C’est qu’en effet la profession d’avocat ne ressemble point aux autres ; elle laisse à celui qui l’exerce toute sa liberté ; elle ne l’enferme pas dans un système, ne lui impose aucune méthode; elle lui permet de rester lui-même.
Ces œuvres de circonstance, presque de polémique, se sont trouvées admirables et sont restées immortelles, parce qu’elles étaient œuvres de Molière. […] Il a montré comment l’homme, en ne se laissant jamais emporter aux élans des passions, doit rester dans le juste milieu qui lui permet de voir clairement le bien, et de le pratiquer sans exagération : juste milieu qu’il faut bien se garder de confondre avec celui des nouveaux académiciens d’autrefois et des sceptiques [modernes, car c’est un état moyen de passion, et non pas un état moyen de croyance dans le vrai et d’amour pour le bien797.
Lors même qu’on arriverait à me prouver que les comédiens d’aujourd’hui ont reçu les révélations de leurs devanciers immédiats, et qu’on remonterait ainsi, preuves en main, par une suite non interrompue de confidences, jusqu’aux dernières années du règne de Louis XIV, il resterait à établir que le secret, en passant de bouche en bouche, est demeuré ce qu’il était au premier jour, que les acteurs qui ont joué pour la première fois les ouvrages de Corneille, de Racine et de Molière, qui ont reçu leurs conseils et profité de leurs leçons, ont pu les transmettre sans les altérer. […] Molière se passera très bien de leurs commentaires ; les découvertes qu’ils s’attribuent resteront stériles, leur sagacité s’épuise en vains efforts : qu’ils se contentent donc du sens naturel, du sens accepté par tous, et renoncent à la tâche téméraire qu’ils se sont donnée.
Le champ où il a moissonné est moins vaste qu’on ne l’imagine; et quand il resterait quelque coin où il n’aurait pas porté la main, on craindrait encore de se trouver dans son voisinage.
À l’époque de son mariage, Montausier avait à peine trente-cinq ans ; depuis l’âge de vingt ans, il était au service et engagé dans des guerres successives, en Italie, en Lorraine, en Alsace ; en 1638, parvenu au grade de maréchal de camp, bien qu’âgé seulement de vingt-huit ans, il fut nommé gouverneur de l’Alsace, province alors d’une soumission équivoque, où le roi avait besoin d’un homme qui réunit l’art et le courage du guerrier au tarent et à la sagesse de l’administrateur ; en 1638, il se signala au siège de Brissac ; revenu à Paris pendant l’hiver de 1641, il fut rappelé à l’ouverture de la campagne par Guébriant devenu général en chef de l’armée d’Allemagne et peu après maréchal de France ; le maréchal, qui avait une grande confiance en Montausier, ayant été tué en 1643, celui-ci fut fait prisonnier, peu de temps après, à la déroute de Dillingen ; il ne recouvra la liberté qu’en 1644 ; alors enfin il lui restait encore un obstacle à franchir pour se marier ; c’était sa religion.
Elle alla alors faire une visite à madame de Maintenon, qui était récemment revenue de Barèges, et resta deux ou trois jours chez elle.
Ces deux pertes si regrettables ont interrompu quelque temps la publication ; mais l’œuvre ne pouvait rester en suspens, et deux autres écrivains, non moins dévoués que les précédents, ont accepté de continuer leur tâche : M. […] Sans doute, cette intrépidité d’impénitence qui brave le surnaturel lui-même a une sorte de grandeur sauvage qui nous impose, mais sans nous captiver ; nous n’éprouvons pas pour lui ce sentiment d’admiration et d’enthousiasme avec lequel Lucrèce nous peint Épicure bravant les dieux et la superstition : Tandem Graius homo… Nous restons peuple devant ce spectacle ; c’est là évidemment ce qu’a voulu Molière. […] » Molière en effet a compris qu’un plaidoyer en faveur de Dieu, exposé en forme par un représentant de la piété, eût été à la fois très froid et très inconvenant : car le raisonnement appelait le raisonnement, et don Juan n’eût pas été homme à rester court. […] Rousseau, reprenant cette thèse avec ostentation, en a tiré un violent réquisitoire contre Molière : « Après avoir joué tant d’autres ridicules, disait-il, il lui restait à jouer celui que le monde pardonne le moins, le ridicule de la vertu. » Il résumait cette critique dans ces deux propositions : « Vous ne sauriez me nier deux choses : l’une, qu’Alceste, dans cette pièce, ne soit un homme droit, sincère, estimable, un véritable homme de bien ; l’autre, que l’auteur lui donne un personnage ridicule. » Molière a donc voulu faire rire de la vertu ?