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3. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XX. Des Pieces intriguées par le hasard. » pp. 223-240

« Cette sorte d’intrigue est, je crois, celle qui a le plus de mérite, & qui doit produire un plus grand effet ; parceque le spectateur, indépendamment de ses réflexions sur l’art du poëte, est bien plus flatté d’imputer les obstacles qui surviennent, aux caprices du hasard, qu’à la malignité des maîtres ou des valets ; & qu’au fond une comédie intriguée de la sorte, étant un image plus fidelle de ce que l’on voit arriver tous les jours, elle porte aussi davantage le caractere de la vraisemblance. […] Le déguisement à la faveur duquel Jupiter cherche à satisfaire son amour produit une brouillerie entre Amphitrion & Alcmene, qui fonde également leurs plaintes réciproques. […] Ainsi, rien n’arrive dans cette piece de dessein formé, & le hasard en produit seul tous les incidents. […] Les Italiens représentent très souvent une piece dans laquelle Arlequin éprouve vingt-six infortunes, & c’est au hasard qu’il les doit toutes : il demande l’aumône à un cabaretier qui se trouve un frippon ; le hasard ne produit rien là de fort merveilleux : il traverse un bois, il rencontre, par hasard, des voleurs qui le déshabillent & lui volent sa bourse : il se couche dans une écurie, il se place par hasard auprès d’un cheval qui rue : il s’enveloppe dans une botte de paille au milieu du chemin, des voleurs y mettent le feu pour se chauffer : il veut entrer dans une maison par la fenêtre, le hasard veut que le balcon tombe précisément dans ce moment, &c. […] « Cette sorte d’intrigue est, je crois, celle qui a le plus de mérite, & qui doit produire un plus grand effet ; parceque le spectateur, indépendamment de ses réflexions sur l’art du Poëte, est bien plus flatté d’imputer les obstacles qui surviennent, aux caprices du hasard, qu’à la malignité des maîtres ou des valets ; & qu’au fond une comédie intriguée de la sorte étant une image plus fidelle de ce qu’on voit arriver tous les jours, elle porte aussi davantage le caractere de la vraisemblance ».

4. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIX & dernier. Des causes de la décadence du Théâtre, & des moyens de le faire refleurir. » pp. 480-499

La nature toujours également féconde, toujours également bonne mere, se plaît à faire naître dans chaque siecle un certain nombre de talents dans tous les genres, & chacun de ces talents languit ou produit des fleurs & des fruits en abondance selon qu’il est plus ou moins secondé par les circonstances. […] On charge un Comédien de l’examiner : c’est dans ses mains que votre sort est remis ; il peut à son gré vous fermer ou vous ouvrir les premieres avenues du temple de mémoire : reste à savoir s’il est assez éclairé pour juger de l’effet que la piece peut produire au théâtre ; si elle est dans le genre qu’il aime ou qu’il protege ; s’il est lui-même votre ami ou votre ennemi ; s’il ne voudra pas favoriser un autre Auteur. […] Il arrive enfin ; mais une piece tombée des nues passe avant la vôtre, parceque l’Auteur est titré, ou parcequ’il abandonne le produit des représentations. […] Enfin, s’il est vrai qu’un Empire soit plus ou moins illustre à mesure qu’il produit plus ou moins d’hommes de génie, d’hommes immortels, pourquoi ne pas admettre le seul moyen qui peut nous rapprocher de ce temps fameux où les Corneille, les Moliere, les Racine, s’immortalisoient chacun sur un théâtre différent ? […] Ce n’est pas qu’il n’y ait parmi eux de bons Juges ; mais il est impossible que les détails, lus avec prétention, n’éblouissent la plus grande partie d’une assemblée nombreuse, & ne fassent perdre de vue le fonds, la contexture, enfin la machine qui seule doit produire le grand effet au théâtre.

5. (1769) Éloge de Molière pp. 1-35

Le mélange ridicule de l’ancienne barbarie et du faux bel esprit moderne avait produit le jargon des Précieuses. […] La Nation n’avait produit d’elle-même que des farces méprisables ; et sans quelques traits de l’Avocat Patelin, (car pourquoi citerai-je les Comédies de P.  […] Chaque sujet n’emporte avec lui qu’un certain nombre de sentiments à produire, de vérités à développer, et Molière ne peut donner toutes les leçons à la fois. […] Aussi est-ce le Comique Bourgeois qui produit le plus de ces mots que leur vérité fait passer de bouche en bouche. […] Les ridicules même qu’il a détruits n’en auraient-ils pas produit de nouveaux ?

6. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIX. Des Méprises, des Equivoques & de ce qu’on appelle quiproquo au Théâtre. » pp. 474-489

Ces ressorts, comme tous ceux d’un drame, produisent différents effets, selon le génie de l’Auteur qui les fait agir : souvent ils excitent le rire le plus bas, quelquefois ils font verser les larmes les plus ameres, & ils peuvent remplir les différents degrés qui séparent ces deux extrêmes. […] La méprise de Bernadille, qui ne reconnoît pas sa femme, & qui croit avoir affaire à un juge très sévere, produit des choses charmantes ; mais elle est très mal amenée, puisqu’il n’est pas vraisemblable qu’un homme, à moins d’être aveugle, ne reconnoisse pas une femme avec laquelle il a eu les liaisons les plus intimes, sur-tout lorsqu’un long espace de temps ne s’est pas écoulé, & lorsque la femme ne met pour tout déguisement qu’un habit d’homme. […] Si la méprise est bien filée, elle peut produire une scene admirable. […] Angélique meurt de dépit, quand Sainville vient savoir quel effet a produit son billet amoureux.

7. (1812) Essai sur la comédie, suivi d’analyses du Misanthrope et du Tartuffe pp. 4-32

Par ce moyen, il a produit des beautés du premier ordre et multiplié les effets ; mais en même temps, il a toujours su fixer l’attention du spectateur sur le sujet principal ? […] Au reste, ces règles, essentiellement fondées sur la nature, reconnues par la raison et le goût, ont produit de si grandes beautés, qu’elles sont universellement connues. […] Mais que nous importe, lorsqu’elles produisent les plus grandes beautés, et que l’auteur, par la magie de son talent, sait les cacher ? […] Toutes les fois qu’une invraisemblance est déguisée avec art, qu’elle produit des beautés du premier ordre, on doit la pardonner à l’auteur ; mais c’est à ces seules conditions : autrement le théâtre retomberait dans sa barbarie primitive. […] J’ai souvent entendu plusieurs personnes marquer leur étonnement sur le peu d’effet que nos excellentes comédies produisent sur le peuple, sur les gens sans éducation si sensibles aux sentiments gigantesques, à l’enflure, aux images presque toujours fausses et exagérées des mélodrames.

8. (1838) Du monument de Molière (Revue de Paris) pp. 120-

Immuable au centre des révolutions que le bon ou le mauvais goût a produites et a déchaînées au pied de toutes les idoles, il a résisté au silence désastreux que Voltaire fit planer pendant un demi-siècle sur la tête de Corneille; il n’a éprouvé aucun des outrages que Racine a subis au moment d’une transformation récente et dont sa joue est encore chaude; il a presque soutenu à lui seul, de son pied de bronze, tout l’édifice du XVIIe siècle, fortement ébranlé. […] Hors Paris, ces souscriptions ne produiront rien; dans Paris, elles n’iront pas à 20,000 francs : 20,000 francs, c’est moins que rien; c’est peu. […] Nous fera-t-on croire que la France n’a produit qu’un seul homme capable d’écrire de bonnes comédies?

9. (1819) Notices des œuvres de Molière (II) : Les Précieuses ridicules ; Sganarelle ; Dom Garcie de Navarre ; L’École des maris ; Les Fâcheux pp. 72-464

La pièce fut jouée avec un applaudissement général, et j’en fus si satisfait en mon particulier, que je vis dès lors l’effet qu’elle allait produire. […] Si, au contraire, écartant tout ce que ses visions peuvent avoir de douloureux et de funeste dans leurs conséquences, vous vous bornez à montrer ce qu’il y a de faiblesse et de folie dans son principe, le personnage, fût-il du rang le plus élevé, produira cette impression de ridicule qui est le but particulier de la comédie. […] Gêné, pour ainsi dire, dans ses fureurs, par les bienséances de son rang et par les limites du genre où Molière l’a placé, il ne peut produire, il ne produit que des effets équivoques et imparfaits. Molière a transporté dans Le Misanthrope plusieurs passages de Dom Garcie, et ce simple changement de position a été une véritable métamorphose : de médiocres qu’ils étaient, ces passages sont devenus excellents ; destinés originairement à causer des émotions presque tragiques et n’en causant toutefois d’aucune espèce, ils ont produit, dans leur nouvelle place, des impressions toutes contraires, par la seule raison qu’Alceste, amant d’une franche coquette en dépit de son humeur bourrue contre les vices du temps, est un personnage de comédie dans une situation comique. […] Le sujet de L’École des maris est la différence que deux systèmes contraires d’éducation, l’un sagement indulgent, et l’autre ridiculement sévère, peuvent produire dans les sentiments et dans la conduite des jeunes gens qui y sont assujettis ; et, d’après cela, il est vrai de dire que Molière doit à Térence l’idée première, l’idée fondamentale de sa comédie, l’idée à l’exécution de laquelle tout le reste ne fait que concourir.

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