la nature. […] Tout en feignant de refuser une donation que la Malade veut faire en sa faveur, elle l’accepte & trame ensuite avec un Normand, frippon s’il en fut jamais, la ruine totale de sa bienfaitrice : mais la fourberie est découverte par une soubrette très peu fine ; ce qui n’est point dans la nature, puisque Lucinde est annoncée pour une personne adroite & soupçonneuse. […] Les caracteres que Dufresny fait entrer dans sa piece, & qu’il doit à la nature seulement, ajoutent à la gloire qu’il mérite pour avoir transporté sur la scene, avec décence, l’histoire d’un scélérat.

53. (1765) [Anecdotes et remarques sur Molière] (Récréations littéraires) [graphies originales] pp. 1-26

Au contraire celui du Comique Moderne est dans la nature, & une des meilleures Pieces de l’Auteur. […] Il disoit que la nature sembloit lui avoir révélé tous ses secrets, du moins pour ce qui regarde les mœurs & les caracteres des hommes. […] Car, qu’un homme s’imagine être Alexandre, & autres caracteres de pareille nature, cela ne peut arriver, que la cervelle ne soit tout-à-fait altérée : mais le dessein du Poëte Comique étoit de dépeindre plusieurs fous de société, qui tous auroient des manies pour lesquelles on ne renferme point, & qui ne laisseroient pas de se faire le procès les uns aux autres, comme s’ils étoient moins fous pour avoir de différentes folies. […] Au contraire celui du Comique Moderne est dans la nature & une des meilleures Pieces de l’Auteur ; C’est ainsi qu’en jugeoit M.

54. (1820) Notices des œuvres de Molière (V) : L’Amour médecin ; Le Misanthrope ; Le Médecin malgré lui ; Mélicerte ; La Pastorale comique pp. 75-436

Peu semblable aux gens qui raillent en pleine santé cet art dont ils implorent le secours au premier frisson de la fièvre, Molière était un malade tristement désabusé, qui n’avait plus de confiance que dans la nature, et ne trouvait plus la médecine bonne à autre chose qu’à divertir le public. […] Il définissait un médecin, « Un homme que l’on paie pour conter des fariboles dans la chambre d’un malade, jusqu’à ce que la nature l’ait guéri, ou que les remèdes l’aient tué. » Molière pensait de la médecine ce qu’en ont pensé les plus graves philosophes, les plus justes appréciateurs des opinions humaines. […] L’action simple et peu animée, les beautés fines, délicates, mais quelquefois un peu sérieuses du Misanthrope n’étaient pas de nature à frapper, à saisir, à enlever des spectateurs, que Molière lui-même avait accoutumés à des intrigues plus vives et à un comique plus populaire. […] Sage, il n’exige pas de ses semblables plus de perfection que la nature humaine, en général, n’en comporte ; et, s’il en a lui-même davantage, sa modestie lui défend de le penser ou du moins de s’en enorgueillir. […] Des bergers, ayant les inclinations, les mœurs et le langage des gens du grand monde, sont des personnages qui n’ont ni réalité ni vraisemblance, des personnages que la nature n’offre pas et que l’art doit s’abstenir de créer.

55. (1716) Projet d’un traité sur la comédie pp. 110-119

Qu’y a-t-il de plus ridicule que la peinture d’un roi de Perse, qui marche avec une armée de quarante mille hommes, pour aller sur une montagne d’or satisfaire aux infirmités de la nature. […] Mais quoiqu’on doive marquer chaque passion dans son plus fort degré, et par ses traits les plus vifs, pour en mieux montrer l’excès et la difformité, on n’a pas besoin de forcer la nature et d’abandonner le vraisemblable.

56. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXV. Du contraste des Caracteres. » pp. 386-397

Vous voulez un grand mal à la nature humaine ! […] des mœurs du temps mettons-nous moins en peine, Et faisons un peu grace à la nature humaine ; Ne l’examinons point dans la grande rigueur, Et voyons ses défauts avec quelque douceur. […] Oui, je vois ces défauts dont votre ame murmure, Comme vices unis à l’humaine nature ; Et mon esprit enfin n’est pas plus offensé De voir un homme fourbe, injuste, intéressé, Que de voir des vautours affamés de carnage, Des singes malfaisants & des loups pleins de rage.

57. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVIII. M. GOLDONI. » pp. 468-479

Jamais piece ne m’a fait sentir aussi bien que le Bourru bienfaisant combien il est utile pour un Auteur comique d’être à l’affût des traits qui échappent aux divers caracteres répandus dans la société, de les recueillir avec un soin extrême, de les mettre chacun dans leur case pour les en retirer au besoin ; sur-tout combien il est heureux d’être amené par les circonstances dans les lieux & dans les instants les plus favorables pour prendre la nature sur le fait, & faire une ample moisson. […] Par conséquent ne perdons jamais de vue le double but de la comédie, qui est d’instruire en divertissant, & tâchons, en imitant Moliere, le meilleur des imitateurs, l’imitateur de la nature, tâchons, dis-je, de nous former un empire sur la scene entre lui & Regnard. […] Indépendamment de tout cela, mille circonstances ont concouru à seconder la nature pour former en lui l’homme extraordinaire, & s’opposent trop bien présentement aux progrès d’un Auteur comique.

58. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

… Auguste suivait le conseil de la nature, qui veut que tout ce qui travaille se repose, qui entretient la durée par la modération, et menace la violence de fin… Ce repos, ces distractions sont des besoins de la vie humaine, quelque riche et suffisante à soi-même qu’elle puisse être d’ailleurs… Ce sont, à proprement parler, les voluptés de la raison et les délices de l’intelligence… Un grand philosophe28 n’a pas craint de dire que le repos et le divertissement n’étaient pas moins nécessaires à la vie que les repas et la nourriture… Mais il ne veut pas que les sages passent le temps comme le vulgaire. […] Ils seraient ridicules dans un pays où tous les esprits seraient tendus aux affaires publiques, soit par la nature de la constitution, soit par une révolution flagrante, ou récente, ou imminente. […] Je demande si la nature de ces études n’était pas noble, élevée, de celles qui se prêtent le mieux à la conversation, qui y fournissent et en reçoivent davantage ?

59. (1759) Moliere (Grand Dictionnaire historique, éd. 1759) [graphies originales] « article » pp. 604-605

Dans le Bourgeois gentilhomme, le Pourceaugnac, les Fourberies de Scapin, & les autres de cette nature, il a trop donné au gout du peuple, pour les situations & les pointes bouffonnes. […] Il est le seul parmi nous qui ait découvert ces traits de la nature, qui la distinguent & qui la font connoître.

60. (1706) Addition à la Vie de Monsieur de Molière pp. 1-67

Mais mon Critique n’y pense pas : croit-il de bonne foi que j’aurais hasardé des faits de cette nature, sans en être bien informé ? […] Au contraire j’y trouve, ce me semble, la nature à découvert. […] Je conviens qu’une voix sonore, et une flexibilité de corps, que nous tenons de la nature, donnent un grand avantage à l’Acteur. […] Celui-là anime son action, comme un Artisan commun fait son métier ; celui-ci maître de sa matière donne à son jeu tout le vrai, toute la délicatesse que la nature exige. […] La nature avait refusé à Molière les dispositions nécessaires pour ce genre d’action ; mais comme homme d’esprit et d’étude il en connaissait les règles.

61. (1800) Des comiques d’un ordre inférieur dans le siècle de Louis XIV (Lycée, t. II, chap. VII) pp. 294-331

Guillaume et Agnelet, sont des personnages pris dans la nature, et le dialogue est de la plus grande vérité. […] On doit savoir d’autant plus de gré à Boursault de ce qu’il a eu de talent, qu’il le devait tout entier à la nature. […] Peut-être la nature même du pays, qui était fort peu connu, et les mœurs extraordinaires de ses habitants suffisaient pour attirer son attention. […] Il a peint d’après nature, et toutes les scènes où le joueur paraît sont excellentes. […] C’est là où Molière excelle à savoir jusqu’où un travers dérange l’esprit, jusqu’où une passion renverse une tête; il va toujours aussi loin que la nature.

62. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE XI. De la Religion. Principe et Sanction de la Morale de Molière. » pp. 217-240

Il faut bien reconnaître qu’en fait de morale effective, qui ne soit point une théorie éphémère acceptée par quelques esprits distingué, mais une règle des mœurs fixe et universelle il n’y a que deux morales : l’une est celle de la religion, qui impose, au nom d’une révélation divine, des préceptes formels, dont l’observation ou la violation entraîne des peines ou des récompenses positivement promises ; l’autre, qui au fond donne les mêmes préceptes, est la morale naturelle, que nous trouvons dans notre nature même, c’est-à-dire dans la constitution de notre être, dans nos instincts, nos désirs et nos passions, dans notre conscience. […] La morale naturelle est celle que chacun peut tirer de soi : morale de création divine comme nous-mêmes, qui existe essentiellement en nous tous, qui dit secrètement au cœur de chacun ce qui est bien ou mal ; lumière universelle, plus ou moins affaiblie çà et là, mais jamais éteinte ; dont les préceptes sont appuyés en chacun par le sentiment, par la raison morale, par l’opinion commune, par l’idée plus ou moins prochaine de Dieu : en un mot naturelle, c’est-à-dire fondée sur la nature que Dieu créateur nous a imposée formellement ; dont les règles immuables sont connues par l’observation de nous-mêmes ; dont la pratique est commandée par le sens moral et la conscience, et dont l’éternelle valeur, en dehors de toute révélation, est corroborée, chez les peuples chrétiens, par l’influence latente et générale du christianisme même sur les esprits qui lui sont en apparence rebelles. […] Cette morale naturelle est nécessairement liée à l’idée de Dieu : elle ne va point sans religion, et quoique la morale de Molière ne parle guère de Dieu ni de religion, elle ne peut être confondue avec la morale que certaines gens appellent orgueilleusement indépendante 801 ; car, au fond, elle n’est morale, c’est-à-dire règle, que parce qu’elle est infuse en notre nature par la puissance divine, et elle n’est définie que parce que nous avons l’idée du bien, inséparable de l’idée de Dieu. […]   Fénelon, Démonstration de l’Existence de Dieu, partie I, §§ IV, XXX-L. — On ne peut s’empêcher de rire du prétendu épicurisme de Molière fondé sur l’épicurisme de son maître Gassendi, quand on voit que ces preuves de l’existence de Dieu tirées de l’existence des êtres contingents, de l’ordre de l’univers, et de la nature de l’homme, sont traduites du Syntagma philosophicum : « Quid memorem tam mirabilem fabricam contexturamque corporis, tam eminenteis facultates quas observamus in anima ?  […] V :   Les hommes, la plupart, sont étrangement faits :   Dans la juste nature on ne les voit jamais.

63. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVII. M. DORAT. » pp. 463-467

Il sembloit que la nature, par ces rapports, voulût encore rapprocher deux amies. […] Eh bien, me dit cette infame Margiste, mon cœur s’est vaincu, mon devoir est de m’immoler ; mon zele, mes serments, l’amour de mes anciens maîtres, tout me crie d’étouffer pour vous la voix de la nature.

64. (1800) De la comédie dans le siècle de Louis XIV (Lycée, t. II, chap. VI) pp. 204-293

C’est la nature prise sur le fait; et cette expression si naïve, qu’il croîtrait pour cela? […] La grande importance mise aux petites choses n’est-elle pas de sa nature très ridicule? […] Cette espèce d’imperturbabilité stoïcienne n’est pas, je crois, très-conforme à la nature ; mais, à coup sûr, elle l’est encore moins à l’esprit du théâtre. […] Là-dessus Rousseau se récrie qu’il est impossible qu’Alceste, qui, un moment après, va critiquer les jeux de mots, en fasse un de cette nature. […] La malédiction paternelle est sans doute d’un grand poids, lorsque, arrachée à une juste indignation, elle tombe sur un fils coupable qui a offensé la nature et que la nature condamne.

65. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVI. Les derniers temps de la comédie italienne en France » pp. 311-338

Pour donner à l’univers un comédien italien, il faut que la nature fasse des efforts extraordinaires. […] Mais pour des comédiens français, la nature les fait en dormant : elle les forme de la même pâte que les perroquets, qui ne disent que ce qu’on leur apprend par cœur : au lieu qu’un Italien tire tout de son propre fonds, n’emprunte l’esprit de personne pour parler ; semblables à ces rossignols éloquents, qui varient leurs ramages suivant leurs différents caprices. […] Quelques mots nous donneront tout de suite le ton du recueil ; voici, par exemple, les aphorismes humoristiques qu’on y prodigue : « Une femme mariée, dit Arlequin, est comme une maison dont le propriétaire n’occupe que le plus petit appartement, et où cependant toutes les grosses réparations se font sur son compte. » Mezzetin, reprend : « Comme ainsi soit que le naturel des corneilles est d’abattre des noix et de parler gras, celui des pies d’avoir la queue longue, et des perroquets d’être habillés de vert, de même la nature des femmes est de faire enrager leur mari. » Colombine trouve son maître Persillet triste et soucieux : « Qu’est-ce que c’est, Monsieur ? […] Laquais, ne vous avisez jamais de me venir interrompre pour des gueuseries de cette nature-là.

66. (1819) Introduction aux œuvres de Molière pp. -

Les Précieuses ridicules furent le premier tableau peint d’après nature, le premier qui représentât des personnages vrais et des mœurs réelles. […] Fallait-il, pour l’édification publique, qu’il montrât le ridicule faible et confiant de sa nature, triomphant du vice armé de toutes ses ruses ? […] Et quel peintre de la société a mieux senti, mieux observé que Molière, cette mesure précise, qui, de l’exagération de l’art, fait sortir la vérité de la nature ? […] Il faisait accepter d’assez fortes sommes d’argent aux jeunes auteurs que la nature avait mieux traités que la fortune : Racine en est un exemple. […] J’en serais bien fâché, répondit Molière ;je lui gâterais son jeu : la nature lui a donné de meilleures leçons que les miennes pour ce rôle.

67. (1840) Le foyer du Théâtre-Français : Molière, Dancourt, I pp. 3-112

Léger et ouvert, il dit à toute la nature qu’il est amoureux. […] On reconnaît la meilleure et la plus honnête nature du monde dans le peintre hardi des ridicules de son époque. […] Quelle belle nature, que celle d’Alceste ! […] elles sont de la nature du milan. […] ce garçon-là copie bien d’après nature.

68. (1843) Épître à Molière, qui a obtenu, au jugement de l’Académie française, une médaille d’or, dans le concours de la poésie de 1843 pp. 4-15

De la nature humaine immortel interprète, Comédien, penseur, philosophe, poète, Qui, planant de si haut sur l’univers moral, Gai comme Rabelais, profond comme Pascal, Des mœurs que châtiait ta verve satirique, Traças pour tous les temps la peinture historique, Ô Molière ! […] D’un poétique éclair ton visage rayonne ; Voilà ton large front, ton œil contemplateur, Des replis de notre âme intime scrutateur, Tes deux épais sourcils que ta sage malice Semblait froncer exprès pour effrayer le vice, Tes lèvres d’où jaillit ce langage nerveux, Qui, sans prudes détours disant ce que tu veux, Fort comme ta raison, vrai comme la nature, Reste du monde entier l’éternelle lecture.

69. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXVIII. De l’exposition des Caracteres. » pp. 433-447

Ariste se met à lire, le coude appuyé sur la table, ensuite il dit par réflexion : Me voilà justement : c’est la vive peinture D’un sage désarmé, dompté par la nature. […] Un Sage que la nature a désarmé aussi honnêtement, n’a pas la sottise d’en rougir, & d’en être honteux. […] Enfin, pour ébaucher en deux mots sa peinture, C’est l’homme le plus vain qu’ait produit la nature : Pour ses inférieurs plein d’un mépris choquant : Avec ses égaux même il prend l’air important : Si fier de ses aïeux, si fier de sa noblesse, Qu’il croit être ici-bas le seul de son espece : Persuadé d’ailleurs de son habileté, Et décidant sur tout avec autorité ; Se croyant en tout genre un mérite suprême ; Dédaignant tout le monde, & s’admirant lui-même : En un mot, des mortels le plus impérieux, Et le plus suffisant, & le plus glorieux.

70. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VII. La Chaussée, imitateur de Regnard, d’un Auteur Espagnol, d’un Auteur Italien, d’un Romancier François, &c. » pp. 262-276

Monsieur, s’écria le jeune Comte en jettant son épée à ses pieds, & lui prenant la main qu’il baisa respectueusement, vous êtes mon pere : je vous reconnois à ces mouvements, que la seule nature sait inspirer. […] au mépris de l’amour paternel, Il veut couvrir son sang d’un opprobre éternel : A ses premiers liens il s’arrache de force, Et va sacrifier au plus affreux divorce La nature, l’hymen & l’amour gémissant. […] Un roman, s’il est passable, est conforme à nos mœurs ; les incidents sont amenés & dénoués avec vraisemblance ; ce que les personnages y font, y disent, est dans la nature ; le fonds est ordinairement attachant ; il y a même souvent des caracteres bien dessinés.

71. (1882) Molière (Études littéraires, extrait) pp. 384-490

Toutes les couleurs sont donc poussées au noir dans ce tableau où la nature est tellement offensée que la gaieté même a comme un arrière-goût d’amertume. […] Aussi, dès qu’il l’aura perdue, tous ses instincts de nature prendront-ils une irrésistible revanche. […] L’art, c’est la nature d’abord, mais vérifiée, contrôlée, jugée par un discernement et une raison qui la rectifie, et la restaure. […] Tous les mots qui expriment cette intention sont attendus comme des traits de nature. […] Le poète seul est représenté d’après nature.

72. (1739) Vie de Molière

On a remarqué que presque tous ceux qui se sont fait un nom dans les beaux-arts, les ont cultivés malgré leurs parents, et que la nature a toujours été en eux plus forte que l’éducation. […] Il éleva et il forma un autre homme qui, par la supériorité de ses talents, et par les dons singuliers qu’il avait reçus de la nature, mérite d’être connu de la postérité. […] Le dénouement des Adelphes n’a nulle vraisemblance ; il n’est point dans la nature, qu’un vieillard qui a été soixante ans chagrin, sévère et avare, devienne tout à coup gai, complaisant et libéral. […] Les auteurs étaient outrés en tout, parce qu’ils ne connaissaient point la nature. […] Si les médecins de notre temps ne connaissent pas mieux la nature, ils connaissent mieux le monde, et savent que le grand art d’un médecin est l’art de plaire.

73. (1900) Molière pp. -283

Molière, ai-je déjà dit, ne suit que les grandes voies, les voies en général les plus près de la nature. […] Il a pris de la nature féminine uniquement les instincts aussi rapprochés de la nature brute que cela se peut dans un état de société civilisée et avancée. […] Laissons Angélique et Dorimène toutes deux très rapprochées de la nature instinctive ; elles ne sont qu’instinct. […] La nature, très prévoyante en cela, n’a pas voulu, ce semble, que les hommes songeassent trop à la fin fatale de leur vie. […] Laissons là César, grand général par accident, et rhéteur par nature.

74. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE II. Regnard imitateur de Moliere. » pp. 51-80

  S’il vous falloit donc, comme moi,   Eclairer la machine ronde,   Rendre la nature féconde,   Mener quatre chevaux quinteux,   Risquer de tomber avec eux   Et de faire un bûcher du monde ;   Dans ce métier pénible & dangereux,   Vous auriez sujet de vous plaindre. […] La nature, le ciel, l’amour, & la fortune, De tes prospérités font leur cause commune : Tu soutiens ta valeur avec mille hauts faits, Tu chantes, danses, ris, mieux qu’on ne fit jamais. […] Cependant on reconnoîtra toujours dans le portrait qu’Acaste fait de lui-même, l’élégante fatuité des petits-maîtres de cour ; ce tableau, copié d’après la nature même, pourra servir à les corriger : au lieu qu’on ne verra jamais dans le délire du Marquis sauteur, qu’une extravagance sans modele, & qui par conséquent n’est bonne à rien. […]   Le reste de cet ouvrage ayant fait connoître insensiblement presque tous les endroits où Moliere s’étoit le plus rapproché du beau naturel, & ceux où Regnard s’en étoit éloigné, il eût été mal-adroit sans doute de les comparer encore à la nature dans ce chapitre.

75. (1732) Jean-Baptiste Pocquelin de Molière (Le Parnasse françois) [graphies originales] « CII. JEAN-BAPTISTE POCQUELIN. DE MOLIERE, Le Prince des Poëtes Comiques en France, & celebre Acteur, né à Paris l’an 1620. mort le 17. Fevrier de l’année 1673. » pp. 308-320

Personne n’a reçu de la nature plus de talent que Moliere pour jouer tout le genre humain, pour trouver du ridicule dans les choses les plus serieuses, & pour l’exposer avec finesse & naïveté aux yeux du Public. La nature, les graces Comiques, la politesse du langage & la facilité de s’exprimer paroissent dans tous ses Ecrits. […] Les personnes qui tenoient le premier rang dans Paris pour le bel esprit, s’apperçurent à l’arrivée de Moliere en cette Ville, qu’il connoissoit mieux qu’un autre le vrai & la belle nature, le faux & le ridicule.

76. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IV. Brueys & Palaprat, imitateurs, comparés avec Térence, Blanchet, un Auteur Italien, & la nature. » pp. 100-132

Brueys & Palaprat, imitateurs, comparés avec Térence, Blanchet10, un Auteur Italien, & la nature. […] Les Auteurs qui voudroient introduire sur notre théâtre toutes les indécences & les impertinences possibles, & qui pensent les excuser en disant qu’elles sont dans la nature, n’ont qu’à mettre en action les abominations dont nous venons de parler, & qu’on traite de gentillesses dans le monde : ils seront peut-être approuvés par quelques personnes sans goût, sans délicatesse, sans mœurs ; mais les connoisseurs & les ames honnêtes les siffleront à coup sûr. Ce qui prouve que la véritable Thalie, amie des bienséances & de l’honnêteté, a sa façon de voir la nature, & sur-tout de la peindre. […] Il y a une infinité de choses contre nature, je n’en citerai que deux.

77. (1856) Molière à la Comédie-Française (Revue des deux mondes) pp. 899-914

La mystérieuse tradition invoquée par les comédiens est sans valeur contre le témoignage de la raison, qui n’a pas changé de nature depuis Molière jusqu’à nous. […] Sa prononciation, qui n’est pas nette, se trouve d’accord avec la nature du rôle ; on dirait qu’il a de lui-même une trop haute opinion pour prendre la peine d’articuler toutes les syllabes. […] Que Trissotin et Vadius comprennent la futilité de leur savoir et du fatras entassé dans leur cerveau, ils changent tout à coup de nature ; je ne vois plus en eux des pédants ridicules, mais des hommes sensés. […] S’ils ne saisissent pas ou s’ils oublient l’enchaînement des idées, ils se dédommagent en créant, en exprimant des intentions qui ne s’accordent pas avec la nature du personnage.

78. (1843) Le monument de Molière précédé de l’Histoire du monument élevé à Molière par M. Aimé Martin pp. 5-33

noble enfant du peuple de Paris, De ce siècle si grand un des plus grands esprits, Né de parents obscurs, dans les bruits de la Halle13, Il a dû son bon sens, sa verve originale, A ce contact du peuple, à ces libres instincts, Qui, dans un plus haut rang, trop souvent sont éteints ; D’un esprit sain et fort, d’un cœur plein de droiture, Nul préjugé d’abord n’a faussé sa nature, À l’étude en naissant n’étant point asservi, C’est son propre génie, enfant, qu’il a suivi. […] Si tant de vérité dans vos œuvres respire, C’est que par votre voix la nature a parlé : Vos héros ont l’amour dont vous avez brûlé, Vos haines sont en eux, comme vos sympathies ; Toutes les passions que vous avez senties, Tous les secrets instincts par vos cœurs observés, En types immortels vous les avez gravés ; L’art ne fut pas pour vous cette stérile étude Qui peuple d’un rhéteur la froide solitude ; L’art, vous l’avez trouvé, lorsque pauvres, errants, Vous viviez au hasard mêlés à tous les rangs ; Personnages actifs des scènes toujours vraies, Qui passaient sous vos yeux ou tragiques ou gaies ; L’art a jailli pour vous, nouveau, libre, animé, De tous les sentiments dont l’homme est consumé ; Vous avez découvert sa science profonde Non dans les livres morts, mais au livre du monde. […] Deux siècles ont passé ; ses œuvres immortelles Semblent, après ce temps, plus jeunes et plus belles ; Dans l’art qu’il a créé toujours original, Chez aucun peuple encor il n’a trouvé d’égal ; Par ses rivaux vaincus sa gloire est confirmée : Chacun de leurs efforts accroît sa renommée ; Tout a changé, les lois, les usages, le goût ; Il peignit la nature et survécut à tout ! […] Considérant, en ce qui concerne la part que la ville de Paris est appelée à prendre dans la souscription du monument de Molière, que ce grand homme, dont les arts n’ont pas encore suffisamment honoré la mémoire, est né à Paris, qu’il y a fait ses études, qu’il y a passé presque toute sa vie, qu’il y a exercé sa profession, qu’il y a écrit ses chefs-d’œuvre, qu’il y est mort, et, qu’en un mot, il n’y a pas un des rayons de sa gloire qui ne brille sur sa ville natale ; Que lorsqu’il est question de lui ériger un monument digne de cette gloire, Paris, qui déjà y a contribué par les souscriptions particulières des chefs et des employés de son administration, de ses conseillers municipaux, d’un grand nombre de ses habitants, et notamment des sociétaires de la Comédie française, et, à leur exemple, des artistes des autres théâtres de la capitale ; Paris, disons-nous, ne veut pas, en tant que commune, rester étranger à cette Œuvre ; Considérant que la souscription de Paris, jointe aux 81,000 f. déjà disponibles, rend possible de commencer, dès à présent, les travaux ; Considérant, en ce qui touche le mode d’exécution de ces travaux, qu’ils ne sont pas de nature à être soumis à une adjudication, et qu’il convient qu’il y soit pourvu au moyen de traités passés avec des entrepreneurs connus ; DELIBERE : 1° Le projet de fontaine monumentale dédiée à Molière, à ériger à l’angle des rues Richelieu et Traversière-Saint-Honoré, est approuvé, sauf les modifications ci-dessus indiquées. […] Etudes de la Nature, I. 3, 215.

79. (1746) Notices des pièces de Molière (1658-1660) [Histoire du théâtre français, tome VIII] pp. -397

J’avoue que Timocrate est fort adroit et fort heureux dans sa conduite, et qu’il faut l’être beaucoup pour trouver toujours au besoin des occasions si justes et si favorables de passer comme lui d’un parti à l’autre, selon les divers intérêts qui l’y obligent ; mais il ne fait rien qui soit impossible, et tout ce qui peut arriver sans violenter beaucoup l’ordre commun de la nature doit être réputé vraisemblable, etc. […] Cette comédie qui ne contenait qu’un acte, et quelques autres de cette nature, n’ont point été imprimées : il les avait faites sur quelques idées plaisantes, sans y avoir mis la dernière main ; et il trouva à propos de les supprimer, lorsqu’il se fut proposé pour but, dans toutes ses pièces, d’obliger les hommes à se corriger de leurs défauts. […] « [*]On remarqua, dans Le Cocu imaginaire, que l’auteur, depuis son établissement à Paris, avait perfectionné son style ; cet ouvrage est plus correctement écrit que ses deux premières comédies, mais si l’on y retrouve Molière en quelques endroits, ce n’est pas le Molière des Précieuses ridicules ; le titre de la pièce, le caractère du premier personnage, la nature de l’intrigue, et le genre de comique qui y règne, semble annoncer qu’elle est moins faite pour amuser les gens délicats que pour faire rire la multitude ; cependant on ne peut s’empêcher d’y découvrir en même temps un but très moral ; c’est de faire sentir combien il est dangereux de juger avec trop de précipitation, surtout dans les circonstances où la passion peut grossir ou diminuer les objets. […] Il disait que la nature semblait lui avoir révélé tous ses secrets, du moins pour ce qui regarde les mœurs et les caractères des hommes. […] ” Cela arriva comme je l’avais prédit, et dès cette première représentation, l’on revint du galimatias, et du style forcé. » « [*]Cet aveu (de Ménage) n’est autre chose que le sentiment réfléchi d’un savant détrompé, mais le mot du vieillard, qui du milieu du parterre s’écria par instinct, courage, Molière, voilà la bonne comédie, est la pure expression de la nature, qui montre l’empire de la vérité sur l’esprit humain. » [*].

80. (1706) Lettre critique sur le livre intitulé La vie de M. de Molière pp. 3-44

C’est un don de la Nature, que l’Expérience façonne sans aucunes règles, que de s’accommoder au goût du Public. […] Ce fait n’est absolument point dans la Nature ; et il faut que l’Auteur ait pris les semaines pour les mois. […] Elle est assez dans la nature, mais le nom du Courtisan me la ferait trouver encore plus agréable.

81. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XI. M. SAURIN. » pp. 333-353

Béverley a prononcé son arrêt : il approche de la table, met de l’eau dans un verre, & y mêle la liqueur d’un flacon qu’il tire de sa poche : il fait des réflexions sur la mort, sur ses suites, veut prier, n’en a pas la force, prend le verre, sent frémir la nature, & boit : le poison le déchire. […] Leuson annonce à Béverley que James & Stukéli ont eu dispute en partageant ses dépouilles, que le premier a poignardé l’autre, qu’il est arrêté, que tout lui sera rendu : Béverley en est charmé, à cause de sa femme & de Tomi : il n’a plus besoin de rien ; il a violé les loix du ciel & de la nature. […]  La nature & l’honneur,  Tout cede à sa fureur.

82. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIV. La commedia dell’arte au temps de Molière (à partir de 1662) » pp. 265-292

« L’inimitable Monsieur Dominique, dit son successeur Gherardi, a porté si loin l’excellence du naïf du caractère d’Arlequin, que les Italiens appellent goffagine, que quiconque l’a vu jouer trouvera toujours quelque chose à redire aux plus fameux Arlequins de son temps. » L’inimitable, c’est l’épithète attachée à son nom : « Qui ramènera, dit Palaprat dans la préface de ses œuvres, qui ramènera les merveilles de l’inimitable Domenico, les charmes de la nature jouant elle-même à visage découvert sous le visage de Scaramouche ?  […] On semble avoir voulu exprimer par ce bariolage cette nature de caméléon dont Riccoboni parlait tout à l’heure. […] Allez vous promener. » Dans Le Médecin volant, le capitan vient consulter Arlequin qui fait le médecin, et lui demande un remède pour le mal de dents : « Prenez une pomme, répond Arlequin, coupez-la en quatre parties égales : mettez un des quartiers dans votre bouche, et ensuite tenez-vous ainsi la tête dans un four, jusqu’à ce que la pomme soit cuite, et je réponds que votre mal de dents se trouvera guéri. » Voilà qui prouve bien ce que dit un de ses panégyristes : « qu’il avait plusieurs connaissances particulières des secrets de la nature 52  ».

83. (1898) Molière jugé par Stendhal pp. -134

Sans admirer en vous l’Auteur de la nature Tartuffe Et je n’ai pu vous voir, parfaite créature, Sans admirer en vous l’Auteur de la nature Et d’une ardente amour sentir mon cœur atteint. […] Voilà la nature, mais était-elle bonne à mettre en scène. […] La nature qui, ordinairement, est plus froide que l’art donne une leçon à Molière. […] On retrouve cela dans La Nature dans les articles de M.  […] Les pédans ont si peu de tact que [je] ne doute nullement que le trait ne soit dans La Nature.

84. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Elle rit de tout, et ne s’intéresse à rien ; elle touche à toutes les idées de la raison, et n’en épouse aucune ; elle joue avec toutes les passions de la nature humaine, et reste indépendante en face d’elles ; elle voltige d’objet en objet dans le monde réel et dans tous les mondes imaginaires, sans se poser plus d’un instant sur chaque fleur. […] De même la peinture des mœurs contemporaines dans la comédie nouvelle, n’est qu’un élément romain, français, anglais ou allemand, qui, n’appartenant pas au fond commun de la nature humaine, ne reste pour la postérité qu’un objet de curiosité historique. […] J’ai bien peur qu’en changeant de place, elle n’ait aussi changé de nature, et qu’au lieu d’être la franche gaieté comique, elle ne soit plus que le ridicule. […] La paresse, la luxure, la gourmandise, surtout un certain degré d’ivresse, voilà ce qui met la nature humaine dans l’état de l’idéal comique65. […] Elle exclut toute autre passion, mais surtout celle-là, et un vieil avare amoureux est une contradiction dans les termes ou un contre-sens de la nature.

85. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [62, p. 100] »

Il disait que la nature semblait lui avoir révélé tous ses secrets, du moins pour ce qui regarde les mœurs et les caractères des hommes.

86. (1825) Notice sur Molière — Histoire de la troupe de Molière (Œuvres complètes, tome I) pp. 1-

Les personnages qui préparaient ce spectacle grotesque posèrent plusieurs mois, sans s’en douter, sous les yeux du plus grand peintre qui jamais ait copié la nature. […] Pour rendre le travers des femmes savantes encore plus saillant, Molière s’est plu à leur opposer une jeune personne qui doit son plus grand charme à la nature : Henriette a tant de grâce, de modestie et de délicatesse, qu’il n’est aucun spectateur qui ne voudrait que son épouse lui ressemblât, et M.  […] On y trouvera un homme simple, affable, prêt à tendre la main à l’infortune, et à frayer la route au talent : le voilà qui essaie, sur l’esprit de sa servante Laforêt, non la puissance comique du Misanthrope, mais l’impression que doivent produire ses ouvrages d’un ordre moins grave ; il juge qu’il a saisi ce que la nature a de plus saillant, s’il parvient à émouvoir des organes incultes, des intelligences sans préventions ; aussi veut-il que ses acteurs amènent toujours leurs enfants aux répétitions. […] — J’en serais bien fâché, reprit Molière, je lui gâterais son jeu ; la nature lui a donné de meilleures leçons que les miennes pour ce rôle. » Après la mort de Molière, Beauval et sa femme passèrent, en 1673, à l’Hôtel de Bourgogne ; Beauval remplaça Hubert dans les rôles d’hommes travestis en femmes. […] La nature semblait s’être épuisée en le formant.

87. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [7, p. 38] »

Il définissait un médecin, un homme que l’on paye pour conter des fariboles dans la chambre d’un malade, jusqu’à ce que la nature l’ait guéri, ou que les remèdes l’aient tué.

88. (1682) Préface à l’édition des œuvres de Molière de 1682

Lorsqu’il a raillé les hommes sur leurs défauts, il leur a appris à s’en corriger, et nous verrions peut-être encore aujourd’hui régner les mêmes sottises qu’il a condamnées, si les portraits qu’il a fait d’après nature, n’avaient été autant de miroirs dans lesquels ceux qu’il a joués se sont reconnus. […] Cette Comédie qui ne contenait qu’un Acte, et quelques autres de cette nature, n’ont point été imprimées : Il les avait faites sur quelques idées plaisantes sans y avoir mis la dernière main ; et il trouva à propos de les supprimer, lorsqu’il se fut proposé pour but dans toutes ses pièces d’obliger les hommes à se corriger de leurs défauts.

89. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XII. » pp. 251-273

Entre eux deux la nature est propice à tel point, Que le sort les sépare & le sang les rejoint : Etant vrai que l’enfant est l’ouvrage du pere, Sa douleur sur lui-même aisément réverbere, Et le sang l’un de l’autre est si fort dépendant, Que l’enfant met le pere en un trouble évident. […] Il ne me semble pas que ce qui a été une fois jugé selon les loix, puisse être changé ; & je soutiens même qu’il est honteux d’entreprendre un procès de cette nature. […] Parceque Granger, qui connoît l’amour de son fils pour Génevote, doit nécessairement se douter du tour qu’on lui joue, & qu’il n’est pas dans la nature qu’il signe réellement, tandis qu’il pourroit se contenter de le feindre ; c’est tout ce qu’un acteur de comédie est obligé de faire : au lieu que Sganarelle, ne connoissant pas le faux Médecin pour l’amant de sa fille, ne doit pas se méfier de lui : remarquons même qu’il ne signe réellement que lorsque Lucinde l’a pressé de signer.

90. (1734) Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière (Œuvres de Molière, éd. Joly) [graphies originales] pp. -

Cet aveu n’est autre chose que le sentiment réfléchi d’un sçavant détrompé ; mais le mot du vieillard, qui du milieu du parterre s’écria par instinct, Courage, Moliere, voilà la bonne comédie, est la pure expression de la nature, qui montre l’empire de la vérité sur l’esprit humain. […] Le tître de la piéce, le caractére du premier personnage, la nature de l’intrigue, & le genre de comique qui y régne, semblent annoncer qu’elle est moins faite pour amuser des gens délicats, que pour faire rire la multitude ; cependant on ne peut s’empêcher d’y découvrir en même tems un but très-moral ; c’est de faire sentir combien il est dangereux de juger avec trop de précipitation, sur tout dans les circonstances où la passion peut grossir ou diminuer les objets. […] Boursault ne laissa pas de faire jouer à l’hôtel de Bourgogne la contre-critique, ou le portrait du peintre ; il suivit l’idée & le plan de la critique, mais il alla trop loin, en supposant une clef connuë de l’école des femmes, qui indiquoit les originaux copiés d’après nature. […] Il est, en effet, des tours uniques, dictés par la nature, que le moindre changement dans les mots altére & affoiblit. […] La nature, qui lui avoit été si favorable du côté des talens de l’esprit, lui avoit refusé ces dons extérieurs, si nécessaires au théatre, sur tout, pour les rôles tragiques.

91. (1775) Anecdotes dramatiques [extraits sur Molière]

Trissotin et Vadius y sont peints d’après Nature. […] Il disait que la Nature semblait lui avoir révélé tous ses secrets, du moins pour ce qui regarde les mœurs, et les caractères des hommes. […] La Nature lui a donné de meilleures leçons que les miennes pour ce rôle ». […] On l’appela le Physicien, car au Lycée dont il fut le directeur de -288 à -268, il orienta les recherches et l’enseignement surtout vers les sciences de la nature. […] C’est le grand acteur comique du XVIIIe siècle ; Garrick l’appelle l’« enfant de la nature ».

92. (1746) Notices des pièces de Molière (1661-1665) [Histoire du théâtre français, tome IX] pp. -369

« Le dénouement des Adelphes n’a nulle vraisemblance ; il n’est point dans la nature qu’un vieillard qui a été soixante ans, chagrin, sévère et avare, devienne tout à coup gai, complaisant et libéral. […] Il y en a de si naturelles qu’il semble que la nature ait elle-même travaillé à les faire. […] Ce sont des portraits de la nature qui peuvent passer pour originaux ; il semble qu’elle y parle elle-même : ces endroits ne se rencontrent pas seulement dans ce que joue Agnès, mais dans les rôles de tous ceux qui jouent à cette pièce. […] La nature, en formant Molière, avait montré pour lui, à cet égard, une prédilection marquée, et les preuves singulières qu’il en a données ne laissent aucun lieu d’en douter. […] Si les médecins de notre temps ne connaissent pas mieux la nature, ils connaissent mieux le monde, et savent que le grand art d’un médecin est l’art de plaire : Molière peut avoir contribué à leur ôter leur pédanterie, mais les mœurs du siècle qui ont changé en tout y ont contribué davantage.

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