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3. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE PREMIER. Part de la Morale dans la Comédie de Molière. » pp. 1-20

Mais ceux qui veulent voir dans les œuvres dramatiques vraiment belles des intentions morales, prêtent presque toujours aux auteurs une pensée qu’ils n’ont point eue. […] On peut dire de l’histoire, bien plus que de la comédie, qu’elle enseigne la morale, que l’historien écrit sous l’empire de certaines idées morales, que ses livres sont de grands tableaux de l’expérience humaine, qui ont par nature une influence morale. […] Dans cette juste mesure, nulle œuvre artistique plus que celle de Molière, nul auteur dramatique plus que lui n’est digne d’attirer l’attention au point de vue moral. […]   Alors, on comprend aussi combien il est intéressant de connaître les idées morales de cet homme. […] Il est à remarquer qu’on ne trouve que là, dans tout Molière, l’idée que la comédie puisse avoir un but moral.

4. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Apollon oppose à ce rapport purement naturel le droit moral de l’époux, et ici la gravité du génie d’Eschyle est digne d’être éternellement admirée. […] Le conflit des idées morales cessa d’être la substance de l’intérêt tragique, et le chœur rendu par là utile ne fut plus qu’un sentencieux hors-d’œuvre. […] Mais ici je touche au point le plus délicat du problème moral de la comédie, et à l’essence même de cet art. […] Mais le comique est quelque chose de plus rare, de plus exquis, surtout de plus moral. […] Malgré ses fautes contre le comique et contre la poésie, le théâtre de Molière est généralement moral.

5. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE IV. Jugement sur les Hommes de Molière. » pp. 65-82

Mais toute cette étude du cœur humain, si profonde, si philosophique même, Molière ne s’y est pas livré dans un but moral, pas plus que Raphaël n’a étudié les muscles et le squelette pour devenir un chirurgien ; il n’a pas fait ses drames les plus moraux pour instruire, pas plus que Michel-Ange n’a taillé ses torses pour enseigner la myologie. […] Le rire est son bien ; il le puise à toute source : si la source en est morale, instructive, tant mieux ; quand elle ne l’est point, il y puise quand même ; et cette belle médaille de Molière philosophe et moral a un revers frappé d’immoralité. […] On se contente de juger que Molière a un grand sens moral, une grande influence morale, mais encore une fois n’est point moraliste. […] Est-il moral de faire reposer toute une intrigue touchante sur l’adresse de telles gens, à qui l’on s’intéresse nécessairement, parce qu’on s’intéresse au succès de ce qu’ils entreprennent ? […] Un pareil contraste peut ajouter à l’intérêt, à l’émotion ; mais c’est un mensonge moral.

6. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Les personnages de la tragédie sont nobles ; ils nous montrent le principe moral vainqueur du principe animal : donc les personnages de la comédie doivent nous montrer le principe animal victorieux du principe moral ; ils doivent êtres ivres, poltrons, vains, débauchés, paresseux, gourmands ou égoïstes. […] quoi de plus moral ? […] Or, l’admiration a par elle-même un bon effet moral. […] Uranie conserve avec soin et exerce continuellement son sens moral, comme l’organe le plus précieux de la critique317. […] Mais la véritable propédeutique pour fonder le goût est le développement des idées morales et la culture du sentiment moral.

7. (1922) La popularité de Molière (La Grande Revue)

Il ne projette sur les problèmes philosophiques et moraux dont la solution nous tourmente, aucune rayonnante lueur. […] Il serait curieux d’étudier à ce propos la transformation que son lumineux bon sens impose à certains thèmes sociaux et moraux qu’il emprunte à d’autres. […] un problème moral, voire même social, contemporain, certes, mais en un sens aussi universel : la naissance, le rang, la fortune, un ensemble d’avantages exceptionnels qui l’élèvent au-dessus du commun, peuvent-ils permettre à l’homme qui en bénéficie de soumettre à ses passions et à ses caprices, une foule faible, mal défendue, une Elvire, une Mathurine, un pauvre pécheur, un M.  […] Pour ce qui concerne Molière, ce reproche n’est qu’à moitié fondé et certains traits individuels, non pas seulement moraux, mais physiques, distinguent plusieurs de ses personnages. […] Mais il est un don qui nous appartient en propre, que nos origines multiples, fondant en un tout harmonieux dans la nôtre les caractères des autres races, ont développé chez nous à un degré suprême ; c’est le don de la mesure et de la proportion ; c’est le sentiment inné de ce qui convient dans l’ordre moral comme dans l’ordre intellectuel, dans le domaine social comme dans celui des Arts et des Lettres.

8. (1862) Corneille, Racine et Molière (Revue chrétienne) pp. 249-266

La Bruyère a dit : Corneille est plus moral et Racine plus naturel. Vinet relève quelque part ce mot et le corrige : « Si Racine est plus naturel, dit-il, il est plus vrai, et s’il est plus vrai, il est plus moral. […] J’accorderai volontiers que la sensibilité est le principe du talent; mais je nierai que la sensibilité soit la même chose que le principe moral et qu’un homme soit d’autant plus moral qu’il est plus sensible. […] Il se préoccupe moins des intérêts intellectuels et moraux de la femme que des intérêts d’honneur de l’homme qui doit l’associer à sa destinée. […] Aujourd’hui nous attachons à ces deux mots un sens plus moral et plus bourgeois.

9. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Mais il y a aussi de certaines faiblesses morales vues avec complaisance, caressées avec affection par le pécheur qui s’y abandonne. […] Si l’idéal de la tragédie consiste dans l’asservissement de l’être sensuel à l’être moral, l’idéal de la comédie doit nécessairement nous montrer l’inverse ; l’asservissement de l’être moral à l’être matériel63. […] Les monstruosités morales appartiennent de droit à l’extravagance volontaire de la farce, et c’est pourquoi le personnage représenté par Harpagon est un des lieux communs de l’opéra buffa des Italiens. […] Mais ce n’est pas avec des sentences morales qu’il est possible d’égayer une comédie ; ce n’est pas avec de longs plaidoyers sur la corruption du monde que l’on peut animer un drame et le rendre vivant. […] Le secret du poète comique pour empêcher que nos sentiments moraux ne soient blessés, ce n’est pas de tenter entre son art et la morale une conciliation impossible, c’est de les séparer par convenance.

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