Ses comédies renferment donc la véritable poétique du genre; c’est là seulement qu’on peut espérer de découvrir quelques-uns des secrets de ce génie qui se fait également sentir dans les jeux de Sganarelle et dans les inspirations du Misanthrope ; c’est là qu’on retrouve le siècle tout entier, la cour et la ville, les vices et les ridicules, les choses et les hommes. […] Il avait marqué le caractère de l’hypocrisie de traits si vifs et si délicats, qu’il s’était imaginé que, bien loin qu’on dût attaquer sa pièce, on lui saurait gré d’avoir donné de l’horreur pour un vice si odieux. […] De sorte que Sa Majesté ayant vu par elle-même qu’il n’y avait rien dont les personnes de piété et de probité pussent se scandaliser, et qu’au contraire on y combattait un vice qu’elle a toujours eu soin elle-même de détruire par d’autres voies, elle permit apparemment à Molière de remettre sa pièce sur le théâtre. […] Mais Sa Majesté, qui savait par elle-même que l’hypocrisie était vivement combattue dans cette pièce, fut bien aise que ce vice, si opposé à ses sentiments, fût attaqué avec autant de force que Molière le combattait. […] il a su l’art de plaire qui est le grand art ; et il a châtié avec tant d’esprit et le vice et l’ignorance, que bien des gens se sont corrigés à la représentation de ses ouvrages pleins de gaieté, ce qu’ils n’auraient pas fait ailleurs à une exhortation rude et sérieuse.
Cet homme qui passait sa vie dans le plus grand monde, en connaissait parfaitement les vices et le ridicule ; et les peignait du pinceau le plus ferme, et des couleurs les plus vraies. […] Mon homme a toutes les peines du monde à croire qu’une femme de bien puisse faire de pareils tours ; mais, pour l’en convaincre mieux, cette honnête dame devient amoureuse du petit page, et veut le prendre à force ; mais comme il faut que justice se fasse, et que, dans une pièce de théâtre, le vice soit puni ou la vertu récompensée, il se trouve à la fin du compte que le capitaine se met à la place du page, couche avec son infidèle, fait cocu son traître ami, lui donne un bon coup d’épée au travers du corps, reprend sa cassette, et épouse son page. […] C’est un exercice que peu de gens ignorent, et dont l’usage est venu d’Allemagne. » « [*]Le dimanche 11 mai, le roi mena toute la Cour l’après-dînée à sa ménagerie… Le soir, Sa Majesté fit représenter sur l’un de ces théâtres doubles de son salon, que son esprit universel a lui-même inventés, la comédie des Fâcheux faite par le sieur Molière, mêlée d’entrées, de ballets, et fort ingénieuse. » « [*]Lundi 12 mai… le soir, Sa Majesté fit jouer les premiers actes d’une comédie nommée Tartuffe, que le sieur Molière avait faite contre les hypocrites ; mais quoiqu’elle eût été trouvée fort divertissante, le roi connut tant de conformité entre ceux qu’une véritable dévotion met dans le chemin du Ciel, [et] ceux qu’une vaine ostentation des bonnes œuvres n’empêche pas d’en commettre de mauvaises, que son extrême délicatesse pour les choses de la religion eut de la peine à souffrir cette ressemblance du vice avec la vertu ; et quoiqu’on ne doutât pas des bonnes intentions de l’auteur, il défendit cette comédie pour le public, jusqu’à ce qu’elle fût entièrement achevée, et examinée par des gens capables d’en juger, pour n’en pas laisser abuser à d’autres moins capables d’en faire un juste discernement. » « [*]Le mardi 13 mai… on joua le même soir la comédie du Mariage forcé, encore de la façon du même sieur Molière, mêlée d’entrées de ballet et de récits ; puis le roi prit le chemin de Fontainebleau le mercredi quatorzième ; toute la Cour se trouva si satisfaite de ce qu’elle avait vu que chacun crut qu’on ne pouvoir se passer de le mettre par écrit, pour en donner la connaissance à ceux qui n’avaient pu admirer tout à la fois le projet avec le succès, la libéralité avec la politesse, le grand nombre avec l’ordre, et la satisfaction de tous ; où les soins infatigables de M.
Moliere, me dira-t-on, votre oracle, votre héros, a bien employé le ton, le jargon, & jusqu’aux mots favoris de tous les états, de toutes les passions, de tous les vices, de tous les ridicules qu’il a joués, témoin son Chasseur des Fâcheux, dans la bouche duquel il met tous les mots consacrés à la chasse.
C’est ainsi qu’aux flatteurs on doit par-tout se prendre Des vices où l’on voit les humains se répandre.
La sagesse de ses expressions, la conduite de ses intrigues, la finesse de ses pensées, le tour naturel de son style, et surtout la beauté de ses caractères, qui tendent tous à rendre le vice ridicule et méprisable, sont des choses que quelques-uns de ceux qui lui ont succédé dans le genre comique, ont imité d’assez près dans un petit nombre de pièces, mais qui peut-être ne se trouvent reunis dans aucune. […] Le poète françois a non seulement exposé sur la scène les vices et les ridicules communs à tous les âges et à tous les pays, il les a peints encore avec des traits tellement propres à sa nation, que ses comédies peuvent être regardées comme l’histoire des mœurs, des modes et du goût de son siècle ; avantage qui distinguera toujours Moliere de tous les auteurs comiques.
Il avoit manié le caractere de l’hypocrisie avec des traits si vifs & si délicats, qu’il s’étoit imaginé que bien loin qu’on dût attaquer sa Piece, ou lui sauroit gré d’avoir donné de l’horreur pour un vice si odieux. […] De sorte que sa Majesté ayant vû par elle-même qu’il n’y avoit rien dont les personnes de pieté & de probité pussent se scandaliser ; & qu’au contraire on y combattoit un vice qu’elle a toûjours eu soin elle-même de detruire par d’autres voyes ; elle permit apparemment à Moliere de remettre sa Piece sur le Theâtre. […] Oui, je veux bien, perfide, oublier vos forfaits, J’en saurai dans mon ame excuser tous les traits, Et me les couvrirai du nom d’une foiblesse Où le vice du temps porte votre jeunesse, Pourvû que vôtre cœur veuille donner les mains Au dessein que j’ai fait de fuir tous les humains, Et que dans mon desert, où j’ai fait vœu de vivre, Vous soyez sans tarder resolue à me suivre ; C’est par là seulement que dans tous les Esprits, Vous pouvez reparer le mal de vos écrits, Et qu’après cet éclat qu’un noble cœur abhorre, Il peut m’être permis de vous aimer encore. […] Mais Sa Majesté, qui savoit par elle-même que l’Hypocrisie étoit vivement combattuë dans cette Piece, fut bien-aise que ce vice, si opposé à ses sentimens, fût attaqué avec autant de force que Moliere le combattoit.
Je suis fâché, luy dis-je, que vous ayez presque quitté vos anciennes Pieces, elles étoient du goût de toutes les personnes de bon sens, on y trouvoit plusieurs choses utiles pour les Mœurs, & votre Theatre étoit un lieu où j’ose dire qu’en y voyant le ridicule du vice, on se sentoit porté même par la seule raison à prendre le parti de la vertu.